Castoriadis, un penseur révolutionnaire
Publié le 27 Octobre 2014
La pensée de Cornélius Castoriadis (1922-
Cornélius Castoriadis, malgré l’importance de sa réflexion, demeure ignoré dans le petit milieu intellectuel. Il refuse la spécialisation et le cloisonnement universitaire. Ses réflexions s’appuient sur la philosophie, les sciences sociales, l’histoire, puis la psychanalyse. Surtout, il s’inscrit dans une perspective révolutionnaire dans le contexte du règne d’une pensée molle et tièdement libérale. Pendant le triomphe d’une vulgate marxiste-léniniste, il ne cesse de développer des critiques lucides du stalinisme et de l’URSS. Ses analyses se révèlent toujours à contre-courant.
Cornélius Castoriadis né en 1922, dans une famille de la petite bourgeoisie commerçante. Il grandit à Athènes, baigné dans un bouillonnement artistique et intellectuel. Adolescent, il adhère aux Jeunesses communistes. Mais il s’éloigne rapidement du Parti communiste (PC) grec, particulièrement stalinien et nationaliste. Avant même l’occupation nazie de la Grèce, il adhère à un petit groupe trotskiste qui diffuse une revue pour dénoncer le caractère chauvin et bureaucratique du PC. Les trotskistes sont alors traqués par la droite comme par les staliniens. Cornélius Castoriadis rejoint la France en 1945.
En France, le Parti communiste devient une organisation de masse du mouvement ouvrier. Mais Cornélius Castoriadis poursuit son engagement trotskiste au sein du Parti communiste internationaliste (PCI), un groupuscule qui comprend déjà divers courants divisés. Mais les trotskistes exercent alors une influence non négligeable au sein des Jeunesses socialistes, et surtout dans les luttes ouvrières. Ils semblent particulièrement actifs dans les grèves de 1947, notamment dans l’usine stratégique de Renault.
Mais, dès 1946, un premier débat éclate au sein du PCI. Cornélius Castoriadis et Claude Lefort dénoncent déjà la droitisation du PCI et sa position sur l’URSS. Les trotskistes considèrent l’URSS de Staline comme un État ouvrier dégénéré. Pour les opposants, l’URSS n’a rien d’ouvrier puisqu’une nouvelle classe parasitaire a remplacé la bourgeoisie : la bureaucratie. Le mot d’ordre de la défense de l’URSS doit alors être abandonné. Les opposants rejettent également l’attraction des trotskistes pour le PC et pour le bolchevisme.
En 1947, les opposants se radicalisent. La bureaucratie de l’URSS est considérée comme une classe qui exploite économiquement son prolétariat et qui s’oppose aux espérances révolutionnaires à l’échelle mondiale. La bureaucratie s’apparente à une nouvelle classe dirigeante qui contrôle les moyens de production. Lefort et Castoriadis s’opposent également la stratégie qui consiste à « gauchir » le PC. Contre cet appareil qui soutient un régime bureaucratique, les opposants préfèrent s’appuyer sur les comités de lutte qui ont émergé pendant les grèves de 1947. Ce sont ces organisations spontanées dont se dotent les ouvriers eux-mêmes qui doivent former un véritable parti communiste.
Les trotskistes de la IVe Internationale sont prêt à défendre n’importe quel régime bureaucratique, entre mensonges et idéalisations. Ils soutiennent immédiatement le régime de Tito et sa clique bureaucratique qui opprime les ouvriers et paysans yougoslaves. En 1949, la scission est définitive. Elle ne s’opère pas sur un détail, comme les autres scissions trotskistes, mais « sur une conception d’ensemble de la société actuelle et de la dynamique historique » précise Cornélius Castoriadis.
