Syndicalisme et révolution prolétarienne

Publié le 10 Avril 2025

Syndicalisme et révolution prolétarienne
Le syndicalisme a longtemps subit la tutelle d'une bureaucratie stalinienne ou social-démocrate. Au contraire, le syndicalisme révolutionnaire insiste sur l'autonomie des organisations de classe à l'égard des partis et des sectes idéologiques. Le syndicat demeure un outil pour améliorer ses conditions de travail immédiates, mais porte aussi la perspective d'une transformation de l'ensemble de la société. 

 

 

Née en janvier 1925, la revue La Révolution prolétarienne est désormais centenaire. Ce titre est marqué par la révolution russe et le communisme. Néanmoins, l’instrumentalisation des syndicats et la répression en URSS amène les fondateurs de la RP à rompre avec le Parti communiste et à dénoncer sa politique. Cette revue ne cesse de défendre la possibilité d’organisations autonomes de la classe ouvrière.

Le syndicaliste révolutionnaire Pierre Monatte fonde la revue La Vie ouvrière avec des militants de la CGT. Il s’oppose à la guerre de 1914 et participe au courant de Zimmerwald. Il s’enthousiasme pour la révolution russe et rejoint le jeune Parti communiste. Cependant, Pierre Monatte s’oppose à la dérive autoritaire et centralisatrice du bolchevisme.

La revue fondée par Pierre Monatte se penche sur l’autonomie du syndicalisme, les grèves, le féminisme, l’anticolonialisme, les soulèvements révolutionnaires à travers le monde. La revue évoque également l’actualité du mouvement ouvrier et les congrès syndicaux. Un recueil d’articles de la revue et leur mise en contexte historique est proposé dans le livre La Révolution prolétarienne (1925-2025).

 

 

                      La Révolution prolétarienne - 1

 

 

Autonomie syndicale

 

Pierre Monatte insiste sur l’autonomie syndicale. Après 1920, les organisations de salariés restent sous la tutelle de partis politiques. La CGTU passe sous la coupe du Parti communiste tandis que la CGT est contrôlée par les sociaux-démocrates. Le syndicalisme révolutionnaire des années 1900 reste rejeté. Les staliniens fustigent l’autonomie ouvrière pour la réduire à l’anarcho-syndicalisme. Mais même certains anarchistes rejettent le syndicalisme révolutionnaire issu de la Première internationale. Pourtant, la CGT des années 1900 multiplie les grèves et les luttes pour améliorer les conditions de travail.

La guerre et l’Union Sacrée brisent la CGT qui se rallie au pouvoir. Entre 1919 et 1921, le syndicalisme révolutionnaire émerge à nouveau. Cependant, ses militants rallient le Parti communiste dans l’enthousiasme de la révolution russe. Néanmoins, les syndicalistes révolutionnaires s’opposent à la bolchévisation et à la bureaucratie stalinienne. Ils parviennent à constituer des Comités syndicalistes révolutionnaires (CSR). Néanmoins, les anarchistes du Pacte veulent imposer leur idéologie plutôt que de favoriser l’autonomie ouvrière. Les CSR finissent alors par s’effondrer sous la tutelle des anarchistes. Les staliniens peuvent alors prendre le contrôle de la CGTU.

L’autonomie syndicale doit permettre à l’organisation elle-même d’élaborer ses règles et ses directives. Au contraire, les partis staliniens et anarchistes tentent d’imposer leur propre idéologie et mode de fonctionnement. « Pas de lutte effective classe contre classe sans l’autonomie syndicale, sans l’unité syndicale. Sinon nous aurons toujours la classe ouvrière divisée en deux morceaux, plus occupés à se déchirer l’un l’autre qu’à attaquer la classe bourgeoise », souligne Pierre Monatte.

