Philippe Val, patron de Charlie Hebdo
Publié le 25 Janvier 2015
« Je suis Charlie », le mot d’ordre béat est censé incarner la défense de la liberté d’expression depuis le massacre du 7 janvier 2015. Pourtant, la ligne éditoriale de Charlie Hebdo demeure fortement critiquable. Le journal qui incarne l’irrévérence est recréé en 1992 sous la direction de Philippe Val. Ce personnage met en scène l’affaire des « caricatures de Mahomet ». Il se présente comme un fervent héritier de Voltaire. « Je ne suis pas d’accord avec ce que vous dites, mais je me battrai pour que vous ayez le droit de le dire » : cette maxime résume la pensée voltairienne revendiquée par le patron du nouveau Charlie Hebdo. Mais Philippe Val ne passe pas pour un amoureux du débat d’idées et de la liberté d’expression. Il utilise au contraire la polémique comme un moyen d’intimidation pour museler ses contradicteurs.
Sébastien Fontenelle se penche sur la trajectoire de Philippe Val, patron despotique de Charlie Hebdo, dans un livre intitulé Même pas drôle. L'éditorialiste et chansonnier anarchiste, en 1997, fustige les « perroquets du pouvoir ». Il ne cesse d’attaquer les intellectuels médiatiques comme Bernard-Henri Lévy, André Glucksmann, Alain Finkielkraut, André Comte-Sponville. « On les voit partout depuis vingt ans. Pourtant, ils n’ont pas forgé un seul concept philosophique. C’est louche, non ? Ils regardent sans doute le foot, au lieu de forger des concepts », raille Philippe Val.
Mais, en 1999, le journaliste défend l’intervention militaire de l’Otan au Kosovo. Il use d’arguments imprégnés d’une grotesque mauvaise foi. Tout opposant à la guerre est considéré comme, au mieux, un ennemi de la démocratie. Milosevic est comparé à Hitler et les pacifistes à des antisémites. Ensuite, Philippe Val attaque tous ceux qui critiquent sa position politique.
La critique des médias devient une de ses cibles de choix. Il dénonce l’Observatoire français des médias (OFM), créé par l’association altermondialiste Attac. L’analyse critique du journalisme s’apparente à du stalinisme selon le patron de Charlie Hebdo. Plus généralement, tous ceux qui sont en désaccord avec ses points de vue sont considérés comme, au choix, staliniens ou fascistes. « Mais Val, lorsqu’il s’agit d’instruire le procès en hitlérisme de ceux qui pensent différemment de lui, s’affranchit très facilement, et sans le moindre état d’âme, de la réalité : l’essentiel étant que cela ne l’empêche pas de dispenser des leçons de déontologie du journalisme, et de jurer son attachement viscéral au respect - scrupuleux - des faits », ironise Sébastien Fontenelle.
Internet demeure une autre cible privilégiée de l’éditorialiste de Charlie Hebdo. Il découvre sur le site Uzine une analyse de ses articles et de sa « mauvaise foi ». Dès lors, le grand défenseur de la liberté d’expression considère que la critique diffusée sur le web doit être muselée. « Internet, c’est la Kommandantur du monde néolibéral. C’est là ou sans là ou sans preuve, anonymement, sous pseudonyme, on diffame, on fait naître des rumeurs, on dénonce sans aucun contrôle et en toute impunité », enrage Philippe Val. Les utilisateurs d’internet sont ensuite comparés à des collaborateurs sous l’occupation nazie qui dénoncent leur voisin à la Gestapo. Mais internet semble au contraire offrir quelques espaces de liberté, notamment dans les dictatures. En démocratie, internet peut permettre de critiquer et de contredire les éditocrates qui monopolisent les grands médias.
L’éditorialiste de Charlie Hebdo se veut politologue et historien à ses heures. Il théorise le clivage, au sein de la gauche, entre les traîtres et les crétins. Il s’identifie évidemment aux « traîtres » qui renoncent aux chimères du radicalisme pour se contenter d’une tiède défense des droits de l’homme dans le cadre du capitalisme. Mais Philippe Val invite surtout à se méfier des « crétins » dont le radicalisme politique ne peut que déboucher vers le fascisme et l’antisémitisme. Cette fine analyse est évidemment étayée par des exemples grotesques qui relèvent de la falsification historique.
Philippe Val ne cesse de se présenter comme un grand défenseur de la liberté d’expression, sauf lorsqu’elle se manifeste à son encontre. Le patron de Charlie Hebdo ne cesse de pourfendre des journaux qui relèvent ses contradictions et sa mauvaise foi. Bakchich et PLPL sont ainsi comparés à la presse d’extrême droite des années 1930.
En 2007, Philippe Val est invité à l’Université d’été du Medef, qui réunit tous les grands patrons. Il anime évidemment un atelier sur la liberté d’expression. Mais il ne semble par apprécier l’impertinence du journaliste Olivier Cyran qui lui pose une question sur la liberté d’expression dans les entreprises.
