La révolte libertaire de Mai 68

Publié le 14 Avril 2018

La révolte libertaire de Mai 68
Le mouvement de 1968 repose sur une révolte spontanée qui permet d'ouvrir l'imagination et l'utopie. Toutes les formes d'autorité et de contraintes sociales sont remises en cause.

 

Mai 68 apparaît surtout comme une révolte étudiante. Mais c’est avant tout une importante grève sauvage. Les témoignages sur le mouvement de 1968 sont nombreux. Mais ils se contentent de ressasser la parole des militants gauchistes. Il existe également une dimension libertaire qui insiste sur la créativité et la spontanéité de la révolte. 

Pierre Peuchmaurd propose une autre lecture de ce moment révolutionnaire. Ce poète surréaliste rejette toutes les sectes idéologiques, y compris les anarchistes. Il propose un témoignage à chaud dans le livre Plus vivants que jamais.

 

                             L'imagination au pouvoir

 

 

Insurrection de la jeunesse

 

Pierre Peuchmaurd confie avoir raté le début de la révolte. Il a entendu parlé du mouvement du 22 mars à Nanterre. Mais il n’est pas présent à la Sorbonne durant les affrontements entre le 3 et le 6 mai. Pourtant, dès le 7 mai, il est présent dans les rue du quartier latin. Il voit les jets de pavés sur les camions de police. Les coups de matraque nourrissent la détestation de la répression et de l’Etat. La rue permet la politisation et l’unité au-delà des chapelles idéologiques.

Le 10 mai surgit la nuit des barricades. Léo Ferré préfère continuer de chanter l’anarchie dans son concert, plutôt que de la rejoindre concrètement dans la rue. La jeunesse doit maintenant provoquer la jonction avec le monde ouvrier. Le geste émeutier peut permettre de rallier les travailleurs révoltés. Les étudiants tiennent leurs barricades. Ils résistent à la pluie de grenades lacrymogènes. Mais ils finissent par partir.

Le 13 mai, la CGT organise une manifestation. Les gens se retrouvent sous les drapeaux noirs. Mais la tonalité de la manifestation respire la grisaille militante. Les slogans sont toujours les mêmes. La créativité de la lutte doit rentrer dans le cadre des revendications syndicales. « Cette volonté forcenée qu’ont toutes les ordures cégéto-"communistes" de vouloir tout canaliser, court-circuiter. Ne pas même respecter la colère certaine de la grande majorité de tous ceux qui sont venus à leur appel, et qu’ils habillent en bleu et rouge en attendant le tricolore », ironise Pierre Peuchmaurd.

 

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Dans les facs et les usines

 

En revanche, la Sorbonne occupée favorise les débats et les rencontres entre étudiants et ouvriers. A partir du 16 mai, les comités d’action se multiplient. C’est aussi un moment qui permet une libération de la parole. « Tout un printemps, il suffira d’une banderole, d’un porte-voix ou même pas, d’être deux ou trois, pour que s’improvise un meeting, pour que tout un pays réapprenne l’usage de la parole, pour penser ensemble puis agir ensemble », témoigne Pierre Peuchmaurd. Les comités d’action ne permettent pas uniquement la discussion, mais doivent déboucher sur l’organisation d’actions. Ensuite, les comités d’action de la Sorbonne affirment leur dimension politique et refusent de se cantonner dans les revendications corporatistes et universitaires.

Le mouvement du 22 mars s’attache à créer des liens entre étudiants et ouvriers. Ils rejoignent les manifestations de travailleurs. « Votre lutte est la nôtre » indique le tract du 22 mars distribué aux ouvriers. Georges Séguy, dirigeant de la CGT, négocie les accords de Grenelle. Cette concertation avec l’Etat et le patronat doit permettre de faire cesser la grève avec la satisfaction des revendications syndicales. Mais, le 27 mai, les grévistes de Renault, bastion de la CGT, ne cessent de huer Séguy. Ensuite, un grand meeting est organisé au stade Charléty. De nombreux syndicalistes ouvriers prennent la parole pour appeler à la révolution.

Au mois de juin, la grève continue. Quelques usines reprennent le travail, mais beaucoup d’ouvriers continuent la lutte. L’usine de Flins incarne la jonction entre les étudiants et les ouvriers. La jeunesse affronte les CRS. Mais la répression est particulièrement violente. Gilles Tautin est tué par la police à l’âge de 18 ans. Malgré la combativité ouvrière, la reprise du travail s’organise, secteur par secteur et usine par usine, avec la complicité de la CGT. Néanmoins, cette révolte permet de se politiser par l’action et la lutte.

 

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Imaginaire libertaire

 

Les inscriptions sur les murs marquent le mouvement de Mai 68. Elles évoquent la dimension libertaire, ironique et festive de ce soulèvement. Elles tranchent avec les vieilles revendications gauchistes et syndicales. Elles s’inspirent souvent des idées situationnistes. Ce petit groupe valorise une critique de la vie quotidienne et de la consommation. Il privilégie la liberté, la créativité et le plaisir. Walter Lewino évoque ces inscriptions dans le livre L’imagination au pouvoir, illustré par les photographies de Jo Schnapp.

