Le cinéma populaire de Sylvester Stallone
Publié le 17 Juin 2021
Les posters de Sylvester Stallone tapissent les chambres d’adolescents pendant les années 1980 et 1990. Il est devenu la référence incontournable des films d’action américains. Tout ce que détestent les cinéphiles de gauche et autres intellos bobos. Sylvester Stallone reste associé au cinéma patriotique et conservateur des années Reagan. Mais l’acteur apparaît aussi comme une figure ouvrière. Il incarne le prolétariat dans un cinéma populaire auquel beaucoup peuvent s’identifier.
Le cinéma américain reste porté par une idéologie. La réussite sociale et la méritocratie sont valorisées dans cet imaginaire du « rêve américain ». Antonio Gramsci estime que les œuvres d’art portent une conception du monde et participent à une hégémonie culturelle. En France, Sylvester Stallone reste considéré comme un acteur de droite qui incarne l’impérialisme américain. Pourtant, Rocky (1976) montre un personnage pas très grand, un homme ordinaire, loin des héros exceptionnels. Surtout, il perd à la fin. Sylvester Stallone tourne ensuite dans des films sur la classe ouvrière et les immigrés italo-américains.
Mais, à partir des années 1980, le contexte évolue. Le président Reagan, lui-même ancien acteur, fait d’Hollywood une véritable arme de propagande contre l’URSS dans le contexte de la guerre froide. L’anticommunisme se banalise. Ensuite, Sylvester Stallone est devenu une véritable star de cinéma. Il délaisse son cinéma humaniste pour tourner dans des films d’action à gros budget. Les héros de cinéma réussissent par leur seule volonté. Ils surmontent les obstacles pour devenir plus forts. C’est aussi une image que Reagan veut donner de lui-même.
Les médias de gauche, notamment en France, considèrent Sylvester Stallone comme une marionnette de l’idéologie conservatrice. Pourtant, la trajectoire de l’acteur reflète les évolutions du cinéma et de la société américaine. Sylvester Stallone reste attaché à des valeurs humanistes. David Da Silva propose un nouveau regard sur la star de cinéma dans son livre Sylvester Stallone héros de la classe ouvrière.
Cinéma contestataire
Le cinéma américain des années 1970 est marqué par le bouillonnement contestataire lié à l’opposition à la guerre du Vietnam. C’est un cinéma d’auteur avec des préoccupations historiques, sociales et politiques. En 1969, dans Easy Rider, Dennis Hopper évoque les doutes et la révolte de la jeunesse américaine face à une société conservatrice et sclérosée. Le film connaît un important succès. Hollywood se tourne vers la contre-culture et les studios indépendants portés par des jeunes réalisateurs comme Francis Ford Coppola, Brian de Palma ou Martin Scorsese. Ce cinéma évoque la politique, la drogue, la libération sexuelle, le rock. La censure de la violence et du sexe, imposée par le code Hays, est abandonnée en 1966. Tout comme le cinéma consensuel et moraliste, avec ses héros irréprochables.
L’affaire du Watergate, avec l’espionnage de l’opposition démocrate par le président Nixon, dévoile la face sombre du modèle américain. Sidney Lumet et Sidney Pollack évoquent cette corruption politique. L’esthétique devient plus réaliste. Les marginaux et même les hors-la-loi apparaissent sur les écrans. « C’est l’Amérique des loosers et des laissés-pour-compte du rêve américain que dépeignent ces films, non plus celle de l’essor capitaliste des trente glorieuses », souligne David Da Silva. Les premiers films de Sylvester Stallone s’inscrivent dans ce contexte historique.
Né en 1946, Sylvester Stallone grandit à Hell’s Kitchen, un des quartiers les plus pauvres de New York. Il commence par des petits rôles. En 1970, il est même obligé de tourner dans L’étalon italien, un film pornographique. Il décide d’écrire ses propres scénarios. Rocky est un succès exceptionnel. Le film dévoile l’esthétique réaliste du cinéma des années 1970, avec les quartiers pauvres de Philadelphie. Ce boxeur modeste parvient à livrer un combat face à un champion. Il est battu mais semble heureux d’avoir livré ce match et de vivre aux côtés de la femme qu’il aime. La rédemption, l’échec, le dépassement de soi apparaissent déjà comme des thématiques majeures. Rocky s’inscrit également dans la filiation du cinéma de Frank Capra avec un naïf au cœur pur confronté à la corruption et à l’argent. Le film évoque surtout la question sociale avec un boxeur prolétaire qui vit dans un quartier pauvre.
