Les pratiques anarchistes

Publié le 23 Octobre 2025

Mélancolie ouvrière (2018)

Mélancolie ouvrière (2018)

Les mouvements sociaux aspirent à ne plus reproduire les erreurs du passé. La faillite du stalinisme et de l’URSS n’a pas congédié l’utopie révolutionnaire. Des pratiques d’auto-organisation se développent dans les soulèvements à travers le monde. Des penseurs libertaires refusent la fausse alternative entre l’État et le marché. La tradition émancipatrice libertaire peut continuer à nourrir l’inspiration et la réflexion des nouvelles générations.

Néanmoins, l’anarchisme doit évoluer pour s’adapter aux sociétés du XXIe siècle. La composition sociale des militants libertaires n’est plus issue de la classe ouvrière mais des classes moyennes salariées. Ensuite, les querelles idéologico-organisationnelles entre les tenants de la plateforme ou de la synthèse sont devenus obsolètes. Surtout, les libertaires actuels ne se reconnaissent plus dans un modèle unique de changement social.

Le mythe du Grand Soir, avec une rupture brutale avec l’ordre existant, semble s’éloigner. Les nouveaux militants valorisent l’éclectisme idéologique et l’action ici et maintenant. Malgré la finalité révolutionnaire, les libertaires s’investissent dans une série de luttes immédiates et de propagandes. Même si l’action directe prime sur le dialogue avec les pouvoirs publics ou le patronat. Surtout, la presse libertaire continue d’évoquer la rupture révolutionnaire et la grève générale expropriatrice. Même si la pratique ne correspond pas à ce discours anarchiste classique. Gaetano Manfredonia évoque les stratégies libertaires dans le livre Anarchisme et changement social.

 

 

                            

 

 

Insurrectionnels

 

L’insurrectionnalisme s’attache à détruire les formes d’oppression de l’État et du patronat. L’utilisation de moyens violents doit permettre d’amener la révolution. L’insurrection suppose l’affrontement direct et ouvert avec les forces de l’ordre. Bakounine considère que la guerre civile permet de sortir le peuple de sa torpeur. Le déclenchement de l’insurrection devient l’objectif stratégique déterminant des activités militantes et de la propagande. Les tâches d’organisation, d’agitation ou d’éducation sont subordonnés à cet objectif conçu comme un affrontement décisif pour ouvrir définitivement la voie à un changement social radical.

La violence reste un moyen subordonné à la finalité émancipatrice de l’anarchisme. La fin doit s’accorder avec les moyens utilisés. La terreur contre les populations civiles ou l’instauration d’une dictature sont rejetées. La violence reste défensive, d’une ampleur limitée et circonscrite dans le temps. Le moment de destruction joue un rôle déterminant dans le processus révolutionnaire. Le volontarisme de l’insurrectionel repose sur une vision catastrophiste du changement social. La révolution découle de la dégradation des conditions de vie ou de l’aiguisement des conflits sociaux.

Le rôle de la minorité agissante reste déterminant. Les anarchistes doivent favoriser l’éducation et l’organisation des masses pour leur permettre de préparer l’insurrection. Ensuite, durant la révolution, les anarchistes doivent combattre l’émergence d’un nouveau gouvernement. L’insurrectionnaliste doit également aider le peuple dans sa tâche de reconstruction sociale et le guider à travers ses conseils. C’est la minorité qui apporte de l’extérieur la conscience aux masses. Même si l’anarchiste refuse de jouer un rôle dirigeant quelconque. Il doit montrer l’exemple et fournir des indications que les masses doivent suivre. Même si l’anarchiste ne prétend pas imposer un programme. Ce qui le distingue du blanquisme ou du léninisme.

 

 

          En quoi la Première Internationale est-elle un jalon essentiel de l’histoire des socialismes ? Karl Marx face à une assemblée. ©Getty - Universal History Archive/Universal Images Group

 

 

Syndicalistes

 

Les syndicalistes se définissent par leurs activités et non pas par une idéologie, même anarchiste. L’anarcho-syndicalisme ne provient pas d’un penseur ou d’un théoricien mais de l’action pour l’auto-émancipation de la classe ouvrière. Ce mouvement s’appuie sur une activité quotidienne à partir de la réalité vécue dans les entreprises. Le syndicalisme repose sur l’expérience de luttes des exploités dans leur combat contre l’oppression.

