Romantisme et luttes des classes
Publié le 23 Février 2012
Michael Löwy étudie le romantisme révolutionnaire qui inspire les "courants chauds" du marxisme. Critique des différentes formes d'aliénation et affirmation des subjectivités radicales fondent une véritable utopie émancipatrice.
Michaël Löwy demeure l’un des rares universitaires à ne pas négliger la critique de la vie quotidienne, à travers les surréalistes voire les situationnistes. Directeur de recherche au CNRS et militant au NPA qui regroupe tous les débris du gauchisme pourrissant, il présente ses travaux dans le cadre du séminaire Marx au XXIème siècle. A priori, le pire est à craindre: entre médiocrité universitaire et léninisme bêlant. « Je m’excuse de vous avoir empêché de participer à la manifestation des indignés » lance Michaël Löwy. Malgré la dégénérescence de ce mouvement en France, il ne s’agit apparemment pas d’un trait d’humour. Pourtant, les travaux de Michaël Löwy ouvrent des perspectives de réflexions pour une émancipation humaine.
Michaël Löwy présente son livre publié avec Robert Sayre sur le romantisme anticapitaliste. Il définit sa conception du romantisme qui ne se limite pas à un courant artistique et littéraire, mais renvoie à une vision du monde qui s’exprime dans toutes les sphères de la culture.
Pour lui, L’origine de l’inégalité parmi les hommes de Jean-Jacques Rousseau, publié au XVIIIème marque le début du romantisme. Mais le romantisme traverse tout le XXème siècle et perdure aujourd’hui. Le surréalisme s’inscrit dans ce sillage.
Le terme de romantisme est controversé. Le débat entre Henri Lefebvre et les situationnistes porte en partie sur cette notion. Pour Michaël Löwy, le romantisme renvoie à une révolte culturelle contre la civilisation capitaliste industrielle occidentale moderne. Cette protestation se réfère à des valeurs du passé. La nostalgie permet de critiquer le présent de la société bourgeoise. Les romantiques critiquent l’individualisme féroce et la destruction des communautés, la quantification de la vie et des rapports humains, ainsi que le désenchantement du monde.
Les courants chauds du marxisme
Karl Marx critique la marchandisation des rapports humains, de l’amour et de l’amitié. La gauche considère pourtant le romantisme comme un mouvement simplement passéiste et réactionnaire. Mais il existe également un romantisme révolutionnaire. Marx, sans pour autant s’inscrire dans ce courant, reconnaît la légitimité du romantisme. Il existe également un marxisme romantique. Georg Lukacs, Walter Benjamin, Ernst Bloch, Theodor Adorno, Mariategui, E.P.Thompson, André Breton et les surréalistes illustrent ce romantisme révolutionnaire.
Ernst Bloch se définit comme marxiste révolutionnaire et admire la civilisation gothique et médiévale. Comme Théodor W. Adorno, il élabore une relation dialectique entre le romantisme et les Lumières. Il distingue les « courants froids » des « courants chauds » du marxisme. Les courants froids privilégient une analyse scientifique et rationnelle du capitalisme. Les courants chauds s’appuient sur les utopies, les sentiments, l’amour. Les deux courants sont indispensables pour nourrir le marxisme. Mais l’analyse scientifique doit se mettre au service de l’utopie.
Theodor W. Adorno pense l’inverse. Le romantisme doit se mettre eu service des Lumières. La pensée supposée réactionnaire du romantisme doit alimenter le progressisme.
Walter Benjamin tente de renouveler le romantisme comme art, culture, pensée et action. En 1924, il devient marxiste mais enrichit cette pensée par le romantisme. Il développe une critique de la civilisation industrielle et technique. La révolution doit permettre d’interrompre le désastre. Il s’intéresse au surréalisme comme révolte libertaire de l’esprit et considère que les révolutionnaires doivent être pessimistes.
Le surréalisme intéresse tous ceux qui se réfèrent au romantisme révolutionnaire. André Breton et les surréalistes apparaissent comme la queue de comète du romantisme. La haine du bourgeois et de la classe régnante concilient critique romantique et lutte des classes. André Breton dans son discours sur les cinq glorieuses de l’histoire d’Haïti attise la révolte.