Les opposants fondent la revue Socialisme ou Barbarie qui entend actualiser le marxisme en prenant en compte des évolutions, comme l’émergence d’une classe bureaucratique. Ensuite, l’abolition de la propriété privée ne suffit pas. Il faut aussi supprimer la distinction entre dirigeants et exécutants dans la production comme dans tous les domaines de la vie. Dès le premier numéro, Castoriadis propose une analyse détaillée des rapports de production en Russie. La classe bureaucratique possède les moyens de production tandis que la masse des prolétaires ne possède que sa force de travail. L’étatisation de l’économie profite toujours à une minorité d’exploiteurs.
La revue Socialisme ou Barbarie regroupe surtout des intellectuels brillants. Mais la scission a également entraîné des employés et des ouvriers. Des réunions publiques avec des lecteurs doivent également élargir la base du mouvement naissant. Mais la nouvelle organisation révolutionnaire ne semble pas rassembler les masses. Socialisme ou Barbarie (SouB) se tourne alors vers un groupuscule qui regroupe des militants ouvriers proches des thèses de Bordiga. Ils considèrent l’URSS comme un capitalisme d’État mais conservent le modèle de l’organisation léniniste, avec sa hiérarchisation. Pourtant quelques jeunes ouvriers bordiguistes adhèrent à SouB en 1950. Le petit groupe attire même un syndicaliste de la CGT : Henri Simon. Il adhère à SouB après une longue grève dans le secteur des assurances.
La revue se rapproche d’Anton Pannekoek et du communisme de conseils. Dans le sillage d’Herman Gorter, il critique le centralisme bureaucratique du parti bolchevik. Comme Maximilien Rubel, il considère la révolution russe comme une révolution bourgeoise. Même si SouB ne partage pas cette analyse. Surtout Anton Pannekoek rejette toute forme de parti et même d’organisation. La revue polémique également avec Jean-Paul Sartre. Castoriadis attaque le grand philosophe qui demeure un bourgeois car il ne croit pas en la capacité de révolte et d’auto-organisation des ouvriers. Sartre défend la nécessité d’une avant-garde intellectuelle.
SouB reste dans la marginalité en raison de son contenu trop intellectualisant et surtout de ses positions hétérodoxes. Les intellectuels de gauche préfèrent se soumettre à l’idéologie du PC. SouB semble proche du communisme de conseils. Les soviets et autres organisations inventées par le prolétariat doivent réorganiser la société. Le contenu du socialisme se précise. La division entre une classe de dirigeants et une classe d’exécutants doit être abolie. Le socialisme doit reposer sur la capacité d’organisation par les individus de tous les aspects de leur vie. SouB s’appuie sur les grands moments révolutionnaires pour défendre la gestion ouvrière. Les Conseils doivent permettre à chacun de décider des orientations de la société et de son entreprise. Tout système de représentation ne peut que déboucher vers une dérive bureaucratique.
En 1956, une révolte éclate en Hongrie. Les ouvriers s’opposent au régime bureaucratique de l’URSS. Les thèses de SouB se voient directement confirmées. Mais cette prise de conscience ne touche qu’un public restreint dans le milieu intellectuel. Claude Lefort s’enthousiasme pour cette insurrection hongroise. Des conseils ouvriers sont créés dans de nombreuses villes. Ces conseils définissent le programme économique et politique, arment les combattants et organisent le ravitaillement. « Pour la première fois, un régime totalitaire moderne est mis en morceaux par le soulèvements des travailleurs », s’enthousiasme Castoriadis. Avec l’insurrection hongroise et la guerre d’Algérie, les idées de SouB deviennent influentes auprès des ouvriers.
La revue Arguments, crée en 1956, diffuse un marxisme hétérodoxe proche des analyses de SouB. Mais cette revue semble davantage défendre les intérêts de la petite bourgeoisie intellectuelle que ceux de la classe ouvrière. Surtout Arguments comprend des sociologues professionnels, comme Alain Touraine, qui rejettent toute forme de perspective révolutionnaire.
Des jeunes, comme Daniel Blanchard, sont attirés par les analyses de SouB. Ils contribuent à ouvrir cette revue très austère. Des critiques de film et un début de critique des mœurs sociales apparaissent. « On s’ouvrait à la sociologie, au jazz, à la modernité et au cinéma américain », confirme Daniel Blanchard.
