Réflexions sur la Révolution française

Publié le 12 Mai 2018

Réflexions sur la Révolution française

La Révolution française reste une référence pour toute une gauche contestataire. Elle façonne également l'imaginaire républicain traditionnel. Mais la Révolution doit rester associée au renversement de l'ordre existant.

 

 

La Révolution reste un enjeu central. Elle est évidemment combattue et dénigrée par tous les pouvoirs. La charge contestataire des révolutions du passé est également désamorcée à travers la commémoration. Emmanuel Macron et le pouvoir actuel ne semblent pas vouloir se risquer pas à une hypocrite célébration du cinquantenaire de Mai 68. En revanche, en 1989, le pouvoir socialiste a organisé une commémoration nationale de la Révolution française de 1789.

 

Cette parade vise alors à en finir avec l’idée même de révolution. L’historien Jean-Noël Jeanneney, un proche du pouvoir, sert de caution scientifique. Le débat historique a longtemps fait rage. Les marxistes et les républicains y vont de leur propre interprétation. Surtout, l’ancien stalinien François Furet impose une vision libérale dans Le passé d’une illusion. Mais l’historien conservateur délaisse les archives pour inventer une histoire des idées.

 

Daniel Bensaïd, philosophe marxiste, déplore ces diverses interprétations. Il dénonce la commémoration de 1789 qui affadit la portée révolutionnaire de l’évènement. Surtout, il propose une réflexion sur la Révolution, sur ses forces, mais aussi sur ses faiblesses et ses erreurs. Sous la plume de Daniel Bensaïd, la Révolution s’exprime à la première personne dans son livre Moi, la Révolution.

 

 

 

 

                                               Daniel Bensaïd - Moi, la Révolution - Remembrances d'une bicentenaire indigne.

 

 

 

Commémoration consensuelle

 

 

Daniel Bensaïd interprète la Révolution pour s’adresser au président Mitterrand. La Révolution proteste contre la commémoration qui la rend docile et aseptisée. « Moi qui était querelleuse, débraillée, soupe au lait, entière et intransigeante », souligne Daniel Bensaïd. Elle est rendue inoffensive par un pouvoir bercé par la modération et le centrisme mou. « Vous n’avez plus que ces mots à la bouche – consensus, cohabitation, ouverture – ces mots tièdes et fondants comme des caramels mous, ces mots qui collent aux dents creuses. Tu en distribueras des kilos à tes invités et vous mastiquerez ensemble », ironise Daniel Bensaïd.

 

La commémoration impose également une vision déterministe de l’histoire, avec des étapes qui mènent à un progrès continu. Au contraire, l’histoire est faite d’irruptions, d’interruptions et de bifurcations. Ensuite, cette commémoration prend des airs de fête officielle. Envols de montgolfières, plantations d’arbres, parade militaro-publicitaire et grands concerts doivent animer cette célébration d’Etat.

 

Cette grand-messe permet une commémoration dépolitisée. « Serait-ce pour m’épargner les déconvenues de votre politique tout parlementaire, tout institutionnelle, tout électorale, sans peuple ni passions ? », interroge Daniel Bensaïd.

 

 

 

 

 

 

Universalisme révolutionnaire

 

 

 

La Déclaration des droits de 1789 insiste sur les libertés politiques. Mais elle valorise surtout le droit de propriété. La société d’Ancien Régime est alors remplacée par une société de classes. Une inégalité oppose les propriétaires et les prolétaires qui ne possèdent rien. Même si la société paysanne repose surtout sur la petite propriété, cette Déclaration de 1789 ouvre l’ère de la civilisation marchande. Le suffrage censitaire accorde le droit de vote aux seuls propriétaires.

 

L’esclavage et la colonisation restent la honte historique de la droite comme de la gauche. La révolte de Saint-Domingue révèle le vrai visage de la République raciste. Mais Toussaint Louverture, figure de cette révolte d’esclaves, reste traversé par des contradictions. Il ouvre la voie à l’indépendance mais fait allégeance à la République. Il lutte contre l’esclavage mais s’oppose au partage des terres. L’oppression des populations colonisées reste souvent oubliée des livres d’histoire.