Le syndicaliste insiste sur l’action autonome de la classe ouvrière comme préalable à la rupture révolutionnaire. Le processus de transformation sociale apparaît comme l’aboutissement de la prise de conscience des travailleurs de leur force collective. Le syndicaliste, selon la devise de l’Internationale, considère que l’émancipation des travailleurs sera l’œuvre des travailleurs eux-mêmes. La classe ouvrière doit faire scission avec la société bourgeoise et la démocratie parlementaire.

Bakounine estime que les militants syndicalistes doivent insister sur les problèmes concrets dans les entreprises, comme le salaire ou les conditions de travail. Surtout, le syndicaliste rejette l’intervention artificielle et de l’extérieur des militants professionnels. La conscience autonome de classe résulte uniquement de l’activité pratique des travailleurs eux-mêmes. Le syndicaliste ne vise pas à comploter ou à diffuser la bonne parole, mais à grouper les travailleurs afin d’organiser la lutte solidaire des ouvriers contre les patrons.

 

Bakounine estime que la lutte sociale favorise la conscience révolutionnaire. C’est au cours de cette lutte que l’ouvrier comprend de manière pratique l’antagonisme entre ses intérêts et ceux de la classe capitaliste. Cependant, le syndicaliste anarchiste relie la lutte des classes à son but émancipateur. Il se bat contre le patronat mais aussi contre l’État. Il s’oppose également aux directions syndicales corrompues et à leur politique de collaboration de classe. Le parti est considéré comme une construction artificielle et un agrégat d’individus de toutes les classes regroupé autour d’une idéologie.

Les grèves occupent une place centrale dans la stratégie révolutionnaire. Elles permettent d’améliorer le sort immédiat des travailleurs mais préparent aussi un affrontement final. Selon Bakounine, les grèves permettent de construire une « armée ouvrière » et doivent se généraliser. L’expropriation des moyens de production et leur contrôle par les travailleurs découle d’une grève générale insurrectionnelle. Le syndicaliste justifie également la violence par le refus de respecter la légalité bourgeoise et démocratique. Le syndicaliste peut lutter pour des améliorations immédiates. Mais les réformes doivent être obtenues, non par la voie parlementaire, mais par la lutte solidaire des ouvriers.

 

 

    Tahar Rahim dans le film français d'Elie Wajeman,

 

 

Éducationnistes-réalisateurs

 

L’éducationniste-réalisateur insiste sur l’action consciente des individus. Il s’adresse à tous les individus, indépendamment de leur origine sociale ou de leur statut professionnel. Il moque le syndicalisme qui serait centré sur la défense des intérêts corporatistes. Ce type de militant fustige l’acceptation du statu quo par la majorité de la population. Les ouvriers sont jugés complices de l’exploitation par leur passivité. L’éducationniste rejette la rupture révolutionnaire et insiste sur le changement dans les mentalités. Il refuse la violence et les conflits. Au contraire, sa stratégie repose sur la capacité des individus à surmonter leurs divisions.

Cependant, ce militant pratique l’action directe et la désobéissance civile. Il n’est pas arrêté par le respect de la propriété privée ou étatique. Il pratique également l’objection de conscience et refuse de collaborer avec des forces qui oppriment l’individu. Pour l’éducationniste, la révolution sociale passe par le refus d’obéissance aussi général que possible. Mais la révolution anarchiste suppose au préalable une évolution suffisante des mentalités. L’éducationniste insiste également sur la raison et la vérité. Il développe des « universités populaires », des causeries, des bibliothèques et une éducation libertaire. Les individus doivent abandonner leurs préjugés autoritaires et agir de manière autonome.

L’éducationniste considère que les organisations syndicales reproduisent les tares de la société. Leurs luttes sont récupérables par l’État et le patronat. L’éducationniste recherche le bonheur individuel ici et maintenant sans attendre une insurrection salvatrice. Il proclame sa joie de vivre. L’éducationniste reste attaché à la réalisation pratique à travers des expériences alternatives comme des communautés libertaires ou des coopératives. L’éducationniste ne passe pas par la rupture révolutionnaire mais par une approche gradualiste. Cependant, il rejette le réformisme qui passe par le parlementarisme et l’institutionnalisation des luttes.

