Elections : piège à moutons
Publié le 27 Avril 2012
Alors que les élections présidentielles s’organisent, il semble indispensable de réfléchir sur les limites de la démocratie, et sur les moyens de l’abattre.
« Les enfants croient au Père Noël, les adultes votent », Pierre Desproges : c’est sur cette exergue humoristique que s’ouvre le texte de Léon de Mattis consacré aux élections et, plus largement, à la démocratie. Dans son livre au titre percutant, Mort à la démocratie, il souligne les limites et la vacuité du formalisme démocratique. La logique de représentation et de délégation organise la passivité. Seuls les mouvements de révoltes brisent le ronronnement quotidien de la domination, pour permettre de réellement transformer le monde.
Dans les arcanes du Parti socialiste
Le premier texte offre un témoignage subjectif de la vie politique au Parti Socialiste à la fin des années 1980, dans une section parisienne. Alors que ce parti s'apprête à reprendre le pouvoir sous fond de rejet du sarkozisme et de ses "affaires", il semble intéressant de rappeller la réalité du PS, véritable pépinière de bureaucrates. Social-démocrate à l’ancienne, l’auteur s’immerge dans une section de rocardiens et autres modernistes libéraux. Il décrit la sociologie des militants socialistes, cadres dans la pub ou dans diverses entreprises, et souvent passés par des cabinets ministériels. A l’image des autres socialistes, il semble coupé des mobilisations sociales. En 1986, il participe aux manifestations contre la loi Devaquet, mais il ne comprend pas les tracts qui soulignent les limites de cette lutte. « Je n’arrive pas à imaginer une autre solution que la conquête du pouvoir par des voix démocratiques » témoigne Léon de Mattis.
Le récit est émaillé de dialogues parfois savoureux. Le récit de l’ascension de Manuel, au détriment d’Alain B., restitue l’ambition politicienne des deux ténors actuels de l’idéologie sécuritaire. « On l’a choisit parce que c’était vraiment le petit jeune qui en veut. Dans les universités d’été, il s’arrangeait toujours pour être pris en photo à côté de Rocard » décrit Claire pour évoquer Manuel.
Léon de Mattis décrit également la bataille interne pour s’imposer pour les élections municipales. Le PS inscrit tous les jeunes sur les listes, évidemment en position de non éligibles, pour se donner une bonne image. Pourtant, Léon ne considère pas les politiciens de haut vol comme antipathiques. « Ils sont finalement plus honnêtes parce qu’ils savent faire sentir, en même temps que la manœuvre, la nécessité de manœuvrer », souligne l’auteur. Loin de toute forme d’indignation sur les dérives de la politique, ce récit décrit le fonctionnement normal de la démocratie qui comporte inéluctablement sa part de « magouilles » et de carriérisme.
La soumission démocratique
Léon de Mattis dénonce le système d’élection du président, à partir de l’exemple des élections américaines en 2000 qui opposent Bush à Al Gore. Le candidat élu n’est pas celui qui recueille le plus de voix. Il évoque ensuite l’abstention en France, entre ceux qui ne vont pas voter et ceux qui ne sont même pas inscrits. L’élection ne représente donc pas l’expression d’une volonté populaire. Surtout, le vote permet de légitimer le système démocratique.
Il évoque les élections en 2002, avec la dénonciation de l'abstention et le vote Chirac pour s’opposer à Le Pen. « Il semblerait plutôt que seuls ceux qui se sont abstenus au deuxième tour de la présidentielle peuvent aujourd’hui se dédouaner de la responsabilité de la chasse à l’enfant sans papiers que Sarkozy a déclenché dans les écoles, les collèges, les lycées. Bien plus que l’abstention, c’est le vote qui fait du citoyen le complice des infamies du pouvoir » estime Léon de Mattis.
Mais il insiste surtout sur l’inutilité du vote pour changer la société et raille les initiatives de starlettes qui se mobilisent pour la participation électorale dans les quartiers populaires. « Pourtant, ce qui fait que les discriminations existent n’est pas quelque chose que le vote ou le système politique a la possibilité d’abolir: tout simplement parce que c’est un effet de ce même système. C’est bien ce quotidien fait d’humiliation et d’écrasement qui rend visible faux tout les principes de l’intégration citoyenne » estime Léon de Mattis.
L’action directe contre le légalisme
Le vote, par son inutilité, n’apparaît pas comme un enjeu central et décisif. Pire, il permet de justifier et de légitimer l’ordre existant. « Le vote n’est pas une manière de s’exprimer. Le vote n’est pas une manière de donner son opinion. Le vote est, par excellence, le moyen de faire fermer sa gueule à ceux qui ont des choses à dire. C’est même l’argument le plus commun de ceux qui veulent que surtout rien ne change. Cette loi a été votée. Ce gouvernement a été élu » analyse Léon de Mattis. Il devient ainsi illégal et illégitime de lutter, de faire grève, d’occuper, de bloquer. Mais les représentants élus ne représentent qu’eux même et leurs intérêts de classe.
