Hollywood et idéologie depuis 1980
Publié le 4 Février 2021
Le cinéma d’Hollywood reste particulièrement populaire et diffusé à travers le monde. Pourtant, des films ne craignent pas d’aborder les questions politiques. Les studios, soumis à la logique du profit, peuvent imposer des productions standardisées. Mais des créateurs parviennent également exprimer leur esprit critique. Malgré le poids économique de l’industrie culturelle, la fiction permet de diffuser des messages subversifs. Même si l’industrie du cinéma peut aussi diffuser les valeurs traditionnelles d’une Amérique éternelle avec des films de propagande patriotique et militariste.
Le cinéma aborde la politique dans un sens large. La fiction évoque des sujets sociaux, des choix de société, les rapports entre dominants et dominés, la place de l’individu et l’organisation de la société. Des films bien réalisés, avec des histoires passionnantes, peuvent porter des messages divers. Claude Vaillancourt propose ses réflexions au sujet de la dimension critique du cinéma dans son livre intitulé Hollywood et la politique.
Cinéma et politique
Les cinéastes donnent toujours un sens politique aux sujets qu’ils abordent, même contre leur volonté. Le cinéma peut être perçu comme un simple divertissement avec des spectateurs surtout intéressés par l’histoire racontée. « Un certain message parvient toutefois à passer, des idées qui s’incrustent en douceur, des préjugés peut-être ou, au contraire, une ouverture d’esprit, des opinions que l’on vient à formuler sans en connaître la source », souligne Claude Vaillancourt. Un film diffuse toujours certaines représentations du monde et de la société. Le cinéma hollywoodien permet souvent d’associer plaisir et esprit critique.
L’industrie du cinéma semble particulièrement puissante et lucrative. Les grands studios produisent des blockbusters avec effets spéciaux se diffusent sur les écrans à travers le monde. Les plateformes, comme Netflix ou Amazon, proposent des films mais aussi des séries. Hollywood contribue à diffuser une vision conformiste du monde. De nombreux films valorisent l’american way of life et son petit bonheur conforme qui serait troublé par des événements dangereux. La famille traditionnelle, bourgeoise, avec son pavillon en banlieue devient le modèle de la réussite sociale et du bonheur. Un cinéma consensuel et rentable commercialement s’impose, avec son inévitable fin heureuse.
Mais les films se caractérisent également par une importante démarche artistique. Des scénaristes et réalisateurs se plaisent à construire une ambiance, une esthétique et des récits qui sortent de l’ordinaire et de l’ordre balisé par les valeurs bourgeoises. « Ces réalisateurs cherchent à exprimer des sentiments profonds, variés, exposent les dilemmes et contradictions des personnages, élaborent une réflexion sur la condition humaine, comme dans les grands romans », observe Claude Vaillancourt. Ces cinéastes parviennent à jouer avec les contraintes des grands studios.
Les producteurs d’Hollywood défendent évidemment le capitalisme contemporain. Mais les artistes aspirent à exprimer leur propre sensibilité. La démarche artistique découle souvent d’un rejet de l’ordre existant jugé médiocre, étouffant, banal. « Le recours à l’imaginaire est à la fois un exutoire, une façon de régler ses comptes et une émancipation », indique Claude Vaillancourt. La production d’Hollywood oscille entre la propagande conformiste et le regard critique sur le monde. Le courant conservateur ne dispose pas de grands cinéastes. Il semble difficile de créer des films marquants et originaux en faisant l’apologie du conformisme et de l’ordre capitaliste. En revanche, les causes sociales et les remises en cause politiques inspirent davantage la créativité.
Mais, sans sombrer dans la vulgaire propagande, de nombreux films s’alignent implicitement sur les valeurs américaines traditionnelles. L’individualisme prime sur la solidarité et l’action collective. Le personnage doit souvent se prendre en main pour régler ses problèmes à lui tout seul. Le héros solitaire demeure une figure centrale du cinéma. La famille devient alors l’ultime refuge avec son harmonie, sa quiétude et sa joie. La famille semble présentée comme le garant des valeurs traditionnelles et de la morale contre les violences du monde.
