Police et violences d’Etat
Publié le 22 Juillet 2016
« Tout le monde déteste la police » devient le mot d’ordre des « cortèges de tête ». Les violences policières semblent particulièrement importantes dans le cadre du mouvement de 2016 contre la Loi Travail. Après chaque manifestation peuvent se dénombrer les blessures graves causées par la répression policière. Ensuite, s’ajoute le cadre de l’état d’urgence et de la logique antiterroriste. En 2007, Pierre Douillard-Lefebvre perd l’usage de son œil après un tir de flashball. Depuis, il analyse les nouvelles formes de répression pour pouvoir mieux les combattre. Son livre, intitulé L’arme à l’œil, propose une réflexion sur les violences d’Etat.
Le 26 octobre 2014, Rémi Fraisse est assassiné par la police. Ce jeune militant écologiste participe alors à une manifestation contre le barrage de Sivens. Des affrontements opposent des activistes à des policiers qui vident leurs réserves de gaz lacrymogène et de grenades. Immédiatement, le rouleau compresseur médiatique se met en branle. « Il faut multiplier les insinuations, essayer de salir à titre posthume le défunt, suggérer qu’il est peut-être responsable de sa propre mort, notamment par une tentative pathétique de semer le doute sur le contenu d’un sac à dos », observe Pierre Douillard-Lefebvre.
Les Lanceurs de Balle de Défense (LBD) sont introduits en 1995. Ces armes sont alors utilisées par les policiers de la BAC (Brigade anti-criminalité) qui patrouillent dans les quartiers populaires. Cette arme se généralise. Le LBD 40, qui ressemble à un fusil, possède la précision d’une arme de guerre. C’est l’argument qui permet la généralisation de cette arme létale. « Le LBD 40 augmente considérablement la puissance de feu des policiers qui prennent l’habitude de débouler dans les cages d’immeuble ou les manifestations avec leur arme à l’épaule, braquée à hauteur d’homme, l’œil dans le viseur », décrit Pierre Douillard-Lefebvre.
Cette arme, considérée comme non létale, peut se banaliser. Les policiers n’hésitent plus à faire feu puisque leur arme est considérée comme inoffensive. Pourtant, le nombre de personnes blessées, mutilées et même tuées reste considérable. « La cadence des blessés graves s’accélère au rythme des plaintes classées, des affaires étouffées et de l’omerta médiatique », observe Pierre Douillard-Lefebvre.
Dans les manifestations comme dans les quartiers populaires, la police n’hésite plus à tirer sur la foule. Les blessures causées se révèlent souvent graves. « Les Lanceurs de Balles de Défense réintroduisent une logique de guerre en prétendant maintenir l’ordre. Si ce nouvel arsenal tue moins, il possède la même vocation : mutiler et terroriser », analyse Pierre Douillard-Lefebvre.
La répression s’expérimente contre les marges de la société avant de s’étendre à l’ensemble de la population. Après les manifestations et les quartiers populaires, la violence policière peut se généraliser. « Les attaques du pouvoir s’étendent toujours des périphéries vers le centre, des marges vers la masse », observe Pierre Douillard-Lefebvre.
Les évènements sportifs sont également des espaces de répression. Les supporters de football subissent une étroite surveillance. « Le monde du sport marchand, arène de toutes les compétitions nationalistes et des communions identitaires et consuméristes, est un laboratoire de la société de contrôle », souligne Pierre Douillard-Lefebvre. Le mouvement social au Brésil a été réprimé avant la Coupe du monde de 2014. Les étudiants de Tlatelolco au Mexique ont été massacré avant les Jeux Olympiques de 1968.
Le Lanceur de Balles n’est plus utilisé uniquement contre les marges du mouvement social. Les Zones à défendre (ZAD) et les militants écologistes sont ciblés. Même les manifestations de salariés doivent essuyer des tirs de policiers. Un intérimaire est gravement blessé au cours d’une manifestation de Métallos à Strasbourg en 2013.
La banalisation du Lanceur de Balles s’accompagne d’un discours sécuritaire. Tous les euphémismes sont utilisés pour minimiser la violence de ces armes. Surtout, la police doit apparaître comme le pilier de l’ordre social. Elle est présentée dans tous les médias comme un recours indispensable. « La police est omniprésente à l’antenne, des émissions racoleuses aux séries télévisées, les uniformes sont plus visibles que toutes les autres professions sur les écrans plasma », observe Pierre Douillard-Lefebvre.
