L'anti-terrorisme contre les autonomes
Publié le 4 Juin 2012
Du 14 au 22 mai 2012 s'est déroulé le premier procès antiterroriste contre la "mouvance anarcho autonome". L'Etat tente ainsi d'isoler et de criminaliser ceux qui luttent de manière radicale contre le capitalisme.
Sous Hollande comme sous Sarkozy, la continuité de l’État prime sur le changement. L’appareil de répression pour encadrer et criminaliser la révolte poursuit sa routine. L’exemple de la nomination par le nouveau pouvoir de Claude Baland à la Direction générale de la police nationale (DGPN) pouvoir semble révélateur. L’ancien préfet de l’Hérault, grand serviteur de la xénophobie d’Etat, a participer avec zèle à la politique de Sarkozy. Il a notamment refusé de nombreuses régularisations de sans papiers qui luttent à Montpellier.
Surtout, l’antiterrorisme et « l’état d’exception » perdurent. La fameuse « mouvance anarcho autonome » apparaît comme une construction médiatique et policière pour stigmatiser les libertaires qui participent aux luttes sociales pour les radicaliser. Il s’agit surtout de criminaliser toute forme de contestation de l’ordre social.
Le rappel des faits
Du 14 au 22 mai 2012 s’est déroulé le premier procès de militants libertaires pour terrorisme. Les brochures « Mauvaises intentions » décrivent et analysent cette répression de la « mouvance anarcho autonome » à travers l’antiterrorisme. La presse bourgeoise relaie la propagande policière. Rapports de police, des Renseignements généraux et Ministère de l’Intérieur constituent les principales sources des journalistes. Ils décrivent des anarchistes radicalisés depuis le mouvement anti-CPE qui tentent de construire des explosifs. Les composantes les plus radicales des luttes sociales et une partie du mouvement des squats sont particulièrement visés. L’épouvantail anarchiste peut être associé au terrorisme selon la police et la presse.
Des personnes sont arrêtées par la police dans la banlieue parisienne en janvier 2008. Elles se rendent à une manifestation devant le centre de rétention de Vincennes pour affirmer leur solidarité avec les sans papiers qui luttent contre leur enfermement. Ses personnes transportent du matériel pour fabriquer des fumigènes de manière artisanale. Les policiers en déduisent la possibilité de faire exploser une bombe. Arrestations, perquisitions, prélèvements ADN, prison: la machine judiciaire se met en place. Cependant, une procédure antiterroriste remplace la routine de l’inculpation classique. Des textes subversifs révèlent leurs idées libertaires, donc de terroristes potentiels.
Des extraits de la procédure judiciaire antiterroriste sont rendus publics en janvier 2012. Les liens d’amitiés et les idées politiques sont considérés comme des éléments qui démontrent l’existence d’une entente et d’un regroupement terroriste.
La répression des luttes sociales
« Tout un chacun sent bien l’oppression quotidienne au travail, pour se nourrir se loger. Aussi, maintenir le capitalisme nécessite pour ses gestionnaires de maintenir une pression de chaque sur ceux qu’ils exploitent: la Loi, le contrôle et la peur restent leurs meilleurs outils » introduit la brochure "Mauvaises intentions". Lutter contre l’ordre capitaliste suppose d’assumer une conflictualité sociale et politique qui passe par la destruction de l’État. Pour contenir cette révolte, l’appareil étatique construit une figure: la « mouvance anarcho autonome ». Mais cette construction correspond à une logique politique. « Séparer. Isoler. Catégoriser. « Diviser pour mieux régner » sera toujours l’une des pratiques les plus efficaces du pouvoir » souligne la brochure. Face à ce constat comprendre la stratégie policière permet de la combattre à travers la lutte collective et la solidarité.
« Ces différentes désignations d’« ennemis intérieurs » servent à séparer, à isoler du reste de la société celles et ceux qui s’opposent à la bonne marche du système et percent la lourde chape de la pacification démocratique. Il s’agit d’un consensus créé contre eux pour les réprimer plus facilement. Instiller la peur est de longue date pour l’État un moyen de souder la société » analyse le collectif Kalimero Paris. Leur texte critique également les partis, les syndicats les associations qui tentent de se distinguer des inculpés pour apparaître comme une interlocuteur crédible et respectable pour l’État. Ses bureaucrates participent à la division entre le mouvement social, supposé entièrement légaliste, et ses composantes les plus radicales. Les « bons manifestants » s’opposent aux « méchants casseurs ».
Léon de Mattis, auteur d'une réflexion sur la démocratie, évoque le rapport entre terrorisme et État. Il souligne que le terrorisme renvoie à des moyens pré étatique. L’État dispose d’une armée, d’un matériel militaire et de dispositifs policiers qui le dispensent de commettre des actes de terrorisme pour imposer une terreur sur une population.