Cornélius Castoriadis devient la figure intellectuelle écrasante du groupe. Claude Lefort, autre brillant théoricien, vit à Nîmes et ne peut pas participer aussi activement au groupe. SouB permet surtout une véritable réflexion collective qui s’appuie sur le vécu en usine et sur la réalité concrète des rapports de production. Les témoignages des quelques ouvriers sont particulièrement écoutés. La revue publie également des textes d’ouvriers américains qui permettent d’observer les évolutions du capitalisme mondial. Surtout, ces témoignages se situent au cœur du quotidien et accordent une importance majeure aux pratiques de résistance ouvrière à l’oppression, même les plus infimes. Le rythme des cadences et l’absence de sens au travail transparaissent. Ainsi la théorie doit toujours être mise à l’épreuve de la pratique. Le groupe tente de construire un réseau international, notamment avec des trotskistes dissidents qui considèrent l’URSS comme un capitalisme d’État.
Un véritable débat éclate au sein de SouB à la fin des années 1950. Cornélius Castoriadis et Claude Lefort incarnent deux directions différentes. Plus qu’une banale querelle de personnes, le clivage porte sur le rôle de l’organisation. Claude Lefort estime que le groupe évolue vers la forme parti, avec un programme et une organisation structurée selon le modèle léniniste. Claude Lefort dénonce le rapprochement avec les trotskistes américains et la présence de bordiguistes dans le groupe. Ses éléments contribuent à rapprocher SouB du modèle léniniste et aspirent à créer une organisation fortement structurée. Claude Lefort ne nie pas la nécessité d’une organisation révolutionnaire, mais il refuse de lui attribuer le rôle de représentation de la classe ouvrière. Au contraire, Cornélius Castoriadis critique cette conception illusoire et spontanéiste. L’organisation doit permettre de se regrouper pour intervenir collectivement dans les combats à venir.
Ce débat devient explosif en 1958. Le groupe comprend alors de nombreux militants. Surtout, le début de la Ve République apparaît comme une période de crise politique. Claude Lefort quitte le groupe avec Henri Simon pour créer Informations et liaisons ouvrières (ILO) qui se transforme ensuite en Informations et correspondances ouvrières (ICO). Claude Lefort estime que toute forme d’organisation ne peut que dériver vers la bureaucratie. Castoriadis désire dépasser le simple cercle de discussion pour créer une nouvelle forme d’organisation et intervenir directement dans les luttes.
Mais, à partir de 1959, Castoriadis s’éloigne progressivement du marxisme. Le capitalisme semble s’engouffrer dans une course au profit et à la productivité qui semble vide de sens. En raison de cette évolution, le prolétariat n’est plus le seul sujet révolutionnaire, qui s’étend désormais à l’ensemble de la société. Le marxisme ne peut plus appréhender ces évolutions, selon Castoriadis. Mais cette analyse nouvelle suscite un violent rejet au sein de SouB. Cette liquidation du marxisme semble déboucher vers l’inaction. L’analyse de classe et l’exploitation capitaliste demeurent des réflexions pertinentes. Les opposants à Castoriadis se regroupent autour du journal Pouvoir ouvrier.
Dans ce contexte tourmenté, Guy Debord adhère brièvement à SouB. L’animateur de l’Internationale situationniste exerce une véritable fascination sur les jeunes de SouB. Mais il quitte rapidement le groupe dont il dénonce l’abandon du marxisme. Il considère le courant représenté par Castoriadis comme « la frange la plus gauchiste et la plus fantaisiste de ces managers et cadres moyens de la gauche qui veulent avoir la théorie révolutionnaire de leur carrière effective dans la société ». Même si les analyses de SouB ont fortement influencé la pensée de Guy Debord.
