L’insurrection du printemps 2016
Publié le 2 Décembre 2017
La rue exprime à nouveau sa colère. Le mouvement de 2016 a brisé la chape de plomb de l'état d'urgence et le climat de pacification sociale. Une nouvelle génération découvre les joies de la révolte.
Le journal en ligne Lundimatin publie désormais une revue papier. Son numéro 0 de « Mars/Août 2016 » revient sur le mouvement contre la loi Travail. La revue soutient la génération politique née dans la rue en 2016 qui veut se rendre "ingouvernable". Elle semble proche des idées du Comité invisible.
La loi Travail est dévoilée en février 2016. Mais les syndicats s’enferment dans l’attentisme. La date d’une manifestation pour le 9 mars circule déjà sur Internet et les réseaux sociaux. Les directions syndicales suivent cette date de mobilisation.
Le tract « Le monde ou rien » est publié le 16 mars 2016. Il propose un parallèle entre le mouvement naissant et la lutte contre le CPE qui éclate 10 ans plus tôt. Il estime que le mouvement de 2016 sort de l’encadrement syndical. « Jamais les organisations syndicales, jamais les organisations politiques n’ont été si visiblement à la traîne d’un mouvement », estime le tract. Le discrédit de la gauche radicale est renforcé après l’échec du gouvernement Syriza en Grèce.
Le mouvement semble s’élargir au-delà du débat autour de la loi pour contester l’ensemble de l’ordre social. « C’est parce que la question du travail, c’est la question de l’emploi de la vie ; et que le travail, tel que nous le voyons autour de nous, c’est juste la négation de la vie, la vie en version merde », souligne le tract. Il critique également le discours de la massification du mouvement, pour privilégier la détermination et l’action directe.
Le 24 mars 2016, un lycéen de Bergson est tabassé par la police pendant une grève. Les images circulent. Le lendemain, les lycéens de Bergson attaquent des commissariats. Les journalistes et les professeurs déversent leur condescendance contre cette jeunesse révoltée. Les manifestations sortent de l’encadrement syndical et débouchent vers des affrontements avec la police. Des manifestants passent en tête de cortège, au détriment du service d’ordre de la CGT.
Le texte « Ceci n’est pas un mouvement » invite à sortir du cadre syndicaliste avec ses revendications, ses porte-paroles et ses négociations. La lutte contre la loi Travail exprime un « ras-le-bol » général. Le texte pointe également les limites de la « convergences des luttes » qui reste une addition de luttes faibles et spécialisées. Mais le texte privilégie la rhétorique deleuzienne plutôt que la perspective d’une révolte globale pour renverser l’ordre existant.
A partir du 31 mars est lancée la Nuit Debout, place de la République à Paris. L’espace est progressivement occupé de manière durable. « Quelques axiomes pour les Nuits Debout » tentent de sortir de l’idéologie citoyenniste et de sa quête de respectabilité médiatique. « Le souci d’image, de représentation, souci d’être présentable est encore une forme de servilité, de docilité, de servitude tournée vers une instance supérieure quelconque qui flatte, gronde, cajole et sauve », souligne le texte. Le journal en ligne valorise l’action directe, comme l’apéro chez Valls, et s’oppose à la dénonciation des casseurs.
Mais ce sont surtout les grèves qui permettent le blocage de l’économie. Un reportage décrit la grève à la raffinerie de Grandpuits. Si les médias insistent sur la CGT, la lutte regroupe des militants d’autres syndicats et surtout des non-syndiqués. Les assemblées générales décident de la reconduction de la grève. Mais la direction de l’entreprise mobilise les cadres pour les inciter à aller voter contre la grève. Pendant la lutte contre la réforme des retraites de 2010, la grève à Grandpuits a duré un mois. Olivier Azam a même consacré un film à ce mouvement. Désormais, les grévistes se sentent davantage soutenus. De nombreuses personnes se déplacent pour témoigner leur solidarité et une caisse de grève se développe.
Le texte « Si une force découvre son propre nombre… » décrit une lutte qui ne cesse de prendre de l’ampleur. Les actions de blocage et les affrontements avec la police se multiplient. « Gares, ports, autoroutes, centres logistiques, raffineries, terminaux et dépôts pétroliers, centrales nucléaires : on s’avance tranquillement et sûrement vers un blocage de la France entière », s’enthousiasme l’article. Contrairement au gouvernement, les manifestants veulent assumer la violence. La force et le nombre permettent de multiplier les actions. Les têtes de cortèges et les manifs sauvages deviennent toujours plus importantes.
Le journal Lundimatin tient à se démarquer de la prose militante par un style littéraire et politique original. Son succès tient en partie à une manière d’écrire qui reflète une posture politique. Lundimatin se place clairement du côté des cortèges de tête, des casseurs et de l’insurrection. Ce qui tranche avec les tracts militants d’une gauche du capital tièdement réformiste. Lundimatin permet de sortir du simple discours réformiste pour proposer un nouvel imaginaire. L’emphase et l’humour visent à banaliser l’insurrection et la destitution du pouvoir. On est loin des programmes de transition et des pleurnicheries syndicales.
Mais Lundimatin présente également quelques travers qui peuvent devenir agaçants. La revue reproduit les vieilles pratiques de la presse bourgeoise avec ses tribunes creuses d’intellectuels médiocres. L’historien Jérôme Baschet, l’économiste Frédéric Lordon, le patron de maison d’édition Eric Hazan, le comique Jacques Fradin et quelques autres intellectuels de pacotille signent la tribune aussi creuse que grandiloquente « Pourquoi nous appuyons la jeunesse ». Bien heureusement, la jeunesse ne se préoccupe pas de leurs bavardages futiles.
