Le crépuscule de la gauche : édito n°62
Publié le 27 Février 2025
Aucune force politique ne semble capable de s'opposer à la submersion réactionnaire et raciste. Le patronat se rallie au trumpisme et au droit du sol. Les milliardaires préfèrent des déportations plutôt que des hausses d'impôts. Entre darwinisme social et modernisation capitaliste, ce post-fascisme semble encore difficile à analyser. Mais ce qui est clair, c'est qu'une ressucée d'un cartel électoral de gauche pour sauver une démocratie libérale à l'agonie risque de ne pas se montrer à la hauteur des enjeux. Dans ce contexte crépusculaire, les forces politiques et syndicales se révèlent particulièrement defaillantes.
La gauche unitaire et triomphante s'est rapidement effondrée. Le PS se rallie au macronisme moribond dans l'illusion de grappiller quelques miettes. La France insoumise se drape dans une posture puriste déconnectée des problèmes de licenciements, de bas salaires et de vie chère qui préoccupent la majorité des exploités. Seule une élection présidentielle anticipée préoccupe Mélenchon et ses affidés. Le NFP dévoile rapidemment la mascarade et démontre l'impuissance des stratégies électoralistes. Pourtant, il est désormais évident que la gauche ne gagnera jamais une élection nationale. Unité ou pas, la gauche est morte avec un électorat largement évaporé. Les outrances impuissantes de LFI et l'arrivisme politicien du PS ne cessent de creuser ce discrédit.
Dans une émission de propagande de LFI, le numéro 2 assure le service après vente de la secte. Il faut reconnaître à Manuel Bompard la qualité de réfléchir aux questions stratégiques, même réduites à la conquête du pouvoir. Les réflexions d'Aurélie Trouvé permettent quelques clarifications pour sortir du bavardage nébuleux du populisme de gauche. L'ancienne présidente d'ATTAC s'appuie davantage sur les discussions qui traversent les mouvements sociaux plutôt que sur la communication politique sous pavillon pseudo-philosophique. Cependant, les propos de Manuel Bompard révèlent surtout les limites d'une gauche groupusculaire engluée dans la défaite et sans réelle perspective de transformation sociale.
Déjà, le bras droit qualifie 2024 comme une année politique intense. Donc, les crises ministérielles et des élections sans conséquence restent considérées comme le cœur battant de la politique pour les fins stratèges insoumis. Au contraire, la vacuité de l'agitation parlementaire contribue à discréditer davantage une gauche qui préfère les indignations spectaculaires plutôt que l'action concrète. Les prolétaires n'ont rien à attendre de promesses électorales qui n'engagent que ce qui y croient. Les faux espoirs débouchent inéluctablement vers l'attentisme et le fascisme.
Même les analyses de la société française se réduisent à une banale récupération électoraliste. Dans un débat de son Institut, Jean-Luc Mélenchon convoque des sociologues pour la première partie de son meeting. Heloïse Nez et Vincent Tiberj insistent sur l'importance des mouvements sociaux pour développer une conscience politique. Jean-Luc Mélenchon, plutôt que de répondre à ces analyses pertinentes, se contente de la méthode Coué. De défaites en défaites, nous volons jusqu'à la victoire ne cesse de marteler le parrain de la gauche.
Manuel Bompard doit essuyer des critiques similaires. Il balaye l'importance de l'ancrage local et des luttes sociales pour mieux faire l'apologie de la vieille propagande électorale déclinée sur les réseaux sociaux. Malgré la tentative de s'adresse à la jeunesse, LFI reste engluée dans la vieille gauche qui favorise la délégation à travers les partis et les élus. La population reste considérée comme un ramassis de victimes à manipuler et non comme des acteurs du changement social. Le sociologue Benoît Coquart montre bien que la gauche ne cesse de nier les capacités d’auto-organisation des classes populaires, que ce soit dans les bourgs ou dans les tours.
Les mouvements sociaux, dans une tentative de moderniser Poulantzas, se réduisent alors à un aiguillon pour soutenir un gouvernement de gauche. Mais cette stratégie date des années 1970 avec une gauche aux portes du pouvoir. Par ailleurs, les gouvernements de gauche ont plutôt tendance à désamorcer la contestation sociale. L'autonomie des luttes demeure donc un enjeu décisif dans cette hypothèse désormais improbable. Surtout, la montée de l'extrême droite ne peut être enrayée uniquement par une puissante mobilisation sociale.
Mais la stratégie de LFI se réduit donc à une campagne électorale permanente. Ce groupuscule gauchiste refuse de construire des mobilisations depuis la base, dans les entreprises et les quartiers. LFI n'impulse aucune véritable lutte sociale. La "révolution citoyenne" passe uniquement par les urnes et le respect de la légalité bourgeoise. Pourtant, de la Révolution française à Mai 68, les basculements politiques véritables proviennent uniquement de révoltes sociales.
C'est d'ailleurs le processus de révoltes dans les pays arabes amorcé en 2011 qui permet le renversement du régime de Bachar en Syrie. Les médias et autres experts en géopolitique évoquent le rôle d'Israël ou le retrait de la Russie pour expliquer l'effondrement du pouvoir syrien. Néanmoins, la résistance de la population depuis 2011 reste largement eludée. L'insurrection syrienne amorce un véritable bouleversement qui débouche vers le renversement d'une dictature sanguinaire.Ensuite, la chute du régime apparaît désormais comme un point de départ et une ouverture des possibles.
Néanmoins, de nombreux acteurs se confrontent déjà pour dessiner l'avenir politique de la Syrie. Les milices d'HTS, décrites par les médias comme libératrices, répriment des manifestations. Les vestiges de l'administration de Bachar apparaissent comme une autre menace. La France, Israël et le camp occidental défendent également leurs intérêts d'ordre et de stabilité avec l'objectif d'imposer un régime docile. Le processus de transition démocratique peut réserver le meilleur comme le pire. Mais la population syrienne doit désormais prendre son destin en main.
Quelques pistes de renouveau existent. Les gauchistes occidentaux insistent sur le modèle du Rojava. Néanmoins, le PKK et ses milices ont tenu à rester à l'écart de la révolution syrienne, pas assez contrôlable et marxiste-léniniste à son goût. Les islamistes de HTS se sont révélés moins puristes et sectaires. Ils ont eu le mérite de proposer un projet pour la Syrie en édulcorant leur idéologie réactionnaire. HTS a saisit l'opportunité que les cadres du PKK ont méprisé.
Néanmoins, il existe des perspectives moins ronflantes que le municipalisme libertaire du Rojava mais plus concrètes. Le syrien Omar Aziz insiste sur les comités de quartier et l'organisation de la population à la base plutôt que des institutions verticales. Les capacités d’auto-organisation de la population restent le facteur décisif de la situation syrienne. Si des comités de base se multiplient, la libération ne pourra pas être confisquée par les institutions et le pouvoir d'État.
Sommaire n°62 :
Femmes dans le monde arabe et oriental
Les femmes dans les révolutions arabes
Syndicalisme révolutionnaire
Le syndicalisme de Charles Piaget
Figures de méchants