La réaction identitaire en France

Publié le 11 Mars 2017

La réaction identitaire en France
La mouvance identitaire ne cesse de gagner une influence intellectuelle et politique. L'affirmation franchouillarde s'oppose à la "culture musulmane". Le discours raciste se fait plus subtil mais reste virulent.

 

La mouvance identitaire ne se réduit plus à l’extrême droite et aux électeurs du Front national. Des intellectuels issus de la gauche, comme André Bercoff ou Alain Finkielkraut, développent une propagande identitaire. Les problèmes de la France sont attribués à l’immigration et à l’état d’esprit de la communauté musulmane. Les attentats de 2015 et de 2016 ont renforcé cette tendance.

Dans les milieux intellectuels, la crise Charlie a libéré la parole raciste. Elizabeth Lévy, patronne du torchon réactionnaire Causeur, ne se vit plus en citadelle assiégée par la bien-pensance. Ses idées identitaires et nationalistes sont devenues majoritaires. Le journaliste Eric Dupin propose une plongée dans La France identitaire.

 

Le Front national, issu d’un courant xénophobe et antisémite, adopte désormais un discours clairement identitaire. Ce parti dénonce de manière virulente une supposée islamisation de la France. « Le FN se veut désormais le défenseur d’un mode de vie français en ce qu’il serait menacé par une population musulmane excessivement attachée à ses particularismes », observe Eric Dupin. Les théories de l’extrême droite la plus dure se diffusent dans les milieux intellectuels, chez les politiciens de droite et même de gauche. Partout dans le monde, la mouvance identitaire se rapproche du pouvoir. Donald Trump et le Brexit illustrent ce phénomène qui existe également en Hongrie, en Autriche, en Suisse et même en Allemagne.

 

 

 

 

 

Les idéologues identitaires

 

Pierre Sautarel, fondateur du site influent Fdesouche, oppose les Blancs aux non-Blancs. Il attribue la délinquance aux origines ethniques. Il propose un communautarisme blanc pour défendre les intérêts des « petits Blancs » qui risquent de devenir minoritaires dans la population française selon lui.

 

Fdesouche sélectionne dans les médias des faits divers qui mettent en cause des personnes d’origine étrangère. Les commentaires se révèlent ouvertement racistes. Cette extrême droite s’appuie sur la fracture ethnique qui divise les classes populaires. Le géographe Christophe Guilly décrit une segmentation ethnique des classes populaires.

 

 

Génération identitaire (GI) regroupe des bourgeois traumatisés par les cours de récrés. Ils sont particulièrement actifs sur les réseaux sociaux et dans une ville comme Lyon à travers leur local de La Traboule. GI reste un groupuscule qui mobilise peu de monde sur le terrain. En revanche, GI organise des actions symboliques au fort impact médiatique. C’est la métapolitique qui est valorisée, avec un travail dans le domaine des idées et des représentations idéologiques.

 

Dominique Venner apparaît comme le théoricien de l’idéologie identitaire. Il vient de l’extrême droite nationaliste et anticommuniste et l’oriente vers le racisme. Il propose de distinguer des races et de les hiérarchiser sur un modèle scientifique et darwinien. Son groupe Europe-Action, devient le premier à cibler l’immigration. Le jeune Alain de Benoist développe déjà un ethno-différencialisme pour défendre l’apartheid en Afrique du Sud. Ce discours évolue et insiste moins sur la race que sur les différences culturelles.

 

 

La Nouvelle Droite, à travers le GRECE, propose un « gramscisme de droite » pour peser sur le débat d’idées. L’ethno-différencialisme devient le socle idéologique de cette mouvance. Différents groupes ethniques sont définis par leur culture propre. Ils doivent être défendus en tant que tels et ne pas se mélanger. Le GRECE insiste sur le « droit à la différence » plutôt que sur l’inégalité des races. Mais le projet reste la séparation des supposées ethnies et communautés. D’autres pionniers de l’idéologie identitaire défendent ouvertement un racisme biologique. Mais la cible reste toujours l’immigration et le métissage.

 

L’écrivain Renaud Camus théorise « le grand remplacement ». Il compare l’immigration en France à une colonisation. Il décrit l’affrontement inévitable entre deux peuples. La « remigration » des personnes d’origine immigrée serait le seul moyen d’éviter la guerre civile.

 

La réaction identitaire en France
L’influence politique des identitaires

 

Les militants identitaires restent peu nombreux au Front national. Mais leur solide formation idéologique en fait des cadres influents. Philippe Vardon est devenu élu FN. D’autres identitaires conseillent des mairies FN. Marion-Maréchal Le Pen semble partager l’idéologie des identitaires. Elle estime que le discours du FN doit mettre en avant cette thématique plutôt que les enjeux économiques et sociaux. Marine Le Pen dénonce l’islam plutôt que l’immigration. La xénophobie glisse vers un discours culturaliste. Bien que le ton semble plus modéré, la présidente du FN adopte également la rhétorique identitaire. 