 

 

     Pierre Joseph Proudhon ©Getty -  Hulton Deutsch

 

Débuts de l’anarchisme

 

Proudhon critique le principe d’autorité. Il attaque l’État en politique, Dieu en religion et la propriété en économie. Le fédéralisme doit permettre de coordonner les activités des communes et des régions, sans centralisation politique et dans le respect de l’autonomie de ses différentes composantes. Proudhon théorise également le mutuellisme avec des projets alternatifs construits « par en bas » par les travailleurs eux-mêmes. Proudhon défend les petits artisans et les petits entrepreneurs attachés à leur indépendance et à leur maîtrise des moyens de production.

La France est alors composée de nombreuses petites propriétés. Le mutuellisme repose sur la réciprocité, la justice dans l’échange et l’organisation du crédit. Les rapports de production capitalistes doivent se transformer progressivement, sans rupture violente, par la généralisation de formes alternatives de production et de consommation. Cependant, les mutuelles doivent s’appuyer sur la tolérance de l’État afin de se développer et perdurer. Proudhon se rallie même à l’Empire.

 

Les insurrections de 1848 marquent un tournant. Le rêve de voir prolétaires et bourgeois s’associer pour mener les réformes nécessaires cède la place à la guerre sociale. L’anarchisme insurrectionnaliste peut alors se déployer. Ernest Coeurderoy milite dans différents comités électoraux en 1848. Mais il est traqué par la police pour sa participation à la manifestation du 13 juin 1849. Il s’exile à l’étranger et rédige des textes radicaux. Il appelle à la destruction de la « société maudite » et insiste sur la nécessité d’un bouleversement total. Sa prose cultive la rêverie poétique et l’exhortation messianique. Coeurderoy adopte une vision catastrophiste du changement social. L’harmonie future découle du désordre et du déchaînement des passions.

Joseph Déjacques s’inspire de Fourier et de Proudhon. En revanche, il rejette la propriété privée. Il insiste sur la mise en commun des moyens de production et de consommation. L'exaltation de la révolte individuelle s’accompagne de l’action collective des exploités. Il valorise également l’illégalisme. Pour de nombreux anarchistes, l’émancipation du prolétariat passe désormais par un affrontement direct et violent avec les forces étatiques et bourgeoises.

 

 

      Sur le tournage  du « Jeune Karl Marx »,  avec Stefan Konarske dans le rôle  de Friedrich Engels  (à gauche), Vicky Krieps  dans celui de Jenny Marx, August Diehl  dans celui de Karl Marx  (au centre, tête penchée)  et Olivier Gourmet  dans celui de Pierre-Joseph Proudhon  (à droite, derrière  le pilier).

 

 

Internationale ouvrière

 

L’Association internationale des travailleurs (AIT) est créée en 1864. Son Adresse et ses statuts sont rédigés par Karl Marx. Le but de l’AIT devient l’émancipation des travailleurs par les travailleurs eux-mêmes. Les prolétaires du monde entier doivent s’unir pour mettre fin à la suprématie du capital. L’AIT demeure une organisation de classe et non pas un simple organe de propagande et d’agitation révolutionnaire ouvert à tous les individus de bonne volonté. La classe ouvrière s’organise pour mener une action autonome de classe au-delà des frontières nationales.

Durant ses premières années d’existence, l’AIT apparaît comme un forum de discussion international qui permet aux travailleurs d’échanger leurs idées et leurs expériences. En revanche, l’AIT ne permet pas d’impulser et de coordonner les activités ouvrières. Son nombre d’adhérents reste réduit. Cependant, l’AIT permet le développement de débats qui traversent le mouvement ouvrier et l’anarchisme pour déboucher vers l’émergence du syndicalisme révolutionnaire.

