Vers un renouveau de la pensée critique
Publié le 30 Juillet 2013
Des universitaires s’attachent à renouveler la pensée critique. Ils tentent d'analyser la société pour dresser des perspectives émancipatrices.
Du Brésil à la Turquie, en passant par les révoltes arabes et les mouvements Occupy, les luttes sociales se multiplient. Mais il manque à ses nouvelles formes de résistance des perspectives émancipatrices.
Des universitaires tentent de repenser la critique sociale et l’émancipation dans un livre récent. Si le milieu de la recherche en sciences sociales demeure très limité, par son approche théorique dénué de toute pratique, un colloque universitaire récent révèle un renouveau de la pensée critique chez les jeunes chercheurs. Les cloisonnements disciplinaires, qui opposent notamment la philosophie et les sciences sociales, semblent même s'atténuer.
Mais l’émancipation renvoie à une définition particulièrement floue. Ceux qui utilise ce terme peuvent désirer une rupture avec la société marchande ou, au contraire, se contentent d’un aménagement du capitalisme. « On associe le plus souvent l’émancipation à une forme de libération, de déprise des rapports de domination, ou bien à l’affirmation et au renforcement d’une puissance d’agir collective ou individuelle, ou encore, dans une version légaliste, à la conquête de nouveaux droits », décrivent Alexis Cukier, Fabien Delmotte et Cécile Lavergne.
Dans un entretien, Luc Boltanski évoque la sociologie critique. Ce chercheur observe que les intellectuels sont tous intégrés à l’appareil d’État. Tous travaillent pour les institutions universitaires, ce qui n‘était pas toujours le cas avant les années 1980. Les universitaires s’opposent faiblement à une bureaucratisation de la recherche qui devient de plus en plus spécialisée et technocratique. Durant les années 1970 Luc Boltanski a créé, avec Pierre Bourdieu, la revue Actes de la recherche en sciences sociales. Avant de devenir une revue académique, c’était un espace de liberté en dehors du carcan universitaire.
Pierre Bourdieu semble distant par rapport au mouvement libertaire de Mai 68. Pour lui, le cadre de l’État-nation semble indépassable tout comme la centralité ouvrière. Mais, durant les années 1960-1970, la liberté critique s’exprime facilement dans un cadre universitaire beaucoup moins contrôlé par le pouvoir. L’époque actuelle semble plus moraliste et conformiste. Le retour des valeurs traditionnelles et de la famille s’inscrit dans une normalisation des comportements, contre toute forme de marginalité sociale ou politique.
Luc Boltanski insiste sur l’importance de la réflexion sur les classes sociales. La bourgeoisie, le prolétariat, mais aussi les classes moyennes, sont des catégories à redéfinir pour penser les nouvelles formes de domination. Le sociologue s’appuie sur la critique libertaire de l’État, mais défend aussi la construction de nouvelles institutions. Il étudie également le nouveau « mode de domination ».
Pour Luc Boltanski, l’émancipation se rapproche du communisme de conseils et de la démocratie directe. « Aujourd’hui ce n’est pas seulement la critique du libéralisme économique qui importe ; il s’agit vraiment d’essayer d’inventer, de réfléchir, aux techniques qui permettraient de mettre en œuvre d’autres façons de vivre et de travailler », souligne Luc Boltanski.
Il partage le constat d’une séparation entre les milieux intellectuels et les milieux militants. Par exemple, au Nouveau parti anticapitaliste (NPA), aucune pensée critique nouvelle ne semble émerger.
Irène Pereira évoque la figure de Georges Sorel, théoricien du syndicalisme révolutionnaire, pour alimenter la sociologie pragmatique. La théorie critique, qui analyse les rapports de domination, entre en contradiction avec l’émancipation « qui insiste sur les capacités de résistance et de libération des opprimés ». L’analyse de la domination n’évoque pas les perspectives d’émancipation. Inversement, insister sur l’émancipation débouche vers l’occultation des rapports de domination et d‘exploitation. La théorie critique prétend penser l’émancipation à partir de l’analyse de la domination. Cette démarche s’inscrit dans une approche scientiste. Georges Sorel tente de dépasser la tension entre critique et émancipation. Le syndicalisme révolutionnaire s’appuie sur une pratique de lutte pour élaborer une théorie.
