Une gauche en décomposition

Publié le 30 Septembre 2017

Une gauche en décomposition
La gauche est en voie de décomposition. des intellectuels tentent de s'appuyer sur les mouvements sociaux pour permettre de faire vivre une gauche radicale capable de gouverner.

 

La gauche est en ruine. Après un règne de 5 ans, le Parti socialiste semble atomisé. La gauche au pouvoir a conduit le pays vers la faillite uniquement pour se mettre au service du patronat. La Loi travail incarne ce projet. L’état d’urgence s’accompagne d’une politique raciste et sécuritaire. Rien n’est à sauver, tout est à détruire dans cette gauche.

La revue Mouvements dresse un état des lieux de cette gauche en ruine dans son numéro 89 : La gauche est morte, vive la gauche ! La revue adopte le point de vue d’une gauche radicale qui semble se développer sur les cendres de la vieille social-démocratie convertie au libéralisme. La revue propose d’alimenter sur le plan intellectuel une gauche ancrée dans les mouvements sociaux, mais qui aspire à gouverner.

Les partis de gauche sont devenus de simples machines électorales déconnectées du monde social et des diverses luttes. Les partis ne sont plus des lieux de réflexions et de lecture du monde. En France, la gauche radicale semble empêtrée dans des querelles de personnes et des vieilleries idéologiques. La candidature autoritaire et républicaine de Jean-Luc Mélenchon n’annonce rien de bon.

 

                                        

                           

 

Effondrement de la gauche de gouvernement

 

Rémi Lefebvre revient sur l’effondrement du Parti socialiste. En 2012, ce parti a tous les pouvoirs nationaux et locaux. En 2017, il semble en voie de disparition. La politique du gouvernement Hollande s’est mise au service du patronat avec des baisses d’impôts massives pour les entreprises. Cette droitisation ne repose sur aucune rationalité électorale. « Elle traduit le poids croissant d’une noblesse d’Etat et d’une technostructure, omniprésentes dans l’entourage du président de la République, qui ont été le vecteur des intérêts patronaux au plus haut sommet de l’Etat (Emmanuel Macron en est la manifestation la plus éclatante) », observe Rémi Lefebvre.

Le PS se contente d’accompagner la politique du gouvernement. Il n’émet aucune critique. Le Premier secrétaire, Jean-Christophe Camabadélis, amuse les militants pour canaliser leur mécontentement. La fronde se déplace au parlement. Mais, si des députés s’opposent à la politique du gouvernement, ils ne veulent pas affaiblir la gauche au pouvoir.

 

La sociologue Dominique Méda revient sur le rapport au travail de la gauche de gouvernement. Elle souligne les promesses de campagne de François Hollande aux ouvriers licenciés. Mais la gauche s’est largement mise au service du patronat.

Le gouvernement diminue les cotisations sociales des entreprises. Ensuite, il réforme le Code du travail pour permettre les négociations à l’échelle de l’entreprise. Les patrons peuvent donc imposer de travailler plus pour gagner moins à leurs salariés.

Cette politique est un échec. Le chômage ne cesse d’augmenter et la situation économique ne cesse de se dégrader. La gauche s’éloigne définitivement de son électorat traditionnel des classes populaires. Les experts et les économistes qui conseillent la gauche de gouvernement sont ouvertement des libéraux, à l’image de Philippe Aghion ou Elie Cohen. Les économistes timidement keynésiens, comme Thomas Piketty, ont été écartés.

 

 

Reconstruire la gauche

 

Plusieurs articles reviennent sur le républicanisme autoritaire de la gauche, bien incarné par Manuel Valls. Le gouvernement rejette la diversité et reprend les thématiques identitaires au nom de la République et de la laïcité. L’état d’urgence et la crise Charlie révèlent ce racisme de gauche. Le féminisme incarné par la ministre Laurence Rossignol vise à stigmatiser les musulmanes, comme le montre l’affaire grotesque du burkini. La revue Mouvements se réfère au féminisme intersectionnel qui vise à prendre en compte les diverses formes d’oppression.

 

Fabien Escalona revient sur l’effondrement de la social-démocratie en Europe. Les partis de gauche qui gouvernent se soumettent au dogme néolibéral et appliquent des mesures d’austérité dans un contexte de crise économique.

