Syndicalistes et retraités

Publié le 13 Mars 2025

Syndicalistes et retraités
Les syndicalistes ouvriers à la retraites continuent leur activité militante. Ils contribuent à transmettre des pratiques de luttes au sein de l'Union locale. Les ouvriers à la retraite forment un groupe solidaire qui reste actif dans les luttes sociales. 

 

 

Les syndicalistes à la retraite continuent de militer activement. Ils illustrent une classe ouvrière en déclin et vieillissante mais qui demeure une force motrice. Les anciens ouvriers et ouvrières de Peugeot à Montbéliard continuent de lutter avec des solidarités, des traditions et des espoirs qui perdurent. Ces retraités ont été emportés par le bouillonnement social et culturel des années 1968. Malgré le travail à la chaîne, leur horizon s’est élargi. Ils rencontrent des milieux politisés dans les syndicats et les associations de quartier.

Le sociologue Nicolas Renahy décide de se pencher sur un groupe de retraités de Peugeot. Son enquête s’inscrit dans la filiation des recherches de Michel Pialoux. Le sociologue rencontre Christian Corouge, un ouvrier qui noue un dialogue intellectuel avec Michel Pialoux. Au début des années 1970, Christian Corouge participe au groupe Medvedkine, une expérience de rencontre entre techniciens du cinéma et ouvriers. Christian Corouge et ses camarades se familiarisent avec les milieux intellectuels.

Christian Corouge, avec sa bande de retraités militants, se rend régulièrement à l’Union locale (UL) du syndicat CGT et participe aux mobilisations sociales. Après ses recherches sur la jeunesse rurale dans Les Gars du coin, Nicolas Renahy se penche sur les ouvriers retraités. Les jeunes travaillent dans les petites et moyennes entreprises (PME) dans un monde du travail fragilisé. La génération de Christian Corouge incarne les ouvriers de la grande usine avec la combativité issue de la grève de Mai 68. Nicolas Renahy développe cette enquête dans le livre Jusqu’au bout. Vieillir et résister dans le monde ouvrier.

 

Depuis les années 2000, le monde ouvrier subit une restructuration permanente. Les grands bastions des industries automobiles, sidérurgiques ou textiles disparaissent. Désormais, les ouvriers et ouvrières qui travaillent dans l’industrie ne sont plus embauchés dans d'immenses usines mais majoritairement dans des PME (petites et moyennes entreprises). Ensuite, les activités industrielles se sont tertiarisées avec le développement des secteurs comme la logistique, les transports ou le nettoyage.

En 1973, l’usine de Peugeot-Sochaux compte 36 000 salariés. Elle n’en totalise que 3400 en 2023. Cette usine est devenue une petite fraction du groupe mondial Stellantis qui compte près de 300 000 salariés. Les constructeurs automobiles s’appuient sur la sous-traitance. La grande usine de Sochaux se vide au profit de la zone d’activités voisine de Technoland qui regroupe 4200 salariés dans 200 entreprises de l’industrie et des services.

 

 

                                   

 

 

Retraités de Peugeot

 

La section CGT-retraités de Peugeot-Sochaux reste particulièrement active. Elle compte plus de 350 membres dont une trentaine se réunit tous les mois. Ce syndicat continue de distribuer des tracts et d’organiser des manifestations. « La section est en effet un fer de lance des actions militantes locales, tant pour épauler celles des ouvriers et ouvrières encore en activité à l’usine que pour participer aux mobilisations (contre la réforme des retraites, notamment), monter une chorale de chants révolutionnaires ou organiser des événements culturels (exposition sur l’histoire des migrations dans la région, conférences…) », décrit Nicolas Renahy.

Les retraités de la fonction publique rallient la section des anciens de Peugeot. La grève historique de 1989 contribue à solidifier le groupe et à lui donner un rôle central dans les mobilisations collectives, dans un contexte d’effondrement du militantisme ouvrier. Le succès de la grève de 1989 repose sur les solidarités locales et la caisse de résonance nationale. La classe ouvrière combative resurgit malgré les désillusions de la gauche au pouvoir. La grève permet des augmentations de salaires, des annulations de licenciements et des sanctions. Surtout, la grève permet la politisation de nombreux ouvriers et ouvrières qui rejoignent le syndicat. La grève de 1989 permet de nouer des solidarités qui forgent les combats d’aujourd’hui.

Cependant, le syndicat reste traversé par des débats politiques et stratégiques. Les batailles des années 1968 entre les militants du PCF et les divers groupes gauchistes laissent des traces. Bruno et Christian se rejoignent autour d’un anarcho-syndicalisme historiquement très présent dans la région. Ils s’opposent idéologiquement à un groupe de trotskystes proches de Lutte ouvrière (LO). Mais cette « bande de potes » s’appuie sur le rire et l’auto-dérision. L’humour exprime la solidarité qui relie les membres du groupe. L’ironie et l’auto-dérision permettent de faire face au vieillissement, à la maladie et au deuil. La solidarité semble déterminante pour sortir de l’isolement face à ces problèmes du quotidien.

 

 

       

 

 

Héritage militant

 

Le groupe de retraités fait également vivre la mémoire des luttes ouvrières. La contestation des années 1968 est incarnée par le groupe Medvedkine avec des techniciens du cinéma et des ouvriers qui filment leurs conditions de travail et leurs luttes. Au début des années 1970, les usines automobiles visent une production de masse. Des jeunes, femmes et des immigrés sont recrutés comme main d’œuvre non qualifiée. Le prolétariat industriel se développe. Ce sont ces jeunes ouvriers qui lancent la grève en 1968. Des affrontements avec les CRS éclatent devant l’usine Peugeot. Sept ouvriers sont blessés par balles et deux sont tués.

