L'imposture de la gauche du capital

Publié le 19 Mai 2018

L'imposture de la gauche du capital
Mélenchon et la France insoumise aspirent à prendre le pouvoir. Cette gauche vraiment de gauche n'est que le dernier rampart pour sauver un capitalisme en crise.
 

 

La gauche est en lambeaux. La gauche de gouvernement s’est enfoncée dans une politique libérale et conservatrice. La gauche radicale s’englue dans des débats intellectuels éloignés des préoccupations concrètes de la vie quotidienne. Ce vide intellectuel et politique doit être analysé et critiqué pour dessiner des perspectives émancipatrices.

 

Le sociologue Jean-Pierre Garnier adopte le ton de l’humour et du pamphlet pour se moquer de cette gauche en perdition. Il défend un point de vue communiste libertaire sur l’actualité. Il n’hésite pas à attaquer les lieux communs et le conformisme de ses amis de gauche. Un recueil de ses chroniques est publié dans livre Le grand guignol de la gauche radicale.

 

 

 

 

                              

 

 

Situation internationale

 

 

Le modèle de Podemos est particulièrement valorisé en France, notamment dans Le Monde diplomatique. Fin 2015, la gauche radicale s’enthousiasme pour ce parti espagnol qui remporte les élections municipales à Madrid et Barcelone. Pourtant, Podemos adopte un discours et un programme particulièrement tièdes. Ce parti réformiste refuse évidemment de sortir du capitalisme. Mais il aspire à rester dans le cadre européen. Ainsi, il n’ambitionne même plus de se donner les moyens pour mettre en œuvre des réformes sociales. Thomas Piketty, économiste social-libéral, est d’ailleurs un des conseillers de Podemos qui adopte la posture réaliste et pragmatique de la gauche de gouvernement.

 

L’actualité internationale semble difficile à analyser. La situation en Syrie reste particulièrement complexe. La gauche et les libertaires ont tendance à rapidement s’enthousiasmer pour les « rebelles syriens ». Sans voir qu’ils sont soutenus par les Etats occidentaux et que ce sont parfois des islamistes. Même la gauche kurde ne semble pas irréprochable, à travers leurs alliances successives avec le régime syrien puis avec les régimes occidentaux. En revanche, Jean-Pierre Garnier se garde bien de critiquer la répression et les massacres du régime syrien. Au contraire, il semble important de ne pas sombrer dans un campisme qui consiste à choisir un camp contre un autre. Une analyse de classe peut également éclairer la situation internationale.

 

Jean-Pierre Garnier va jusqu’à nier le processus des révolutions arabes de 2011. Certes, ces révoltes n’ont débouché que vers la remise en cause de dictature, sans remettre en cause le capitalisme. Néanmoins, il semble difficile d’occulter la dimension sociale qui existe dans ces mouvements. Une révolution doit être analysée à travers son processus et ses causes sociales, et pas uniquement à partir de ses résultats.

 

 

 

 

 

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Intellectuels de gauche

 

 

La campagne pour soutenir le Lieu-Dit, restaurant branché de Ménilmontant, révèle l’entre-soi de la gauche radicale. Des intellectuels comme Eric Hazan ou Frédéric Lordon publient des tribunes dans Libération pour soutenir ce restaurant qui accueille les conférences des intellectuels de gauche. Néanmoins, ce quartier de Paris a déjà depuis bien longtemps subit un embourgeoisement urbain. Les classes populaires ne fréquentent pas ce restaurant. « On est en plein entre-soi autosatisfait d’être ce que l’on croit être : une nouvelle avant-garde, hors-partis, de surcroît », ironise Jean-Pierre Garnier.

 

Chantal Mouffe est devenue la théoricienne de la gauche radicale à la mode. Ses écrits influencent Podemos et la France insoumise. Chantal Mouffe et Ernest Laclau visent à liquider le marxisme et la lutte des classes. Ils veulent orienter les mouvements sociaux vers les élections et les institutions. L’affrontement de classe et la lutte contre l’exploitation ne sont plus considérés comme des enjeux centraux. La philosophie idéaliste refuse de prendre en compte les conditions matérielles d’existence.

