Enjeux politiques pour la gauche

Publié le 24 Juin 2021

Enjeux politiques pour la gauche
Dans ce contexte de préparations des élections présidentielles, la gauche française reste en lambeaux. C'est l'occasion de revenir sur l'histoire de ses partis et sur les débats qui traversent la gauche. Un renouveau intellectuel et politique devient urgent dans un contexte de crise et de faillite de la social-démocratie. 

 

La gauche française ne cesse d’agoniser. Les débats sur l’immigration, le terrorisme et la sécurité imposent des thématiques de droite. Ensuite, une vision gestionnaire de l’économie efface les débats sur le choix de société. La gauche semble également engluée dans des chimères du passé, comme l’idéalisation des Trente glorieuses, sans prendre en compte l’exploitation à l’usine et la société de consommation.

La gauche d’appareil semble discréditée, avec ses querelles politiciennes entre Europe Ecologie – Les Verts (EELV) et La France insoumise (LFI). Pourtant, l’urgence écologique, ravivée par la crise sanitaire, oblige d’affronter le capitalisme. La gauche doit également se réinventer et s’appuyer sur le dynamisme des mouvements sociaux. Le journaliste Denis Sieffert propose des pistes de réflexion dans son livre Gauche : les questions qui fâchent...

 

 

Effondrement politique de la gauche

 

Deux traditions politiques traversent la gauche en France. Le Parti communiste français (PCF) se délite depuis la chute de l’URSS. Le Parti socialiste (PS) incarne un courant réformiste. Néanmoins, les capitalistes semblent de moins en moins vouloir négocier des compromis. « Mais que se passe-t-il lorsque le capitalisme n’admet plus aucun progrès social et croit pouvoir écraser toute résistance pour imposer un modèle unique ? », interroge Denis Sieffert. Les marges de manœuvre et les possibilités d’aménager le capitalisme disparaissent. Ensuite, les idéaux s’érodent avec l’arrivée de la gauche au pouvoir.

Le déclin de la gauche semble lié aux mutations du monde du travail et de la classe ouvrière. Les grandes usines, bastions communistes, disparaissent. Les petites unités de production et la précarité permettent difficilement de s’organiser dans les entreprises. L’alliance avec le PS provoque l’effondrement du PCF dans les années 1980. Les gouvernements de gauche ne défendent pas les intérêts des classes populaires et perdent leur ancrage dans la société.

 

En 1981, le gouvernement socialo-communiste tente une politique de relance keynésienne. Mais l’ouverture du commerce international en affaiblit l’efficacité économique. Le pouvoir de gauche se lance alors dans le tournant de la rigueur, avec une diminution des dépenses sociales et une austérité salariale dans le secteur public. Le PS abandonne son projet social-démocrate pour se rallier au néolibéralisme. L’Europe devient alors la nouvelle idéologie de la gauche.

Le quinquennat de François Hollande achève les débris de la social-démocratie. Il mène une politique anti-sociale avec l’augmentation de la TVA pour l’ensemble de la population et la diminution des cotisations patronales. Il s’attaque également au Code du travail qui protège les salariés face aux patrons avec la Loi travail. Le Premier ministre Manuel Valls accompagne cette politique anti-sociale avec un discours raciste. Une politique anti-immigrés et la proposition de la déchéance de nationalité illustrent ce virage identitaire de la gauche.

 

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République et Nation

 

La gauche intellectuelle se construit autour du clivage factice entre le social et le sociétal. En 2011, une note de la fondation Terra Nova invite la gauche à abandonner une classe ouvrière ralliée à l’extrême-droite pour se tourner vers les « minorités ». Les femmes, les jeunes et les immigrés doivent devenir la nouvelle clientèle électorale des partis de gauche.

En réalité, ce sont les gouvernements de gauche qui ont abandonné la classe ouvrière, plutôt que l’inverse. Les politiques néolibérales dégradent les conditions de vie des classes populaires qui préfèrent ne plus voter pour la gauche. Le Parti socialiste se tourne vers les thématiques sociétales avec un progressisme en matière de mœurs.

