Une analyse du mouvement de 2016

Publié le 9 Juin 2018

Une analyse du mouvement de 2016
Le bilan critique du mouvement social de 2016 doit permettre d'analyser le nouveau cycle de lutte pour orienter l'action.
 

 

Un nouveau cycle de lutte semble se dessiner. Le mouvement contre la loi Travail de 2016 révèle des évolutions importantes. Il semble important d’analyser les limites et les potentialités de cette révolte pour ouvrir des perspectives dans les luttes à venir.

 

Le groupe Bad Kids se forme en 2010, après le mouvement contre la réforme des retraites. Il peut se rattacher au courant du mouvement autonome qui s’inscrit dans la lutte des classes. Néanmoins, Bad Kids ne se réfère à aucun courant historique précis. « Nous nous sommes principalement construits dans les luttes sociales, contre les tenants de l’ordre, contre les réformistes de toute obédience, avec les enragés de l’instant », précise le groupe. Bad Kids livre ses analyses sur le mouvement de 2016 dans le livre Mais tout commence.

 

 

             

 

 

Nouveau cycle de lutte

 

 

Un nouveau cycle de lutte s’ouvre avec le mouvement de 2016. Les grèves sont moins nombreuses et les manifestations moins massives. Mais il semble important d’observer les limites et les perspectives de ce nouveau cycle. Le contexte évolue avec la crise économique de 2008 qui conduit le patronat à multiplier les attaques contre les salariés et les mesures d’austérité.

 

En 1995, un cycle de lutte semble s’ouvrir. Mais il reprend le discours de la vieille gauche. Les revendications portent vers davantage d’Etat social, pour un capitalisme régulé contre le « néolibéralisme ». Cette mode de l’altermondialisme s’achève avec le mouvement des retraites de 2010.

 

La France insoumise se rattache à cette gauche du capital qui veut mieux gérer le capitalisme et l’exploitation. Elle se rattache à l’ancien cycle et à la vieille gauche qui s’appuie sur l’Etat. Le mouvement de 2016 a montré toute la faiblesse des syndicats et des appareils de la vieille gauche. Aucun de leurs mots d’ordre n’a été suivi. Néanmoins, ce n’est pas un mouvement de masse avec des grèves dures.

 

 

A la fin du XIXe siècle, le syndicalisme de lutte émerge pour permettre aux prolétaires de se défendre face aux patrons. Des grèves et des émeutes éclatent. La répression est violente mais les luttes sont souvent victorieuses. Cette solidarité permet de créer une identité de classe. Après la guerre de 1914, soutenue par la CGT, les syndicats adoptent davantage des méthodes pacifiques et légalistes. Les capitalistes acceptent de négocier avec les syndicats pour désamorcer les conflits.

 

Le mouvement de Mai 68 remet en cause les vieux appareils et valorise l’auto-organisation. « Les prolétaires peuvent et doivent s’organiser sans médiations, sans représentants qui parlent et dirigent à leur place », décrit Bad Kids. Mais ces luttes sont écrasées et c’est une restructuration du capitalisme qui s’impose.

Le mouvement de 1995 permet de renouer avec les luttes sociales. « Tous ensemble » devient son slogan pour mieux gommer les clivages de classe. Le mouvement social se compose surtout de profs et de fonctionnaires, malgré les luttes sectorielles des chômeurs et des sans papiers. C’est une idéologie citoyenniste qui prédomine. Cet « altercapitalisme » demande un meilleur partage des richesses plutôt que la fin de l’exploitation. En 2016, c’est sur un champ de ruines que tout commence.

 

 

 

 Lors de la Nuit debout sur la place de la République, du 1er au 2 avril.

 

Spécificités de 2016

 

 

Le mouvement étudiant est resté famélique en 2016. La jeunesse reste nombreuse dans les manifestations. Mais, dans les facs, les assemblées sont groupusculaires et aucun blocage ne s’organise. A partir du mouvement de 2006 contre le CPE, les luttes étudiantes se multiplient. A cause de la crise du capitalisme, les débouchés professionnels se réduisent. Les « syndicats » étudiants, avec la gauche et l’extrême gauche, demandent à l’Etat de créer des emplois. Mais cette illusion keynésienne échoue et les mouvements étudiants s’effondrent.

 

En 2016, la répression et la banalisation des cours empêchent l’émergence de lutte dans les facs. Le blocage permet au contraire d’intégrer beaucoup de monde dans la lutte. Les gauchistes reproduisent leurs vieux schémas qui n’aboutissent à rien. Ils prétendent massifier à coup de réunions d’information et de pédagogie.

 

 

La loi Travail s’inscrit dans le contexte d’un déclin du syndicalisme. Les négociations d’entreprise prédominent dans un contexte de faibles conflits sociaux. Le syndicalisme s’apparente à une activité de bureau. La CGT reste surtout implantée dans la fonction publique et les grandes entreprises. Le commerce, la restauration et les métiers précaires restent des déserts syndicaux. L’extrême gauche se contente d’opposer la base à la direction du syndicat. Mais ses structures se composent aussi en grandes parties de permanents, rémunérés pour faire du syndicalisme.