Devenu star d’Hollywood, Sylvester Stallone continue de jouer des rôles d’ouvrier. Il incarne un syndicaliste dans F.I.S.T. (1977). Son personnage est inspiré de Jimmy Hoffa qui est devenu le leader emblématique du syndicat des camionneurs. Ce film historique montre des grévistes confrontés à la violence des milices patronales. Les travailleurs font appel à des gangsters qui ont grandi dans les mêmes quartiers qu’eux. C’est la brutalité des patrons qui explique les alliances entre le syndicalisme américain et la mafia. Même si ce pacte débouche vers la bureaucratisation des organisations ouvrières. La taverne de l’enfer (1978) évoque trois frères qui veulent réussir et sortir de leur quartier pauvre. Ils échouent mais se réconcilient dans la défaite. Ce film critique la compétition et l’argent pour valoriser l’humanisme des gens ordinaires.
Sylvester Stallone renoue avec le succès populaire à travers Rambo (1982). Un ancien militaire, qui incarne la mauvaise conscience vietnamienne de l’Amérique, est confronté au shérif gardien de l’ordre d’une petite ville symbole du rêve américain. Le film évoque le traumatisme de la guerre et l’impossibilité des anciens soldats de se réintégrer dans la vie civile. Rambo reste imprégné des thématiques du cinéma des années 1970. En revanche, Rambo II (1985) enclenche un virage vers le film d’action.
Cinéma des années Reagan
En 1980, Ronald Reagan devient président. Il porte une politique néolibérale et réactionnaire. Il valorise la réussite individuelle, la famille et la religion. Durant la même période, les films d’action sont en plein essor. Le cinéma s’adresse au nouveau public adolescent, avec une histoire classique et manichéenne. Un héros invulnérable, incarnation de l’Amérique triomphante, doit corriger les erreurs de l’histoire et terrasser un ennemi étranger. Sylvester Stallone va se fondre dans ce moule du film d’action.
En 1985, dans Rambo II, le personnage incarné par Sylvester Stallone part à la recherche de soldats américains restés prisonniers au Vietnam. Reagan évoque également cette thématique et récupère le film au service de son discours. Ce qui suffit, aux yeux des journalistes français, à faire de Rambo une arme de propagande anticommuniste. Pourtant, Sylvester Stallone souligne que la fin du film attaque explicitement l’Amérique. Surtout, les origines amérindiennes de Rambo deviennent explicites. Le personnage vit dans la nature avec son arc et ses flèches. Il semble proche de cette civilisation exterminée par l’Amérique et utilise même les méthodes de guérilla des Vietcongs. Ce qui l’éloigne de la figure du militaire impérialiste et surarmé. Ce film exprime également une conscience de classe. Les bureaucrates du gouvernement envoient les prolétaires se faire massacrer à la guerre dans leurs intérêts.
Dans Rocky IV, le boxeur affronte un colosse soviétique qui s’apparente à une véritable machine à tuer. Les Cahiers du cinéma et Positif, revues qui incarnent l’élitisme de gauche, dénoncent à nouveau une propagande anticommuniste. La marionnette des Guignols de l’Info renforce cette image. Pourtant le film écorne l’Amérique de Reagan, du fric et de la frime. Le rêve américain est relativisé avec l’argent, le succès, la maison, les voitures. C’est le boxeur Apollo Creed qui incarne cette Amérique triomphante. Il est pourtant écrasé par son adversaire soviétique. Au contraire, Rocky s’entraîne dans la nature et les grands espaces. Ce qui rappelle l’Amérique des pionniers contre l’évolution marchande de cette nation. Ensuite, Rocky est acclamé par toute la foule, y compris par les Russes. Il est l’homme du peuple qui vise à fédérer la population au-delà des clivages imposés par les Etats et les gouvernements.
La réception du public diffère de celle de la presse. Sur Allociné, Rambo II reste avant tout perçu comme un film efficace avec des scènes d’action spectaculaires. L’interprétation politique reste rarement évoquée. Sur Mad Movies, site de cinéphiles, les deux lectures du film sont présentées. Un spectateur évoque la continuité avec le premier Rambo sur les vétérans du Vietnam abandonnés par l’Amérique. Pour Rocky IV, les commentateurs d’Allociné insistent sur le message pacifiste et réconciliateur à la fin du film. Mais les spectateurs insistent sur l’importance du divertissement plutôt que sur l’idéologie des films. Les fans de Stallone n'idolâtrent pas un héros invulnérable. Ils sont au contraire sensibles à ses failles et ses défauts. L’acteur, comme ses personnages, part avec des handicaps qu’il parvient à surmonter. Beaucoup de fans de l’acteur sont des femmes. Elles sont touchées par la sensibilité et la vulnérabilité des personnages. Sylvester Stallone pleure souvent dans ses films.