Cependant, la question identitaire devient centrale dans le débat public. La gauche pense s’opposer à la montée de l’extrême-droite en reprenant son discours raciste et sécuritaire, plutôt que par des politiques sociales. Laurent Bouvet incarne cette trajectoire de la gauche intellectuelle. D’abord incarnation du blairisme et de la gauche néolibérale, il se tourne vers un discours raciste et identitaire qui oppose un peuple blanc aux immigrés.

 

La gauche s’enferme dans l’abstraction républicaine. La Révolution française et les origines sociales de la République sont gommées. Le discours républicain impose l’assimilation des immigrés et l’effacement des différences culturelles devant la soumission à la communauté nationale. « Il faut faire allégeance à un dogme et répondre à une injonction », pointe Denis Sieffert. Le discours républicain vise également à nier le racisme et les violences policières mis en lumière par les luttes de quartiers.

Même l’extrême-gauche, incarnée par Jean-Luc Mélenchon, cède à la rhétorique national-républicaine. Les drapeaux tricolores et l’hymne national animent les meetings électoraux à la tonalité très patriotique. L’amour de la France peut facilement glisser vers le rejet de l’étranger. Dans son livre Le Hareng de Bismark, Jean-Luc Mélenchon s’attaque à l’ensemble des Allemands qui sont essentialisés et réduits à des traits de caractère communs.

 


 

 Questions stratégiques

 

Les changements sociaux passent par des révolutions. En France, la question sociale est posée avec la révolution de 1848. La Commune de 1971 s’appuie sur l’auto-organisation de la classe ouvrière. La révolution d’Octobre 1917 reste longtemps considérée comme un modèle. Mais le parti bolchevik s’oppose à toute forme de dissidence et de pluralisme. Il refuse de s’appuyer sur les soviets pour inventer une société nouvelle et une réorganisation de la production depuis la base.

Aujourd’hui, les révolutionnaires ne revendiquent plus le modèle de la révolution d’Octobre et la dimension autoritaire du marxisme-léninisme. Les révolutionnaires se démarquent de la gauche qui apparaît comme une idéologie déconnectée de la réalité matérielle et des problèmes concrets de la vie quotidienne. « Quant au militant de gauche, il n’est pas nécessairement révolutionnaire, tandis que le révolutionnaire juge infamant et vulgaire qu’on le verse dans ce grand fourre-tout idéologique qu’est la gauche », observe Denis Sieffert.

Le militant de gauche se réfère aux grands principes des droits de l’homme. En revanche, les révolutionnaires insistent sur le clivage entre les prolétaires et les patrons. Néanmoins, le révolutionnaire « professionnel » peut aussi apparaître comme un militant noyé dans la politique qui cultive l’entre-soi.

 

Les révoltes dans les pays arabes en 2011, puis les soulèvements à travers le monde en 2019 remettent au goût du jour la perspective de révolution. Cependant, ces mouvements émergent souvent dans des contextes de dictature et s’attachent à revendiquer davantage de démocratie. La France, qui repose sur le modèle de la représentation, n’est pas une dictature qui interdit les réunions d’opposants et les réprime en permanence.

Cependant, la révolte des Gilets jaunes montre que des revendications sociales peuvent déclencher un embrasement révolutionnaire. « La révolution, ce serait les Gilets jaunes à l’échelle de tout le pays. Ce n’est visiblement pas d’actualité », estime Denis Sieffert.

 

    

 

Impasse Mélenchon

 

Jean-Luc Mélenchon reste la figure incontournable de la gauche française. Ses talents d’orateur et son score électoral en 2017 en font le candidat favori à gauche pour la prochaine élection présidentielle. Jean-Luc Mélenchon entend imposer son hégémonie sur la gauche. Sa personnalité autoritaire est souvent moquée. Mais son parti de La France insoumise semble également fortement hiérarchisé et ne permet pas l’expression de débats contradictoires. « On n’y connaît ni courants ni élections. Le chef autoproclamé, à l’ancienneté et au talent, c’est lui », observe Denis Sieffert. Le modèle du mouvement « gazeux » permet à toutes les individualités de s’exprimer. Mais les décisions ne sont jamais prises collectivement. A la fin, c’est toujours le chef de la secte qui décide de tout.

