Le mouvement ouvrier international

Publié le 27 Mars 2025

Germinal (2021)

Germinal (2021)

Les luttes sociales et les grèves se multiplient dans les années 1860 à travers l'Europe La Première Internationale permet de soutenir ces mouvements à travers des caisses de grève. En France, le syndicalisme révolutionnaire des années 1900 renoue avec ces pratiques d'action directe. Les grèves et la solidarité internationale permettent une amélioration des conditions de travail. 

 

 

Le débat politique se réduit au clivage stérile entre capitalisme mondialisé et repli nationaliste. Pourtant, la solidarité ouvrière et la coordination des luttes à l’échelle internationale émergent au XIXe siècle. Les ouvriers et les classes populaires ont ainsi obtenu de nouveaux droits, de meilleures protections et des salaires décents à travers leurs mobilisations.

L’Association internationale des travailleurs (AIT) est créée en 1864. Républicains, démocrates, socialistes et anarchistes s’opposent aux politiques autoritaires. La mondialisation du capital débouche vers la mise en concurrence des ouvriers. Cette solidarité internationale repose sur des actions concrètes pour améliorer le sort des ouvriers. C’est au cours des grèves et des conflits sociaux que cette solidarité internationale s’active.

L’internationalisme émerge avec la classe ouvrière. L’AIT et la Deuxième internationale sont souvent abordés à travers leurs débats idéologiques entre différents courants du socialisme et du marxisme. En revanche, l’émergence et le développement des organisations ouvrières semble délaissé. La faillite face à la guerre et au nationalisme en 1914, puis le stalinisme et la mise au pas des pays satellites de l’URSS, ont contribué à discréditer les Internationales. Nicolas Delalande explore cette solidarité ouvrière dans le livre La lutte et l’entraide.

 

                        

 

Première Internationale

 

L’Association internationale des travailleurs (AIT) prétend défier la mondialisation du capital et lutter contre le pouvoir des États bourgeois. Les insurrections de 1848 se heurtent à une violente répression. Le mouvement ouvrier tente alors de s’organiser et de se structurer. Une tendance centralisatrice insiste sur la conquête du pouvoir d’État. Un autre courant insiste sur l’autonomie des sections locales et sur la spontanéité révolutionnaire.

L’argent des ouvriers demeure un enjeu central de l’AIT. Proudhon propose un crédit gratuit et une Banque du peuple pour permettre l’autonomie financière des petits producteurs. Le militant anarchiste insiste également sur l’importance des mutuelles et des coopératives ouvrières. Proudhon aspire à créer un véritable système financier alternatif. Cependant, le proudhonisme est marginalisé au sein de l’AIT à partir de 1868.

 

Les sociétés de résistance préfigurent les syndicats. Elles permettent d’impulser des luttes mais favorisent surtout une mutualisation des ressources. « Pour les militants de l’Internationale, le travail de construction de la solidarité ouvrière commence à la base, dans l’expérience de décision et de gestion collectives, par les ouvriers eux-mêmes, des fonds qu’ils veulent mettre de côté », indique Nicolas Delalande.

Les sociétés de résistance permettent de s’assembler, de délibérer et de prendre des décisions collectives. Ce qui permet de s’organiser pour impulser des mobilisations ouvrières. « C’est dans les syndicats que les ouvriers s’éduquent et deviennent socialistes, parce que tous les jours se mène sous leurs yeux la lutte avec le Capital », affirme Karl Marx. Les ressources permettent de construire des grèves durables et victorieuses.

 

 

                         

 

 

Solidarité ouvrière

 

Durant les années 1860, de nombreuses grèves éclatent en Europe. L’ouverture politique et la liberté de réunion permet aux ouvriers de se regrouper dans des syndicats pour organiser les luttes collectives. L’AIT n’est pas à l’origine des grèves. Mais elle accompagne le mouvement et contribue à l’intensifier. Des réseaux de solidarité internationale permettent de soutenir les grèves.

Néanmoins, cette stratégie demeure contestée au sein de l’AIT. Les partisans de Proudhon et de Robert Owen estiment que les grèves se contentent de demander une amélioration des conditions de travail. Au contraire, ce courant revendique l’abolition du salariat et considère que l’argent doit avant tout financer des mutuelles et des coopératives. Avec la grève des bronziers de 1867, les militants français influencés par le proudhonisme ajustent leur position. La grève permet d’affirmer une indispensable dignité ouvrière.

