Les jeunes activistes autonomes
Publié le 12 Mars 2020
De nouvelles formes de contestation émergent en France. Depuis la lutte contre le CPE de 2006, le mouvement autonome connaît un renouveau. Ce courant politique, influent dans le milieu étudiant, contribue à développer des pratiques nouvelles.
Durant le mouvement contre la loi Travail, les jeunes autonomes impulsent un « cortège de tête ». Ils proposent des pratiques d’auto-organisation et une critique radicale du capitalisme. Marc Fraysse revient sur son parcours militant à Rennes. Il propose une forme littéraire pour se plonger dans l’ambiance de la mouvance autonome dans le livre La Communale.
Découverte du milieu autonome
Le narrateur est un étudiant en sociologie à la fac de Rennes 2. Il fréquente les réunions syndicales et les bars. Il se plonge dans l’ambiance contestataire du monde étudiant. « Avec nostalgie, je me remémore les assemblées générales, les journées d’action politique, où l’université entière était bloquée », évoque Marc Fraysse. Pendant la torpeur estivale, un jeune homme lui tend un tract pour un concert de techno en soutien à la Zad de Notre-Dame-des-Landes. Il rencontre Yann. « On devine cachée, profonde, une forme de rage de vivre que je ne connais pas et que j’ai envie de comprendre », ressent Marc Fraysse.
La soirée se déroule dans un ancien club de strip-tease. Des jeunes gens habillés en noir se servent eux-mêmes. C’est l’auto-organisation, sans chefs ni hiérarchies. « Pas d’organisateur, pas de barman, pas de gérant, pas de hiérarchie apparente. Ici, les choses sont politiques, insurrectionnelles, les choix sont pesés, les choses sont pensées », observe Marc Fraysse. Il apprécie ce mode de vie et ces gens qui ne se contentent pas de réunions syndicales. Il rejoint Yann qui lui présente Mathis et Louis.
La petite bande décide d’occuper une ancienne école, propriété de la mairie : la Communale. Ils investissent les lieux discrètement. Ils changent les verrous et Yann remet l’électricité. Cette nouvelle vie est enthousiasmante. « Bien sûr, ce n’est pas le confort du studio derrière la crêperie, mais ici, enfin, je serais avec des aventuriers », se réjouit Marc Fraysse.
Après le passage de la police et le constat de l’occupation des lieux, les nouveaux habitants cassent les cloisons pour aménager l’espace. Ils informent également le voisinage de leur arrivée avec un texte glissé dans les boîtes aux lettres. Louis pratique la récup’ des invendus de nourriture. « Les semaines passent et je me sens profondément heureux, convaincu d’inventer un mode de vie nouveau, propre à changer le monde, empreinte d’une certaine naïveté rêveuse », confie Marc Fraysse.
La Communale devient une base arrière pour des actions directes. Blocage du centre-ville contre la venue du Ministre de la Défense, occupations de lieux publics, soutien aux réfugiés rythment cette nouvelle vie militante. Le narrateur n’est pas un habitué de la lutte sociale. Il privilégie le débat et le dialogue. Mais le Parti socialiste s’enferme dans la gestion néolibérale. Les campagnes réformistes de l’Unef paraissent bien insignifiantes face à la véritable action politique qui se déroule dans la rue.
Insurrections
Le mouvement autonome se développe à Rennes avec la lutte de la Zad. La mort de Rémi Fraisse alimente également la contestation. De nouveaux squats s’ouvrent. La Communale devient un véritable centre culturel autogéré. « Dans les salles du bas, ça ne s’arrête jamais : une chorale révolutionnaire, des commissions : féminisme, décroissance, halte aux violences policières, luttes internationales…, des projections, des débats, des concerts, une cantine végétalienne tous les jeudis soirs », décrit Marc Fraysse. Il lit L’insurrection qui vient et s’intéresse à la mouvance proche du Comité invisible. Il adopte de nouveaux codes, s’habille en noir et modifie son langage pour éviter le sexisme et l’homophobie. En 2016, il se plonge dans l’insurrection contre la loi Travail et casse sa première vitrine.
A Rennes, les manifestations deviennent offensives. Le mouvement s’organise en dehors des syndicats réformistes. « Sur notre passage, les vitrines des banques et les panneaux publicitaires sont soit décorés, soit détruits », observe Marc Fraysse. La police cherche à diviser les manifestants entre les syndicalistes inoffensifs et le Black Bloc. La casse est jugée aveugle et sans idéal. « Mais notre délinquance repose sur des principes, nous nous attaquons à des symboles, nous exprimons une rage », précise Marc Fraysse. La police pratique les nasses pour empêcher les manifestants de s’échapper. Ils sont enfermés en pleine rue, sans eau ni nourriture. Cette méthode vise à dissuader de revenir manifester. Les violences policières se multiplient. Louis est arrêté et tabassé. Il est convoqué avec un procès pour « outrage et rébellion ».