 

Charles Jacquier revient sur La Révolution prolétarienne et l’URSS. Entre 1925 et 1939, la revue abrite des intellectuels qui refusent le réformisme et le stalinisme. La revue de Pierre Monatte s’oppose à la bolchevisation et à la dictature en URSS. La RP dénonce notamment la persécution et l’emprisonnement des militants révolutionnaires en URSS. Durant les années 1930, le stalinisme peut s’appuyer sur d’importants relais intellectuels en France. Même les procès de Moscou ne provoquent pas de critique.

La RP publie des « Notes sur l’URSS » qui proposent un témoignage direct. Le travail forcé et les bas salaires du système Stakhanov sont dénoncés. Ce témoignage d’un simple ouvrier préfigure les analyses de classe sur l’URSS. Les procès de Moscou sont dénoncés comme une façade juridique pour permettre à Staline d’assassiner des rivaux potentiels. Néanmoins, malgré cette critique tranchante, la RP refuse d’égratigner la figure de Trotsky et sa participation à la répression des insurrections ouvrières.

 

 

             

 

 

Unité ouvrière

 

En 1930, la revue lance une pétition pour l’unité syndicale. Le clivage entre communistes et socialistes fait primer les querelles idéologiques sur l’action pour améliorer les conditions d’existence des travailleurs. La menace du fascisme, avec la dictature et la guerre, s’étend dans plusieurs pays d’Europe. La dispersion et l’émiettement des organisations de la classe ouvrière ne permettent pas de riposter. Les signataires proposent une unité syndicale sur la base de la Charte d’Amiens et de l’autonomie ouvrière. « La réalisation de cette idée ne se conçoit, à leur avis, que dans la pratique de la lutte des classes et dans l’indépendance du mouvement syndical, en dehors de toute ingérence des partis politiques, toutes factions et toutes sectes, ainsi que du gouvernement », précisent les signataires.

En 1934, la CGT et la CGTU finissent par s’unifier pour fonder une nouvelle CGT. Cependant, avec la guerre froide, le syndicalisme subit une nouvelle scission avec Force ouvrière (FO) tandis que la CGT devient inféodée au stalinisme. En 1947, un article relance la nécessité de l’unité syndicale. Cette démarche doit également reposer sur le débat et l’autonomie à l’égard des partis politiques. « L’expérience de la vie syndicale française prouve que les tentatives de domination du mouvement syndical par un parti politique sont toujours à l’origine des scissions syndicales, puisqu’elles postulent l’attachement inconditionnel au parti et à la politique internationale d’un bloc d’États », observent les syndicalistes.

 

Ida Mett évoque la révolution espagnole de 1936. Le prolétariat se soulève contre le coup d’État fasciste. Le gouvernement de Front populaire ne propose aucune réforme sociale. Avant l’attaque de Franco, le pouvoir de gauche tente même de réprimer la CNT et les militants anarchistes. Mais, face à l’attaque fasciste, les ouvriers occupent spontanément les usines. Ida Mett appelle à la solidarité internationale et à la livraison d’armes pour les révolutionnaires espagnols.

Simone Weil évoque les grèves de 1936. Ce mouvement spontané émerge avec l’arrivée au pouvoir du Front populaire. Les contraintes semblent se desserrer. L’arrêt du travail apparaît comme un soulagement et une nécessité face à l’accumulation de la souffrance à l’usine. La grève apparaît comme une joie pure. Les ouvriers occupent l’entreprise. Les chants et les rires remplacent la surveillance des petits chefs. « On se contente de jouir, pleinement, sans arrière pensée, du sentiment qu’enfin on compte pour quelque chose », souligne Simone Weil.

Pierre Monatte décrit la propagation de la grève de 1936 de la métallurgie vers la région parisienne puis l’ensemble du pays. Ce mouvement semble inattendu et spontané. Les grèves parviennent à arracher des augmentations de salaires, une diminution du temps de travail et des congés payés. Des grèves locales et sectorielles se révèlent victorieuses. Ce qui favorise la propagation du mouvement dans d’autres entreprises. « L’idée de la grève sur le tas, qui était dans l’air depuis un mois, est entrée dans les usines », observe Pierre Monatte.

