La stratégie écosocialiste
Publié le 29 Février 2024
Face à un capitalisme en panne, la réflexion sur une alternative à ce système de production devient d’actualité. La crise écologique, l’accumulation des richesses au profit d’une minorité et l’appauvrissement de la population révèlent les limites du capitalisme. Un horizon écosocialiste doit préfigurer une société alternative. Même si cette perspective doit apparaître comme une boussole, et non comme une utopie figée. La démocratie et la prise de décision collective doivent être motrices de ce projet. Des choix devront être décidés et assumés collectivement.
Mais cette transformation sociale suppose de penser la question stratégique. Il semble incontournable de penser la lutte contre les classes dominantes. Cette lutte comprend des dimensions syndicales, politiques et culturelles. Hendrik Davi est chercheur en écologie depuis 2000. Mais il est également un militant de la gauche radicale depuis 1995. En 2022, il est élu député LFI-NUPES. Il tente d’articuler une analyse critique de la société actuelle avec des réflexions stratégiques pour penser sa transformation dans le livre Le capital c’est nous.
Le capitalisme
Le capitalisme reste traversé par des contradictions. La crise écologique semble menacer directement la survie de l’humanité. Cette crise comprend le dérèglement climatique, l’épuisement des ressources naturelles, l’extinction des espèces et la pollution globale. Les catastrophes et les maladies se propagent. Face au désastre climatique, la théorie de l’effondrement postule un changement irréversible. Au contraire, une bifurcation écologique reste possible. Le mode de production capitaliste demeure la cause principale de cette situation. Une transformation de l’appareil de production et une rupture avec la société de consommation peuvent permettre de sortir de la logique d’accumulation.
Le capitalisme repose sur une instabilité et des crises qui débouchent vers l’appauvrissement de la population. Mais le capitalisme alimente également les guerres. Le secteur de l’industrie militaire demeure majeur. Ensuite, l’accaparement de terres ou de ressources naturelles, comme le gaz ou le pétrole, sont à l’origine de nombreux conflits internationaux.
La société reste traversée par des dominations et des oppressions spécifiques. Même si leurs causes ne sont pas économiques, le capitalisme s’appuie sur ces rapports de domination. Les femmes et les immigrés doivent accepter des conditions de travail plus dégradées et des rémunérations plus faibles. « L’État organise l’oppression car elle permet de justifier l’exploitation des salariés », observe Hendrik Davi. Par exemple, le refus de régulariser des travailleurs sans papiers limite leurs droits sociaux et leur combativité face au patronat. L’État, mais aussi l’école et la famille f
Face à la civilisation marchande, il devient indispensable d’élaborer des stratégies révolutionnaires. Le sociologue Erik Olin Wright souligne l’importance de s’appuyer sur un plan et une boussole pour sortir de l’impuissance collective. « Cette reformulation permet à la fois de tenir compte de la pluralité des chemins possibles et d’éviter la navigation à vue qui devient la règle au sein de la gauche de notre époque », estime Hendrik Davi. La tactique immédiate doit donc s’inscrire dans un objectif final et un horizon écosocialiste. La vie politique peut faire dériver les tactiques vers la défense d’une position dans un syndicat, un parti ou une institution étatique sans la perspective d’une transformation globale de la société. Ce qui débouche vers le réformisme et la bureaucratisation des organisations censées mener la lutte.
Les partis politiques
Les partis politiques sont discrédités. Au contraire, Hendrik Davi ne considère pas la forme parti comme obsolète. Ce sont également des organisations issues du mouvement ouvrier, et qui ne sont pas nécessairement intégrées aux institutions. Le parti permet une discussion collective autour d’orientations communes. Son existence dans la durée permet également d’accumuler des expériences concrètes. Les partis peuvent également permettre de relier la théorie et la pratique. Néanmoins, les partis subissent également une forme de bureaucratisation. Ils s’institutionnalisent et s’éloignent de l’horizon révolutionnaire.
Désormais, de la France insoumise au milieu autonome, c’est la forme mouvement qui est valorisée. Cependant, l’absence de prise de décision collective débouche vers des structures informelles de pouvoir. Ces mouvements « gazeux » favorisent la domination des militants les plus éduqués et les plus politisés. Dans un contexte de lutte et de politisation intense, des assemblées peuvent balayer les hiérarchies. Néanmoins, dans le cours normal de la vie dans le capitalisme, le mouvement informel reste traversé par des formes de dominations.
Mais la guerre des chefs et les luttes de pouvoir s’observent également dans les partis politiques. Roberto Michels souligne qu’une organisation se bureaucratise d’autant plus qu’elle s’agrandit. La spécialisation et les prises de décisions complexes débouchent vers une tendance à l’oligarchie. Le néolibéralisme pousse également la quête de reconnaissance des individus. Ensuite, un militant révolutionnaire qui devient député ou maire contribue au bon fonctionnement de ces institutions. Il intériorise leur logique et leur fonctionnement.