La sociologie de Bourdieu prétend dévoiler les causes de la domination pour éclairer les masses. Cette approche scientiste nie les capacités de lutte de la population. Mais la sociologie pragmatique, qui insiste sur la liberté des individus, occulte les déterminismes sociaux et les classes sociales. La conflictualité politique disparaît. La tension entre critique et émancipation se traduit, sur le plan politique, à l’opposition entre marxisme et anarchisme. Bakounine dénonce le scientisme de Marx et son abstraction qui l’empêche de saisir la réalité. Au contraire, Lénine insiste sur une avant-garde de théoricien qui doit guider le peuple vers sa libération. Cette approche qui insiste sur la conscientisation s’oppose à l’auto-émancipation du prolétariat.
Georges Sorel critique le marxisme scientiste et déterministe pour privilégier la lutte des classes. Le syndicalisme révolutionnaire et l’action directe s’appuient sur la pratique pour élaborer une théorie, notamment de la grève générale. « La lutte des classes ne peut en fait selon Sorel qu’être étudiée qu’à partir des pratiques d’émancipation des ouvriers », résume Irène Pereira. La société semble divisée en nombreuses catégories sociales. Mais, en période de grève, seuls deux groupes distincts semblent s’opposer. Georges Sorel s’attache également à la création d’un nouvel imaginaire, à travers le mythe de la grève générale.
La sociologie critique devrait intégrer les pratiques et les discours des luttes sociales pour analyser la société.
Fabien Delmotte, chercheur en philosophie, questionne l’émancipation. « Cette interrogation concerne d’autres dimensions de la vie de l’individu, mais aussi la vie sociale et politique, où elle pose le problème d’un agir commun relatif à notre devenir collectif », précise Fabien Delmotte. Contre le néolibéralisme, l’économie doit être subordonnée aux institutions qui expriment les décision politiques prises par la population de manière la plus égalitaire possible.
Pour s’émanciper, l’individu doit refuser de se conformer aux normes et aux contraintes sociales. Mais, sans une organisation collective, les possibilités politiques demeurent limitées. « Une attitude mentale émancipée des normes sociales, en réservant la sphère de liberté à un simple sentiment intérieur peut très bien se marier avec une adaptation résignée au milieu et le maintien extérieur d’un conformisme », observe Fabien Delmotte. L’émancipation ne doit pas se limiter à une révolte individuelle mais suppose surtout l’action collective.
La démocratie ne doit pas se réduire à un simple régime parlementaire. La démocratie représentative repose sur le pouvoir d’une minorité, voire d’une élite d’origine féodale. La majorité de la population délègue le pouvoir à un petit groupe d’individus. Au contraire, la véritable démocratie suppose le pouvoir de toute la population.
La démocratie moderne privilégie la liberté individuelle, avec la propriété privée et ses intérêts particuliers, sur la liberté collective. Cette forme de démocratie débouche vers une société d’atomes séparés. Pourtant l’individu demeure un produit de la société, avec son éducation et ses institutions. L’individualisme ne favorise pas l’implication dans les décisions collectives, mais au contraire le repli sur la sphère privée.
L’émancipation suppose également l’égalité pour arracher les individus à une dépendance matérielle. L’émancipation renvoie donc à une égalité économique et sociale. Chacun doit pouvoir satisfaire ses besoins.
Dans la démocratie moderne, l’État défend la propriété privée et s’oppose à l’égalité économique et sociale. Au contraire, l’émancipation doit soumettre l’économie à des institutions qui expriment des décisions collectives prises par l’ensemble de la population de manière égalitaire. La véritable démocratie suppose donc une émancipation envers l’État. Seule une mobilisation internationale peut déboucher vers un projet d’émancipation qui dépasse le cadre de l’État-nation.
L’émancipation suppose une perspective révolutionnaire, « autrement dit un haut niveau d’implication des populations et l’effort d’inventer de nouvelles institutions » précise Fabien Delmotte. La rupture révolutionnaire implique une réorganisation politique et économique à travers l’initiative et l’action du plus grand nombre. De nouvelles formes de vie en société doivent s’inventer à travers l‘élaboration collective d‘un projet de société.
Pour le philosophe Jacques Rancière, l’émancipation ne provient pas d’une avant-garde de théoriciens qui éclairent les masses. L’émancipation émerge lorsque des gens « se demandent directement comment on peut vivre autrement, ou qui ont déjà l’expérience de vivre autrement », estime Jacques Rancière. Une autre manière de penser, d’agir, de vivre doit émerger. Le rapport au temps, au travail et à la vie quotidienne doit être modifié. L’émancipation intellectuelle suppose « que déjà on se constitue comme appartenant à un monde d’égaux », précise Jacques Rancière. Il faut partir de l’égalité pour construire l’égalité. Ce postulat permet de bouleverser les places et les rôles assignés par l’ordre social.