Acteur et réalisateur incontournable
Sylvester Stallone connaît une traversée du désert. En 1986, il joue dans Cobra un flic aux méthodes violentes. Mais ce personnage froid et brutal ne plaît pas à son public. Surtout une nouvelle star des films d'action se révèle dans Predator (1987), avec Arnold Schwarzenegger. Rambo III est également un échec. Il est projeté en 1990 après la guerre en Afghanistan évoquée dans le film. Il est à nouveau raillé par son anticommunisme. Pourtant, Rambo lutte aux côtés des moudjahidins contre l’impérialisme de l’URSS.
Dans Haute sécurité (1989), Sylvester Stallone renoue avec un rôle de prédilection. Il incarne un garagiste qui se retrouve en prison après des petits délits. Cet homme ordinaire parvient à se sauver grâce au dépassement de soi. Cette thématique, qui renoue avec Rocky et ses premiers films, ne connaît pas le succès auprès d’un public qui attend désormais des scènes d’action spectaculaires. Dans Rocky V (1990), un jeune boxeur se compromet pour l’argent et la gloire. Le film dénonce clairement les valeurs des années Reagan.
Sylvester Stallone apparaît comme une star déclinante. Surtout, il refuse les réalisateurs très directifs. Ce qui l’empêche de tourner avec des grands cinéastes. Il se cantonne aux films moyens et se fourvoie même dans la comédie. Dans les années 1990, il connaît peu de succès. Même si des films comme Demolition man (1993) ou Judge Dredd (1995) sont devenus cultes. En 1997, il joue dans Copland aux côtés de Robert De Niro, Harvey Keitel et Ray Liotta. Il incarne un modeste shérif d’une petite ville confronté à la corruption policière. Son rôle permet de renouer avec les classes populaires de ses débuts dans un film éloigné du cinéma d’action à gros budget. Il incarne un perdant, mais qui est capable de se battre pour la justice.
Sylvester Stallone enchaîne les bides pendant une dizaine d’années. Il s’appuie sur ses personnages fétiches pour renouer avec le succès. Dans Rocky Balboa (2006), il insiste sur la philosophie du boxeur avec le dépassement de soi face aux difficultés de la vie. John Rambo (2007) montre les massacres en Birmanie. La violence apparaît moins spectaculaire et plus réaliste. Ce film vise clairement à dénoncer l’horreur de la guerre, à rebours du discours néoconservateur. Sylvester Stallone connaît un nouveau succès avec Expendables (2010) qui reprend de manière plaisante les codes et les acteurs vedettes des films d’action.
La pensée politique de Sylvester Stallone reste subtile. C’est une des rares vedettes à ne pas soutenir Barack Obama. Mais il est aussi un des rares à s’opposer à Bush et à la guerre en Irak. Sur le plan économique, Sylvester Stallone semble plus à gauche que les démocrates. Il défend les travailleurs contre le capitalisme et ses dérives. Il s’oppose aux inégalités sociales. Mais il défend des valeurs morales conservatrices face à la société de consommation. Sylvester Stallone reste attaché à l’ordre, à la famille, au respect des traditions et à la responsabilité individuelle.
Sylvester Stallone semble suivre les traces de Clint Eastwood. Cet acteur jugé réactionnaire se tourne vers le cinéma d’auteur avec un discours humaniste. Le film Creed s’inscrit dans cette démarche. Ce long métrage est réalisé par Ryan Coogler qui évoque la situation des afro-américains dans la société actuelle. Rocky Balboa devient l’entraîneur du fils d’Adonis Creed. Il s’attache à lui transmettre des valeurs morales. Ce film incarne le cinéma des années Obama avec une Amérique apaisée et des communautés différentes qui s’entraident. Sylvester Stallone évoque surtout des thèmes comme l’échec et la rédemption. Il incarne la figure du prolétaire qui parvient à surmonter les difficultés de la vie.
Analyse d’une pop star
David Da Silva propose un regard original sur la figure controversée de Sylvester Stallone. Son livre présente plusieurs qualités importantes. Il permet de revenir sur un acteur qui incarne un cinéma d’action et de divertissement. Ce qui apparaît comme un sujet illégitime pour les intellectuels et les cinéphiles. Même si le cinéma reste avant tout un plaisir. Surtout, David Da Silva replace les films de Sylvester Stallone dans leur contexte historique. Il montre que les interprétations et critiques négatives se révèlent décalées par rapport aux films proposés. L’acteur subit son image de star des films d’action et de vedette du cinéma des années Reagan. David Da Silva permet de nuancer cette facette et de sortir des discours simplistes.