Un texte, intitulé « Quelques propos sur l’outil antiterroriste », se penche sur la logique de l’antiterrorisme. Dans chaque manifestation ou lutte sociale, les actes qui se contentent de sortir de la routine, les médias et la police dénoncent des casseurs animés exclusivement par la violence et la haine. Les destructions matérielles se révèlent pourtant inoffensives pour l’ordre social. Mais ses actions sortent du carcan légaliste et expriment une révolte en dehors des partis et des syndicats. « En somme, à chaque fois qu’il s’agit de pratiques qui perturbent le fonctionnement normal des conflits, où il n’y a ni parti ni syndicat pour contrôler la révolte, il faut pour l’État activer tous les mécanismes de rejet, isoler une partie des révoltés » résume le texte. La notion de terrorisme amalgame des actions qui n’ont rien en commun. Mais l’antiterrorisme permet surtout de criminaliser les idées qui semblent les plus subversives.
La lutte radicale contre l’Etat et le capitalisme
Ivan et Bruno, inculpés pour terrorisme, écrivent depuis leur détention le 21 avril 2008. Ils partagent la même analyse de la répression antiterroriste et expliquent leur démarche politique, loin du simple activisme minoritaire. « Si nous luttons aux côtés des sans papiers, c’est que nous savons que c’est la même police qui contrôle, le même patron qui exploite, les mêmes murs qui enferment » explique le texte. Ainsi les inculpés participent à la lutte de soutien aux sans papiers et contre les centres de rétention. Ils partagent également une hostilité à l’égard de la société marchande. « Nous espérons que nous sommes nombreux et nombreuses à vouloir posséder pleinement nos vies, à avoir cette rage au cœur pour construire et tisser les solidarités qui feront les révoltes » concluent Bruno et Ivan.
La solidarité avec les personnes arrêtées, Ivan et Bruno, s’exprime dans le cadre plus large de la lutte des sans papiers. Les inculpés sont criminalisées pour leur solidarité active avec les immigrés enfermés dans le Centre de rétention de Vincennes qui luttent pour leur liberté. Une manifestation unitaire contre la xénophobie d’État est organisée le 5 avril 2008. Si les bureaucrates et les associations citoyennes se partagent la banderole de tête, des collectifs de sans papiers et un cortège libertaire participent également au défilé. « Vive la solidarité avec les sans papiers. Liberté pour Bruno, Ivan et les autres » exprime une banderole, tandis qu’une autre appelle à la destruction des centres de rétention. Des manifestants se rendent ensuite sur les lieux sur lesquels un sans papiers a été assassiné par la police quelques jours plus tôt. Des destructions matérielles permettent d’exprimer paisiblement une solidarité et une révolte contre l’oppression de l’État.
Un texte, publié en juin 2010, revient sur la lutte contre le CPE. Les autorités policières font remonter la généalogie de la « mouvance anarcho autonome » jusqu’au mouvement contre le CPE. Il s’agit d’isoler des pratiques, comme le tag ou le sabotage, du reste de la contestation. Le mouvement contre le CPE, en 2006, regroupe différentes catégories sociales comme les étudiants, les chômeurs, les travailleurs précaires et les salariés. Cette lutte ne se limite pas au retrait du CPE mais s’étend à une critique de l’exploitation et de l’aliénation dans le travail. De nouvelles pratiques se diffusent comme les sabotages, les manifestations sauvages et les blocages des voies de circulation. Loin d’être des actes minoritaires, ses pratiques sont soutenues et réappropriées par l’ensemble du mouvement. Mais cette lutte se traduit par une importante répression qui s’étend dans le temps pour décentralisateur et isoler les actes de révolte.
Le ghetto autonome contre la révolution totale
Le texte collectif intitulé « Contribution aux discussion sur la répression antiterroriste » évoque « l’affaire Tarnac ». Des militants autonomes sont arrêtés en novembre 2008 pour un sabotage sur une voie ferrée. Leur incarcération provoque un émoi médiatique, politique et intellectuel. Les soutiens des jeunes de Tarnac adoptent le discours de l’innocence. Au contraire, la critique de la répression doit également attaquer le capitalisme plutôt que de distinguer les formes de luttes supposées légitimes ou illégitimes. « Si nous sommes solidaires, ce n’est pas parce que les personnes subissent des procédures dites exceptionnelles comme l’antiterrorisme, mais parce que l’antiterrorisme est un élément parmi d’autres de la justice de classe, cette justice qui œuvre pour défendre les intérêts des possédants » souligne le texte.