Castoriadis théorise sa rupture avec le marxisme dans un long texte. Il dénonce « l’économisme » des marxistes qui réduisent tous les phénomènes sociaux à sa structure économique. Il critique également le déterminisme réducteur qui occulte la complexité des processus historiques. Le rationalisme marxiste semble réduire la réalité à des schémas systématiques. Le projet révolutionnaire ne doit plus reposer sur un scientisme mécanique, mais sur des pratiques d’autonomie. Castoriadis insiste également sur l’importance de l’imaginaire et du désir révolutionnaire.
A la fin des années 1960, la contestation ne vient pas des usines mais des étudiants. Cette population, différente du prolétariat, se situe pourtant dans une position d’exécutant face à la hiérarchie professorale. SouB se désagrège progressivement pour disparaître définitivement en 1967, avant le mouvement de 1968.
Les analyses de SouB influencent la révolte de Mai 68 en France, avec dix millions de grévistes qui bloquent l’économie du pays. L’apathie ancrée dans la durée se transforme brutalement en désir d’action. L’Internationale situationniste n’est pas la seule revue qui influence le mouvement. Daniel Cohn-Bendit et le mouvement du 22 mars se nourrissent des analyses de SouB qui proposent un marxisme non léniniste et anti-autoritaire. Le porte-parole de la révolte étudiante reprend directement les analyses de SouB sur la contestation de la jeunesse aux États-Unis au début des années 1960. La revue influence également le mouvement ouvrier. SouB permet de populariser la référence historique aux conseils ouvriers. Daniel Mothé, ancien membre du groupe, participe activement au mouvement de grève à l’usine de Renault-Billancourt, bastion du mouvement ouvrier.
Castoriadis publie une brochure d’analyse du mouvement qui reprend la démarche conseilliste de SouB. Il ne cherche pas à plaquer une grille de lecture idéologique sur les évènements. Il observe ce qui se passe et s’appuie sur les potentialités créatives du mouvement. « Castoriadis s’extasie devant un mouvement qui a sa dynamique propre et autonome, affranchi des appareils politiques et syndicaux, débordé et en plein désarroi », résume François Dosse. Castoriadis se réfère à l’analyse de SouB qui insiste sur l’opposition entre dirigeants et exécutants. Il déplore, sans surprise, la routinisation idéologique des groupes d’extrême-gauche enfermés dans leur dogme. Surtout, il estime que le mouvement doit inventer sa propre organisation pour éviter la récupération par les appareils bureaucratiques.
Il se distingue des analyses de Lefort dont le spontanéisme dérive vers le réformisme. Pour Lefort, le mouvement doit se contenter de contester, sans remettre en cause l’ordre existant par la création d’une organisation nouvelle. Lefort, qui enseigne à la fac de Caen, influence des étudiants rebelles comme Marcel Gauchet ou Jean-Pierre Le Goff. Ces deux intellectuels se recroquevillent désormais sur un crétinisme intellectuel limité au conservatisme le plus rance.
Les années 1968 alimentent un bouillonnement intellectuel. La revue L’Anti-Mythes publie des entretiens avec des anciens membres de Socialisme ou Barbarie. Castoriadis participe à la revue Textures avec Claude Lefort, Marcel Gauchet et Miguel Abensour. Mais l’autre membre du groupe, Marc Richir, se rapproche d’un antitotalitarisme mondain qui assimile toute forme de révolte à une terreur despotique. Ce qui provoque la fin de la revue en 1976.
Castoriadis se rapproche du syndicat de la CFDT. Le syndicat participe alors à des luttes combatives et développe un projet de socialisme autogestionnaire. Castoriadis écrit pour la revue de la CFDT, animée par Pierre Rosanvallon. Malgré le réformisme du syndicat, Castoriadis apprécie de s’associer à une dynamique de lutte.
Les « nouveaux philosophes », avec Glucksmann et Bernard-Henri Lévy, incarnent une « industrie du vide » qui remplace la pensée critique par un marketing idéologique. L’analyse de la bureaucratie développée par Socialisme ou Barbarie est alors remplacée par un moralisme creux.