Mai 68 apparaît comme un mouvement sauvage et spontané. « Une grande explosion poétique teintée d’ironie. Les murs ont ricané », décrit Walter Lewino. Le 6 mai 1968, des affrontements éclatent entre les étudiants et la police. Les premières inscriptions surgissent. « Vivre sans temps mort. Jouir sans entraves », « Consommez plus vous vivrez moins », « Éjacule tes désirs ». Ces mots d’ordre évoquent une critique de l’aliénation et une remise en cause globale de l’ordre marchand.

Le 10 mai se déroule la nuit des barricades. Une manifestation étudiante est encerclée. Des personnes décident alors de dépaver la rue et de monter une barricade. Les inscriptions se font alors moins poétiques et dénoncent surtout la répression. Le fameux « CRS = SS » resurgit.

Le 13 mai, les syndicats organisent une grande manifestation pour mieux prendre le contrôle du mouvement et lui donner une tonalité réformiste. La Sorbonne est occupée. Les groupuscules maoïstes et trotskistes imposent leurs stands. Mais quelques inscriptions témoignent toujours une dimension poétique et libertaire : « Toute destruction est créatrice », « L’art est mort, ne consommez pas son cadavre », « La marchandise, on la brûlera », « Prenez vos désirs pour la réalité », « Libérez les passions ».

 

 

                                      graffiti mai 68, vive la revolution

 

 

Contre l’exploitation et l’aliénation

 

Les livres de Pierre Peuchmaurd et Walter Lewino proposent une lecture libertaire de Mai 68. Ce sont souvent les versions gauchistes des évènements qui sont privilégiées par les témoins et les historiens. Les anciens trotskistes et maoïstes y vont de leur récupération ridicule. Loin du modèle marxiste-léniniste autoritaire et discipliné, le mouvement de 68 apparaît comme une révolte joyeuse et spontanée.

Pierre Peuchmaurd décrit bien l’hostilité du mouvement à l’égard de la CGT et du Parti communiste. Il propose une description des événements, avec des analyses pertinentes. Il insiste également sur les batailles de rue et les affrontements avec la police. Cette approche permet de souligner la conflictualité du mouvement, contre les discours légalistes et réformistes. Pourtant, Mai 68 ne se limite pas à une insurrection. Le livre de Pierre Peuchmaurd a d’ailleurs été déterré par le Comité invisible qui insiste sur l’approche insurrectionnelle des mouvements sociaux. Les bastons contre les flics sont bien décrites. La dynamique des grèves sauvages qui éclate dans les usines apparaît beaucoup moins. Mais Pierre Peuchmaurd insiste également sur la solidarité entre étudiants et ouvriers.

 

Le livre de Walter Lewino insiste sur la dimension créative et utopique de Mai 68. Les inscriptions sur les murs révèlent cet imaginaire libertaire qui attaque tous les pouvoirs. Dans une veine situationniste, les graffiti proposent une critique de l’aliénation dans la vie quotidienne. Ils ouvrent également des perspectives qui sortent des traditionnelles revendications syndicales. Il faut également souligner que cet aspect ne se cantonne pas à la contestation étudiante. La révolte ouvrière s’appuie également sur une dimension qualitative. Les cadences, les petits chefs et tout monde de la vie en usine sont remis en cause. La critique de l’exploitation s’accompagne d’une critique de l’aliénation.

Cette critique de la globalité du monde marchand tranche avec la grisaille des revendications gauchistes et syndicalistes. Plutôt que de commémorer Mai 68 avec ses discours d’anciens combattants, il semble indispensable de raviver cet imaginaire utopique et libertaire. La joie de la révolte, la créativité et la spontanéité restent indispensable pour ouvrir de nouvelles perspectives de lutte.

 

Sources :

Pierre Peuchmaurd, Plus vivants que jamais. Journal des barricades, Libertalia, 2018

Walter Lewino, L’imagination au pouvoir, Allia, 2018 (Eric Losfeld, 1968)

Articles liés :

Le mouvement du 22 mars entre théorie et pratique

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La contestation des années 1968

Les situationnistes dans la lutte des classes

 

Pour aller plus loin :

Plus vivants que jamais. Journal des barricades - de Pierre-Peuchmaurd, publié dans lundimatin#138 le 19 mars 2018

Revue de presse sur Pierre-Peuchmaurd publiée sur le site Où va Ecrire ?

Cartouches (30), publié sur la revue en ligne Ballast le 30 mars 2018

Théo Roumier, Retrouver les libertaires de 68, publié sur le site du magazine Politis le 16 février 2018

L'imagination au pouvoir, publié sur le site Le Jura libertaire le 22 mai 2008

Raphaël Meltz, Petites histoires de la grande époque, publié sur le site de la revue Le Tigre en avril 2010

Mathieu Dejean, Cinquante ans après, Alain Krivine commente les graffitis de Mai 68, publié dans sur le site du magazine Les Inrockuptibles le 24 mars 2018

Publié dans #Histoire des luttes

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B
Enfin quelques témoignages proches de la réalité !!!!!!!!!!!!!!!!<br /> Merci (s)
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