L'apport du romantisme révolutionnaire à la pensée critique
Pour Michaël Löwy, il semble indispensable de se réapproprier le romantisme, souvent méprisé par la gauche progressiste. Au-delà, de la polémique sur le terme « romantique », il semble important de redécouvrir l’importance de la réflexion des courants chauds du marxisme. La critique radicale de la vie quotidienne, portée entre autres par les surréalistes et les situationnistes, demeure toujours délaissée aujourd’hui. Pour ses mouvements artistiques et politiques, il ne s’agit pas uniquement de supprimer les rapports sociaux de production. L’ensemble des rapports humains doit être bouleversé. Transformer le monde et changer la vie ne font qu’un, selon l’expression d’André Breton. La passion, le désir, la subjectivité apparaissent comme des moteurs d’un mouvement révolutionnaire et doivent fonder un nouveau projet de société. Mais, comme le soulignent Luc Boltanski et Eve Chiappello, cette "critique artiste" ne doit pas être dissociée de la "critique sociale" de l'exploitation capitaliste. Le management capitaliste semble friand des notions d'autonomie, de flexibilité, de prise en charge individuelle pour devenir « l’entrepreneur de sa propre vie ».
Une autre dimension majeure découle du romantisme anticapitaliste. La valorisation du qualitatif contre le quantitatif permet de développer une critique de la civilisation techno-industrielle bien plus stimulante que l’écologie à la mode. L’accumulation de marchandises et la logique du profit détruisent les relations humaines. La qualité de la vie doit au contraire primer sur la quantité de marchandises possédées. La critique des nouvelles technologies peut découler de cette réflexion. Les nouveaux médias privilégient l’immédiateté, le nombre de clics, le buzz, le zapping contre une réflexion approfondie qui exige du temps. La société de l’écran modifie également les rapports humains puisque les individus ne se parlent pas, ne se rencontrent pas, ne construisent pas des projets communs mais se contentent d’être connectés, en restant figés sur leurs écrans. L'oppression technologique impose une artificialisation de la vie.
Mais la critique romantique doit se garder d’un retour aux civilisations traditionnelles. Certains textes publié par L’Encyclopédie des Nuisances ou les écrits de Jean-Claude Michéa sombrent dans cet écueil. Se replier sur son petit jardin et retrouver le fantasme des communautés rurales traditionnelles avec son capitalisme artisanal ne peuvent pas fonder un projet de société alternative. De même, la position en surplomb des contempteurs de la valeur, et surtout de la lutte des classes, dessine davantage des carrières universitaires que des projets d’émancipation humaine.
Romantisme et lutte des classes, critique de l’aliénation et de l’exploitation doivent demeurer indissociables. Il semble indispensable de détruire et de dépasser cette civilisation marchande pour construire une nouvelle organisation sociale afin de rendre la vie passionnante.
Henri Lefebvre et le romantisme révolutionnaire
La révolution des surréalistes
Walter Benjamin, l'art et l'émancipation
Critiquer l'art pour passionner la vie
Les situationnistes dans la lutte des classes
Michael Löwy, "Romantisme et marxisme", Archives audio et vidéo du séminaire "Marx au XXIème siècle", 15 octobre 2011
Ainhoa Jean, "Marx au XXIème siècle: Marxisme et Romantisme", nonfiction.fr
Michael Löwy, "Le romantisme révolutionnaire de Mai 68", revue Contretemps n°22, Mai 2008
Amselm Jappe, "Grandeur et limites du romantisme révolutionnaire", La revue des Livres n°2, 16 novembre 2011
Commentaire de l'article d'Amselm Jappe sur le site Critique de la valeur
Grandeur et limites du romantisme révolutionnaire, une réponse de Michaël Löwy et Robert Sayre sur le site de la Revue des Livres
Philippe Corcuff, "Michael Löwy et les chatoiements de l'anticapitalisme romantique", Revue Tout est à nous ! n°12, juillet-août 2010