Une journaliste est invitée à La Communale. Louis pense qu’elle va pouvoir présenter la démarche politique de ce squat. Mais son article publié dans Ouest France décrit La Communale comme un repère de dangereux anarchistes qui dégradent la ville. Les habitants du squat estiment qu’afficher ce lieu comme politique risque de déboucher vers une expulsion rapide. « La trêve hivernale est terminée, l’audience peut se tenir très vite, quand c’est politique, quand c’est sous le feu des projecteurs, ça va très vite ces choses-là », estime Marc Fraysse. Pire, Yann est arrêté. La police dispose d’un important dossier sur l’activiste : jets de projectiles, incendies, émeutes, dégradations. Il risque entre un et trois ans de prison. En attendant son procès, il est en détention préventive. Après l’arrestation de Yann, la petite bande éclate. La plupart partent même de Rennes.
Alternativisme et réformisme
Marc Fraysse adopte la forme du roman pour décrire le petit milieu autonome. La dimension littéraire donne une dimension vivante et incarnée. Le succès du mouvement autonome provient évidemment du rejet du militantisme classique. Les gauchistes restent englués dans la défaite programmée. Ils se contentent de ressasser les mêmes discours désincarnés sans sortir de leur routine militante. Le livre parvient bien à retranscrire la jubilation de l'action directe.
Néanmoins, Marc Fraysse insiste sur le mode de vie alternatif. L’auto-stop, le vol, la récup’, les squats, les soirées à prix libre dessinent un monde à la fois gratuit et excitant. La vie en bande semble également importante, avec la politique reliée à la vie quotidienne. Néanmoins, la glorification d’un mode de vie alternatif peut également déboucher vers la marginalité.
Les totos tiennent à se démarquer du commun des mortels et se vivent comme une avant-garde à la pointe du véganisme et de l’intersectionnalité. Ils prétendent se déconstruire pour présenter un mode de vie exemplaire. Cette posture débouche vers le mépris de la majorité des exploités qui doivent travailler et consommer pour survivre. La transformation sociale ne peut venir que de la majorité de la population et non d’un petit milieu qui se croit extérieur au monde.
Ensuite, ce milieu autonome se caractérise par sa vacuité théorique. Il existe peu de débats, de discussions et de contenu critique. En dehors du Comité invisible et de la justification idéologique de la violence politique, il est difficile de percevoir les stratégies et les perspectives politiques de ce petit monde. Le milieu autonome se moule dans un consensus mou, sans débat ni clivage. Boire des bières au cours d'une soirée dans un squat remplace la solidarité de classe et la lutte sociale.
Pire, l’alternativisme débouche vers la stratégie de la fuite. La petite bande n’oppose aucune résistance à l’expulsion du squat. Seule une fête de départ est organisée. Quand leurs copains sont confrontés à la répression judiciaire, ils préfèrent fuir et regarder ailleurs. Ce n’est pas vraiment une démarche de lutte collective. L’insurrection de fin de soirée remplace la lutte des classes qui suppose une confrontation avec l’Etat et le patronat.
Marc Fraysse évoque surtout ses idées réformistes. Il critique la finance, le néolibéralisme et l’Etat policier. Il se contente de s’indigner contre les excès de la société marchande, sans remettre en cause ses fondements. L’exploitation, le travail, l’argent et la marchandise ne sont pas critiqués. Même le terme de capitalisme apparaît peu, sans parler de la bourgeoisie et du patronat. L’ennemi se cantonne aux grandes entreprises et à la police.
Il existe heureusement une autre tradition, celle de l’autonomie ouvrière. Comme l’alternativisme, ce courant s’organise en dehors des partis et des syndicats. Ce courant valorise également l’action directe, mais reste porté par un mouvement de masse plutôt que par un simple objectif symbolique. Les squats peuvent également devenir des bases arrière pour lancer des débats et impulser des luttes. Mais ce n’est pas un mode de vie qui doit être valorisé en soi. Ce sont davantage des pratiques, comme la solidarité de classe à travers l’auto-organisation des luttes. Ce n’est pas une avant-garde ou un milieu militant qui peut changer la société, ce sont les révoltes portées par la majorité des exploités.
Source : Marc Fraysse, La Communale, éditions du Commun, 2019
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Rennes sur le site Squat.net
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Site Défense collective
Sébastien Schifres, La mouvance autonome en France de 1976 à 1984
Rubrique Autonomie(s) en mouvement publiée sur le site Fragments d'Histoire de la gauche radicale