 

La mobilisation commence le 9 mars avec un appel sur les réseaux sociaux et une grève à la SNCF. Le 31 mars d’importantes manifestations sont organisées. Mais elles regroupent la clientèle traditionnelle de la gauche. Les bastions syndicaux sont présents. Des cortèges regroupent les jeunes et les précaires. En avril, les manifestations sont moins importantes. Des actions de blocage économique tentent de prendre prise sur ce mouvement.

 

C’est ensuite la CGT qui entre en scène à travers le spectacle de la « grève générale ». Les secteurs clés (transport, énergie) sont prétendument bloqués et de pneus sont brûlés pour les caméras. Mais la majorité des prolétaires reste passive et attentiste. Les gauchistes espèrent veinement que la direction de la CGT proclame la grève générale. « Derrière la grève générale, il y a l’absence générale de grève », ironise Bad Kids. Les véritables mouvements sociaux s’apparentent davantage à une généralisation de la grève, entreprises par entreprises, avec des pratiques de blocage et de solidarité.

 

                             

 

Assemblée de lutte à Toulouse

 

 

A Toulouse, l’Assemblée 31 en lutte tente de créer des liaisons entre différents secteurs. Elle tente également d’inclure des personnes pas encore mobilisées. L’assemblée permet une structure horizontale pour organiser une caisse de grève, des manifestations, des piquets de grève, des blocages économiques. L’assemblée plénière décide des grandes orientations collectives.

 

Des commissions se préoccupent de problèmes spécifiques. La caisse de grève gère l’argent et tente de payer des grévistes en difficulté financière. La commission auto-défense permet de protéger les manifestations et de s’organiser contre la répression. La commission jonction doit créer des liens entre les différentes luttes et rencontre les prolétaires pas encore dans le mouvement.

 

L’assemblée de lutte ne se contente pas de s’organiser à la marge des syndicats. Elle doit porter la construction même du mouvement. Elle diffuse de nombreux tracts et affiches pour appeler aux actions et manifestations. Les syndicats se contentent de mobiliser les permanents sans informer et débrayer dans les entreprises.

 

 

La commission jonction diffuse des tracts qui tiennent compte des spécificités de chaque secteur professionnel, sans sombrer dans le corporatisme. Elle intervient dans les commerces et à La Poste. Elle se déplace également à la rencontre des grévistes. « S’amorçait la problématique de comprendre la ville et son économie, de relier les conflits de classe particuliers qui ont lieu ici et là mais qui sont souvent invisibilisés », décrit Bad Kids.

 

L’assemblée se heurte aux limites du mouvement, avec un faible nombre de grévistes. Elle regroupe surtout un petit nombre de personnes et ne semble pas sortir des habituels milieux militants. L’assemblée doit également subir le cadre et l’agenda défini pas les directions syndicales. Ensuite, les actions se heurtent à une importante répression. Des personnes de la commission jonction décident alors de se lancer dans un projet de cartographie sociale de la ville de Toulouse pour comprendre les zones de tension dans les boîtes et les points stratégiques de blocage.

 

Une action de blocage du centre de distribution de La Poste a permis aux salariés d’organiser une assemblée pour lancer la grève. Les actions de blocage, lorsqu’elles sont organisées avec les salariés d’une entreprise, se révèlent efficaces. Elles n’exposent pas directement les travailleurs aux sanctions disciplinaires et permettre de créer des jonctions avec d’autres prolétaires.

 

 

Perspectives de lutte

 

La lutte contre la loi Travail risque de continuer. Les accords d’entreprises vont multiplier les conflits locaux. Les salariés vont directement s’opposer au patron, sans la délégation et les syndicats. « C’est peut-être ici que s’amorce l’auto-organisation de demain, loin des perspectives de négociation et de gestion », souligne Bad Kids.

 

Les stratégies classiques de transformation sociale semblent s’effondrer. Les syndicats deviennent des appareils qui tournent à vide. L’émergence d’un contre-pouvoir syndical devient peu probable alors que ces structures ne cessent de s’effondrer. Ce sont davantage des luttes à la base qui peuvent émerger. Ensuite, la stratégie de l’alternative et de la fuite hors du monde marchand se heurte à une répression de l’Etat toujours plus féroce. Les institutions ne tolèrent même plus des petits îlots de communautés alternatives.

 

 

Le Front social propose une convergence des luttes qui tente de relier des mouvements séparés, spécialisés et corporatistes. « Ce front, c’est la simple mise en image d’une société altercapitaliste constituée autour du mythe d’un Etat fort, sans comprendre en quoi l’Etat est une formulation du rapport social capitaliste », analyse Bad Kids. L’Etat n’est pas un instrument neutre qui peut être utilisé de meilleure manière. C’est une institution qui structure le capitalisme.