Ensuite, Lundimatin n’échappe pas aux dérives des sectes gauchistes, avec son auto-référencement. La génération ingouvernable, le mouvement qui n’en est pas un et divers clins d’œil intellectuels ne peuvent compris que par les seuls initiés. Ce langage original et ce style enlevé peuvent aussi produire un entre-soi, une homogénéité intellectuelle et politique. Chaque article semble porté par la même manière d’écrire et de penser. Cette démarche permet de créer une ligne éditoriale et politique claire, d’autant plus que les textes restent abordables. Mais le style peut aussi facilement être parodié ou moqué.
Lundimatin reste enfermé dans ce style. Le journal ne propose aucune véritable analyse critique du mouvement. Les textes s’apparentent à des tracts de propagande. Dans chaque texte, la rue triomphe, la police panique, le pouvoir est aux abois. Ce style permet de redonner un peu de fierté et de joie aux personnes qui luttent. Il permet de souligner la force d’un mouvement pour mieux l’encourager. Mais cette approche typiquement militante ne permet pas de comprendre les failles, les faiblesses et les limites des luttes sociales.
L’analyse de classe est gommée pour une simple phraséologie d’auto-glorification de cortèges de tête sans composition sociale particulière. Il semble pourtant indispensable de proposer une analyse critique du mouvement. Comprendre ses limites doit ensuite permettre d’ouvrir des perspectives différentes pour proposer de nouvelles pratiques de lutte. Il vaut mieux ouvrir la réflexion critique que de s’enfermer dans l’auto-satisfaction permanente qui conduit à l’aveuglement.
Lundimatin présente également une ligne politique qui comprend quelques limites. Même si son influence reste liée à sa tonalité radicale. Lundimatin invite à dépasser le cadre revendicatif classique. Ce n’est pas uniquement la loi Travail qu’il faut remettre en cause, mais également l’ensemble de l’ordre social et politique. Lundimatin invite à sortir du cadre strictement réformiste pour valoriser les débordements. Les bureaucraties syndicales restent présentées comme des carcans qui limitent les possibilités de lutte. Contre le vieux militantisme routinier, c’est l’action directe qui est encouragée. Les tags expriment bien une créativité qui ouvre un nouvel imaginaire contestataire.
Mais Lundimatin reprend également quelques travers du mouvement autonome. Les actions ne sont pas pensées par rapport à leur finalité, mais pour leur forme. Une grève des salariés peut rester dans le cadre imposé par une direction syndicale. Un blocage économique peut rester dans l’objectif de négocier avec le gouvernement. Lundimatin valorise alors davantage la forme que le contenu politique des actions. Le journal en ligne soutient le sabotage des réseaux par la CGT énergie 43. Même si ce syndicat étatiste ne défend que les services publics et le dialogue social.
Un article rend hommage à Tanguy Fourez. Ce syndicaliste réformiste belge a simplement frappé un policier pour aider un manifestant. Ce qui en fait un simple geste d’auto-défense, un geste humain. Lundimatin en fait un modèle, même si Tanguy Fourez se révèle être militant dans un syndicat bureaucratique et à la solde d’un groupuscule stalinien.
Ensuite, Lundimatin reste enfermé dans un cadre postmoderne. La destitution reste le seul objectif d’une révolte. Il n’est jamais question d’un mouvement de rupture avec l’Etat et le capitalisme pour changer le monde. Une logique alternativiste propose de construire des zones autonomes dans le cadre de la société marchande. Sans comprendre que la logique capitaliste traverse l’ensemble des relations humaines et tous les aspects de la vie. Il ne suffit pas de déserter pour s’en défaire.
Le texte « Construire la hacienda, multiplier les palais » compare le mouvement à une suite ininterrompue de débordements. Une phraséologie devenue classique invite à la destitution du gouvernement et à l’insurrection. Mais uniquement pour pouvoir construire tranquillement des cabanes en bois sur la place de la République. Les rhizomes, les plateaux et les micro-résistances remplacent la lutte des classes et sa perspective de rupture révolutionnaire.
C’est aussi que Lundimatin reste enfermé dans le culte de l’action minoritaire. Comme les torchons gauchistes, ce journal s’invente un autre monde pour se conforter dans son impuissance. Une échauffourée avec la maréchaussée peut alors être vécue comme une véritable insurrection. Mais le véritable enjeu d’un mouvement social doit rester de construire une autonomie des luttes, de faire émerger de cette révolte une organisation anti-hiérarchique pour détruire le monde marchand.
Source : Revue Lundimatin N°0, « Mars/Août 2016 », La Découverte, 2017
L'insurrection en gilets jaunes
Une analyse du mouvement de 2016
Nuit debout et le mouvement de 2016
Les nouveaux mouvements contestataires
Les nouveaux imaginaires politiques
Le néo-zapatisme pour sortir du capitalisme
Penser le processus révolutionnaire
Radio : « LOI TRAVAILLE ! » Chronique d’une offensive antisociale annoncée, émission mise en ligne sur le site Vosstanie le 8 juillet 2017
Radio : Une analyse critique du mouvement actuel et de ses perspectives, émission mise en ligne sur le site Sortir du capitalisme
Cyrnea, Démocratie & mouvement réel : critique des assemblées "démocratiques", publié sur le site 19h17 le 21 mars 2016
Quand le « cortège de tête » fait de la politique : considérations acides sur une préface, publié sur le site carbure le 15 novembre 2017
Briser le verrou syndical pour affronter le capital, Communiqué 46 du Groupe d'Action pour la Recomposition de l'Autonomie Prolétarienne publié en avril 2016
Sur les syndicats et le syndicalisme, publié sur le site Paris-luttes.info le 20 mai 2016
SCH, A Fond la Forme ou le Pragmatisme Accéléré comme théorie révolutionnaire, publié sur le site Marseille Infos Autonomes le 11 mai 2016