Le philosophe critique également la science et la démarche des sociologues qui interprètent le monde et prétendent apporter la conscience au peuple. De même, la pédagogie repose sur une inégalité entre le professeur et l’élève, alors infantilisé et crétinisé.
Les luttes sociales ouvrent de nouvelles possibilités politiques. Les révoltes dans les pays arabes ont esquissé une communauté politique d’égaux. « La présupposition d’égalité, c’est qu’il existe une instance collective, une intelligence collective partagée par tous, par n’importe qui », observe Jacques Rancière. Le mouvement du 15-M en Espagne, malgré ses revendications réformistes, invente une nouvelle communauté politique qui affirme sa capacité à agir et décider.
Le communisme, n’est pas une théorie, mais « ce sont les conditions d’effectuation d’un pouvoir de tous, d’une capacité de tous » définit Jacques Rancière.
Alexis Cukier souligne l’importance centrale de la réflexion sur le travail dans une perspective émancipatrice. Il existe des expérimentations pour travailler autrement et sans patron. Mais ses tentatives se distinguent d’une perspective d’émancipation sociale, « processus par lequel les individus peuvent sortir de l’état de minorité sociale et prendre leur vie en main afin de décider, agir et exercer le pouvoir collectivement et à parts égales dans la société », précise Alexis Cukier. Les luttes sociales actuelles ne s’inscrivent pas dans une perspective d’émancipation du travail et de destruction des institutions capitalistes qui organisent le travail. Les syndicats se contentent de défendre le travail et un chimérique retour au plein emploi. Pourtant, l’enjeu du travail renvoie à celui de « la réappropriation, de l’exercice et du partage du pouvoir dans la société », analyse Alexis Cukier.
Le travail apparaît comme une aliénation dans la vie quotidienne. Le psychologue Christophe Dejours observe les nouvelles organisations managériales qui renforcent l’aliénation au travail. L’individualisation du travail rend insensible à la souffrance des autres, notamment des inférieurs hiérarchiques. L’obéissance est favorisée par la peur et la menace de précarisation. Le mensonge permet d’éluder la conflictualité sociale pour créer une « culture d’entreprise ». Le travail vide l’activité de tout sens et dépossède les individus. L’émancipation du travail suppose alors une transformation radicale des institutions.
Dans les milieux intellectuels ceux qui défendent le salariat s’opposent à ceux qui veulent l’abolir. Le courant de la nouvelle critique de la valeur, incarné par le groupe Krisis, s’oppose au salariat. Pour ses intellectuels, inspirés par Karl Marx, le plein emploi devient un horizon dépassé. Le mouvement ouvrier s’attache toujours à défendre le salariat plutôt que de proposer des pistes de rupture avec le capitalisme. Le travail apparaît comme un asservissement et une contrainte sociale. L’émancipation passe alors par une rupture avec le capitalisme et la civilisation marchande. Mais cette critique demeure trop abstraite et théorique.
Au contraire, Bernard Friot défend le salariat comme une institution déjà émancipatrice. Le salaire récompense le travailleur de son effort et lui permet de satisfaire ses besoins. Pour Bernard Friot, la qualification et la cotisation sont des aspects du salariat qui s’opposent au capitalisme. Il propose de renforcer la socialisation du salaire et le partage du pouvoir économique. Mais cette défense du travail comme un socialisme progressif semble bien illusoire au regard des politiques d’austérité. Surtout, Bernard Friot, en social-démocrate bon teint, refuse de remettre en cause l’aliénation marchande.
Alexis Cukier estime que le travail ne se limite pas à une simple production, mais renvoie à une activité qui organise le fonctionnement du pouvoir dans la société. « L’affirmation de la fonction politique du travail voudrait en définitive nous rappeler que ce n’est pas ailleurs que dans le travail que doit s’effectuer la transformation politique des institutions, des rapports sociaux et des formes de vie », analyse Alexis Cukier. L’émancipation, qui s’oppose à l’aliénation, consiste à lutter pour reprendre sa vie en main à travers un partage du pouvoir politique.
Olivier Voirol évoque la relation entre culture et émancipation. Désormais, la culture renvoie à un terme aplati, vidé de son sens et de son horizon émancipateur.