 

Bad Kids propose de développer des pratiques d’auto-défense de classe. Les catégories professionnelles restent produites par le capital. Il semble indispensable de créer des luttes communes. Les blocages des entreprises, comme La Poste à Toulouse, permet de briser la séparation entre extérieur et intérieur. Une solidarité et une volonté de lutte commune s’exprime au-delà des catégories définies et des corporatismes.

 

 

                           

  

 

Réinventer les mouvements sociaux

 

Les analyses de Bad Kids permettent de sortir des chemins balisés du vieux discours gauchiste. La recomposition du mouvement social et un nouveau cycle de lutte peuvent s’observer. Le modèle de 1995 qui repose sur les syndicats du secteur public s’est essoufflé. Le discours citoyenniste qui défend le gentil Etat contre le méchant marché structure encore les milieux de gauche. Il est surtout porté par les cadres de la fonction publique et la petite bourgeoisie intellectuelle. Ce discours s’est retrouvé à Nuit debout dans les grandes villes. Néanmoins, il ne trouve que peu d’échos auprès du reste de la population.

 

L’assemblée 31 en lutte a proposé de nouvelles perspectives. Elle semble ne pas vouloir se contenter de faire du suivisme à l’égard des syndicats. Elle tente d’imposer ses propres modalités d’action. Néanmoins, elle parvient difficilement à s’élargir au-delà d’un noyau d’activistes. Les actions proposées, bien qu’intéressantes, restent modestes. Ces assemblées de lutte ne parviennent pas à se coordonner pour impulser de véritables dynamiques qui dépassent le cadre local. Il s’agit toutefois d’une forme de lutte autonome qui repose sur l’auto-organisation.

 

 

Ensuite, les limites de cette assemblée semblent refléter celles de Bad Kids. Ce groupe cède à la mode de ne pas se rattacher à un courant précis. En réalité, nombre de ses analyses rejoignent celles de la communisation. Ce courant tente de dépasser les débris de l’ultra gauche. Mais la communisation entretient une confusion entre un communisme de conseils qui valorise l’autonomie des luttes et un bordiguisme qui repose sur un économisme caricatural.

 

Les pages sur les luttes ailleurs dans le monde reprennent cette démarche, avec même des citations qui brisent le ton accessible du livre. Le constat critique sur les assemblées et sur le démocratisme reste évidemment pertinent. Il permet de souligner les dimensions réformistes et interclassistes de nombreuses luttes. En revanche, un sectarisme bordiguiste empêche de s’appuyer sur les potentialités des nouvelles formes de lutte en insistant trop sur leurs limites. Bad Kids semble céder au déterminisme économique. La structure du capital détermine les limites de la lutte, sans laisser de place à la spontanéité et à une rupture historique. Les assemblées ouvertes portent leurs propres dynamiques, qui sont loin d’être figées. Les pratiques d’auto-organisation permettent la réflexion collective et peuvent ainsi sortir du cadre légal et réformiste initial.

 

 

Par ailleurs, la communisation refuse de proposer une stratégie révolutionnaire claire. La réorganisation de la production et de la société à partir des structures de lutte auto-organisées est réduite à un banal « programmatisme ». Bad Kids affirme la nécessité d’une rupture avec l’Etat et le capitalisme, mais se contente de proposer une auto-défense de classe qui reste dans un cadre immédiat et local. Il semble important de penser une stratégie révolutionnaire globale sans se contenter d’une communisation qui tombe du ciel.

 

Malgré ces divergences, le livre de Bad Kids propose des pistes de réflexion stimulantes sur la recomposition du mouvement social et les limites des luttes actuelles. Bad Kids affirme la nécessité de l’auto-défense de classe. La volonté de casser les catégories professionnelles et de sortir des habituels cadres de lutte ouvre des perspectives pour les mouvements à venir. Une société communiste et libertaire ne peut provenir que de la multiplication, de la coordination et de l’élargissement des luttes sociales.

 

Source : Bad Kids, Mais tout commence. Analyse du mouvement contre la loi Travail. Pour une nouvelle trajectoire révolutionnaire, Acratie, 2017

 

 

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Pour aller plus loin :

 

Radio : « LOI  TRAVAILLE ! » Chronique d’une offensive antisociale annoncée, mise en ligne sur le site Vosstanie le 8 juillet 2017
Radio : Une analyse critique du mouvement actuel et de ses perspectives, émission mise en ligne sur le site Sortir du capitalisme

Rubrique "Loi El Khomri" sur le journal en ligne 19h17

Cyrnea, Démocratie & mouvement réel : critique des assemblées "démocratiques", publié sur le journal en ligne 19h17 le 21 mars 2016

Site du groupe Bad Kids

Assemblée 31 en lutte sur le site Information Anti Autoritaire Toulouse et Alentours (IAATA)

Site du Collectif Classe

Sur les syndicats et le syndicalisme, publié sur le site Paris-luttes.info le 20 mai 2016

Briser le verrou syndical pour affronter le capital, Communiqué 46 du Groupe d'Action pour la Recomposition de l'Autonomie Prolétarienne publié en avril 2016

Publié dans #Actualité et luttes

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