Le cinéma américain valorise le rêve américain avec le bonheur qui se réduit au niveau de revenu. « Hollywood a toujours cherché en montrant la richesse et la réussite matérielle comme les valeurs parmi les plus enviables, en laissant croire que le bonheur qui en résulte est accessible à tous », observe Claude Vaillancourt. Cette vision du monde permet la négation des classes sociales, de l’exploitation et des inégalités. Mais la fiction peut aussi critiquer cette illusion en montrant des rêves brisés. Le cinéma diffuse souvent des discours contradictoires.
Le cinéma hollywoodien ne remet pas en cause les institutions comme la constitution, la présidence, le système judiciaire, le système électoral, l’armée et la police. Les valeurs traditionnelles perdurent quelque soit la couleur du gouvernement, durant la période keynésienne comme pendant l’ère néolibérale.
Cinéma conformiste
Le cinéma du statu quo demeure fortement répandu à Hollywood. Le film patriotique fait l’apologie de l’ordre existant. « L’image des États-Unis est celle d’un pays rassurant, juste, triomphant malgré les difficultés, protecteur de ses citoyens, souvent guerrier, prêt à venir en aide au reste de l’humanité », décrit Claude Vaillancourt. L’armée, l’entreprise et la défense des intérêts des États-Unis demeurent valorisées. Des héros forts, courageux et individualistes se mettent au service de la nation.
Rocky IV (1984) incarne le cinéma kitsch des années Reagan. Dans les années 1980, avec le contexte de la guerre froide et la crise des euromissiles, Sylvester Stallone affronte un champion de l’URSS. Chaque boxeur porte un short aux couleurs du drapeau de son pays. Évidemment, après avoir encaissé les coups les plus violents, le champion américain parvient à triompher de son adversaire dopé et surpuissant. L’Amérique, incarnée par un boxeur montré comme petit et vulnérable, parvient à triompher de ses puissants ennemis. Dans des films comme Top Gun (1986), l’armée prête son équipement pour tourner des films à sa gloire. Red Dawn (1984) devient un nanar cultissime qui montre un groupe de jeunes qui combattent des terroristes communistes.
Après la fin de l’URSS, des films d’actions continuent de montrer des héros musclés qui triomphent seuls face au terrorisme international. La propagande semble moins évidente. Mais ces films montrent un danger qui peut venir de partout. Par ailleurs, les discussions diplomatiques ne permettraient qu’à la menace de s’étendre. En 1994, Forrest Gump montre au contraire un héros simplet qui traverse les années 1960 et 1970 dénuées de leur conflictualité. Le film montre un peuple heureux et prospère qui permet l’enrichissement des plus futés. Les super-héros, comme Batman ou Spiderman, semblent avoir remplacé les héros musclés. L’éternel affrontement du Bien contre le Mal ne se déroule plus dans un univers réaliste mais dans un monde imaginaire, comme dans la fantasy avec Le Seigneur des anneaux ou Harry Potter. En 2003, la guerre en Irak devient impopulaire. Le film patriotique devient alors moins caricatural.
Les films catastrophes ne semblent pas directement politiques. L’apocalypse, qui traverse l’imaginaire occidental, ne semble pas liée à des causes précises. Mais le film catastrophe maintient le spectateur dans la peur et alimente un sentiment sécuritaire. « Si bien que devant des malheurs imminents, il est réconfortant de se sentir protégé par un État fort, une police bien présente, une armée bien entraînée », observe Claude Vaillancourt. Surtout, ces peurs imaginaires détournent des peurs plus légitimes face au capitalisme, à la répression et au désastre écologique. La peur des films catastrophe permet de se bercer dans un sentiment d’évasion plutôt que d’alimenter un sentiment de révolte.