 

Cependant, durant les premières années de l’AIT, le mutualisme prédomine. Le changement social gradualiste prime sur l’affrontement révolutionnaire. Les banques ouvrières sont valorisées tandis que la grève reste dénigrée. Néanmoins, à partir des années 1867-1867, les conflits sociaux se multiplient. Dans ce contexte, les militants de l’AIT vont spontanément se radicaliser pour abandonner les solutions pacifiques et conciliantes de la question sociale. Le soutien apporté à différents mouvements de grève contribuent au prestige de l’AIT et à l’élargissement de sa base. Eugène Varlin considère que l’importance des grèves ne repose pas uniquement sur la défense des intérêts immédiats des travailleurs mais surtout sur le développement de la solidarité ouvrière.

Le développement des sociétés de résistance permet de regrouper les travailleurs d’une branche professionnelle. Cependant, ces organisations qui précèdent le syndicalisme intègrent également une dimension proudhonienne. La grève doit permettre de libérer du temps pour créer des coopératives de producteurs. Les proudhoniens envisagent toujours la transformation sociale comme graduelle et pacifique. Cependant, durant l’hiver 1868-1869, la multiplication des conflits sociaux débouche vers une violente répression. L’espoir d’une transaction à l’amiable avec les détenteurs des moyens de production s’effondre. Le changement ne peut découler uniquement du renversement révolutionnaire de la société.

 

 

        Mikhail Bakounine par Félix Nadar - Wikicommons

 

 

Tournant syndicaliste de Bakounine

 

Bakounine adhère à l’Internationale en juillet 1868. L’organisation en plein essor reste en quête de son identité. Bakounine a participé aux révolutions de 1848-1849. Il a connu la prison avant de devenir un personnage célèbre. Bakounine considère la révolution comme une rupture avec la société existante mais aussi comme la création d’un ordre nouveau. « Le plaisir de la destruction est en même temps un désir créateur », affirme Bakounine. Il exalte la liberté comme principe et moteur de l’action humaine. La destruction des États centralisés doit déboucher vers une « fédération volontaire et libre » de toutes les nations d’Europe.

Cependant, Bakounine reste confus sur la stratégie de transformation sociale. Comme les socialistes réalisateurs, il insiste sur l’importance des associations sur le plan économique. Mais il reste attaché aux sociétés secrètes et à l’action d’une minorité éclairée qui doit déclencher des insurrections. L’adhésion de Bakounine à l’Internationale marque un tournant. Il considère alors que l’émancipation provient de l’action autonome des travailleurs eux-mêmes. Bakounine renonce à l’idée d’une insurrection provoquée par une minorité agissante issue de la bourgeoisie éclairée. Désormais, le prolétariat devient le moteur de la révolution à travers son auto-organisation.

 

Bakounine parvient à imposer ses idées au sein de l’Internationale. La critique de l’État se diffuse et le courant anti-autoritaire devient particulièrement puissant. Néanmoins, ce tournant de l’Internationale ne peut pas se réduire à la propagande occulte du puissant Bakounine. Le contexte social évolue. Le courant socialiste réalisateur décline tandis que les luttes sociales se multiplient. Ensuite, Bakounine évolue au contact des sections de l’Internationale. Il est influencé par James Guillaume et la section Suisse romande. Il prend conscience de l’importance de la pratique des luttes syndicales pour créer une solidarité entre les travailleurs et mener une action autonome de classe pour l’affranchissement du prolétariat. La rupture révolutionnaire ne résulte plus de l’action conspirative d’une minorité éclairée mais découle de l’union solidaire de la classe ouvrière elle-même.

Ensuite, l’Internationale ne tente pas de fédérer les ouvriers à travers une idéologie anarchiste mais s’appuie avant tout sur la pratique. La lutte économique pour la défense de ses intérêts permet à l’ouvrier de développer une conscience de classe. L’ouvrier engagé dans la lutte peut facilement comprendre l’antagonisme irréconciliable entre la bourgeoisie et ses intérêts humains. L’ouvrier peut alors développer une conscience révolutionnaire. Bakounine accorde aux grèves une importance stratégique primordiale comme facteur déterminant dans la formation d’une conscience de classe autonome des masses ouvrières. Les grèves permettent de diffuser des pratiques de solidarité et d’auto-organisation. Ensuite, les luttes sociales réveillent les instincts révolutionnaires. Ce qui favorise la diffusion des idées socialistes et libertaires. Les grèves permettent également de montrer concrètement l’incompatibilité des intérêts existants entre patrons et travailleurs.