Richard Malka est l’avocat qui a défendu Charlie Hebdo en 2006, au moment de l’affaire des caricatures de Mahomet. A cette occasion, il se pose en véritable parangon de la liberté d’expression. Mais Richard Malka est également l’avocat de Clearstream qui empêche le reporter Denis Robert de mener ses enquêtes sur le monde de la finance. Philippe Val préfère évidemment soutenir son avocat et attaquer le journaliste qu’il ne juge pas assez sérieux et rigoureux.
Le nouveau Charlie Hebdo incarne le conformisme et le « politiquement correct ». Caroline Fourest, journaliste de l’hebdomadaire insiste sur une « division au sein de la presse satirique entre, d’un côté, celle qui veut fortifier la démocratie et, de l’autre, celle qui s’en moque, voire celle qui la vomit ». François Cavanna, figure fondatrice du Charlie Hebdo historique, n’apprécie pas le propos. Il défend l’esprit « bête et méchant » de la provocation et de la critique de l’ordre existant. « On ne fait plus un journal parce qu’on étouffe du besoin de dire des choses, mais parce que c’est un escabeau vers les hautes fonctions de l’État », enrage François Cavanna.
A l’image des intégristes religieux qu’il dénonce, Philippe Val n’apprécie pas la critique et semble loin de pratiquer l’autodérision. « Sauf qu’avec lui, le sujet tabou, intouchable, celui qui lui fait perdre tout humour, ce n’est pas Dieu : c’est lui-même, la défense de ses intérêts personnels se confondant de plus en plus étroitement, dans son esprit, avec celle de l’ordre établi », ironise Mona Chollet dans un livre consacré aux éditocrates.
Philippe Val agite une islamophobie qui dépasse désormais le cadre de la banale extrême droite. Ce n’est pas uniquement la religion qui attaquée, mais aussi les musulmans en tant qu’immigrés et en tant qu’arabes. Robert Misrahi fait l’apologie du livre ouvertement raciste d’Oriana Fallaci dans Charlie Hebdo. Dans ce contexte, en 2006, éclate l’affaire des caricatures de Mahomet. L’une d’entre elles semble clairement raciste. Elle représente un musulman avec un turban et une bombe à l’intérieur. Elle essentialise l’ensemble des musulmans assimilés alors à des terroristes.
Des associations communautaires portent plainte contre Charlie Hebdo. Philippe Val se drape alors dans la posture du seul contre tous, d’autant plus grotesque qu’il est soutenu par l’ensemble des médias et de la classe politique, jusqu’à Sarkozy. Celui qui est encore ministre de l’Intérieur ne passe pas vraiment pour un défenseur de la liberté d’expression. Il tente même de censurer tous ceux qui osent égratigner l’image de la police, notamment les chanteurs de rap. En revanche, Sarkozy multiplie les propos racistes qui assimilent les musulmans et les immigrés à des criminels.
Dans la guerre qui oppose le colonialisme d’Israël aux Palestiniens, Philippe Val a clairement choisit son camp. Pire, il ne cesse d’assimiler ceux qui s’opposent au colonialisme israélien à des antisémites et à des défenseurs des dictatures fondées sur le nationalisme arabe. Si cette dérive peut exister, ceux qui s'opposent à la colonisation par Israël ne sont pas tous antisémites.
Un autre épisode marque le grand attachement de Philippe Val à la liberté d’expression. Il n’hésite pas à défendre Siné qui tient des propos racistes à l’encontre des femmes voilées. Mais il le licencie pour avoir moqué le mariage intéressé du fils Sarkozy avec l’héritière Darty, de tradition juive. Philippe Val pratique donc le deux poids deux mesures avec deux racismes tous aussi critiquables : l’antisémitisme et l’islamophobie. L’éditorialiste de Charlie Hebdo est caricaturé par Plantu en nazi qui chasse Siné. Pourtant, Philippe Val n’hésite pas à user de comparaisons aussi fines pour assimiler le moindre de ses contradicteurs à un nostalgique de l’hitlérisme. Mais, lorsque la caricature s’exerce contre lui, il défend beaucoup moins la liberté d’expression.
La critique des musulmans et les caricatures de Mahomet deviennent surtout un marchepied vers le pouvoir et la respectabilité. Les articles de Caroline Fourest sur les intégristes chrétiens n’intéressent personne, à part quelques antifascistes. Mais attaquer les musulmans permet de faire une carrière médiatique. Surtout, la critique du terrorisme permet d’occulter le débat et de rassembler la classe politique. « Autre gros avantage de la posture « anti-intégriste » : elle permet d’opérer l’union sacrée de tous les "démocrates" face à un danger supérieur qui les amène, dans leur immense sagesse, à transcender la peccadille de leurs petits désaccords », observe Mona Chollet. Charlie Hebdo peut donc se dire « de gauche », tout en étant soutenu par toutes les crapules politiciennes.