Dans les années 1980, Castoriadis se rapproche de la revue Esprit. Malgré son réformisme tiède, cette publication devient un pôle de la gauche non communiste qui dénonce depuis longtemps le totalitarisme en URSS. Castoriadis devient une référence intellectuelle pour la « deuxième gauche », antitotalitaire et autogestionnaire, qui dérive progressivement vers un libéralisme bon teint.
Castoriadis devient même un radical de salon, particulièrement prisé par les intellectuels les plus médiocres. Philippe Raynaud, vulgaire larbin du patronat, consacre la décade de Cerisy de 1990 à un Castoriadis au tranchant critique déjà bien émoussé. Le penseur révolutionnaire passe progressivement de l’analyse critique des luttes au bavardage philosophique inoffensif.
Cornélius Castoriadis devient une référence pour penser la démocratie directe, malgré un attachement à une Grèce Antique idéalisée. L’intellectuel s’attache à dénoncer la représentation politique, avec ses professionnels et autres experts. Au contraire, il estime que c’est la population qui doit prendre directement les décisions qui la concernent. La politique ne doit pas être considérée comme une spécialité particulière confisquée par une caste de savants, mais doit devenir l’affaire de tous.
En marge de l’institution universitaire, des intellectuels contribuent à faire vivre la pensée de Castoriadis. Philippe Caumières insiste sur la notion d’autonomie qui n’est pas une fin en soi, mais un moyen « pour créer, pour vivre plus intensément en étant plus libre ». Fabien Delmotte s’appuie sur la pensée de Castoriadis pour renouveler la réflexion critique. Entre philosophie et sciences sociales il s’attache à penser l’émancipation. L’héritage intellectuel de Castoriadis nourrit également le collectif Lieux Communs qui entend œuvrer pour une autotransformation radicale de la société. Le projet d’autonomie repose sur la création d’assemblées.
Castoriadis poursuit ses mêmes engagements, contre les régimes bureaucratiques et le colonialisme. Il dénonce l’intervention militaire de la Pologne en 1981. En 1987, il dénonce la situation coloniale qui perdure en Nouvelle-Calédonie.
Castoriadis soutient les mouvements sociaux, qui nourrissent également sa pensée. Il évoque le mouvement de 1986 et valorise cette révolte de la jeunesse. Mais il regrette le développement d’un individualisme consumériste qui, loin de favoriser l’autonomie, renforce l’isolement et l’atomisation. Cette séparation des individus débouche vers des revendications corporatistes et limitées, sans véritable perspective émancipatrice.
Castoriadis s’attache aux nouvelles formes de lutte, comme les coordinations. Des mouvements spontanés surgissent hors des cadres syndicaux et politiques. Les coordinations reposent sur l’auto-organisation, mais se limitent souvent à un secteur professionnel précis.
En 1995, Castoriadis soutient évidemment le mouvement contre le plan Juppé. Il ne signe aucune pétition d’intellectuels. Il rejette la pétition d’Esprit qui soutient la réforme et le pouvoir en place. Mais il ne se reconnaît pas davantage dans la pétition de Pierre Bourdieu qui exprime le langage fossilisé du gauchisme réformiste recroquevillé sur la défense du service public. Même si la contestation part de revendications catégorielles, elle exprime surtout « un profond rejet de l’état de chose en général », selon le penseur révolutionnaire.
Cornélius Castoriadis propose également une réflexion sur l’histoire. Il observe que la mémoire disparaît dans des sociétés focalisées sur l’immédiateté et l’instantanéité. Il critique ce que l’historien François Hartog appelle le "présentisme".
Cornélius Castoriadis demeure attaché à la perspective d’une révolution. Il s’oppose à l’historien libéral François Furet qui considère que les révoltes ne peuvent déboucher que vers des bains de sang. La révolution permet la destruction des institutions centrales et « l’autotransformation explicite de la société condensée dans un temps très bref », selon Cornélius Castoriadis. L’intensification de l’activité politique doit permettre d’enclencher un mouvement de la société pour prendre son destin en mains.
