Une critique radicale de la politique
Publié le 17 Juin 2017
La démocratie n'est qu'une imposture qui s'appuie sur le contrôle de la population par l'Etat. Aucune forme d'émancipation ne peut passer par les institutions. Il semble au contraire important de développer des analyses de la politique et de l'Etat.
La politique sature l’espace médiatique, surtout dans cette période électorale. La réflexion critique sur l’Etat reste incontournable. Les institutions supposées neutres et les illusions électoralistes nourrissent le discours de la gauche qui s’est trouvée un nouveau chef avec Jean-Luc Mélenchon.
Différents courants intellectuels alimentent une pensée émancipatrice et anticapitaliste, en rupture avec le fétichisme de l’Etat. La critique de la société marchande doit s’accompagner d’un rejet des institutions politiques et juridiques. Le livre collectif Misère de la politique donne la voix à ces diverses sensibilités critiques.
L’impasse de la gauche étatiste
Le Comité érotique révolutionnaire revient sur la campagne présidentielle de 2017. Malgré les différents programmes électoraux, tous les candidats proposent de rester dans le cadre de l’ordre existant.
« Des libéraux de gauche, du centre et de droite, à leurs adversaires keynésiens-étatistes de gauche "radicale" comme d’extrême-droite, on partage l’amour du travail, de la croissance économique et du capital national », observe le Comité érotique révolutionnaire. Les gouvernements doivent se contenter de gérer le capitalisme, voire même les politiques d’austérité et le désastre écologique. La gauche participe à l’institutionnalisation et à la répression des mouvements sociaux.
En 1918-1919, le gouvernement social-démocrate écrase une révolte ouvrière en Allemagne. En 1936, le Front populaire met un terme à la grève en France. Les bureaucrates anarcho-syndicalistes de la CNT espagnole collaborent avec les staliniens au sein de la République bourgeoise et participent à l’échec d’une révolution sociale.
En 1971, Allende, le président socialiste du Chili, désarme le prolétariat plutôt que l’armée avant d’être lui-même renversé par un coup d’Etat militaire. Dans l’Italie des années 1968, c’est le Parti communiste qui tente d’encadrer les luttes jusqu’à essayer de se rallier avec le parti conservateur.
En France c’est le Parti socialiste qui favorise l’étatisation des luttes des années 1968. Il promet de changer la vie et accède au pouvoir en 1981 avant de rapidement imposer un tournant de la rigueur. En Amérique latine, le « socialisme du XXIème siècle », incarné par le modèle chaviste, se réduit à une gestion clientéliste du néolibéralisme.
L’Etat est souvent opposé au marché. Mais la politique et l’économie semblent indissociables. Pour bien fonctionner, le capitalisme doit s’appuyer sur l’Etat avec son administration, sa justice et sa police. Des guerres colonialistes aux politiques de libéralisation, l’Etat favorise l’expansion capitaliste. Les impôts permettent de financer des infrastructures indispensables au fonctionnement de l’économie. L’utilisation de l’Etat ne peut pas être considérée comme un simple moyen pour se libérer du capitalisme.
Avec la crise économique de 2008, les Etats se contentent désormais de gérer des politiques d’austérité. Les politiques libérales s’accompagnent d’un renforcement de la répression et de l’Etat policier. Dans un contexte de chômage de masse et de misère, l’Etat s’affirme avec sa fonction de maintien de l’ordre. L’Etat de droit, censé garantir quelques libertés, se transforme en état d’exception permanent. Depuis 2015, l’état d’urgence est imposé en France. Fichages, assignations à résidence, interdictions de manifestations et violences policières accompagnent ce dispositif. L’antiterrorisme justifie la répression des luttes sociales. Mais c’est bien l’Etat de droit qui justifie cet Etat d’exception.
Clément Homs analyse les liens entre la politique et l’économie. L’Etat est souvent opposé au marché. Mais ce sont les deux faces de la même pièce du monde marchand. Les institutions ne sont pas de simples outils neutres. La prise du pouvoir d’Etat ou la mise en œuvre de réforme sociale depuis le gouvernement semblent illusoires pour changer la société. La politique viendrait alors encadrer et réguler le social et l’économie. Au contraire, la politique doit être considérée « comme une activité spécifique de l’activité sociale elle-même », souligne Clément Homs.
Les rapports sociaux entre les individus passent par le travail et l’argent. Les interventions de l’Etat et les politiques publiques se réduisent à des mises en forme des contraintes du monde capitaliste. Avec la crise économique, l’Etat ne peut être que le gestionnaire du désastre capitaliste. Le changement social ne passe pas par l’Etat mais par une rupture avec les institutions, la représentation, la délégation pour inventer de nouvelles formes d’interventions directes.
Léon de Mattis propose une critique de la démocratie directe. Les mouvements Occupy développent des assemblées ouvertes. Les occupations de place permettent d’affirmer une démocratie immédiate et sans intermédiaires. Ces pratiques valorisent des discussions très formalistes. Ensuite, la prise de parole prime sur les actes. Les forums de libre discussion remplacent la participation à une manifestation, l’organisation d’une grève et d’un blocage. Une pratique de lutte doit relier les discours et les actes. Le vote en assemblée entretient au contraire la passivité. « On peut voter une grève ou une action mais on ne la rend réelle qu’en la faisant », souligne Léon de Mattis. Ensuite, les assemblées peuvent être encadrées par des syndicats ou sectes gauchistes qui maîtrisent la prise de parole.