Comme le souligne Régis Dubois dans sa préface, David Da Silva propose une démarche originale. L’analyse critique du cinéma se développe. La cinéphilie émerge avec des discours à propos de films légitimes qui reposent sur une recherche esthétique. Ensuite, les Cultural Studies délaissent l’attachement à la culture bourgeoise pour analyser un cinéma populaire. De nombreux livres évoquent également des réalisateurs qui ont marqué l’histoire du cinéma. En revanche, peu d’analyses se penchent sur des acteurs. Encore moins sur une star du cinéma grand public comme Sylvester Stallone. Même si l’acteur est aussi un scénariste. De plus, il aime garder le contrôle sur la réalisation des films dans lesquels il joue. Sylvester Stallone ne se réduit donc pas à une potiche musculeuse.
L’antiaméricanisme d’inspiration stalinienne a contribué a écorné l’image de l’acteur. Ce discours, dominant au sein du milieu intellectuel, fustige une civilisation américaine vulgaire et complice de l’impérialisme. Sa version stalinienne et de gauche défend en creux le régime totalitaire d’URSS. Sa version gaulliste et de droite défend la France éternelle contre l’influence étrangère. Ces discours idéologiques se sont saisis de la figure de Sylvester Stallone pour se propager. L’acteur incarne à la fois la vulgarité du film d’action et de divertissement. Il incarne également les valeurs de l’Amérique contre le communisme. Pourtant, David Da Silva montre que les films de Sylvester Stallone ne se réduisent pas à ce moule simpliste. Il présente la véritable démarche artistique de l’acteur.
Sylvester Stallone semble proche d’un cinéma populiste dans la filiation de Frank Capra, pourtant idole de la gauche bien-pensante en France. Sylvester Stallone s’attache à un cinéma humaniste qui valorise un homme ordinaire face aux institutions et à la corruption des élites. Ce cinéma populiste idéalise la classe ouvrière qui serait porteuse de valeurs d’honnêteté, de bon sens, et de solidarité avec son prochain. C’est effectivement le discours porté par Sylvester Stallone, loin d’une propagande en faveur du néolibéralisme des années Reagan.
Néanmoins, David Da Silva semble très attaché à ce cinéma populiste. Au contraire, il semble important de jeter un regard critique. L’idéalisation de la classe ouvrière et de ses supposés bons sentiments semble sympathique. Ce regard permet de sortir du mépris élitiste pour des ouvriers jugés vulgaires. En revanche, il semble important de ne pas sombrer dans l’excès inverse. Les ouvriers peuvent aussi se montrer égoïstes et ne pas hésiter à écraser la concurrence au nom du mirage de la réussite individuelle. La classe ouvrière peut se montrer solidaire, mais uniquement dans certains contextes comme les luttes sociales.
La lutte des classes reste l’angle mort du cinéma populiste américain. L’opposition du peuple aux élites semble simpliste. L’opposition entre les intérêts de classe est remplacée par une morale du bon peuple face aux élites corrompues. Surtout, et c’est la grande limite du cinéma américain, cette approche reste uniquement individualiste. L’homme ordinaire se dresse seul face au système. La dimension collective semble absente. Sylvester Stallone incarne la figure du héros solitaire. Ses valeurs restent également individualistes. Le culte de l’effort et de la valeur travail renforcent le mythe méritocratique. Les ouvriers peuvent réussir, mais uniquement à force de souffrance et d’abnégation. Même si les films de Sylvester Stallone peuvent aussi écorner le mythe du « rêve américain ».
Source : David Da Silva, Sylvester Stallone, héros de la classe ouvrière, LettMotif, 2020
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Boris Szames, Sylvester Stallone, héros de la classe ouvrière, publié dans le webzine Gone Hollywood en octobre 2020
Jacques Demange, Livre / Sylvester Stallone. Héros de la classe ouvrière : critique, publié dans le webzine Ciné Chronicle le 3 septembre 2020
Benoît Smith, Get Stallone, publié sur le site Critikat le 2 mars 2013
Jonathan Fanara , Sylvester Stallone trois fois mis à l’honneur aux éditions LettMotif, publié sur le site Le mag du ciné
Trois Ouvrages sur Sylvester Stallone chez Lettmotif, publié sur le site DVD Critiques
Fabien Genest, Sylvester Stallone ou la revanche de l’Amérique des laissés-pour-compte, publié sur le site de Radio RCF le 16 juillet 2020