 

Londres demeure la capitale du mouvement ouvrier, avec ses puissantes trade-unions. Le Conseil général de l’AIT, basé à Londres, ne dispose pas de fonds propres et se contente de relayer les informations. Ce sont les syndicats anglais qui peuvent décider de soutenir les grèves. Le London Trade Council (LTC), fondé au début des années 1860, examine les demandes de soutien. La plupart des membres du LTC appartiennent également au Conseil général de l’AIT. L’aide britannique se révèle efficace, notamment pour la grève des bronziers français. Cependant, les délais peuvent devenir longs et un mouvement doit d’abord tenir plusieurs jours sur ses fonds propres.

La solidarité ouvrière peut également s’organiser à la base. Des syndicats qui ont bénéficié d’un soutien peuvent à leur tour apporter une aide financière à un mouvement de grève. Ensuite, des corporations s’organisent à l’échelle internationale. Cette solidarité permet de soutenir des grèves dans les pays à bas salaires pour limiter la concurrence internationale et le dumping social.

 

 

     Nicolas Delalande, La lutte et l’entraide. L’âge des solidarités ouvrières

 

 

Recomposition du mouvement ouvrier

 

La Commune de Paris en 1871 marque l’apogée de l’internationalisme ouvrier avant une répression sanglante. L’AIT n’est pas à l’intiative de ce soulèvement spontané. Néanmoins, la Commune déclenche un puissant élan de solidarité. « Les conceptions économiques, sociales et politiques débattues au sein de l’AIT y trouvent un terrain d’expérimentation, même si les influences idéologiques qui la nourrissent sont plurielles et contradictoires », décrit Nicolas Delalande.

Les réseaux d’entraide de l’AIT permettent à de nombreux communards d’échapper à la mort ou à la prison. La fourniture de passeports et de faux papiers pour traverser les frontières devient la première forme d’assistance. Des dons matériels et financiers permettent également d’accueillir les réfugiés.

                               

L’AIT s’effondre dans les années 1870. Cependant, des pratiques de solidarité internationale perdurent. Même si le mouvement ouvrier se structure davantage à l’échelle nationale, notamment en Allemagne et dans les pays scandinaves. Malgré la répression de Bismarck, le parti social-démocrate allemand parvient à s’imposer dans les élections grâce à des soutiens financiers internationaux. Ce parti décide ensuite de soutenir les grèves menées par d’autres ouvriers européens.

En Angleterre, le new unionism dépasse le cadre des ouvriers qualifiés et des corporations protégées. La grève des dockers de 1889 marque un tournant. Les ouvriers de la grande industrie (mines, transports, métallurgie…) forment une nouvelle génération de syndicalistes davantage tournés vers la solidarité internationale. Une Deuxième internationale est créée en 1889.

 

   « La grève ouvrière aux usines Schneider du Creusot », de Jules Adler (1899).

 

Grève générale

 

Au début du XXe siècle, les syndicats se développent et les grèves se multiplient. La journée de 8 heures et le dimanche chômé deviennent des revendications majeures. Des réformes sociales permettent l’émergence du droit du travail et la reconnaissance des droits politiques des ouvriers.

Des grèves de dockers se heurtent à un patronat intransigeant. La lutte doit tenir sur la durée. La solidarité internationale et la caisse de grève deviennent des enjeux majeurs. Néanmoins, les grèves corporatistes et sectorielles, qui ne s’élargissent pas à d’autres métiers, ne sont pas toujours victorieuses. Les voyages et les congrès internationaux permettent des échanges d’informations et de pratiques syndicales.

Deux modèles se dessinent. En Allemagne, Edouard Bernstein s’appuie sur la stratégie militaire pour théoriser la grève. Les syndicats amassent d’importantes caisses de grève pour dissuader le patronat de s’engager dans des conflits sociaux. Au contraire, la CGT française multiplie les luttes victorieuses malgré la pénurie des caisses syndicales.

 

La CGT considère que la grève ne doit pas uniquement permettre une amélioration des salaires et des conditions de travail. La grève générale doit permettre de renverser le capitalisme. Fernand Pelloutier, Aristide Briand et les Bourses du travail défendent cette perspective. En revanche, Jules Guesdes et son Parti ouvrier français y sont farouchement opposés. Émile Pouget et Georges Sorel théorisent la grève générale comme un véritable mythe ouvrier annonciateur du Grand soir et d’une révolution généralisée.

En revanche, les socialistes privilégient la voie parlementaire. En Allemagne, le SPD demeure hostile à la grève générale. Néanmoins, la révolution russe de 1905 relance le débat. Rosa Luxemburg souligne l’importance de la « grève de masse ». L’organisation ne doit pas sombrer dans la rigidité bureaucratique mais doit accompagner la spontanéité révolutionnaire.

