Le féminisme de Madeleine Pelletier

Publié le 12 Juin 2025

Le féminisme de Madeleine Pelletier
La militante socialiste Madeleine Pelletier apparaît également comme une pionnière de la pensée féministe. Elle attaque la famille et le patriarcat qui conditionnent les comportements individuels. Madeleine Pelletier milite pour le droit à l'avortement. La libération sexuelle doit permettre l'émancipation individuelle et collective des femmes.

 

 

Figure méconnue du féminisme, Madeleine Pelletier naît en 1874 dans un milieu populaire. Elle devient médecin. Surtout, elle milite dans différentes organisations du mouvement ouvrier. Elle défend les droits des femmes, notamment le droit de vote et la légalisation de l’avortement. Elle devient essayiste, romancière, journaliste. Elle se lance surtout dans de nombreuses activités politiques. Sa vie quotidienne s’accorde avec des idées anticonformistes. Elle assume le célibat et la virilisation comme un geste politique. La trajectoire de Madeleine Pelletier accompagne celle de la IIIe République née sur les cendres de la Commune. Elle connaît le développement du mouvement ouvrier. Elle traverse également la Première Guerre mondiale et la montée de l’extrême-droite.

Madeleine Pelletier refuse de rester cantonnée au rôle de la femme passive et soumise. Elle décide de s’habiller en homme. Elle théorise même la construction sociale de l’identité sexuelle. Elle dénonce l’oppression masculine. Surtout, elle observe que l’opposition entre le féminin et le masculin n’est pas ordonnée par la nature mais construite par la société. Son féminisme préfigure les théories de Simone de Beauvoir et de Judith Butler. Elle comprend que la politique comprend les dimensions sexuelle et psychologique. Madeleine Pelletier propose son analyse du patriarcat dans le livre L’Émancipation sexuelle de la femme.

 

La femme honnête doit rester soumise à la loi de l’homme dans le cadre de la famille. « Pas d’existence individuelle pour la jeune fille, en tutelle chez ses parents, elle attend le mari », observe Madeleine Pelletier. La jeune fille a le devoir de préserver sa virginité pour l’homme qui l’épousera. La séduction masculine reste valorisée. La réputation de séducteur évoque un homme heureux qui réussit sa vie.

En revanche, la femme séduite qui perd sa virginité tombe au rang de marchandise avariée de placement difficile. La maternité conduit la femme à rester confinée dans son domicile. La fierté d’être père s’apparente à un sentiment de propriétaire. « L’homme souverain de sa femme, se réserve à lui seul le droit de lui donner des enfants, une paternité étrangère lui apparaît comme un vol commis à son dommage », précise Madeleine Pelletier.

 

 

                      7_COUV_Madeleine Pelletier_L'Emancipation sexuelle de la femme.tif          

 

 

 

Critique de l’ordre patriarcal

 

La liberté du café pour la femme est considérée comme un droit à la débauche. Pourtant, l’accès à l’espace public reste indispensable pour s’informer, discuter, échanger et rencontrer de nouvelles personnes. « Tant que l’on n’aura pas trouvé un autre lieu où l’on puisse voir du monde, lire les journaux, écouter de la musique, se rencontrer avec les gens sans qu’il soit besoin d’en venir aux formalités compliquées d’une invitation, le café aura son utilité », souligne Madeleine Pelletier. Les hommes sont mieux informés car ils fréquentent les cafés. Au contraire, les femmes sont réduites à un état d’infériorité renforcé par leur isolement.

Les femmes doivent elles-mêmes prendre la liberté de se rendre au café. Les hommes doivent s’habituer à voir des femmes dans les cafés. « Lorsque la femme aura conquis le droit à la vie politique, son émancipation devant les mœurs s’effectuera plus rapidemment ; les vertus spéciale que l’on exige n’auront plus de raison d’être, on admettra l’équivalence des deux sexes en amour », analyse Madeleine Pelletier. L’émancipation politique et intellectuelle de la femme préfigure son émancipation sexuelle. Ce qui favorise l’amour comme union des corps et des esprits.

 

La famille apparaît comme une institution indéboulonnable. Les romanciers, les dramaturges et les poètes célèbrent le bonheur du foyer. Pourtant, la famille apparaît comme une institution autoritaire. « C’est une petite monarchie absolue dans laquelle l’homme, père et mari, exerce le pouvoir que lui ont conféré la loi et les mœurs », décrit Madeleine Pelletier. La femme, même lorsqu’elle est plus intelligente et énergique que son mari, doit feindre de lui obéir. Ensuite, les parents exercent une autorité sur leurs enfants. Au-dessus règne le père, puis vient la femme, et les enfants sont encore en-dessous. Les enfants doivent respecter les parents et leur obéir. Certes, l’éducation de l’enfant reste nécessaire. Cependant, il arrive que l’enfant ait raison et que les reproches des parents soient injustes.