 

 

                              Image illustrative de l’article La Révolution prolétarienne

 

 

Grèves et lutte des classes

 

La Révolution prolétarienne se penche particulièrement sur les luttes sociales. La grève des sardinières de Douarnenez de 1925 reste largement spontanée dans un secteur féminin et peu syndiqué. Les ouvrières se révoltent et développent leur conscience de classe. Cette grève rencontre un écho local et même national. Les grèves de 1938 révèlent la faillite du mouvement ouvrier. Les staliniens et les socialistes refusent d’élargir la grève au secteur militaire pour ne pas entamer l’effort de guerre.

La grève des mineurs de 1963 permet d’ébranler le pouvoir gaulliste. Les travailleurs refusent même la réquisition et tiennent tête à un régime qui semble particulièrement puissant. Les grèves de 1968 débouchent vers d’importantes augmentations de salaires à l’issue des accords de Grenelle. La grève de Lip permet l’occupation et la réquisition des marchandises. Cette lutte s’appuie sur l’action directe sans rester dans le cadre de la légalité bourgeoise. « Il est évident que les travailleurs de Lip ont violé la légalité, mais c’est toujours ce qui arrive lorsque la légalité n’est pas capable de s’adapter aux transformations sociales », observe Pierre Rimbert.

 

Christian Mahieux revient sur le mouvement contre la réforme des retraites de 2023. L’inter-syndicale reste unitaire et regroupe l’ensemble des organisations, y compris les plus modérées. Les manifestations se révèlent particulièrement massives, y compris dans les villes moyennes. Une grève reconductible s’organise dans plusieurs secteurs à partir du 7 mars. Tisser des liens interprofessionnels locaux se révèle indispensable pour gagner. Néanmoins, le mouvement doit également se construire dans les entreprises, au plus près de la réalité des salariés. « Construire la grève, ça signifie multiplier les discussions sur le lieu de travail. C’est à partir de cela que peuvent exister des assemblées générales rassemblant les travailleuses et les travailleurs d’un même site, là où se retrouvent les collègues de chaque jour », rappelle Christian Mahieux.

Ces moments de lutte favorisent la conscience de classe et la remise en question du capitalisme. La question du travail et des inégalités sociales deviennent centrales. Les débats racistes alimentés par les médias deviennent anecdotiques. La lutte des classes reste le meilleur moyen de faire reculer l’extrême droite. La gauche se contente de courir après un mouvement qui la dépasse largement. Mais ce sont les salariés qui impulsent la dynamique de lutte. « Le syndicalisme rassemble celles et ceux qui décident de s’organiser sur la seule base de l’appartenance à la même classe sociale », indique Christian Mahieux. Les exploités défendent alors des revendications immédiates dans la perspective d’une transformation radicale de la société. Les syndicats devraient être l’outil de l’organisation autonome de la classe ouvrière.

 

 

                  

 

 

Syndicalisme révolutionnaire

 

Ces textes de la Révolution prolétarienne proposent des analyses pertinentes sur les luttes sociales. Le courant du syndicalisme révolutionnaire reste particulièrement précieux. Il permet de développer des pratiques de lutte et de solidarité ouvrière même en l’absence de puissants mouvements sociaux. La révolution prolétarienne doit rester ancrée dans les entreprises, au plus prêt des préoccupations des salariés. Ce qui démarque ce courant des postures gauchistes, folkloriques et postmodernes qui semblent prédominer aujourd’hui.

Le syndicalisme révolutionnaire adopte résolument un point de vue de classe sur le monde. Ce courant soutient les luttes anticolonialistes et des soulèvements sociaux à travers le monde. Il se méfie surtout du campisme qui prétend choisir une alliance de pays contre une autre et finit par se ranger derrière la diplomatie de certains États. Cette analyse de classe semble pertinente à l’heure de la guerre en Ukraine et du massacre de la Palestine qui oblige les militants à rallier un État ou un autre.