Le formalisme des assemblées générales singe celui des assemblées parlementaires. La société est perçue comme une collection d’individus séparés. Les décisions collectives sont considérées comme une addition de décisions individuelles. La démocratie directe peut se contenter de laisser s’exprimer un flots d’opinions individuelles avant de déléguer la prise de décision à quelques responsables. La lutte ne doit pas se réduire aux problèmes de modes d’organisation. Le communisme doit ouvrir de nouvelles possibilités individuelles et collectives pour permettre le règne de la liberté.
L’expérience zapatiste
Jérôme Baschet propose une alternative à l’Etat. La transformation sociale peut sortir des institutions et ne passe pas par la prise du pouvoir d’Etat. Il s’appuie sur l’expérience néo-zapatiste qui existe au Mexique depuis 1994. Le Chiapas se présente comme une « utopie concrète » anticapitaliste et anti-étatiste. L’autonomie permet une transformation des manières de vivre. « Par autonomie, on entendra ici l’imbrication indissociable d’une perspective collective d’émancipation et de modalités non étatiques du politique », précise Jérôme Baschet. Cette démarche propose une sortie du monde de l’économie et un abandon des logiques d’Etat.
Les zapatistes font vivre l’espace libéré du Chiapas. Ils valorisent la communauté et la terre, la Terre mère. Ils proposent une nouvelle agriculture paysanne pour permettre l’auto-subsistance familiale et collective. La récupération massive des terres permet de construire l’autonomie. Cette démarche repose également sur le refus du salaire, des échanges marchands et des normes marchandes de compétitivité. Cette éthique privilégie le qualitatif de la vie. Le pouvoir s’organise à travers des assemblées, mais aussi avec des autorités élues. Les mandats sont censés être non renouvelables et révocables à tout moment.
L’expérience zapatiste assume la délégation de pouvoir. Ce n’est pas une démocratie horizontale qui repose sur les assemblées. Tous les individus ne participent pas de manière égale à la prise de décision. Ensuite, l’organisation politico-militaire de l’EZLN encadre cette autonomie. Néanmoins, les zapatistes refusent la spécialisation politique et la séparations entre gouvernants et gouvernés. L’autonomie zapatiste tente d’apporter des solutions concrètes à chaque problème spécifique. La manière de faire devient aussi importante que l’objectif de l’action entreprise. Les zapatistes restent conscients de leurs limites et ne prétendent pas s’ériger en modèle.
Ce livre collectif permet de remettre en cause l’évidence de la politique démocratique. Les diverses contributions permettent de sortir des modèles de l’étatisme de gauche qui prédomine dans les mouvements sociaux. La prise du pouvoir d’Etat et les institutions ne permettent pas une remise en cause de l’ordre existant. L’Etat ne s’oppose pas au marché pour le réguler mais s’apparente à l’indispensable béquille sur laquelle s’appuie le capitalisme.
En revanche, le livre prend une forme très démocratique dans sa version « Nuit debout ». Les discours se juxtaposent sans vraiment se confronter. Les contributions de Jérôme Baschet et de Léon de Mattis semblent s’opposer. L’un propose un modèle idéalisé de démocratie directe. L’autre dénonce le formalisme organisationnel vide de sens. Mais aucune discussion croisée ne permet d’alimenter le débat. Le public peut voter pour l’un des deux textes ou applaudir à tour de rôle deux discours opposés.
Ces deux contributions ont le mérite d’affirmer des positions politiques fortes et donc prétextes à débats. Jérôme Baschet propose une perspective alternativiste. La multiplication d’espaces libérés doit permettre un changement progressif par capillarité. Mais il fétichise le modèle zapatiste sans tenir compte de ses limites. La valorisation de cette démocratie directe ne remet pas en cause l’existence de dirigeants élus. C’est une démocratie représentative améliorée qui ne remet pas en cause la logique des institutions. Ensuite, la morale religieuse et patriarcale tout comme l’existence d’échanges marchands empêche de percevoir le Chiapas comme un îlot de liberté en dehors des rapports sociaux capitalistes.
Léon de Mattis propose des analyses pertinentes sur les limites des assemblées. Le forum de libre discussion prime sur l’organisation de la lutte. Mais sa critique s’inspire fortement du courant bordigiste. Des sectes gauchistes dénoncent l’autogestion pour mieux valoriser le modèle autoritaire d’une minorité qui prend les décisions. Bien heureusement, Léon de Mattis critique les partis et tient à se démarquer de cette tendance autoritaire.
Néanmoins, il semble important de ne pas céder aux deux dérives des mouvements sociaux. Le formalisme démocratique vide de toute perspective de lutte reste une impasse. Mais la valorisation de l’informel et des groupes d’action affinitaires mènent également à l’impasse. C’est la dérive du sectarisme et du culte de la minorité qui ne permet pas de lutter au-delà du confort de l’entre soi. Les perspectives de lutte doivent être décidées collectivement avec tous les révoltés, et non dans les coulisses de sectes affinitaro-gauchistes.
Ce livre collectif peut alimenter la critique de l’Etat, malgré l’absence d’une analyse de classe de la bureaucratie. Les contributions soulignent les impasses théoriques des mouvements sociaux. Elles permettent d’ouvrir de nouvelles formes de lutte communiste et libertaire.
Source : Jérôme Baschet, Léon de Mattis, Clément Homs, Oreste Scalzone, Misère de la politique. L’autonomie contre l’illusion électorale, éditions divergences, 2017
Extrait publié sur le site Palim-Psao
Extrait publié sur le site de Léon de Mattis
Réflexions sur le vote et les élections
L'anti-terrorisme contre les autonomes
Le piège de la répression anti-terroriste