Dans les familles bourgeoises, les enfants doivent même suivre le chemin professionnel décidé par les parents. « On comprend, dans ces conditions, tout ce que la famille a de préjudiciable à l’initiative individuelle ; elle fait de l’individu un encroûté, un pétrifié ; il tourne en rond dans le même cercle d’idées tel un cheval de manège », ironise Madeleine Pelletier. Le jeune bourgeois préfère suivre la voie tracée par ses parents plutôt que de perdre son mode de vie confortable. Ensuite, la famille impose la torpeur et limite le cercle de relations. L’asservissement, l’immobilisme et l’ennui imposés par la famille semblent encore plus néfastes pour la femme.

 

 

        Près de la place des Fêtes à Paris, manifestation à l'appel du MLF pour le droit à l'avortement et à la contraception, le 25 novembre 1972. ©AFP - afp

 

 

Droit à l’avortement

 

L’acte sexuel est agréable. Mais les conséquences de la reproduction peuvent se révéler moins joyeuses. « Cependant, si l’acte initial de la reproduction est un plaisir, la reproduction elle-même est une peine et le rejeton une charge », indique Madeleine Pelletier. La sexualité apparaît comme un plaisir qui ne se réduit pas à la nécessité de se reproduire. L’enfant peut survenir comme un accident déplorable. Cependant, l’homme et la femme ne sont pas égaux face à ces conséquences du plaisir sexuel. « Tant que la femme est considérée comme un être inférieur, on peut dire que l’amour est réservé au sexe masculin », observe Madeleine Pelletier. La femme se réduit à un instrument dont l’homme se sert pour jouir.

Le mariage et la maternité peuvent relever la situation de la femme. Mais la femme ne se réduit pas à un objet sexuel. Elle est aussi un sujet qui désire. « La femme ne fait pas cependant pas qu’être désirée : elle désire ; l’instinct sexuel parle aussi en elle : mais la société ne lui donne aucun droit de se faire valoir », souligne Madeleine Pelletier. Le désir d’aimer de la femme doit uniquement passer par la tutelle matrimoniale. Néanmoins, les femmes peuvent s’affranchir des barrières morales pour expérimenter une liberté sexuelle.

 

« Cependant, un obstacle, d’autant plus puissant qu’il n’est pas d’ordre social, mais d’ordre naturel se dresse devant la femme qui veut satisfaire sans entraves à se sexualité : c’est l’enfant », observe Madeleine Pelletier. L’enfant apparaît comme un frein à cette indépendance sociale et sexuelle de la femme.  Lorsqu’elle s’est libérée par la culture intellectuelle ou le travail, la femme replonge dans les servitudes du passé avec la perspective de l’enfant.

L’indépendance économique de la femme peut lui permettre d’élever un enfant. Mais, en cas contraire, la femme dépend de l’homme. « Mais alors même que le salaire de la femme lui permettrait d’élever seule un ou deux enfants, la maternité, pour ne pas être une servitude, ne doit pas lui être imposée. C’est à la femme seulement de décider si et quand elle veut être mère », insiste Madeleine Pelletier.

Madeleine Pelletier argumente en faveur de l’avortement. Elle dénonce l’idéologie religieuse qui considère que le plaisir sexuel doit s’accompagner d’une vie de souffrances. L’avortement permet aux couples illégitimes d’éviter de se lancer dans un mariage raté à cause d’un enfant. Mais l’avortement permet également aux couples d’élever un enfant au moment de leur vie qu’il souhaite. L’enfant provient d’un désir, et non pas d’une contrainte.

 

 

  Droit à l'IVG : l'inscription dans la Constitution adoptée en ...

 

 

Féminisme révolutionnaire

 

Madeleine Pelletier développe des réflexions qui insistent sur l’émancipation des femmes contre toutes les institutions patriarcales. Elle remet en cause l’éducation, la famille et la religion qui conditionnent autant les hommes que les femmes pour les soumettre à l’ordre patriarcal. Madeleine Pelletier esquisse des réflexions qui évoquent la répression sexuelle théorisée par Wilhelm Reich. La militante socialiste ne se contente pas de remettre en cause des individus mais s’attaque à l’organisation de la société dans son ensemble. Sa critique de la famille et de la religion comme socles de l’ordre patriarcal reste précieuse et toujours actuelle.