 

Au moment des primaires de la droite, l’ancien président Sarkozy adopte le discours identitaire. Il se fait le défenseur de la majorité blanche contre des musulmans qui refuseraient de s’intégrer. Il évoque « nos ancêtres les Gaulois » et sombre dans la surenchère nationaliste. Président, c’est lui qui a organisé des débats sur l’identité nationale.

 

Des polémistes du Figaro embrassent également le discours identitaire. Eric Zemmour n’hésite plus à confondre les musulmans avec les terroristes islamistes. Il reprend également l’argumentation des identitaires. Le journaliste Ivan Rioufol devient également une passerelle entre la droite classique et le discours identitaire.

 

 

La gauche semble traversée par la question identitaire. Une gauche « républicaine » s’oppose à une gauche « multiculturelle ». En 2007, Ségolène Royal met en avant le drapeau tricolore et l’hymne national. Mais c’est Jean-Pierre Chevènement qui incarne le souverainisme républicain. Il recommande une « pratique discrète » aux musulmans et regrette le trop grand nombre de nationalités à Saint-Denis au détriment des Français de souche.

 

L’universitaire Laurent Bouvet incarne le camp républicain retranché derrière une laïcité dure. Il tente de prendre en compte « l’insécurité culturelle » et les préoccupations identitaires de la population blanche. Manuel Valls estime également que le débat identitaire devient plus important que les problèmes sociaux.

 

L’universitaire Philippe Marlière tente une approche plus ouverte. Il estime que les cultures d’origine doivent être acceptées sans réserve. Il observe que l’immigration ne pose aucun problème et dénonce les lois liberticides contre les minorités.

 

La réaction identitaire en France
Logique identitaire et antiracisme

 

Le cocasse Parti des Indigènes de la République (PIR) adopte une position identitaire, mais contre la « France blanche ». Cette secte existe à travers le spectacle médiatique de sa porte-parole Houria Bouteldja. Mais le PIR semble peu implanté dans les quartiers populaires. Ce discours identitaire attire surtout une petite bourgeoisie.

 

Le PIR insiste sur une vision raciale de la société qui ne se divise plus en classes sociales mais avec des catégories de Blancs, de Juifs et d’Indigènes. L’individu reste enfermé dans ses appartenances identitaires. Houria Bouteldja défend le « mâle indigène » contre le féminisme et les homosexuels.

 

Cette logique identitaire s’accompagne évidemment d’une vision conservatrice et religieuse. Le Collectif contre l’islamophobie en France (CCIF) est fondé par Samy Debah, un islamiste conservateur. Cette organisation influente semble largement subventionnée par les institutions. Si la défense des musulmans contre les attaques dont ils font l’objet reste indispensable, le CCIF défend également une identité religieuse.

 

 

Il semble important d’analyser le racisme de la société française. Les emplois les plus difficiles et mal payés sont occupés par des personnes d’origine immigrée. Dans le bâtiment, le nettoyage ou la restauration s’imposent des hiérarchies néo-coloniales. Une petite bourgeoisie commerçante d’origine immigrée se développe également. Une segmentation ethnique de la société française peut s’observer. Ce qui pose des problèmes dans un contexte de crise économique. L’origine ethnique impose une assignation professionnelle. « Or les méfiances de classe se durcissent lorsqu’elles recoupent les clivages d’appartenance raciale », analyse Eric Dupin. La solidarité et la lutte collective peuvent ainsi s’affaiblir.

 

L’importance des discriminations et des préjugés renforcent les replis communautaires. L’immigration récente ne cesse de subir des stigmatisations. Une forme de ségrégation urbaine et sociale peut s’observer. Les personnes d’origine immigrée les plus pauvres doivent vivre dans les mêmes grands ensembles. Les derniers immigrés subissent à la fois la misère et le racisme lorsqu’ils doivent vivre dans des quartiers pauvres. Mais la logique d’entre soi semble davantage désirée par les populations les plus riches.

 

La réaction identitaire en France

Solidarité de classe contre le racisme

 

Le livre d’Eric Dupin évoque un débat particulièrement sensible. Sa description de la mouvance identitaire relève d’une bonne enquête journalistique. Il interroge cette extrême droite et tente de comprendre ses ressorts politiques avant d’en faire une simple condamnation morale. Eric Dupin permet d’analyser ce discours identitaire pour comprendre son influence. Même si le journaliste relativise le racisme de gauche et se contente de l'attribuer à l'influence de l'extrême droite. Il existe pourtant un bon vieux racisme de gauche universaliste et républicain. 

 

Eric Dupin tente de situer sur une ligne de crête particulièrement étroite. Il condamne évidemment le discours identitaire d’extrême droite. Il pointe courageusement la dérive d'une rhétorique ouvertement racialiste. Sur les perspectives pour combattre cette logique identitaire, Eric Dupin tente d’ouvrir quelques pistes intellectuelles. Il propose un « universalisme ancré » qui tient compte de la segmentation raciale de la société pour tenter de la dépasser. Il met également en avant la position de Philippe Marlière qui propose de s’ouvrir à la diversité culturelle des populations issues de l’immigration et de dénoncer la répression des minorités. Eric Dupin affine cette position en évoquant les dangers relatifs d’un repli communautaire. Il semble effectivement important d'analyser la complexité de la réalité sociale avant d’avancer des positions caricaturales, des slogans gauchistes et des fronts unitaires.