Critiquer Philippe Val, c’est facile et souvent très drôle. Celui qui se veut grand défenseur de la liberté d’expression n’hésite pas à faire du moindre de ses contradicteurs un nostalgique du nazisme. Mais Philippe Val ne parvient plus depuis longtemps à se faire passer pour le nouveau Voltaire. Nommé par Sarkozy à la direction de France Inter, il licencie les humoristes Didier Porte et Stéphane Guillon en 2010. Les deux chroniqueurs égratignent trop souvent le nouveau président.
Le massacre dans le local de Charlie Hebdo a entraîné une hystérie médiatique et citoyenne. Le torchon raciste est devenu l’emblème de la liberté d’expression et de l’irrévérence. Les caricatures de Mahomet impliqueraient un risque mortel. Certes, ce journal est réellement devenu une cible du terrorisme. Mais taper sur les musulmans, qui sont avant tout des prolétaires, semble moins courageux politiquement que de s’attaquer sur les puissants. L’unanimisme qui a suivi la tragédie à Charlie Hebdo révèle que ce journal est bien devenu tiède et consensuel pour la plupart des gens.
Mais il semble également important de remettre en cause la fausse impertinence de la « critique radicale des médias », incarnée notamment par Acrimed. Cette mouvance se contente de polémiques sympathiques, mais souvent simplistes. L'importance des représentantions et de l'écume médiatique semble survalarisée. Dans le sillage d’un journal médiocre comme Le Monde Diplomatique, cette critique des médias défend la vieille gauche étatiste et réformiste pour aménager l’exploitation capitaliste. Ce nouveau gauchisme refuse toute critique d’Hugo Chavez ou d’autres icônes grotesques. Le film de Pierre Carles, intitulé Opération Correa, incarne ce gauchisme primaire.
Ce point de vue correspond aux intérêts de classe de la fraction dominée de la petite bourgeoisie intellectuelle. Acrimed regroupe des universitaires marginaux qui ne sont pas invités dans les médias et doivent se contenter de faire une petite carrière dans l’expertocratie gauchiste. Le Comité scientifique d’Attac avait cette même fonction de recaser les loosers de l’académisme pour leur confier un petit pouvoir qui correspond à leurs diplômes. Le film Les nouveaux chiens de garde illustre également ce phénomène. Des experts comme Frédéric Lordon, Jean Gadrey et Henri Maler dénoncent les experts médiatiques. Mais le film conserve toujours cette figure d’un détenteur de l’autorité intellectuelle qui ne peut pas être remise en cause par n’importe qui.
La critique des médias doit évidemment se moquer des éditocrates et des experts télévisés. Mais la séparation entre le journaliste expert et le reste de la population doit également être abolie. Le public ne doit pas être cantonné à un rôle passif pour gober tous les discours véhiculés par des personnages, le plus souvent des hommes blancs, qui s’accaparent tous les symboles de l’autorité intellectuelle. Le public n’est pas une masse de citoyens débiles mais comprend des personnes critiques qui peuvent également s’exprimer, réfléchir et lutter.
Sébastien Fontenelle, Même pas drôle. Philippe Val, de Charlie Hebdo à Sarkozy, Libertalia, 2010
Mona Chollet, « Philippe Val, le Torquemada de Radio France », publié dans Mona Chollet, Olivier Cyran, Sébastien Fontenelle, Mathias Reymond, Les éditocrates ou Comment parler de (presque tout) en racontant (vraiment) n’importe quoi, La Découverte, 2009
Vidéo : Le Plan B, Charlie hebdo se fait hara kiri
Vidéo : Intervention d’Acrimed lors de la soirée « La dissidence, pas le silence », organisée par Fakir, publié sur le site Acrimed le 22 janvier 2015
Radio Vosstanie : # Libertés & expressions. De la pétition "Contre la censure et l'intimidation dans les espaces d'expression libertaire" à Charlie Hebdo, émission du 24 janvier 2015
Radio : Avant comme après Charlie, nous n’aimons pas plus le capitalisme !, diffusé sur Radio Fréquence Paris Plurielle, mis en ligne sur le site Sons en lutte le 10 janvier 2015
Radio : Je suis Charlie ?, émission le front du lundi diffusée sur la radio Canal Sud le 13 janvier 2015
Philippe Val sur le site Acrimed
Philippe Val et ses amis sur le site Les Mots sont importants
Olivier Cyran, "Charlie Hebdo" pas raciste ? Si vous le dites..., publié sur le site du journal Article 11 le 5 décembre 2013
Pierre Rimbert, Le despotisme des éclairés, publié dans le journal Le Monde diplomatique du juin 2009
Stéphane Mazurier, L’honneur perdu de “Charlie Hebdo" ?, publié sur le site Altermonde sans frontières le 29 juillet 2008