Les gouvernements sociaux-démocrates imposent l’austérité publique et salariale. Ils se heurtent à de nouveaux mouvements de contestation. Les partis socio-démocrates connaissent alors un déclin électoral. En Grève, le Pasok est même devenu un groupuscule insignifiant. Aucun parti social-démocrate ne semble en capacité de revenir au pouvoir dans un pays d’Europe.

 

Une table ronde revient sur l’évolution des partis à la gauche du PS. Le Parti communiste semble marginaliser les classes populaires. Julian Mischi souligne que cet appareil comprend de nombreux permanents, élus et collaborateurs de collectivités territoriales. Ugo Palheta évoque l’évolution du Nouveau Parti Anticapitaliste (NPA). Cette organisation semble s’ouvrir aux classes populaires et comprend quelques employés et ouvriers. Mais le NPA reste un groupuscule avec peu de réseaux de sociabilités.

Ugo Palheta semble déconnecté de la réalité des quartiers populaires, à l’image du NPA. Il ne jure que par la dénonciation de l’islamophobie mais révèle un certain mépris de classe. Il estime que l’engagement exige une stabilité socio-professionnelle. Il existe pourtant des luttes dans les quartiers populaires, qui se passent d’ailleurs très bien du soutien condescendant du NPA et des sectes gauchistes. En revanche, Ugo Palheta souligne pertinemment les limites des luttes syndicales et sectorielles qui ne débouchent vers aucune perspective globale.

Julian Mischi observe les clivages de classe qui traversent le milieu communiste, notamment dans la fonction publique. Les agents de catégorie C, syndiqués à la CGT, peuvent s’opposer aux cadres de catégorie A qui militent au Parti communiste. Des grèves de salariés de la fonction publique peuvent éclater contre des mairies communistes.

 

 

Partis et mouvements sociaux

 

Héloïse Nez décrit le succès de Podemos, nouveau parti politique en Espagne. C’est en 2014 que Podemos émerge sur la scène électorale. Depuis, il ne cesse de progresser. Depuis 2008, l’Espagne traverse une importante crise économique et sociale. De nombreuses personnes sont expulsées de leur logement avec la crise immobilière. La pauvreté et les inégalités ne cessent d’augmenter. Les partis de gouvernement imposent des politiques d’austérité et se révèlent corrompus.

En 2011 éclate le mouvement du 15M avec des occupations de place. Cette forte mobilisation de rue s’appuie sur un important soutien populaire. Un espace de délibération s’ouvre dans l’espace public et dépasse l’entre soi des cercles militants. L’esprit du 15M repose sur l’absence de programme et de leaders, sur l’horizontalité et la prise de décision par consensus. Ce mouvement ouvre un nouveau cycle d’actions collectives en Espagne.

Podemos s’appuie sur cette nouvelle génération qui se politise avec le mouvement du 15M. Mais, loin de l’esprit horizontal, Podemos impose un parti avec ses hiérarchies et ses leaders. Les fondateurs de Podemos analysent bien le 15M pour mieux s’appuyer dessus et canaliser la révolte. Ce sont des intellectuels et militants anticapitalistes politisés avant le 15M. Ensuite de nombreuses personnes actives dans les mouvements sociaux se tournent vers Podemos qui propose un changement institutionnel.

Podemos entend rompre avec les vieux schémas de la gauche radicale. « Si tu veux réussir ne fais pas ce que la gauche ferait », ironise Pablo Iglesias. Le nouveau parti se débarrasse des discours et du folklore de la gauche minoritaire. Mais Podemos s’appuie surtout sur les bases sociales du 15M, avec un électorat jeune et urbain issu des classes moyennes et populaires. En revanche, la perte d’influence des cercles et des assemblées de base au profit d’une structure autoritaire et centralisée suscite des critiques. Ensuite, des clivages surgissent sur l’orientation stratégique. Certains dirigeants comme Pablo Iglesias veulent radicaliser le discours tandis que d’autres comme Inigo Errajon s’attachent à une approche transversale et populiste.