Mais la répression ne passe pas uniquement par les forces de police. La société marchande produit le conformisme et l’aliénation qui empêchent toute forme d’action de transformation sociale. « Du néo-management par les affects à la novlangue médiatique, de la consommation massive d’antidépresseurs à la mise en concurrence généralisée, jusqu’aux différentes soupapes de sécurité syndicales ou associatives », décrit Pierre Douillard-Lefebvre. Le consentement s’impose et les armes de la police n’interviennent qu’en dernier recours pour mater une colère qui ne parvient plus à être étouffée. « A mesure que la pacification sociale se généralise, les émotions populaires sont, plus qu’auparavant, inadmissibles », analyse Pierre Douillard-Lefebvre. Toute forme de révolte doit paraître violente et marginale. Même si l’histoire des luttes révèle des pratiques bien plus offensives que dans la période actuelle.
Le Parti socialiste contribue désormais activement à imposer une culture sécuritaire et de maintien de l’ordre. L’histoire de la gauche montre son implacable détermination à massacrer les mouvements sociaux. L’assassinat de Rosa Luxemburg par les dirigeants sociaux-démocrates a même contribué à la montée du nazisme. La mise en place de l’état d’urgence favorise l’émergence d’un pouvoir autoritaire. En France, Georges Clémenceau ou Jules Moch ont ordonné de tirer sur des grévistes. François Mitterrand ou Guy Mollet ont généralisé la torture en Algérie. La gauche du capital réprime violemment les mouvements sociaux. Mais le pouvoir de gauche peut agir sans susciter la moindre indignation puisqu’il se pare de toutes les vertus morales.
Face au monde marchand et sécuritaire, des résistances se développent. L’opposition aux violences policières permet de fédérer des personnes diverses. « Se rencontrer, relever la tête et refuser l’isolement, construire des complicités et faire converger des colères dans les tribunaux comme dans la rue, c’est déjà résister, refuser l’atomisation programmée de nos vies », souligne Pierre Douillard-Lefebvre. La répression peut d’ailleurs renforcer la détermination et la colère. De nombreuses émeutes éclatent après la mort d’un jeune tué par la police. La répression des mouvements sociaux les rend plus populaires. Les personnes qui subissent les violences policières se radicalisent et comprennent la véritable nature de l’Etat.
La réflexion de Pierre Douillard-Lefebvre se révèle dense et stimulante. Il propose une description implacable de la violence policière et de sa banalisation. Surtout, il considère que la police reste un révélateur de la société moderne.
Beaucoup de critiques de la répression se contentent de proposer une meilleure gestion du maintien de l’ordre. Une police qui dialogue, moins violente, moins armée, plus sympathique. Mais le maintien de l’ordre, brutal ou pacificateur, doit être remis en cause. La police doit être évidemment combattue pour ses dérives et sa violence. Mais elle doit aussi être critiquée pour son existence même. La police n’a qu’une seule fonction, et ce n’est pas de faire la circulation en cas d’accident. La police est créée pour mater les révoltes et maintenir l’ordre existant, un monde marchand et une société de classe.
Détruire l’Etat et la société de classe
Il manque d’ailleurs au livre de Pierre Douillard-Lefebvre une analyse de classe de la police. Il s’en remet au discours fumeux d’un Mathieu Rigouste sur le postcolonialisme. Si les quartiers populaires sont mis régulièrement en coupe réglée, ce n’est pas uniquement par nostalgie coloniale. C’est parce que ces quartiers concentrent uniquement des prolétaires, souvent chômeurs ou précaires. Ces quartiers abritent une jeunesse qui n’a aucun autre espoir que la révolte et la radicalisation politique. C’est uniquement pour cette raison que les banlieues sont dans le viseur des policiers. D’autant plus que la misère engendre la criminalité.
Pierre Douillard-Lefebvre ouvre également des perspectives. Les luttes contre la police permettent effectivement de créer des rencontres et de fédérer tous les révoltés. Des zadistes et alternatifs jusqu’aux ouvriers grévistes en passant par les jeunes des quartiers populaires : les prolétaires qui relèvent la tête se heurtent tous à la police. Mais, il faut également éviter une forme de lutte spécialisée et séparée pour dénoncer les violences policières. L’enjeu reste évidemment celui d’abolir la police, mais aussi la société marchande qu’elle défend. Le meilleur moyen de combattre la police, c’est d’ouvrir de nouvelles perspectives aux luttes sociales. Un monde sans police, mais aussi sans classes et sans Etat.
Source : Pierre Douillard-Lefebvre, L’arme à l’œil. Violences d’Etat et militarisation de la police, Le Bord de l’eau, 2016
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