 

                 

                        

 

Syndicalisme de lutte

 

Nicolas Delalande propose un livre de référence sur le développement du mouvement ouvrier international. Ses recherches historiques ouvrent plusieurs pistes de réflexion. Nicolas Delalande insiste sur l’internationalisme contre les replis nationalistes et protectionnistes qui prédominent dans la gauche du XXIe siècle. Les solidarités internationales permettent de lutter contre la concurrence entre législations nationales. C’est aussi la conscience de former une classe avec ses intérêts propres qui s’opposent à ceux du patronat organisé à l’échelle internationale. Cette démarche semble pertinente pour lutter face aux entreprises multinationales actuelles.

Ensuite, Nicolas Delalande insiste sur l’importance des organisations ouvrières. Même si les insurrections du XIXe semblent largement spontanées, elles s’inscrivent dans un contexte de multiplications de luttes sociales. Nicolas Delalande évoque l’importance des caisses de grève qui permettent d’appuyer le rapport de force des ouvriers face au patronat. Les syndicats visent alors à impulser des grèves. Néanmoins, avec le virage social-démocrate, les organisations ouvrières visent à éviter les conflits sociaux pour mieux renforcer leur influence auprès du pouvoir et du patronat. Cette démarche débouche vers la bureaucratie syndicale.

Nicolas Delalande, intellectuel proche de la gauche modérée, tente de réhabiliter la Deuxième internationale. Néanmoins, l’institutionnalisation du syndicalisme incarnée par le modèle allemand débouche surtout vers l’écrasement de la révolution de 1918 qui permet l’avènement du nazisme. Cependant, Nicolas Delalande évoque également le syndicalisme de lutte qui construit une solidarité ouvrière à la base. La multiplication des grèves dans les années 1900 permet d’arracher de nombreux droits sociaux. Ces pratiques d’auto-organisation et d’action directe restent toujours pertinentes.

 

Source : Nicolas Delalande, La lutte et l’entraide. L’âge des solidarités ouvrières, Le Seuil, 2019

 

Articles liés :

La Première Internationale et ses luttes

Marx et les organisations ouvrières

Marx et la question de l'État

Marx et les insurrections du XIXe

 

Pour aller plus loin :

Vidéo : Nicolas Delalande: les leçons de « l'âge des solidarités ouvrières », émission diffusée par Mediapart le 26 février 2019

Vidéo : La lutte et l’entraide : l’âge des solidarités ouvrières, émission diffusée par la Fondation Jean-Jaurès le 8 février 2019

Radio : 43. L’internationalisme ouvrier au XIXe siècle, avec Nicolas Delalande, émission diffusée par Paroles d'histoire le 9 novembre 2019

Radio : émissions avec Nicolas Delalande diffusées sur Radio France

 

Nicolas Delalande et Julien Morel, L’âge d’or de la solidarité ouvrière : entrevue avec Nicolas Delalande, publiée sur le site Retronews

Nicolas Delalande, Lutter en commun, publiée sur le site du magazine L'Histoire le 24 mai 2019

Que reste-t-il des internationales ouvrières ?, publiée sur le site de Sciences Po le 9 mai 2019

Patrick Le Moal, Figures de la solidarité ouvrière. À partir de La lutte et l’entraide, de N. Delalande, publiée sur le site de la revue Contretemps le 12 juin 2020

Xavier Vigna, Fraternité en actes, publiée dans le magazine L'Histoire de mai 2019

Dominique Kalifa, La grande course de fonds des ouvriers solidaires, publiée dans le journal Libération le 20 mars 2019

Sylvain Boulouque, Le monde ouvrier entre rêve et pratiques de lutte, publié sur le site Non Fiction le 10 février 2019

Danielle Tartakowsky, Le temps de l’union ouvrière, publiée sur le site En attendant Nadeau le 12 mars 2019

Claude Dupont, De la solidarité ouvrière internationale, publiée sur le site de L'Ours le 27 avril 2019

Ingrid Hayes, Note de lecture publiée dans la revue Le Mouvement Social n° 272 en 2020

Michel Dreyfus, Note de lecture publiée dans la revue Revue française de science politique Vol. 70 en 2020

Élodie Béthoux, Note de lecture publiée dans la revue Sociologie du travail Vol. 62 - n° 3 en Juillet-Septembre 2020

Publié dans #Histoire des luttes

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