Les ouvrières reviennent sur leur trajectoire pendant un moment d’émancipation des femmes. Lili sort de son foyer familial et bénéficie de l’arrivée des appareils électroménagers qui rendent moins pénibles les tâches ménagères. Elle devient rapidement déléguée syndicale CGT. Elle milite au Parti communiste et dans un groupe de femmes qui lui permet de devenir conseillère municipale en raison des lois sur la parité. Elle est également active au Secours Populaire. La génération suivante peut s’appuyer sur les mouvements féministes et une meilleure répartition des tâches ménagères. Les ouvrières des années 1970 participent activement aux grèves, même dans une usine automobile avec une majorité d’hommes.

Pendant, le mouvement contre la réforme des retraites de 2023, le groupe de retraités participe activement à la mobilisation. Ils organisent des barrages filtrants avec des Gilets jaunes sur les ronds-points à l’entrée de l’usine. Le groupe rejoint ensuite la manifestation syndicale pour animer le cortège de la CGT. Une banderole est également confectionnée. « Outre l’énergie des militant.es et le savoir-faire relationnel de Bruno et Richard, ces quarante-huit heures de mobilisation quasi continue relèvent de la permanence d’un sens pratique ouvrier chez ces retraités », observe Nicolas Renahy. Ces ouvriers participent à l’organisation concrète de la mobilisation. Mais ils subissent parfois le mépris de militants issus de milieux intellectuels qui valorisent davantage la prise de parole publique et la posture idéologique.

 

 

               

 

 

Solidarités ouvrières

 

Le livre de Nicolas Renahy permet de se pencher sur un groupe de syndicalistes retraités. Le sociologue peut observer les mutations du monde ouvrier mais aussi les pratiques de solidarités concrètes qui perdurent. Certes, le groupe d’ouvriers retraités observé semble particulièrement dynamique et militant. Malheureusement, tous les ouvriers ne vieillissent pas aussi bien. Même si la révolte et la lutte sociale apportent évidemment plus de joie que l’aigreur et la résignation.

Nicolas Renahy esquisse quelques réflexions mais qui ne peuvent pas être approfondies dans un livre d’enquête sociologique. Les mutations du monde du travail favorisent la sous-traitance et l’individualisation du travail. La grande usine est éclatée au profit d’une multitude de petites entreprises sous-traitantes. Cette restructuration vise à briser la conscience de classe et les solidarités ouvrières.

Ensuite, Nicolas Renahy évoque les clivages, au sein du syndicalisme, entre les ouvriers et les fonctionnaires. Ce clivage sociologique débouche également vers des pratiques syndicales différentes. Les fonctionnaires peuvent davantage se tourner vers l’idéologie et le discours incantatoire. Les ouvriers favorisent l’organisation concrète de la lutte avec les piquets de grève et les actions de blocage. Le déclin des ouvriers et des salariés du privé au sein du syndicalisme peut ainsi expliquer son déclin et son impuissance.

 

Cependant, Nicolas Renahy semble rester optimiste sur l’avenir du syndicalisme. Le groupe des ouvriers retraités reste actif et permet une transmission de la mémoire des luttes et des pratiques d’organisation. Ensuite, des jeunes syndicalistes peuvent également émerger. Le mouvement contre la réforme des retraites de 2023 permet le développement d’une nouvelle génération de syndicalistes. Des jeunes femmes prennent la parole dans les manifestations, assument un rôle d’organisation et ressentent la puissance de la force collective.

Nicolas Renahy insiste pertinemment sur l’importance des solidarités concrètes, dans les luttes sociales comme dans la vie quotidienne. Face à l’isolement de la vieillesse, de la précarité et de la maladie, les liens tissés avec les anciens collègues et camarades de lutte semblent indispensables. C’est cette solidarité de classe qui permet de sortir des logiques marchandes d’atomisation et de concurrence pour ouvrir des perspectives de luttes collectives en rupture avec l’ordre capitaliste.

 

Source : Nicolas Renahy, Jusqu’au bout. Vieillir et résister dans le monde ouvrier, La découverte, 2024

 

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Syndicalisme et Gilets jaunes

Le syndicalisme dans les entreprises

 

Pour aller plus loin :

Vidéo : Gaspard Lion et Nicolas Renahy - "Vivre au camping" et "Jusqu'au bout", diffusée sur le site de la librairie Mollat le 22 novembre 2024

Radio : Nicolas Renahy, Vieillir et lutter dans le monde ouvrier, diffusée sur le site Disjoncter le 2 décembre 2024

Radio : Vieillir et résister dans le monde ouvrier, émission diffusée sur France Culture le 27 décembre 2024

Radio : Vieillir ouvrier, émission diffusée sur France Culture le 28 novembre 2024

Christian Corouge et Nicolas Renahy, Retour sur la condition ouvrière retraitée, publiée sur le site de la revue Contretemps le 17 janvier 2025

Adrien Naselli, « La force de la section “retraités” de la CGT Peugeot est de prolonger les solidarités collectives » - Entretien avec Nicolas Renahy, publié dans le journal Libération le 1er novembre 2024

Christian Baudelot, Vieilles branches, publié sur le site La Vie des Idées le 16 décembre 2024

Jean-Philippe Martin, Note de lecture publiée sur le site de La Cliothèque le 13 décembre 2024

Giovanni Prete, Note de lecture publiée sur le site de la revue Lectures le 2 décembre 2024

Hugo Robert, Note de lecture publiée dans le journal Le Monde diplomatique de décembre 2024

Articles de Nicolas Renahy publiés dans le portail Cairn

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