« Ceux là même qui veulent nous interdire d’agir au nom du résultat des élections ne représentent rien ni personne, si ce n’est le pouvoir que l’État leur attribue dans l’intérêt de sa conservation » explique Léon de Mattis. Il remet en cause le principe même de représentation qui impose une inégalité entre les représentants qui peuvent s’exprimer et les représentés qui doivent subir les décisions prises sans eux. « Tout le monde a une capacité égale à s’exprimer et personne n’a la légitimité pour discourir tandis que d’autres devraient se taire » souligne Léon de Mattis.
Mais il critique également le démocratisme et la logique de représentation qui s’impose dans les luttes sociales, avec ses porte-parole, ses petits chefs, ses syndicalistes et ses bureaucrates. Le syndicat permet d’intégrer le prolétariat dans la société capitaliste à travers des aménagements pour contenir la colère des exploités. « Le patronat et l’État se cherchent toujours des interlocuteurs « responsables » pour représenter ceux qui luttent contre eux: ils savent que c’est le meilleur moyen d’en stériliser la puissance potentielle » explique Léon de Mattis. Mais, malgré la méfiance à l’égard des syndicalistes, des dispositifs comme la « démocratie directe » peuvent comporter des limites. Les assemblées générales étudiantes acceptent les étudiants opposés à la lutte mais rejettent les non étudiants qui sont concernés par le mouvement.
« Par la vertu des procédures démocratiques, le mouvement perdait sa puissance rebelle et se retrouvait pieds et poings liés entre les mains de ses détracteurs: ainsi le vote jouait-il pleinement son rôle, celui d’être l’organisation sociale de la passivité » souligne Léon de Mattis. Ses assemblées passent leur temps à voter des revendications inutiles et ceux qui luttent n’ont d’autre argument à opposer aux anti-bloqueurs que celui de la légitimité du blocage puisqu’il a été voté. « Il n’y a aucune permission à demander avant de s’opposer en actes aux décrets du pouvoir qui nous oppresse. La sédition n’a pas besoin de se justifier. Elle est en elle-même sa propre justification » souligne Léon de Mattis. A l’acte passif du vote, il oppose l’engagement réel de la révolte.
L’oppression de l’État
Les théories de l’État, du contrat social et de la démocratie reposent sur le constat faussé d’une nature humaine supposée bonne ou mauvaise. « Il n’y a que des formes sociales plus ou moins oppressantes ou plus ou moins libres selon la nature des dispositifs sur lesquels elles reposent » explique au contraire Léon de Mattis.
Une analyse en termes de classes sociales permet de comprendre l’État qui apparaît comme la forme d’un rapport de force social. Cette domination découle d’un rapport de classe et du capitalisme. « Dans ce rapport, il y a un pôle dominant, qui est la classe capitaliste, et un pôle dominé, les classes exploitées. La démocratie, en tant que régime particulier de l’État, n’est rien d’autre qu’une des modalités possibles de la mise en forme de la domination capitaliste » explique Léon de Mattis. L’État, loin d’être neutre, n’est pas un arbitre impartial des conflits sociaux. L’apologie des services publics et du recours à l’État par la gauche de gauche permet alors d’améliorer le fonctionnement du capital, mais pas d’abolir l’exploitation et la domination.
La démocratie apparaît comme une forme de l’État pour permettre la domination du capital, la dictature en est une autre. Avec la torture ou différentes formes d’état d’exception, la démocratie peut également utiliser les pratiques des régimes autoritaires lorsque l’État et ses intérêts semblent menacés. « Un monde libéré des contraintes de l’argent et de l’État, un monde sans exploitation et sans domination ne serait en rien une « démocratie » » souligne Léon de Mattis.
Contre la démocratie, il préfère les révoltes, les émeutes et les mouvements sociaux radicaux. Transformer le monde semble la seule issue, à partir des pistes de libération qui existent déjà. « Les expériences de discussions ou d’actions collectives anti-démocratiques, anti-hiérarchiques et anti-autoritaires existent déjà, et leurs formes ne cessent d’évoluer au gré des évènements et des choix collectifs » souligne Léon de Mattis.
Source : Léon de Mattis, Mort à la démocratie, L’Altiplano, 2007
Réflexions sur le vote et les élections
Congédier la gauche (de gauche)
La gauche au pouvoir pour servir le capital
Le blog de Léon de Mattis
Des informations sur le livre Mort à la démocratie sur le site de l'éditeur L'Altiplano
Des interventions radio de Léon de Mattis sur le site Anarsonore
Léon de Mattis, "Démocrature", journal Et alors ? n°5
Léon de Mattis, "Etat et terrorisme", 21 juillet 2008
Jean-Pierre Garnier, "Les didons de la farce électorale", 26 avril 2012