La rotation des mandats peut permettre d’éviter certaines dérives. Il semble donc plus pertinent de tenter de rénover les partis et les syndicats plutôt que d’acter leur disparition. Un fonctionnement plus démocratique doit permettre une meilleure implication des différentes classes sociales et des opprimés. Les partis, les syndicats et les associations doivent agir ensemble. Cependant, leur indépendance doit être préservée. Les syndicats et les associations doivent demeurer des contre-pouvoirs, même face à des gouvernements de gauche.
Les syndicats
Le syndicalisme occupe une place essentielle dans la stratégie révolutionnaire, de manière indépendante des partis politiques. En 1906, la Charte d’Amiens insiste sur l’autonomie de la CGT par rapport aux sectes idéologiques. Le syndicalisme révolutionnaire, plutôt de tendance libertaire, prédomine à la CGT. Le syndicalisme joue un rôle stratégique dans la lutte des classes et le combat contre l’exploitation. Les grèves et les manifestations organisées par les salariés demeurent des moyens de lutte particulièrement puissants. Les grèves permettent de rappeler aux détenteurs du capital que seuls les salariés produisent de la valeur dans l’entreprise.
Néanmoins, les syndicats subissent un effondrement de leurs effectifs. La CGT subit le déclin de l’idéologie stalinienne et la chute de l’URSS. La bureaucratisation des syndicats débouche vers des permanents qui ne fréquentent plus les sections de base. Même si cet effondrement semble également lié à un individualisme néolibéral qui rejette l’action collective. Les jeunes activistes préfèrent des engagements de courte durée sur des thèmes précis.
La dégradation des conditions de travail et la désindustrialisation alimentent également la crise du syndicalisme. La précarisation, la fragmentation et la sous-traitance ne sont pas prises en compte par les syndicats. Les mutations du monde du travail facilitent le détricotage de la socialisation par le syndicat. Les nombreuses défaites des mouvements sociaux interprofessionnels contribuent également à la démobilisation. Néanmoins, des luttes sectorielles et locales peuvent s’observer comme les grèves des femmes de chambres. Le syndicalisme doit proposer des perspectives d’organisation et de lutte pour se renouveler.
« Les jeunes générations peuvent se syndiquer à leur tour, à condition que les syndicats offrent de vraies perspectives d’organisation concrète, qui permettent d’articuler les luttes locales au déploiement d’un horizon politique », espère Hendrik Davi. Seule la lutte des salariés dans les entreprises peut s’opposer à la dégradation des conditions de travail. L’ancrage sur le terrain, avec des permanences et un suivi individuel, doit s’articuler avec des luttes collectives. La généralisation de la grève et l’occupation des lieux de production peuvent également ouvrir des perspectives révolutionnaires.
La faillite des partis de gauche
Le Parti communiste a constitué la principale force populaire en France. Cette organisation prétend s’opposer au capitalisme. Pourtant, le Parti communiste appelle à la reprise du travail pour briser les grèves de 1936, de 1945 ou de Mai 1968. Ce parti propose une posture révolutionnaire mais sa pratique repose sur le changement graduel de la société. Ce parti de masse s’apparente à une version française et folklorique de la social-démocratie européenne. Il s’appuie sur un ancrage dans la société française à travers la CGT et diverses associations.
Néanmoins, le PCF s’attache à subordonner le syndicalisme à la politique. Dans les années 1980, la CGT s’attache davantage à justifier les politiques du pouvoir de gauche
La France insoumise ne s’appuie sur aucun ancrage dans la société. C’est avant tout une machine électorale au service de la candidature de Jean-Luc Mélenchon. Seul un petit groupe autour du leader prend les décisions stratégiques. Les militants ne sont jamais consultés et doivent se contenter d’agir au service des campagnes électorales. Pourtant, c’est le débat entre différentes orientations qui permet aux militants de se forger une conscience politique. LFI encourage au contraire le suivisme et la soumission au chef. Ce qui promet une « révolution citoyenne » particulièrement autoritaire.
Les expériences de gouvernements de gauche se heurtent aux forces du patronat et de la bourgeoisie. Pourtant, les partis de gauche ne se préparent pas à l'affrontement et finissent par capituler rapidement. Ensuite, la haute bourgeoisie d’État contrôle l’administration et demeure hostile aux politiques de gauche. Dans ce contexte, le mouvement social doit jouer son rôle de contre-pouvoir et déborder le gouvernement. Des structures d’auto-organisation doivent permettre de donner le pouvoir aux salariés au sein des entreprises.
Impasses du réformisme
Hendrik Davi propose une réflexion stimulante sur les limites de la gauche française. Son livre vise juste quand il analyse les failles des partis et des syndicats. Il pointe la bureaucratisation des organisations de gauche qui semblent coupées du reste de la population. Il évoque également les limites de la mode de l’horizontalité informelle qui reproduit les hiérarchies sociales. Hendrik Davi ose surtout esquisser des pistes stratégiques. Il assume son point de vue subjectif, ancré dans la gauche radicale, et proche du groupuscule de la Gauche écosocialiste. Son livre demeure une invitation au débat et à la discussion collective, et non un manifeste définitif.