La politique internationale de Mélenchon se réduit à un campisme de guerre froide. Il soutient tous les ennemis de l’impérialisme américain, comme la Russie ou la Chine. Il s’oppose même à la révolte en Syrie pour soutenir le régime de Bachar. Ce discours complotiste insiste sur les tractations plus ou moins occultes entre Etats. Le facteur géopolitique devient central. Ce qui permet de nier la capacité de révolte de la population. Mélenchon soutient également le régime du Venezuela. Cette « révolution bolivarienne » s’appuie sur une rente pétrolière gérée à travers le clientélisme et la corruption. Mélenchon nie le massacre des manifestations par le régime de Maduro.

Jean-Luc Mélenchon s’appuie sur le populisme de gauche, qui insiste sur le clivage entre le peuple et l’oligarchie. Cette théorie développée par la philosophe Chantal Mouffe doit permettre de sortir du folklore de la vieille gauche pour renouveler la social-démocratie. Surtout, le populisme insiste sur l’importance du leader charismatique. « On imagine bien que Mélenchon puisse être à l’aise avec ce discours, qu’il assume et qui fait sa force en face d’une gauche timorée sur toutes les questions de personnes et de chefferie », ironise Denis Sieffert.

 

       

 

Clarification des clivages idéologiques

 

Denis Sieffert lance de coup d’envoi d’une salve de publications sur la gauche avant les élections présidentielles de 2022. L’effondrement du PS, mais aussi la vivacité des mouvements sociaux, alimentent le renouvellement théorique. L’éditorialiste du magazine Politis choisit l’angle des « questions qui fâchent ». Ce qui lui permet d’aborder l’histoire de la gauche française et de brosser un panorama des différents débats qui la traversent.

La voix de Denis Sieffert et de Politis reste précieuse dans un débat médiatique particulièrement confus et dominé par l’extrême-droite. Sur les questions de République, de Nation, d’Islam, d’identité et d’immigration, Denis Sieffert propose un point de vue relativement lucide et original. Il attaque l’idéologie national-républicaine qui prédomine dans le paysage politique, y compris à gauche. Il s’oppose au chauvinisme cocardier et au folklore du nationalisme de gauche. Néanmoins, il n’aborde pas le débat épineux de la sortie de l’Union européenne qui donne la légitimité à cette mouvance « souverainiste » au sein de l’extrême-gauche.

 

Denis Sieffert avance sur une ligne de crête, en marge des débats vifs qui agitent la gauchosphère. Il attaque l’idéologie républicaine qui masque mal des relents nationalistes voire racistes. Mais il tient également à se démarquer de toute approche identitaire. Il se permet même quelques piques contre la mouvance décoloniale pourtant très à la mode, y compris du côté de Politis et de ses amis de Regards ou d’Ensemble ! Denis Sieffert se tient à distance du jargon intersectionnel avec ses notions de « race » et de « privilège » qui produisent un nouvel essentialisme pour homogénéiser une « gauche blanche » et une « gauche racisée » sans rendre compte de sa diversité.

Denis Sieffert s’inscrit dans une gauche radicale ouverte et pluraliste. Il prend en compte les nouveaux mouvements sociaux comme l’écologie et la grève pour le climat, mais aussi la lutte contre les violences policières. Surtout, Denis Sieffert se tient à distance du mélenchonisme, malgré sa sympathie pour l’homme politique. Il pointe la direction autoritaire de la France insoumise qui ne permet pas le débat et le pluralisme. Il souligne les limites de la stratégie populiste qui repose sur un leader charismatique.

 

     

 

Faillite de la gauche

 

Si Denis Sieffert débroussaille bien les débats médiatiques qui animent la gauche, c’est sur la question stratégique que l’angle mort apparaît. Comment changer la société, voire le monde, reste un enjeu central. Sur ce point, Denis Sieffert pose plus de questions qu’il n’apporte de réponses. Cette démarche reste salutaire et permet davantage de modestie intellectuelle que les appels tonitruants des partis gauchistes, avec leurs programmes clés en main qui sont les mêmes depuis plus de 30 ans.