 

Les femmes sont également effacées des commémorations. Elles ont pourtant activement participé à la Révolution. Les textes de 1789 et 1793 refusent aux femmes l’accès aux droits politiques. L’universalisme hypocrite, qui exclu les femmes et les colonisés, ne débouche pas vers un universalisme réel et révolutionnaire. C’est davantage la revendication du droit à la différence qui prédomine ensuite. « On affirmerait désormais la culture et les valeurs proprement féminines, comme celles, tout aussi spécifiques, de la négritude », observe Daniel Bensaïd. L’exclusion subie devient sécession choisie.

 

 


            

 

 

 

 

République et Terreur

 

 

La République et la Révolution sont souvent associées. Mais la République reste sage et respectable, tandis que la Révolution reste populaire et ingérable. La République s’accompagne de la nation et du chauvinisme. Elle érige des frontières pour se protéger des populations qui fuient la misère.

 

La Révolution française n’est pas une simple révolution bourgeoise, telle qu’elle est réduite dans les manuels scolaires. Elle comprend une dimension bourgeoise, mais elle est aussi paysanne et sans-culotte. Il ne faut pas confondre composition sociale et les objectifs de la Révolution avec son résultat final. Les historiens s’attachent à réduire ce moment à sa dimension démocratique ou bourgeoisie, pour mieux oublier les aspirations populaires de remise en cause de la propriété privée.

 

 

La Terreur révèle incarne la violence et les massacres de cette période. Néanmoins, le régime de la Terreur n’a pas pour objectif de défendre la Révolution mais, au contraire, de sauver l’Etat. La violence populaire et spontanée qui émerge à la base se distingue de la Terreur d’Etat qui fait beaucoup plus de morts. L’Etat bureaucratique accompagne l’émergence de la société de classes.

 

La Terreur incarne les dérives autoritaires de la Révolution. Même si la politique se distingue de la pureté morale, un processus de libération ne peut pas s’appuyer sur des massacres. Il semble important de reconnaître les erreurs de cette période. « Moi, je n’ai jamais dit que la fin justifie les moyens, et que les faits ont force de loi. J’ai toujours été plus exigeante envers moi-même », indique Daniel Bensaïd.

 

François Furet, ancien stalinien, se convertit à l’antitotalitarisme de salon. Il propose une histoire par analogie. La révolution mène à la terreur, et la terreur mène au goulag. Toute lutte ou toute révolte devient alors ferment du totalitarisme. Cette histoire libérale et peu rigoureuse permet surtout de défendre l’ordre existant. Il vaut mieux ne rien faire que de lutter. « Et à sa variante première selon laquelle il vaut mieux laisser le monde aller comme il va, puisque de toute manière on n’y peut rien », ironise Daniel Bensaïd.

 

 


                 Jacquou le croquant extrait film

 

 

 

 

Révolution sociale

 

 

Le livre de Daniel Bensaïd ne propose une histoire de la Révolution française. Ce pamphlet vif lâche surtout quelques réflexions sur l’héritage révolutionnaire. Son livre s’adresse au président Mitterrand qui revendique sa filiation avec 1789. Daniel Bensaïd ne cesse d’ironiser sur une gauche au pouvoir englué dans la froide gestion pour mieux liquider l’utopie révolutionnaire.

 

Daniel Bensaïd ne propose pas une analyse fine de la Révolution française, contrairement au livre de Daniel Guérin sur Bourgeois et bras nus. On peut effectivement distinguer une révolution bourgeoisie qui vise à changer de régime sans toucher à la propriété privée. Au contraire, les classes populaires aspirent à une révolution sociale qui remet en cause la logique marchande en plus de lutter pour les libertés.

 

 

Daniel Bensaïd évoque également les limites de la Révolution, notamment l’épisode sanglant de la Terreur. En bon marxiste-léniniste, il abandonne son analyse de classe aux portes du socialisme d’Etat. Daniel Bensaïd dénonce lucidement les dérives meurtrières de la Terreur, avec ses exécutions sommaires. Il semble important d’en faire une analyse de classe. 1793 peut apparaître comme un retour à l’ordre. Les bourgeois remplacent les aristocrates à la tête de l’Etat, mais le régime continue de réprimer les classes populaires. La Terreur ne vise pas à contenir la contre-révolution. Elle est la contre-révolution qui réprime les classes populaires.