 

 

         Anarchisme ©AFP

 

 

Internationale anarchiste

 

Bakounine accorde une importance majeure à l’Internationale pendant mais aussi après la rupture révolutionnaire, pour bâtir la société nouvelle. Les associations ouvrières de tous les pays doivent remplacer l’État et la bourgeoisie. Néanmoins, Bakounine demeure attaché à l’Alliance. Cette société secrète vise à s’opposer aux tendances centralisatrices et autoritaires au sein de l’Internationale. Mais cette organisation semble également révéler l’attachement de Bakounine à la stratégie insurrectionnelle qui repose sur une minorité active et disciplinée. Le discours de Bakounine semble évoluer selon les périodes, mais aussi selon les pays.

En 1871 éclate la Commune de Paris. Malgré une violente répression, cette révolte spontanée débouche vers un héritage révolutionnaire. Le courant anti-autoritaire semble minoritaire dans ce soulèvement. Mais la Commune apparaît comme l’affirmation d’un principe d’autonomie incompatible avec le centralisme des États. Cependant, Marx riposte pour imposer un programme unique à toutes les fédérations de l’Internationale. Les anti-autoritaires s’opposent à cette manœuvre tout comme à l’introduction des partis politiques dans l’Internationale. Une fédération jurassienne est créée à Saint-Imier. Cette organisation anti-autoritaire ne vise pas à créer un mouvement anarchiste. Cette AIT s’inscrit délibérément dans la continuité de l’Internationale avant la scission.

 

La fédération jurassienne se développe rapidement avec le ralliement de diverses sections. Cependant, cette nouvelle Internationale se heurte à la répression des États et à des dissensions internes. Le syndicalisme et la pratique de l’unité ouvrière ne masquent pas les divergences politiques. La section belge, incarnée par De Paepe, propose une théorie des services publics qui se rapproche de l’étatisme. Au contraire, les Italiens et les Espagnols restent farouchement anarchistes. Au sein de ce courant, la section espagnole s’appuie sur le syndicalisme. En revanche, la section italienne insiste sur l’insurrection et l’affrontement direct avec l’État.

La fédération italienne dérive vers le parti politique, qui regroupe les individus autour d’une idéologie, et non plus l’organisation de classe du prolétariat. Le courant insurrectionnel favorise l’émergence d’une organisation anarchiste spécifique. Cette démarche vise à s’affirmer comme une force politique distincte et séparée des autres composantes socialistes et ouvrières en raison du rôle majeur attribué à la minorité qui doit guider le déclenchement de la révolution. L’insurrectionnel estime son rôle de propagandiste-agitateur comme incontournable et tient à le faire savoir.

 

 

      Photo extraite du film 'Mélancolie ouvrière' de Gérard Mordillat - Aurélien Faidy

 

 

Diversité des tactiques

 

Gaetano Manfredonia propose une présentation originale de l’anarchisme. Son livre ne se limite pas à une histoire des idées mais explore également l’histoire et l’évolution des pratiques anarchistes. Il présente trois idéaux-types qui correspondent à des tactiques précises. Mais il montre également leur confrontation et leur évolution durant les débuts du mouvement ouvrier. Ces différents courants semblent perdurer au XXIe siècle au sein du courant libertaire, et même au-delà. Le livre de Gaetano Manfredonia permet de pointer les forces et les limites de ces approches tactiques.

Les anarchistes, comme Gaetano Manfredonia, restent attachés à la diversité des tactiques. Il n’existe pas de schéma stratégique prédéfini et toutes les actions doivent être valorisées dans un contexte d’atomisation et de résignation. Néanmoins, cette diversité des tactiques peut sombrer dans le confusionnisme lorsque le débat et la nécessaire critique sont éludés. Ces diverses tactiques doivent être encouragées, mais sans étouffer la discussion sur leurs limites. Chaque courant pointe d’ailleurs des critiques pertinentes sur les pratiques des autres libertaires. Tous les anarchistes restent attachés à ces différentes tactiques, mais la priorité n’est pas la même.