Néanmoins, Denis Sieffert appartient à ce courant sympathique mais naïf qui aspire à « rassembler la gauche ». Les populistes montrent bien les limites de cette stratégie qui vise à créer un entre-soi identitaire et folklorique autour d’un camp de la gauche vidé de toute substance. Attachés à des idéaux et à une histoire, les militants de la gauche ne voient pas que leur petit monde reste surtout associé à des gouvernements voire des municipalités qui suscitent la défiance et l’hostilité auprès d’une large partie de la population.

Surtout, Denis Sieffert reste un indécrottable réformiste. Il congédie la stratégie révolutionnaire, plus ou moins réduite à des bains de sang. Pourtant, il semble important d’observer la multiplication des soulèvements à travers le monde. Les révoltes sociales s’opposent aux inégalités et aux conséquences du capitalisme. Même si ces insurrections échouent très souvent, il semble indispensable d’analyser leurs forces et leurs faiblesses plutôt que d’insister uniquement sur leur impuissance relative.

 

Les élections et les constituantes enferment ces mouvements dans une logique institutionnelle qui dépossède la rue au profit de politiciens plus ou moins nouveaux. Ensuite, Bruno Astarian évoque le faible nombre de grèves qui deviennent noyées dans des manifestations interclassistes pour plus de démocratie. La critique de l’exploitation capitaliste tend alors à disparaître. Au-delà des moments émeutiers, il semble également important d’observer la difficulté de faire émerger des structures d’auto-organisation pour propager les grèves et les blocages économiques.

Denis Sieffert évoque difficilement l’impasse de la stratégie réformiste. L’aménagement de l’exploitation capitaliste n’est pas envisagé par la classe dirigeante. Les programmes de gauche, fondés sur la relance keynésienne et le retour au plein emploi, semblent largement chimériques. Denis Sieffert pointe la véritable opposition entre réformistes et révolutionnaires dans la période actuelle. Les réformistes s’accrochent à des programmes de gauche largement déconnectés de la vie quotidienne des exploités. Leurs revendications semblent trop lointaines pour être crédibles, et pas assez immédiates pour être satisfaites par des luttes sociales.

Plutôt que de barboter dans ce marécage de la gauche, il semble plus pertinent de s’organiser sur une base de classe. De créer des réseaux de luttes et de solidarités pour résoudre les problèmes concrets dans nos vies quotidiennes comme le logement, les revenus, les conditions de travail et de vie. C'est à partir de ces enjeux immédiats que peuvent se développer des pratiques d’action directe et de luttes autonomes qui doivent se propager dans une perspective de rupture avec le capitalisme.

 

Source : Denis Sieffert, Gauche : les questions qui fâchent… En quelques raisons d’espérer, Les petits matins, 2021

 

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Pour aller plus loin :

Vidéo : Denis Sieffert (Politis) : « Ce que je combats par-dessus tout, c’est l’esprit de système », mis en ligne sur le site du magazine Regards le 1er mars 2018 

Vidéo : Denis Sieffert, invité de Rencontre, émission mise en ligne sur Radio Orient le 31 janvier 2021

Radio : Denis Sieffert, directeur de l'hebdomadaire français Politis, émission La Matinale diffusée sur RTS le 16 avril 2018      

Radio : émissions avec Denis Sieffert diffusées sur France Culture

 

Articles de Denis Sieffert publiés sur le site du magazine Politis

Pascal Boniface, « Gauche : les questions qui fâchent » – 4 questions à Denis Sieffert, publié sur le site de l'IRIS le 5 février 2021

Sébastien Fontenelle, Denis Sieffert : « Ceux qui pensent que ça ne peut pas être pire que maintenant se trompent lourdement », publié sur le site Les Jours Heureux le 14 mars 2021

En direct avec Denis Sieffert de Politis, publié sur le site de la Fédération nationale de la libre pensée le 25 mars 2018

NPA/Politis. Gauche en chantier. Denis Sieffert : « Une reconstruction s’inscrit dans la durée », publié dans le magazine Regards n°54 en septembre 2009


Sébastien Madau, Quand la gauche débat de ses désirs d'unité, publié sur le site du journal La Marseillaise le 31 août 2010

Marina Da Silva, Comment peut-on être (vraiment) républicain ?, publié dans le journal Le Monde diplomatique en avril 2007

Publié dans #Pensée critique

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