 

Jim Cohen et Julien Talpin reviennent sur la situation de la gauche aux Etats-Unis. L’élection de Donald Trump a déclenché une vague de contestation. Les importantes manifestations s’accompagnent de réunions publiques, débats et assemblées populaires. « Reste à voir si cette dynamique parviendra à se structurer par-delà l’émotion qui a accompagné l’élection », soulignent Jim Cohen et Julien Talpin.

Mais ces auteurs s’intéressent surtout aux magouilles internes du parti démocrate. Bernie Sanders a soulevé une importante mobilisation populaire malgré son échec. Un débat traverse la gauche. Un courant valorise la défense des minorités et se détache des classes populaires blanches. Un autre courant s’appuie sur un discours de classe contre les élites économiques au risque de s’aliéner les classes moyennes noires et latinas. Mais le rapport de force électoral reste très défavorable aux démocrates.

Les perspectives de changements sociaux ne proviennent pas des vieilles boutiques politiciennes. Ce sont les mouvements sociaux qui incarnent une véritable dynamique. Le mouvement Occupy Wall Street, bien qu’éphémère, a permis une contestation du capitalisme. Le mouvement Black Lives Matter organise la lutte contre les violences policières. Les luttes de soutien aux sans papiers peuvent également se multiplier face à la politique raciste de Trump. Mais ces luttes restent fragmentées. Il semble important de les coordonner pour construire un rapport de force global. Mais, malgré les délires de Jim Cohen et Julien Talpin, ce n’est surement pas le parti démocrate qui va favoriser l’unification des luttes.

 

Détruire la gauche

 

Ce numéro de la revue Mouvements propose diverses analyses sur la situation de la gauche en France et dans le monde. Des points de vue intéressants permettent d’alimenter les réflexions intellectuelles et politiques sur la situation actuelle. Cette revue mérite d’affirmer des points de vue tranchés et stimulants, loin du robinet d’eau tiède de l’objectivité universitaire. Mais cette revue comprend de nombreux angles morts. Elle se revendique elle-même de la gauche et tente de faire du bouche à bouche à un cadavre.

Pourtant, la gauche reste un ennemi à abattre. Sans même parler d’une social-démocratie en lambeaux, la gauche doit être renvoyée à sa marginalisation. La gauche n’est qu’un courant du mouvement ouvrier. Elle comprend les partis marxistes autoritaires et réformistes. La gauche vise à encadrer les luttes sociales, à les canaliser, pour mieux les étatiser. La gauche propose un carcan bureaucratique pour orienter les luttes vers des solutions institutionnelles. Au contraire, d’autres courants du mouvement social s’appuient sur l’autonomie des luttes pour valoriser leur spontanéité et leur créativité. Ces courants remettent en cause l’Etat et le capitalisme. Les luttes sociales doivent alors déboucher vers une rupture avec le monde marchand.

 

La revue Mouvements s’inscrit bien dans la tradition de la gauche contre l’autonomie des luttes. Cette revue fonce dans toutes les impasses historiques de la gauche intellectuelle et politique. La plus criante, c’est l’illusion d’articuler la rue et les institutions. La revue Mouvements ne cesse d’insister sur ce double ancrage. Mais, quand la gauche prétend marcher sur ses deux jambes, elle finit par boiter du côté du pouvoir. La revue Mouvements ne prend pas en compte cette dérive.

Certes, ces contributions restent attentives au bouillonnement des luttes sociales, ce qui la distingue de la vieille gauche d’appareil. Néanmoins, les mouvements sociaux restent surtout perçus comme un marchepied vers le pouvoir. Les luttes doivent se contenter d’aiguiller et d’alimenter une nouvelle gauche de gouvernement. Ce qui contribue à adopter des points de vue réformistes sur les luttes.

 

 

Manifestation anti-Trump à Seattle

 

Perspectives nouvelles

 

Dans ce sens, la revue Mouvements recycle les vieilles idées de la social-démocratie. La critique du néo-libéralisme permet de ressortir en toile de fond les vieilles recettes keynésiennes. Régulation de la finance, intervention de l’Etat pour encadrer le marché, soutien à la consommation deviennent incontournables.