 

Mais Daniel Bensaïd propose quelques réflexions intéressantes sur l’universalisme. Il critique sa vision républicaine qui gomme les femmes et les colonisés des pages d’histoire. Mais il reste attaché à un universalisme révolutionnaire. Il défend un changement global de société, une véritable perspective révolutionnaire. A l’époque du gauchisme postmoderne, avec ses luttes sectorielles et ses collectifs spécialisés, le livre de Daniel Bensaïd permet de remettre au goût du jour l’idée de Révolution comme transformation globale.

 

 

 

Daniel Bensaïd, Moi, la Révolution. Remembrances d’une bicentenaire indigne, Don Quichotte, 2017 (Gallimard, 1989)

 

Extrait publié sur le site A l'indépendant

 

 

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Sophie Wahnich et la démocratie

 

 

 

Pour aller plus loin :

 

Radio : La lutte des classes pendant la révolution française, émission mise en ligne sur le site Vosstanie le 27 septembre 2016

 

LA RÉVOLUTION ET NOUS ~ le blogue historien de Claude Guillon

 

 

Valérie Nigdélian, Liberté, égalité, propriété, publié sur le site Daniel Bensaïd

 

Nicolas Mathey, Réédition. Daniel Bensaïd, une parole de conviction, publié sur le site du journal L'Humanité le 26 février 2018

 

Jami Irène, Wasserman Gilbert, Patrick Simon et Bensaïd Daniel, Quand l'histoire nous désenchante - entretien avec Daniel Bensaïd, publié sur le site de la revue Mouvements le 12 janvier 2010

 

Daniel Bensaïd, Penser la politique. Un entretien avec Daniel Bensaïd, publié sur le site de la revue Contretemps le 12 janvier 2018

 

Sebastian Budgen, Le hussard rouge : Daniel Bensaïd, 1946-2010, publié sur le site de la revue Contretemps le 13 juillet 2013

 

Darren Roso, Daniel Bensaid, intellectuel marxiste et stratège communiste, publié sur le site de la revue Contretemps le 27 mars 2017

 

Darren Roso et Fabio Mascaro Querido, Daniel Bensaïd, une politique de l'opprimé. De l'actualité de la révolution au pari mélancolique, publié sur la revue en ligne Période le 6 avril 2015

 

L'abécédaire de Daniel Bensaïd, publié sur la revue en ligne Ballast le 2 mai 2015

 

Jean-Claude Poizat, Entretien avec Daniel Bensaïd sur le rôle des intellectuels, publié dans la revue Le Philosophoire n°37 en 2012

 

Michael Löwy, Samy Johsua, Daniel Bensaïd, le scintillement du possible, publié sur le site du NPA le 8 mars 2010

 

Alain Brossat sur Daniel Bensaïd, publié sur le site de la revue Dissidences le 10 septembre 2012

 

Laurent Esquerre, Nécrologie : Daniel Bensaïd, publié sur le site Alternative libertaire le 29 janvier 2010

 

Publié dans #Histoire des luttes

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R
LIRE «LA GRANDE REVOLUTION» P.KROPOTKINE
Répondre
L
merci à toi d'avoir rappelé ce grand livre de Kropotkine, un des rares (avec le 'Bourgeois et bras nus' de Guérin) à avoir efficacement contré les simplismes de Soboul sur 1789 en tant que révolution bourgeoise -ce qu'elle fut, en définitive, mais n'était pas uniquement au départ.<br /> Quant au stalinien défroqué François Furet dont il est question ci-dessus, voilà qui m'a rappelé une amusante observation de Steven L. Kaplan, dans son livre 'Adieu 89' consacré aux festivités du Bicentenaire : en fait on n'aura jamais autant craché sur la Révolution Française et aux frais du contribuable que... à l'occasion de ce Bicentenaire !