Figure du siècle des Lumières, Friedrich Schiller estime que la culture doit permettre à l’être humain de s’élever et de prendre conscience de lui-même « en sortant de l’assoupissement de la vie sensible ». L’individu doit s’arracher de ses déterminations matérielles et corporelles. L’instinct sensible doit libérer la créativité et les désirs contre les normes et les contraintes sociales pour permettre l’épanouissement. La culture permet alors d’articuler raison et sensibilité. La pensée de Schiller se rapproche du romantisme révolutionnaire. Ce penseur critique l’appareil d’État qui classifie et chosifie les individus. Il attaque également le travail aliéné qui impose une séparation entre la jouissance et le travail. La culture doit alors créer une nouvelle sensibilité contre le « mécanisme froid de l’organisation sociale », selon Schiller. Cette esthétique doit reconstruire les relations humaines. La culture semble donc étroitement liée à la politique.
Max Horkheimer et Theodor Adorno observent une déliquescence de la culture au XXème siècle. La raison devient oppression. La culture, loin de favoriser l’émancipation, alimente l’infantilisation et le conformisme. La logique marchande impose une standardisation de la sensibilité et un refus de l’originalité. L’industrie du divertissement impose aux individus « un engagement routinier prompt à reconduire les normes établies, confinant à la reproduction des formules standardisées censées rencontrer le succès commercial », résume Olivier Voiriol. La culture favorise alors la soumission aux règles, la normalisation et l’intégration sociale. L’aliénation marchande ne se limite plus à la sphère de la production mais colonise également la vie quotidienne, avec les loisirs et la culture.
Mais l’industrie culturelle n’impose pas une domination implacable. Herbert Marcuse observe le bouillonnement culturel et politique des années 1960. La créativité accompagne la contestation politique et peut permettre d’ouvrir de nouvelles possibilités d’existence. Contre la culture conformiste et standardisée se développe « une culture expressive brisant les cadres établis et rendant possible l’élaboration de langages et de formes de communication inédits », décrit Olivier Voiriol. Selon Marcuse, cette « nouvelle sensibilité » doit permettre de briser les normes et les contraintes sociales pour attaquer la rationalité marchande. Mais l’industrie culturelle et le capitalisme ont récupéré cette contre-culture pour en désamorcer la charge subversive.
Elsa Dorlin évoque la figure de Franz Fanon. Ce révolutionnaire propose une auto-émancipation des peuples colonisés. Mais il privilégie le terme de libération. L’émancipation renvoie, selon lui, à une démarche légaliste. Les esclaves ne se sont pas libérés par eux-mêmes mais ont été émancipés par leurs maîtres. La libération peut également s’appuyer sur la violence révolutionnaire.
Elsa Dorlin, bien qu’universitaire, appartient à une nouvelle génération d’intellectuels qui refusent de séparer la théorie et la pratique. Mais si la chercheuse décrit bien comment sa réflexion sort du cadre de l’académisme et de la neutralité axiologique, elle ne décrit pas ses pratiques de lutte. En revanche, elle analyse bien l’évolution légaliste et institutionnelle du féminisme français.
Christian Laval interroge la capacité politique des classes populaires. Il critique le regard émerveillé des intellectuels qui considèrent la classe ouvrière comme un sujet révolutionnaire.
Les catégories populaires ne s’identifient pas à la classe ouvrière. Surtout, l’identité communautaire ou ethnique prime très souvent sur l’identité de classe. L’individualisation du monde du travail explique cet affaiblissement de la conscience de classe.
Le mouvement ouvrier se construit à travers la délégation et ne favorise pas l’autonomie des luttes. « Comment le prolétariat peut-il s’exprimer par lui-même, sans qu’il soit obligé de s’en remettre à des représentants qui ne peuvent que le trahir ? », s’interroge Christian Laval. Le prolétariat doit inventer de nouvelles pratiques pour exprimer sa capacité politique de manière autonome.
Au XIXème siècle, la classe ouvrière construit son propre mouvement avec une identité politique qui se distingue du monde bourgeois et de ses institutions. « L’émancipation des travailleurs sera l’œuvre des travailleurs eux-mêmes », proclame l’Association internationale des travailleurs (AIT). La classe ouvrière devient une classe autonome avec ses propres objectifs historiques. Mais les ouvriers ne sont pas spontanément révolutionnaire. Cette auto-organisation découle donc d’une construction politique. Mais les courants qui privilégient l’auto-émancipation deviennent minoritaires au sein du mouvement ouvrier.
Le mouvement social doit retrouver ses sources libertaires contre toutes les dérives léninistes et autoritaires. « Dit autrement, la production d’un discours anti-capitaliste ne saurait faire l’économie de la critique de tous les fétichismes doctrinaux, politiques et organisationnels qui ont déformé et trahi l’idéal socialiste de l’auto-émancipation », souligne Christian Laval.