Il faut malgré tout préciser que la revue Mouvements tient à se démarquer du nationalisme de gauche par une attention au sort des minorités. Mais les idées économiques restent les mêmes. La revue propose malgré tout quelques critiques de la campagne de Mélenchon, autoritaire et franchouillarde. Des articles critiquent l’idéologie républicaine autoritaire. Ces contributions valorisent une laïcité ouverte contre le racisme anti-musulman. Néanmoins, la dénonciation du racisme institutionnel ne débouche pas vers une remise en cause de l’Etat. La revue propose simplement que le gouvernement soit plus attentif aux minorités et prennent en compte la diversité des oppressions. Cette approche intersectionnelle remet encore moins en cause l’exploitation et reste éloignée de la lutte des classes.

 

La revue Mouvements ressort également les vieilles lunes de la démocratie participative, avec l’indéboulonnable Yves Sintomer. Cette proposition vise à donner un peu plus de pouvoir aux citoyens. Mais il n’est jamais question de remettre en cause les hiérarchies entre gouvernants et gouvernés, entre exploiteurs et exploités. L’Etat doit juste se contenter d’être un peu moins autoritaire.

Cette gauche réformiste s’est enthousiasmée pour les modèles exotiques venus d’Amérique latine. Pierre Salama tente de tirer un bilan de ces échecs. Mais il reste encore trop tendre. Les gauches alternatives ne sont que des régimes despotiques et néolibéraux qui répriment les luttes sociales. Ces gauches ont creusé les inégalités sociales et répandu la misère. De la contestation au Brésil du Parti des travailleurs au Vénézuela bolivarien, les luttes sociales se multiplient. Ces régimes risquent d’être balayés par des mouvements de contestation qui attaquent leur vrai visage autoritaire.

Ce sont pourtant les luttes autonomes qui ouvrent de véritables perspectives émancipatrices. Les moments de révolte inventent de nouvelles formes d’organisation, font vivre des réflexions et des échanges, et attaquent l’ordre existant. Les luttes autonomes peuvent ensuite se coordonner et se multiplier pour inventer un monde nouveau.

 

Source : Revue Mouvements n° 89, « La gauche est morte, vive la gauche ! », La Découverte, printemps 2017

 

Articles liés :

Les militants anticapitalistes

Les syndicalistes cheminots

Podemos, un mouvement-parti

Le modèle politique de Podemos

Les luttes de quartiers à Los Angeles

 

Pour aller plus loin :

Vidéo : Débat : Comment (re)faire révolution ?, mise en ligne sur le site de la revue Regards le 27 septembre 2017

Vidéo : Table ronde sur l'évolution du NPA, mise en ligne sur le site de la revue Regards le 13 juin 2013

Vidéo : Ugo Palheta, Rencontre de La Brèche autour du livre stratégie et parti de Daniel Bensaïd, mis en ligne sur le site du NPA

Vidéo : MediapartLive: Comment reconstruire la gauche ?, publié sur le site Mediapart le 7 mai 2017

Vidéo : Pierre Jacquemain, Fabien Escalona : "Le grand parti de gouvernement qu’a été le PS est mort", mise en ligne sur le site de la revue Regards le 12 juin 2017

Radio : émissions avec Ugo Palheta diffusées sur France Culture

Radio : émissions avec Rémi Lefebvre diffusées sur France Culture

Radio : émissions avec Dominique Méda diffusées sur France Culture

Radio : émissions avec Fabien Escalona diffusées sur France Culture

Radio : émissions avec Fabien Escalona diffusées sur France Inter

 

Clémentine Autain, Rémi Lefebvre : « La substance politique du PS s’est évaporée », entretien publié dans la revue Regards le 7 avril 2015

Gaëlle Lebourg, "Le PS est dans une logique d'auto-destruction", entretien publié sur le site du magazine Les Inrockuptibles le 7 décembre 2015

Audrey Loussouarn, Rémi Lefebvre : « Tous, au PS, ont intérêt à garder l’appareil », publié sur le site du journal L'Humanité le 4 mai 2017

Jonah Birch et Olivier Besancenot, Parti et mouvement. Entretien avec Olivier Besancenot, publié sur le site de la revue Contretemps le 21 décembre 2015

Articles d'Ugo Palheta publiés sur le site de la revue Contretemps

Articles de Fabien Escalona publiés sur le site Slate

 

Publié dans #Actualité et luttes

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