 

 

 

 

Nuit debout

 

 

Derrière le lancement du mouvement Nuit debout se cache une opération politicienne. Le journaliste François Ruffin et l’économiste Frédéric Lordon ont prévu d’occuper la place de la République. Ils veulent singer le mouvement du 15-M pour projeter le film Merci patron ! La propagande politique se mêle alors à l’opération commerciale.

 

Surtout, ce happening respire le citoyennisme. Malgré un ton enflammé, le discours de Frédéric Lordon se contente de dénoncer les excès de la finance. Il se garde bien de remettre en cause le mode de production capitaliste. Ensuite, les occupants revendiquent une « légalité absolue » et s’indignent de l’encerclement de la police. Ils affirment leur pacifisme et leur soumission à la légalité.

 

 

Nuit debout regroupe surtout une petite bourgeoisie intellectuelle qui semble se radicaliser à cause de son déclassement social. Mais ce mouvement alternatif vise à « vivre autrement » sans remettre en cause les rapports de production capitalistes. Le démographe Emmanuel Todd affiche ses opinions keynésiennes en faveur d’un « capitalisme apprivoisé ». Il rejoint le réformisme de la plupart des participants de Nuit debout.

 

Frédéric Lordon multiplie les discours enflammés et insurrectionnels. Mais derrière ses harangues, il fustige surtout la finance et l’oligarchie. Mais il se garde bien de remettre en cause le capitalisme, et encore moins l’Etat et la classe dirigeante. Frédéric Lordon parvient à « combiner un discours à tonalité belliqueuse avec une absence totale d’analyse de classe de l’ennemi à combattre et à abattre », observe Jean-Pierre Garnier.

 

 

Post-anarchisme

 

 

Le philosophe Renaud Garcia s’attaque à la « déconstruction ». Les intellectuels de gauche influencent la mouvance libertaire. Ils se préoccupent de « domination » mais ne parlent pas de l’exploitation ou de l’aliénation. Ils privilégient les luttes en dehors du monde du travail et de l’entreprise. Ces théorisations postmodernes restent coupées de la vie quotidienne des classes populaires. La déconstruction séduit davantage une petite bourgeoisie intellectuelle qui s’attribue un rôle de contrôle et d’inculcation idéologique.

 

La mouvance libertaire abandonne toute perspective de rupture avec le capitalisme pour mieux valoriser un alternativisme à la mode. Par exemple, le collectif Mauvaise troupe insiste sur les micro-résistances mais refuse tout horizon de révolution sociale. Jérôme Baschet propose le modèle zapatiste comme alternative. « Jadis le modèle c’était la Chine ou Cuba voire l’Albanie. Aujourd’hui ce sont les « rebelles » indiens zapatistes », ironise Jean-Pierre Garnier. Pour Jérôme Baschet, les alternatives locales doivent se multiplier et se répandre sans provoquer d’affrontement avec la classe capitaliste. Pierre Dardot et Christian Laval proposent la notion de « commun » pour remplacer la perspective d’une appropriation collective des moyens de production. Le terme de commun permet d’adopter la posture de la radicalité tout en restent dans le conformisme du sous-réformisme.

 

 

 

Des manifestants vêtus de noir et cagoulés, à la manière des

 

 

 

Communisme libertaire

 

 

Le livre de Jean-Pierre Garnier propose un style vif et ironique pour critiquer les illusions de la gauche radicale. Ce livre apporte quelques clarifications dans une période dans laquelle règne la confusion. Il critique notamment la gauche réformiste qui adopte une posture insurrectionnelle pour surfer sur l’air du temps. Mais les analyses restent altercapitalistes. C’est toujours la finance et l’oligarchie qui sont attaquées, et non pas la classe capitaliste et l’exploitation.