Le courant insurrectionnaliste est devenu marginal. La force de ce courant s’appuie sur l’action directe et un volontarisme revigorant. Il n’est pas utile d’attendre des « conditions objectives » pour propager la révolte. L’importance de la répression policière et le contrôle technologique de l’espace urbain rend plus délicate cette tactique. Néanmoins, des moments insurrectionnels surgissent au cours des révoltes spontanées. Pourtant, le modèle du petit groupe d’agitateurs semble obsolète. Ce modèle avant-gardiste de la minorité éclairée qui guide le peuple a été falsifié et discrédité par le marxisme-léninisme. Les pratiques d’auto-organisation de l’ensemble du prolétariat permettent davantage d’éviter les dérives autoritaires.

 

Le courant éducationniste-réalisateurs est devenu très à la mode. Certes, les coopératives et les mutuelles sont devenues des grandes entreprises du secteur des banques et des assurances. Néanmoins, ce courant perdure et dépasse l’anarchisme à travers les Scop, les Amap, les circuits courts ou les projets de Sécurité sociale de l’alimentation. Le reflux des luttes sociales et l’atomisation sociale favorise ces pratiques alternatives. Néanmoins, ces entreprises épousent rapidement la logique marchande ou se reposent sur les subventions des institutions. La ZAD de Notre-Dame-des-Landes, entre insurrection et alternativisme, a redonné vie à cette pratique qui peine néanmoins à se propager auprès d’une grande partie de la population.

L'anarchisme lutte des classes, nommé « syndicaliste » par Gaetano Manfredonia, semble le plus pertinent. L’organisation des exploités pour renforcer la solidarité de classe et impulser des luttes sociales demeure la tactique la plus pertinente. Néanmoins, le type syndicaliste peut sombrer du côté d’un anarcho-syndicalisme idéologique et incantatoire sans prise sur le réel et déconnecté de la vie quotidienne des exploités. Inversement, le type syndicaliste peut se laisser aspirer par la routine bureaucratique des appareils, avec des réunions et une aide strictement individuelle. En revanche, le développement des luttes sociales permet de diffuser des pratiques d’auto-organisation et d’action directe qui doivent se généraliser.

 

Source : Gaetano Manfredonia, Anarchisme et changement social. Insurrectionnalisme, syndicalisme, éducationnisme-réalisateur, Atelier de création libertaire, 2007

 

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Pour aller plus loin :

Vidéo : Gaetano Manfredonia, Persistance et actualité des idées et des pratiques libertaires,  diffusée par la Fédération anarchiste groupe la sociale Rennes le 5 mars 2019

Vidéo : Gaetano Manfredonia, Vote et démocratie représentative, diffusée par Les Reclusiennes le 13 juillet 2013

Radio : Gaetano Manfredonia, historien, livre « Histoire mondiale de l’anarchie », diffusée par France Culture le 7 novembre 2014

Radio : Quel anarchisme pour changer le monde ? (avec Sylvain de zones subversives), diffusée par Martin Eden Podcast le 7 septembre 2025

Guillaume Davranche (AL Montrouge), Lire : Gaetano Manfredonia, « Anarchisme et changement social », publié dans le journal Alternative libertaire n°167 de novembre 2007

René Berthier, À propos d'Anarchisme et changement social de Gaetano Manfredonia, publié sur le site Monde nouveau

Irène Pereira, Note de lecture publiée dans la revue Réfractions n°19, hiver 2007-2008

Philippe Pelletier, Note de lecture publiée dans le journal Le Monde libertaire n° 1518 du 29 mai 2008

Note de lecture publiée dans la revue Cahiers Jaurès n° 190 octobre-décembre 2008

Noël Godin, Le Père Peinard et Ravachol chient encore dans la colle, publié dans le journal CQFD n°209 de mai 2022

Articles de Gaetano Manfredonia publiés dans la revue Le Mouvement social

Articles de Gaetano Manfredonia publiés dans le portail Cairn

Articles de Gaetano Manfredonia publiés dans le portail Persée

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