 

 

La grande limite du livre d’Eric Dupin repose sur son approche exclusivement intellectuelle. Il évoque bien davantage les polémiques plus ou moins feutrées des petits milieux intellectuels. Mais il ne se penche pas sur les dynamiques politiques et sociales, et sur les rapports de forces qui traversent la société. Pour lutter contre le racisme et l’idéologie identitaire, le combat métapolitique ne suffit pas. Ce sont les luttes sociales qui peuvent permettre de recréer de la solidarité de classe contre les replis identitaires.

 

Même si la situation ne prête pas à l’optimisme débordant, quelques luttes sociales ouvrent des perspectives politiques. Des grèves de salariés précaires dans le nettoyage ou des travailleurs ubérisés peuvent permettre de créer de la solidarité contre le capitalisme pour dépasser les assignations identitaires. La révolte contre l’Etat et les violences policières révèle également des alliances nouvelles. L’auto-organisation des luttes dans les quartiers populaires propose un discours éloigné du PIR. Les luttes sociales permettent de créer de la solidarité contre la segmentation ethnique des classes populaires. La réflexion sur la société française doit donc s’appuyer sur les révoltes spontanées pour ouvrir des perspectives nouvelles.

 

 

Source : Eric Dupin, La France identitaire. Enquête sur la réaction qui vient, La Découverte, 2017

 

Articles liés :

Racisme anti-musulmans et logique identitaire

La crise Charlie et la société française

Racisme médiatique et conformisme intellectuel

Philippe Val, patron de Charlie Hebdo

 

Pour aller plus loin :

Radio : Pour une critique de l'idéologie IDENTITAIRE, émissions mises en ligne sur le site Vosstanie le 1er août 2016

Radio : Eric Dupin publie "La France identitaire: la réaction qui vient", émission diffusée sur RTS le 8 février 2017
Radio : Eric Dupin dans les émissions diffusées sur France Culture
Clément Boutin, Pourquoi la France est-elle obsédée par l’identité ?, publié dans le magazine Les Inrockuptibles le 23 janvier 2017
Michel Abescat, Eric Dupin : “Au bout du raisonnement des identitaires, il y a la guerre civile”, publié dans le magazine Télérama le 14 février 2017
Articles d'Eric Dupin publiés sur le site Slate.fr

Publié dans #Pensée critique

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A
Euh de Benoist a abandonné ethno-différentialisme, si bien que son racisme culturel est plus dur à saisir, si tant est qu'on puisse dire qu'il y a une pensée chez de Benoist (lui qui vient du racisme biologique de l'OAS). Ce sont des salmigondis au final. Un peu comme une comète avec sa frainé ou un bateau avec son sillon, il fait le parcours inverse brun-rouge pour attraper le maximum d'imbéciles...
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A
http://benoitbohybunel.over-blog.com/2016/07/alain-de-benoist-le-raciste-decomplexe-toute-pensee-fascisante-est-necessairement-faible.html<br /> <br /> Le cosmopolitisme moderne repose sur les principe de subsidiarité et de présseance, c'est-à-dire . L'UE a cette différence de poser le principe de primauté nécessaire à l'élite, ce que ne renierait pas de Benoist, mais cette centralité n'est pas fédéraliste proudhonienne. D'autre part vous devriez vous intéressez aux côtés antitheiste et utlramontain de Proudhon. <br /> On vient toujours plaquer sur l'anarchie la formule socialiste révolutionnaire de Blanqui ni Dieu ni maître (or il n'y a rien de plus rigide que la barricade).<br /> Etat comme garantie de la fédération .. comsopolitique de l'Etat global. Tautologie.
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C
Ce qui est préconisé pour la pratique n'est qu'un début. Tant que nous ne sortirons pas de l'économie, donc du capitalisme, donc du travail abstrait capitaliste, de la valeur, de la marchandise, de l' argent comme vecteur socialisant, nous ne pourrons jamais faire disparaître le racisme, la xénophobie, le patriarcat, les discriminations, l'exploitation et la sur-exploitation, le chauvinisme, le nationalisme, etc...<br /> <br /> Le capitalisme c'est l'Etat-Nation. Sans dépassement de cela par une universalité hors économie, nous ne pourrons jamais nous en sortir.<br /> <br /> Tout ce que nous vivons aujourd'hui n'est que le résultat de l'effondrement progressif du capitalisme par atteinte irrémédiable du Vivant et des ressources naturelles et par destruction du travail humain vivant qui seul crée de la valeur économique (destruction pas les nouvelles technologie issues de la micro - électronique).<br /> <br /> Tous nos malheurs sont liés soit directement soit indirectement à l'économie qui n' a qu'un objectif, la valorisation du capital, donc de l'argent.
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