Ses auteurs observent que la juridiction antiterroriste se distingue assez peu des autres procédures juridiques et n’entraîne pas forcément une répression plus importante. De même, les intentions sont toujours prises en compte au cours de tous les procès. La répression antiterroriste ne doit pas être isolée des autres formes de répression, notamment dans les luttes sociales. Le discours de solidarité ne doit pas insister sur l’innocence des inculpés, mais doit au contraire soutenir tous les actes de révoltes.
Les autonomes et les citoyennistes défendent également le « mode de vie », supposé subversif, des inculpés de Tarnac. Mais le squat, le potager, la vie collective et marginale ne permettent pas d’échapper ou d’attaquer les rapports sociaux de production, avec la propriété privée et l'exploitation. Au contraire, les modes de vie alternatifs favorisent l’entre soi et les ghettos militants. « Ce discours sur le mode de vie relève en effet d’une manière très particulière d’aborder la politique qui nie les conditions réelles d’existence du plus grand nombre » résume le texte. L’émancipation ne découle plus de la destruction de l'ordre social, mais d’un simple choix.
La dénonciation, ou la défense, du sabotage se révèle tout aussi ridicule. Le sabotage et les pratiques illégales ne révèlent pas forcément une radicalité du conflit et ne s’inscrivent pas nécessairement dans une démarche de rupture avec l’ordre social. De plus, la légalité d’une situation ne dépend pas des gens en lutte mais des autorité qui peuvent interdire n’importe quelle manifestation. Le cadre du droit ne doit pas être pris en compte dans le discours de l’anti-répression. Le droit n'est que la matérialisation d’un rapport de force à un moment donné, en général fixé à la fin d’une lutte. « Nous laissons aux adorateurs du code du travail le choix d’inscrire dans les textes juridiques le droit au refus du travail, à la grève sauvage, à la destruction de machines, au sabotage, à la bastonnade des petits chefs, à l’incendie des usines et à la défénestration des patrons » ironisent les auteurs du texte.
L’anti-répression doit au contraire se solidariser des luttes sociales avec une conflictualité de classe pour s’inscrire dans un renversement de perspective.
Ce texte tranche avec le discours autonome sur lui-même. Les « anarcho-autonomes », s’ils rejettent cette étiquette policière, se complaisent dans l’image que l’Etat leur donne. Ils s’attachent à apparaître comme des groupuscules gauchistes anarchoïdes aux pratiques minoritaires. Ils paufinent leur identité autonome plutôt que de tenter de se rattacher à la masse des exploités. Ils vivent dans leur monde, avec leurs petits squats et leurs petites luttes séparées. Même lorsqu’ils participent à des mouvements plus larges, comme celui contre le CPE, ils s’enferment dans un lieu symbolique (La Sorbonne ou l’EHESS) plutôt que d’agir avec les autres exploités en lutte.
Loin de l’effervescence de l’Autonomie italienne ou de la radicalité critique des situationnistes, les autonomes actuels ne font que singer les postures de ses mouvements. Surtout, ils ont abandonné la critique radicale de la vie quotidienne qui fonde leur originalité. Les autonomes se complaisent dans un discours gauchiste qui, dans le meilleur des cas, se limite à l’horizon de la révolution sociale. Loin de passioner la vie, ils croupissent dans des squats politiques voire même banalement alternatifs. Ils abandonnent la perpective et l’ambition d’inventer de nouvelles relations humaines, amoureuses et sexuelles.
Source: brochures "Mauvaises intentions" sur le site Infokiosques
Pour aller plus loin:
Claude Guillon, " "Terrorisme", curcuma et crime par la pensée ", 18 mai 2012
Claude Guillon, "C'est ça le terrorisme !", 21 mai 2012
Vanina, "Pour ouvrir la voie à l'anti-"terrorisme", rien de tel qu'une dépanneuse... de police", Courant alternatif n°219, avril 2012
"Petit compte-rendu des trois premiers jours du procès antiterroriste", sur Indymedia, 20 mai 2012
"Compte-rendu des derniers jours du procès antiterroriste", sur Indymedia, 3 juin 2012
Organisation communiste libertaire, "Du 14 au 22 mai 2012 à Paris. Procès antiterroriste pour 6 camarades. Petit rappel des faits - appel à la solidarité", 1er mai 2012
Camille Polloni, "L'ultra gauche, nouvelle menace pour la police antiterroriste ?", Les Inrockuptibles, 19 janvier 2011
Camille Polloni, "Le "terrorisme d'ultra gauche" devant la justice pour la première fois", Les Inrockuptibles, 13 mai 2012
Camille Polloni, " Considérations pyrotechniques au procès de la "mouvance anarcho-autonome" ", Les Inrockuptibles, 15 mai 2012