 

En revanche, il manque une analyse globale de la gauche du capital. Jean-Pierre Garnier semble d’ailleurs adresser son livre à cette mouvance. Certes, il permet de raviver la tradition de la polémique et du débat qui rythme l’histoire du mouvement ouvrier. Mais Jean-Pierre Garnier semble espérer radicaliser ses amis comme François Ruffin. Pourtant, la gauche réformiste, malgré sa rhétorique confusionniste, reste un courant très cohérent. Il faut combattre la gauche car elle ne cesse d’orienter les luttes vers leur étatisation et leur institutionnalisation. Pour cette mouvance, le mouvement social doit se contenter de faire pression sur l’Etat, mais ne doit pas s’inscrire dans une rupture avec le capitalisme.

 

 

 

Au final, Jean-Pierre Garnier évoque peu les luttes sociales. Il considère Mai 68 comme une révolution libérale-libertaire. Dans un documentaire consacré à Michel Clouscard, il confesse même partager la même analyse que Pompidou. Il réduit Mai 68 à un caprice d’enfants gâtés. Les révoltes de 2011 dans les pays arabes ne viennent pas des facs parisiennes, mais d’un bassin minier et de jeunes chômeurs. Mais le sociologue pompidolien nie les causes sociales de la révolte pour la réduire à son étouffement électoral.

 

Plutôt que l’autonomie des luttes, Jean-Pierre Garnier préfère le discours incantatoire. Il semble même proche de la mouvance gaullo-communiste incarnée par le PRCF et l’UPR de François Asselineau. Il semble rejoindre davantage les énarques et les néo-staliniens qui invoquent la sortie de l’euro plutôt que les luttes sociales. Certes, il semble important de critiquer les dérives réformistes des mouvements sociaux. Mais il semble également indispensable de s’appuyer sur leurs potentialités. La révolution sociale et libertaire ne doit pas rester au stade de l’incantation. Elle doit s’ancrer dans les luttes sociales et leur extension vers une rupture avec le capitalisme.

 

 

 

Source : Jean-Pierre Garnier, Le grand guignol de la gauche radicale. Chroniques marxistes-burlonistes, Editions critiques, 2017

 

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Pour aller plus loin :

 

Vidéo : Jean-Pierre Garnier, La critique marxiste-burloniste, mis en ligne sur les site des Editions Critiques

 

Vidéo : Soirée Fakir avec François Ruffin : bis, mise en ligne sur le site de la Librairie Tropiques le 11 octobre 2016 

 

Vidéo : "La deuxième droite" avec J-P Garnier, publié sur le site Les Mutins de Pangée

 

Radio : La Vie est un roman # 10 avril 2018, Jean-Pierre Garnier et Laurent de Sutter nous parlent de leurs dernières publications, mise en ligne sur le site de Radio Aligre

 

Radio : Frédéric Taddeï, Le débat d’Europe Soir – Le Parti Socialiste peut-il encore nous étonner ?, mise en ligne sur le site d'Europe 1 le 24 janvier 2018

 

Radio : Jean Pierre Garnier, Faire et Défaire 1/4, mise en ligne le 27 avril 2017

 

Radio : Qu'est-ce que la gauche du Capital ?, émission de Radio Vosstanie du 29 juin 2013

 

Radio : Analyse critique du populisme, émission de Sortir du capitalisme

 

Radio : Mélenchon président en 2017. Une expérience de pensée ironique, émission de Sortir du capitalisme diffusée sur le site de Paris-luttes le 28 mars 2017

 

 

Articles de Jean-Pierre Garnier publiés sur le site de la Librairie Tropiques

 

Articles de Jean-Pierre Garnier publiés sur le site de la revue Article 11

 

Articles de Jean-Pierre Garnier publiés sur le Portail Cairn

 

Articles de Jean-Pierre Garnier publiés sur le site "Nouveau millénaire, Défis libertaires"

 

Brochures de Jean-Pierre Garnier publiées sur le site Infokiosques

 

Articles de Jean-Pierre Garnier publiés sur le site du journal CQFD

 

Jean-Pierre Garnier, La « pensée unique » et son double, publié dans la revue L'Homme et la société en 2000

 

Brigitte Pascall, Chantal Mouffe ou l'imposture de la fausse intellectuelle, publié sur Mediapart le 14 février 2018

 

Ruffin et Lordon, une Nuit à dormir Debout, dossier mis en ligne sur le site Les Enragés le 23 avril 2016

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