Le syndicalisme révolutionnaire se méfie également des partis et des idéologies. La domination du mouvement ouvrier par le stalinisme a empêché le développement de luttes autonomes qui ouvrent des perspectives nouvelles. Au contraire, ce sont les syndicats comme organisations de classe qui doivent impulser les grèves et les luttes sociales. Ce courant demeure attaché à l’auto-organisation des prolétaires qui doivent eux-mêmes décider de leurs moyens d’action. Le syndicalisme doit également porter une perspective révolutionnaire et non séparer l’idéologie de l’action immédiate à travers des partis.

 

Le syndicalisme révolutionnaire tient à se démarquer de l’anarcho-syndicalisme. Pierre Monatte considère que le syndicat doit regrouper des salariés au-delà de leurs considérations idéologiques. Il insiste sur les pratiques de lutte et sur l’autonomie à l’égard des partis et de l’État. Mais le syndicalisme ne doit pas proclamer une idéologie, même anarchiste, qui risque de briser l’unité. Il critique le Pacte et les anarchistes qui veulent prendre le contrôle de la CGTU. Les syndicalistes de base tiennent à leur autonomie et ne veulent pas subir la tutelle d’une organisation, même prétendue anarchiste.

Néanmoins, le syndicalisme révolutionnaire porte une perspective de rupture avec le capitalisme pour réorganiser la société sur de nouvelles bases. Ce qui le rapproche fortement avec l’anarcho-syndicalisme. En revanche, ces deux courants estiment que la société nouvelle doit reposer sur le syndicat. Cette théorie se révèle absurde et obsolète. Les organisations du mouvement ouvrier sont désormais rachitiques et très souvent engluées dans des réunions bureaucratiques.

Surtout, les soulèvements sociaux reposent sur des révoltes spontanées. De nouvelles structures d’organisation peuvent alors émerger, à l’image des soviets en Russie. Même dans l’Espagne libertaire de 1936, de nouvelles formes d’organisation émergent. Ces sont ces structures issues des dynamiques de lutte, avec des comités de grève et de quartiers, qui peuvent davantage porter la réorganisation de la société nouvelle.

Néanmoins, le syndicalisme révolutionnaire demeure pertinent en dehors de ces moments intenses. Il permet de diffuser des pratiques de lutte, d’action directe et d’auto-organisation, même en dehors des grands mouvements sociaux. En l’absence de révolte spontanée, les syndicats de lutte peuvent développer des solidarités à l’échelle de l’entreprise pour combattre un patronat qui s’appuie sur l’atomisation et l’isolement des salariés.

 

Source : Stéphane Julien et Christian Mahieux (coord.), La Révolution prolétarienne (1925-2025). « La revue qui n’a pas observé le mouvement ouvrier mais l’a vécu », Syllepse, 2025

 

Articles liés :

Les débuts du Parti communiste en France

Le syndicalisme de la CGTU

Les révolutionnaires des années 1930

Le mouvement de 1936

 

Pour aller plus loin :

Vidéo : Passé présent : Le syndicalisme révolutionnaire

Radio : émissions sur Simone Weil diffusées sur Radio France

Site de la revue La Révolution prolétarienne

Christian Mahieux, Presse syndicale dans les années 1920 : L’aube de “La Révolution prolétarienne”, publié dans le journal Alternative Libertaire n°345 en janvier 2024

Christian Eyschen, A propos de "La Révolution prolétarienne (1925-2025)", paru chez Syllepse, publié sur Le Club de Mediapart le 17 février 2025

Rubrique La Révolution Prolétarienne publiée sur le site Archives Autonomies

Rubrique La Révolution prolétarienne dans Le site de Nedjib Sidi Moussa

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