Cornélius Castoriadis s’oppose également à toutes les variantes de réformisme. Les changements partiels et sectoriels ne débouchent vers aucune véritable transformation. C’est la société dans son ensemble qu’il faut changer. Cornélius Castoriadis s’oppose aux théories de Gilles Deleuze et Félix Guattari qui valorisent des « révolutions moléculaires » très localisées et limitées. Il s’oppose également à Michel Foucault qui se contente d’insister sur les microrésistances au pouvoir. Pour le penseur grec, opposé à la mode postmoderne, la révolution demeure un processus qui doit permettre une véritable émancipation humaine à travers une autonomie individuelle et collective.
Castoriadis déplore une époque moderne vide de sens. A partir des années 1980, il observe une « montée de l’insignifiance » et une artificialisation de la vie. Socialisme ou Barbarie évoque une inventivité réprimée et étouffée par la bureaucratie. A partir des années 1980, l’inventivité disparaît. La politique, et le débat d’idées, se réduit à la gestion de l’existant, sans véritable projet émancipateur. « Il y a dégénérescence : les intellectuels abandonnent, trahissent leur rôle critique et deviennent des rationalisateurs de ce qui est, des justificateurs de l’ordre établi », constate Castoriadis.
Il déplore également la disparition de la fonction critique et le règne du « conformisme généralisé ». La création culturelle semble également disparaître. Cette critique de la modernité le rapproche d’autres marxistes hétérodoxes, comme ceux de l’École de Francfort qui dénoncent la standardisation culturelle vers un affadissement généralisé. Castoriadis attaque la rationalisation de la planète et le règne de la technoscience. Il se rapproche du mouvement écologiste.
La biographie de Castoriadis révèle les ambiguïtés du personnage. Il bénéficie d’un niveau de vie plus que confortable et fréquente le milieu intellectuel. En revanche, sa réflexion ne se limite pas à une simple défense de ses intérêts propres et de la petite bourgeoisie intellectuelle. Il tente de repenser une nouvelle forme d’organisation politique qui favorise l’autonomie des individus.
Son projet politique semble aujourd’hui réduit à une simple spéculation théorique déconnectée de la vie quotidienne. Mais Castoriadis montre bien que les pratiques d'autonomie et les nouvelles formes d’organisation émergent dans les conflits sociaux et les mouvements de lutte.
Source : François Dosse, Castoriadis. Une vie, La Découverte, 2014
Le marxisme critique de Karl Korsch
Sartre et la hauche anti-bureaucratique
Vidéos : sur le site Cornelius Castoriadis Agora International Website
Radio : Cornelius Castoriadis, entretien du 25 novembre 1996, réalisé par Daniel Mermet dans l'émission Là-bas si j'y suis
Radio : Cornelius Castoriadis sur le site Anarsonore
Radio : Conférence de François Dosse mise en ligne sur le site Radio univers
Site de l'Association Castoriadis
Textes de Cornelius Castoriadis publiés sur le site Marxists.org
Textes de Cornelius Castoriadis publiés sur le site "Nouveau millénaire, Défis libertaires"
La pensée politique de Cornélius Castoriadis. Le projet d'autonomie, publié sur le site Infokiosques le 9 juin 2004
Mathieu Foulot, Socialisme ou barbarie : une pensée à contre-courant, publié sur le site Le Comptoir le 29 juin 2015
Jean-Marie Durand, Castoriadis, un grand philosophe oublié, publié dans le magazine Les Inrokuptibles le 4 juin 2014
Christophe Courtin, Lire Castoriadis, publié sur Mediapart le 20 décembre 2014
Site du collectif Lieux Communs
Colloque : Claude Lefort, Cornelius Castoriadis, et la question de la démocratie, 4 juin 2010, Université Paris Ouest. Résumés sur le site Le Carnet du Sophiapol
De la scission avec Socialisme ou Barbarie à la rupture avec I.C.O., L'Anti-Mythe, n°6