Néanmoins, Hendrik Davi demeure un réformiste virulent. Son projet de société incarne bien la gauche du capital. Il ne remet pas en cause les fondements du capitalisme. Il défend la logique marchande, avec le travail et la comptabilité. Il s’attache également à maintenir une hiérarchie salariale, à l’image d’un Bernard Friot. Son projet s’apparente à celui de la social-démocratie avec une économie mixte encadrée par un État supposé neutre et des espaces d’exploitation autogérée. Bref, cette perspective semble préférable à la société actuelle, mais reste éloignée d’une véritable utopie révolutionnaire.
Certes, Hendrik Davi propose de brillantes critiques internes au courant social-démocrate incarné par Mélenchon. Mais il ne remet pas en cause ce cadre stratégique. Il vise à améliorer les partis et les syndicats, avec davantage de discussions collectives et de consultation de la base militante. Mais il ne remet pas en cause le principe d’une délégation du pouvoir. Il reste attaché aux médiations qui reposent sur la séparation entre représentants et représentés.
Ce qui permet de reproduire les hiérarchies traditionnelles. Hendrik Davi semble même reproduire la séparation léniniste entre le parti et le syndicat, entre le politique et le social. Sa réflexion ne permet pas de penser l’intervention dans les mouvements sociaux et demeure déconnectée des luttes sociales. Ce sont pourtant les mouvements de révolte qui permettent d’ouvrir des brèches pour favoriser des perspectives de rupture avec le capitalisme.
Perspectives de lutte
Il faut quand même reconnaître au chercheur un certain sens de la nuance. Il défend les contre-pouvoirs comme les syndicats. Ces outils peuvent permettre d’impulser des luttes et contestent la domination patronale au quotidien. Il souligne l’ancrage relatif des syndicats auprès des salariés. Ces organisations permettent d’agir concrètement dans le monde du travail. C’est un des aspects qui manquent dans les luttes récentes en France. Les mouvements sociaux ne se traduisent pas par des grèves de masse et par une contestation de l’exploitation au cœur des lieux de production. Il semble donc décisif de penser l’intervention dans les entreprises, au-delà de blocages économiques devenus hors-sol et symboliques. Hendrik Davi aborde cette question de manière frontale alors que les théoriciens gauchistes se contentent trop souvent d’envolées lyriques sur le néolibéralisme.
Néanmoins, les limites de l’intervention dans les entreprises doivent être soulignées. Hendrik Davi pointe les dérives bureaucratiques du syndicalisme actuel. Il reprend même le discours, désormais acté par les cadres de la CGT, du manque d’implantation des syndicats hors des bastions du secteur public. Néanmoins, le député ne pointe pas la limite la plus sérieuse du syndicalisme qui consiste à défendre les salariés dans le cadre du capitalisme. Les luttes dans les entreprises demeurent locales et sectorielles. Les moments de lutte comme les Gilets jaunes ou l’opposition à la réforme des retraites ne débouchent pas vers une généralisation de la grève. Ce qui révèle la dimension corporatiste du syndicalisme actuel.
Surtout, Hendrik Davi semble s’inscrire dans la tradition léniniste du double pouvoir. Les syndicats, les soviets et les organes de lutte peuvent alors subir la tutelle progressive du parti politique. Dans la pratique léniniste, le double pouvoir débouche vers l’écrasement des contre-pouvoirs par l’État-parti. Évidemment, la rhétorique du député se révèle plus subtile et nuancée. Néanmoins, Hendrik Davi semble s’inscrire dans cette filiation marxiste-léniniste.
Surtout, le député n’évoque jamais l’histoire de l’autonomie des luttes. Il élude largement la révolte des Gilets jaunes en France ou encore les soulèvements à travers le monde de 2019. C’est pourtant à partir des luttes concrètes que peuvent s’ouvrir des perspectives nouvelles et se construisent des structures d’auto-organisation. Certes, Hendrik Davi s’attache à penser la politique dans un contexte de reflux des luttes. Mais il n’évoque pas l’impuissance de la gauche au cœur des moments de révolte. Reconstruire des partis et des syndicats risque de prendre du temps et surtout de ne pas se montrer à la hauteur de l’urgence écologique et sociale.
Source : Hendrik Davi, Le capital c’est nous. Manifeste pour une justice sociale et écologiste, Hors d’atteinte, 2023
Extrait publié sur le site de la revue Contretemps
La France insoumise de Jean-Luc Mélenchon
Les échecs de la gauche au pouvoir
Érik Olin Wright et les stratégies anticapitalistes
Syndicalisme et bureaucratisation des luttes
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Articles d'Hendrik Davi publiés sur le site de la revue Contretemps
Christian Delarue, Peuple-classe en irruption et pluri-émancipation, publié dans Le Club de Mediapart le 15 décembre 2023
Clémentine Autain, « Un manifeste pour l’écosocialisme », publié le 5 novembre 2023