Le placement de produits révèle un cinéma conformiste. Des marques apparaissent dans des films. Mais cette publicité semble plus subtile que celle des clips télévisés. Les spectateurs peuvent souvent n’y prêter aucune attention. Pourtant, le placement de produits apparaît comme une nouvelle contrainte imposée au cinéaste par l’industrie culturelle. La publicité impose son esthétique et ses normes sociales avec un contexte favorable à la perpétuation de l’ordre capitaliste. Le placement de produits suppose donc des films dénués d’esprit critique. « Le monde aseptisé, heureux, insignifiant, satisfait que le cinéma favorable au placement de produits met en scène réconforte parfaitement le statu quo, assure la reproduction d’un monde de consommation infinie, bloque toute réflexion pour changer les choses », regrette Claude Vaillancourt.
Cinéma de questionnement
Le cinéma permet de diffuser des émotions et d’exprimer une subjectivité. Le public s’identifie au personnage principal. Un discours politique peut transparaître, sans que ce soit toujours intentionnel. Des films abordent certains aspects qui critiquent la société. « Quelques exemples : un grand propriétaire terrien qui se comporte en tyran, une multinationale malhonnête qui pollue ou exploite les gens, des élites corrompues et complaisantes envers le crime organisé, des médias sensationnalistes et obsédés par les codes d’écoute », précise Claude Vaillancourt.
Pourtant, ces différents problèmes sont rarement placés au centre de l’intrigue qui doit conserver une fonction de divertissement sans évoquer une réalité jugée trop sérieuse. Dans d’autres cas, le problème se révèle souvent conjoncturel et non pas lié au fonctionnement même de l’ordre social. Il semble davantage relever de l’exception que de la norme. Le spectateur peut alors se désintéresser du sujet puisque le problème semble résolu.
Des hommes d’influence (1997), L’enquête (2009), Jeux de pouvoir (2009), Blood Diamond (2006) sont des films qui évoquent des sujets directement politiques. Mais l’intrigue semble souvent masquée par la psychologie des personnages. Surtout, à la fin de ces films, les problèmes semblent réglés sans qu’il semble nécessaire de remettre en cause le système capitaliste. Dans Gangs of New York (2002), Martin Scorcese explore le milieu du XIXe siècle. Le classique affrontement final entre les deux personnages devient secondaire dans un contexte d’émeutes et de révolte populaire, « parce que les injustices et la colère collective sont nettement plus importantes que les vieilles rancunes personnelles », observe Claude Vaillancourt.
Le film allégorique propose une critique politique qui ne se focalise pas sur les problèmes d’actualité. En revanche, le cinéma s’attache à évoquer la destruction des relations humaines ou l’aliénation. Blade Runner (1982) incarne la culture cyberpunk. Ce film montre des personnages qui ne sont pas maîtres de leur destin et luttent pour survivre dans une grande ville déliquescente.
Ce cinéma semble éloigné des préoccupations politiques de l’époque, autour de la guerre froide, mais propose une critique radicale de la société. Il évoque l’exploitation des individus, le contrôle social et le conditionnement. Néanmoins, les idées politiques ne paraissent pas explicitement et ne sont pas assénées comme des arguments de propagande. Ce cinéma laisse au spectateur une grande liberté d’interprétation critique.
Mais le film allégorique, comme Matrix (1999) peut également correspondre aux critères d’Hollywood. Le spectateur peut se contenter d’assister à un simple divertissement, sans saisir l’ampleur de la réflexion philosophique. Le propos, parfois trop subtil et sujet à interprétation, peut sembler difficile à saisir. Surtout, la critique sociale s’exprime dans le cadre d’un monde imaginaire, sans jamais attaquer la réalité existante.
Le film Fight Club (1999) attaque explicitement la société de consommation et le conformisme. Ce film « dénonce l’abrutissement d’une existence routinière, alors que le confort matériel ne contribue en rien à donner un sens à l’existence », décrit Claude Vaillancourt. Mais ce film dévoile surtout une certaine ambiguïté politique et laisse libre court à des interprétations les plus contradictoires. Malgré la critique du petit bonheur conforme, la révolte s’incarne dans une éthique guerrière de la souffrance. