Dionys Mascolo contre la gauche

Publié le 23 Février 2023

Dionys Mascolo contre la gauche
La gauche apparaît comme une impasse. Les partis politiques se cantonnent à des postures idéologiques dans le cadre de la démocratie bourgeoise. Au contraire, il semble important de s'appuyer sur la réalité matérielle et sur les dynamiques des luttes sociales. 

 

 

Le terme de gauche revient à la mode. Pourtant, il a été discrédité. Après la présidence de François Hollande, la gauche est associée aux politiques néolibérales. Son opposant, Jean-Luc Mélenchon, refuse de se proclamer de gauche pour ne pas être associé à l’échec de François Hollande. La gauche est également associée à une multiplication d’échecs au pouvoir. En 1955, la revue Les Temps modernes animée par Jean-Paul Sartre lance une enquête sur la gauche.

Dionys Mascolo répond à cette enquête. Cet intellectuel révolutionnaire adhère au Parti communiste en 1946, dans le sillage de la Résistance. Mais il est exclu dès 1953. Dionys Mascolo est surtout connu pour son engagement en soutien aux indépendantistes algériens. En 1960, il rédige avec Jean Schuster et Maurice Blanchot la « Déclaration sur le droit à l’insoumission dans la guerre d’Algérie », plus connue comme le « Manifeste des 121 ». Dans le mouvement de 1968, il crée le Comité d’action étudiants-écrivains.

L’article de Dionys Mascolo sur la gauche, paru en 1955 dans Les Temps Modernes, est suivi par un article paru dans la Quinzaine littéraire en 1970. Dans ces deux textes, il explore également la question de la révolution. Ces deux articles sont publiés sous le titre Sur le sens et l’usage du mot « gauche ».

 

 

                                       Sur le sens et l'usage du mot

 

 

Impasse de la gauche

 

Dans son article de 1955, Dionys Mascolo observe que la gauche conserve une connotation péjorative. « Gauche signifie d’abord dévié, tordu, mal fait, d’où maladroit, et de là viendrait que le côté du corps où se trouve le bras le plus faible, dit-on (et le cœur, a-t-on soin d’ajouter, pour tenir compte du cas des gauchers), ait été désigné par ce mot », observe Dionys Mascolo.

En France, la gauche désigne également les partis de l’opposition qui se placent à gauche du président de l’Assemblée depuis la Révolution de 1789. Les commentateurs politiques utilisent les termes de droite et de gauche qui suffisent à désigner l’orientation idéologique d’un parti ou d’un élu. Mais la gauche rassemble un groupe d’individus qui n’ont rien en commun. « Sont également de gauche en effet – peuvent être dis et sont dits également de gauche – des hommes qui n’ont rien en commun : aucun goût, sentiment, idée, exigence, refus, attirance ou répulsion, habitude ou parti pris… », indique Dionys Mascolo.

 

La droite semble unie car elle défend l’ordre existant. En revanche, la gauche reste divisée puisqu’elle exprime le refus. Mais tout le monde ne refuse pas la même chose, ni avec la même fermeté. « On essayera de préciser ce qui est constamment refusé dans tout refus "de gauche" », précise Dionys Mascolo.

Mais la gauche apparaît avant tout comme une addition d’opinions. Ce qui se distingue de la position révolutionnaire. La gauche peut, au mieux, soutenir des révolutionnaires. « En deçà de cet acte, il y a finalement, entre la gauche qui s’entretient comme gauche et la révolution, une opposition plus radicale qu’entre la moyenne des opinions qui constituent la gauche et celles qui constituent la droite. Jamais par exemple un révolutionnaire ne s’avisera de dire qu’il est de gauche », observe Dionys Mascolo. Ceux qui pensent en termes de gauche et de droite ne sont pas des révolutionnaires, mais des bourgeois. La distinction entre gauche et droite sert donc à distinguer entre eux les bourgeois.

 

 

                rue de l'université

 

 

Communisme révolutionnaire

 

La gauche regroupe un conglomérat de refus partiels. Chaque courant de gauche défend sa petite cause. « Ce refus partiel, refus opposé à l’un ou l’autre des mondes qui vous retiennent prisonnier, c’est cet acte qui mérite vraiment d’être appelé de gauche », analyse Dionys Mascolo. Mais il ne suffit pas de multiplier les refus de ce genre pour passer à la détermination révolutionnaire. Par ailleurs, l’illusion et la possibilité de refuser reste dévolue à la classe bourgeoise. « C’est pourquoi celui à qui tout est déjà refusé naturellement ne songera pas à se dire de gauche », ironise Dionys Mascolo. Le refus apparaît comme un luxe.

L’union de la gauche s’apparente à l’addition des refus partiels. « La gauche – la gauche sur laquelle les journaux publient tous les jours des informations – est la réunion idéale de tous les refus séparés, l’unité jamais réalisée de tous les traits de gauche semés dans la variété sans bornes des attitudes individuelles, le groupement théorique des actes de contestation du réel accomplis dans les différentes sphères du réel », souligne Dionys Mascolo. Une nostalgie ne cesse de se manifester pour l’union de la gauche. Mais, dès que l’unité cesse, les polémiques deviennent encore plus virulentes qu'auparavant.

Le refus révolutionnaire vise à unifier tous les refus de gauche. C’est une posture idéaliste, avec des bons sentiments, qui prédomine du côté de la gauche. Au contraire, les révolutionnaires assument une position matérialiste. « Le seul critère qui puisse unifier tous les refus de gauche dans l’acte simple du refus révolutionnaire, c’est la définition matérialiste de l’homme comme homme de besoin », analyse Dionys Mascolo.

 

L’article « Contre les idéologies et la mauvaise conscience » est publié dans La Quinzaine Littéraire en 1970. Dans ce texte, Dionys Mascolo évoque le rôle politique des intellectuels. Il distingue l’intellectuel communiste, qui exprime un refus et une critique, des autres intellectuels. « Par opposition à l’intellectuel classique, créateurs de biens culturels, "ingénieur des âmes", porteur de l’idée satisfaisante, féconde, l’homme de l’exigence communiste est devenu porteur de l’idée dépossédante, qui n’est grosse que de refus, de négation, de dés-illusion, de dé-ception », décrit Dionys Mascolo.

La révolte de Mai 68 a permis de remettre en cause la classe dominante et ses idées. Les intellectuels doivent alors contribuer à la défaite idéologique de la bourgeoisie. « Mieux armés qu’aucune autre couche de la société, c’est aux intellectuels que revient la tâche d’abattre le décor, en sorte que place nette soit faite au véritable facteur historique : la lutte des classes », propose Dionys Mascolo.

 

 

       

 

 

Gauche contre la révolution

 

Dionys Mascolo semble un peu passé de mode. L’intellectuel, proche de la revue Arguments, incarne un marxisme hétérodoxe qui annonce le bouillonnement contestataire des années 1968. En deux articles, il synthétise les critiques qui peuvent s’adresser à la gauche. Ces textes n’ont pas vieilli. Ils se démarquent des banalités insipides déversés dans les médias autour de l’union ou de la crise de la gauche. En quelques arguments percutants, Dionys Mascolo démolit le mythe de la vieille gauche.

L’intellectuel révolutionnaire reprend la critique marxiste de la gauche bourgeoise. Il dénonce une gauche idéaliste, engluée dans les bons sentiments. La posture morale débouche vers l’indignation et l’impuissance. Dionys Mascolo insiste sur une approche matérialiste. Il semble effectivement indispensable de partir des conditions de vie et des problèmes concrets de la population pour s’organiser et agir. La gauche préfère partir des idéologies pour se regrouper. Cette démarche perdure dans un milieu militant réduit à un folklore inoffensif mais déconnecté des préoccupations de la majorité de la population, comme la vie chère.

 

Dionys Mascolo reprend également la critique anarchiste de la gauche bourgeoise. Ce courant politique apparaît avant tout comme une tendance du parlementarisme. La gauche reste liée aux institutions et aux partis. La gauche apparaît comme une opinion dans le cadre d’un débat bourgeois corseté dans le monde politique traditionnel. La droite et la gauche expriment deux opinions sur la bonne manière de gérer l’ordre capitaliste. Au contraire, ce sont dans les luttes sociales que peuvent émerger les idées nouvelles et les débats pertinents.

Dionys Mascolo reprend la critique très actuelle de la gauche comme une addition de refus séparés. Les postures de l’intersectionnalité ou encore de la convergence des luttes semblent donner une actualité à cette critique pertinente. Chaque collectif avance des revendications séparées avec une focale rétrécit. La gauche se contente d’additionner ces petits refus séparés. Les programmes de la gauche apparaissent comme une compilation des revendications des diverses associations spécialisées.

En revanche, les partis de gauche ne proposent aucune analyse globale qui peut déboucher vers une perspective révolutionnaire. Au contraire, les nouvelles mobilisations à lamode ne semblent pas sortir de la spécialisation et de l’indignation morale. Néanmoins, les soulèvements à travers le monde se démarquent désormais des idéologies et des revendications de la gauche pour ouvrir des perspectives nouvelles.

 

Source : Dionys Mascolo, Sur le sens et l’usage du mot « gauche », Lignes, 2011

 

Articles liés :

Les échecs de la gauche au pouvoir

La gauche de Sartre

Les intellectuels et la politique

La vie intellectuelle en France

 

Pour aller plus loin :

Vidéo : L’esprit d’insoumission, diffusée par la Bibliothèque publique d'information le 31 mai 2016

Radio : Le bureau de Dionys Mascolo : une vie placée sous le signe de la révolte, diffusée sur France Culture le 19 mai 2016

Dionys Mascolo : Itinérance d'un hérétique. « Le contraire d’être de gauche, ce n’est pas être de droite, c’est être révolutionnaire », paru dans lundimatin#239, le 20 avril 2020

Émile Carme, Droite & gauche : le couple des privilégiés, publié sur le site de la revue Ballast le 23 février 2016

Arnaud Viviant, C’est dans la nature de la gauche d’être « déchirée », publié sur le site Les Influences le 19 ocobre 2011

Ahmed Slama, De la vacuité de « gauche, publié sur le site Litteralutte le 25 mars 2022

David Norgeot, Mascolo > Sur le sens et l’usage du mot ‘gauche’, publié sur le site Unidivers le 14 octobre 2011

Les nécessités du communisme libertaire par la preuve : deux publications des éditions Lignes, publié sur le site Nouvelles du front le 23 décembre 2012

Hyacinthe, « Tenter d’échapper à la bêtise », publié sur le site Souffle inédit le 3 février 2022

De Quoi "Gauche" Est-Il Le Nom ? (Dionys Mascolo), publié sur le blog Mes mille et une nuits à lire le 15 octobre 2011

Jérôme Duwa, MASCOLO Dionys, Orphée, Alcibiade, publié sur Le Maitron en ligne le 5 février 2012

Louis René, Mascolo, l’exigence communiste, publié sur le site Entêtement le 2 mars 2022

Robert Vander Gucht, L'écrivain et le communisme selon Dionys Mascolo, publié dans la Revue Philosophique de Louvain en 1964

Jean-François Hamel, « Le demain joueur du Comité d’action étudiants-écrivains : genèse d’un collectif littéraire d’agitation et de propagande », publié sur Fabula / Les colloques, La littérature contemporaine au collectif le 8 octobre 2020

Publié dans #Pensée critique

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