Razmig Keucheyan reste englué dans la vieille idéologie gauchiste. Il considère le parti et l’organisation centralisée comme incontournables. Pour lui, les révoltes spontanées ne peuvent déboucher vers aucune organisation politique. L’universitaire défend également l’État et les institutions bourgeoises. Il avoue d’ailleurs collaborer au Front de gauche, illustration du vieux cartel de bureaucraties poussiéreuses. Au Brésil, la révolte spontanée s’oppose à l’organisation trotskisante du Parti des travailleurs (PT), un équivalant du Front de gauche, qui dirige l’État.
En revanche, Razmig Keucheyan observe bien la fragmentation du milieu intellectuel avec ses multiples revues. Une coordination des différents espaces de réflexion semble souhaitable. Mais il se garde bien d'évoquer la médiocrité de la pensée dans les partis et les diverses organisations du mouvement social qui se contentent d’ânonner les vieilleries réformistes et étatistes de la social-démocratie historique.
Il faut se réjouir d’un renouveau de la pensée critique, notamment dans les milieux universitaires. La réflexion collective proposée par ce livre dépasse largement la terne contre-expertise d'Attac ou de la Fondation Copernic. Au contraire, ses intellectuels renoncent au vieux mythe de l’avant-garde qui éclaire les masses ouvrières. Certains évoquent même des perspectives de démocratie directe, sans bureaucratie ni délégation. Ses universitaires critiquent même l’aliénation. Ils observent que la logique marchande colonise tous les aspects du quotidien, notamment le travail et la culture. Pourtant ses réflexions se cantonnent bien souvent à la simple analyse et ne dépassent pas le stade du constat.
Les contributions de cet ouvrage n’esquissent aucune piste de lutte et refusent de trancher dans les débats qui agitent les mouvements sociaux. Par exemple aucun intellectuel ne se situe clairement dans une perspective de rupture avec l’Etat et le capitalisme. Certains véhiculent même l’illusion d’un aménagement de la barbarie marchande. Ils ne dessinent aucun véritable projet de société radicalement nouveau. Ensuite, le rôle des organisations du mouvement social est largement occulté. Pourtant, les partis et les syndicats contribuent à intégrer et à contenir les désirs de rupture.
Certes, les expériences libertaires sont parfois évoquées. Mais les formes de lutte radicales sont délaissées. Les assemblées de grévistes, les conseils ouvriers, les comités de quartier ouvrent pourtant des perspectives d’auto-organisation et peuvent s’opposer à la logique marchande. Ses formes de lutte peuvent se diffuser, se radicaliser, se coordonner. En plus la réflexion individuelle et collective, et surtout la conscience révolutionnaire, se propage davantage dans les luttes que dans les colloques universitaires.
Une véritable perspective émancipatrice ne peut donc s’appuyer que sur les expérimentations des luttes auto-organisées. C'est dans les mouvements de révolte que peut s'inventer de nouvelles formes d'organisations sociales en rupture avec l'Etat et les différentes formes de pouvoirs. La pensée critique se limite trop souvent à un simple melting-pot idéologique relativement consensuel. Mais ce constat théorique semble trop souvent déconnecté des luttes actuelles et de leur perspective d’émancipation immédiate.
Source : Alexis Cukier, Fabien Delmotte, Cécile Lavergne (dir.), Émancipation, les métamorphoses de la critique sociale, Le Croquant, 2013
Introduction publiée sur le site de la revue Contretemps
Sociologie, gauche radicale et pensée critique
Luc Boltanski et la pensée critique
Le marxisme critique de Karl Korsch
Combattre l'austérité en Grèce et en Europe
Réinventer la politique face à la gauche
Mike Davis et les nouvelles formes de lutte
Congédier la gauche (de gauche)
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Pressions et gestes pour agir contre le capital
Emancipation et sensibilité artistique
Organisation Communiste Libertaire, "Autour de Jacques Rancière. Eléments d'une politique de l'émancipation", publié sur le site de l'OCL le 30 septembre 2009
Blog Critique radicale de la valeur
Michaël Foessel, "(Re)découvrir la théorie critique", entretien avec Olivier Voirol publié le site nonfiction le 16 décembre 2008
Textes publiés par Fabien Delmotte sur le site Autre Futur
Textes publiés par Razmig Keucheyan sur le site de la revue Contretemps
Vidéo Alexis Cukier, Théorie du pouvoir, néolibéralisme et retour de la question stratégique
Vidéo Razmig Keucheyan, "Le retour de Marx et théories critiques"
Vidéo Irène Pereira, "Réincarner l'autogestion"
Site du film "Notre monde", de Thomas Lacoste