Cette approche est désormais gommée par le féminisme postmoderne. Cette mouvance préfère l’antisexisme et la mise en avant de normes individuelles plutôt que la remise en cause de la société patriarcale. Influencée par le philosophe Michel Foucault, cette nébuleuse pointe des rapports de pouvoir plutôt que des institutions. Ce qui tend à insister sur la responsabilité individuelle. Au contraire, Madeleine Pelletier insiste sur les mécanismes de conditionnement des individus. La solution n’est pas de surveiller les comportements individuels et les micro-pouvoirs mais de détruire une société capitaliste et patriarcale.

Ensuite, Madeleine Pelletier n’adopte pas une posture victimaire. Elle ne se complait pas dans le rôle de la femme fragile et vulnérable. Au contraire, elle affiche une féminité offensive. Ce qui demeure sans doute l’apport le plus précieux du mouvement queer. Madeleine Pelletier n’hésite pas à s’habiller avec des vêtements masculins et à fumer aux terrasses des cafés. Les comportements virils et l’espace public doivent également être réappropriés par les femmes. Ensuite, l’action directe individuelle ou collective apparaît comme le meilleur moyen de s’attaquer au patriarcat.

 

Ensuite, Madeleine Pelletier insiste sur l’émancipation sexuelle. La lutte pour le droit à l’avortement pose ainsi des enjeux centraux. La femme n’est pas la propriété de son mari et son corps ne doit pas se réduire à fonder une famille pour éduquer les enfants. Au contraire, Madeleine Pelletier insiste sur l’autonomie des femmes qui peuvent ne pas avoir d’enfants et ne pas fonder une famille avec ses multiples contraintes. Les femmes doivent également pouvoir élever seule leurs enfants avec des salaires importants. Ensuite, la religion et le patriarcat réduisent les relations sexuelles à la simple procréation. Madeleine Pelletier insiste au contraire sur le plaisir sexuel et sur la liberté amoureuse.

Ce recueil de textes délaisse un aspect de la réflexion de Madeleine Pelletier. La militante ouvrière et féministe relie la libération sexuelle et la libération sociale. Sa critique attaque ouvertement la société patriarcale. Mais les perspectives d’émancipation restent peu explorées. Néanmoins, sa stratégie se dessine en creux et se confirme à travers sa trajectoire de militante socialiste. Le féminisme ne se réduit pas à une lutte séparée et spécialisée. L’émancipation des femmes participe à un mouvement plus large pour sortir du monde capitaliste et patriarcal.

 

Source : Madeleine Pelletier, L’Émancipation sexuelle de la femme, La variation, 2022

 

Articles liés :

Féminisme et révolution sexuelle

Émile Armand et l'anarchisme amoureux

Les féministes contre la morale sexuelle

 

Pour aller plus loin :

Vidéo : Madeleine Pelletier, une doctoresse féministe, diffusée sur France Culture le 3 juin 2020

Vidéo : L'émancipation sexuelle de la femme – Le féminisme de Madeleine Pelletier, diffusée sur Un grain de lettres le 22 octobre 2023

Radio : Madeleine Pelletier (1874-1939), avec Christine Bard, diffusée sur Paroles d'histoire le 17 mars 2024

Radio : Épisode 4/10 : Madeleine Pelletier, une femme d’avant-garde, diffusée sur France Culture le 16 novembre 2021

Radio : émissions sur Madeleine Pelletier diffusées sur Radio France

Claude Maignien, PELLETIER Madeleine [PELLETIER Anne, Madeleine], publié sur le site du Maitron le 31 janvier 2009

Anne Steiner, La doctoresse Madeleine Pelletier, féministe et révolutionnaire, publié dans le journal L'Humanité le 21 février 2024

29 décembre 1939, mort de Madeleine Pelletier, enfermée à l’asile pour « crime d’avortement », publié sur Paris-luttes.info le 29 décembre 2023

Marina Bellot, Madeleine Pelletier, la « féministe intégrale », publié sur le site Retronews le 27 août 2021

Claude Maignien, Claire Auzias et Danielle Sivadon, Madeleine Pelletier, une « féministe intégrale », publié dans Chimères. Revue des schizoanalyses en 1997 

Christine Bard, “La crise du féminisme en France dans les années trente”, publié dans la revue Les cahiers du CEDREF en 1995

Claude Zaidman, “Madeleine Pelletier et l’éducation des filles”, publié dans la revue Les cahiers du CEDREF en 2007

Publié dans #Révolution sexuelle

Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article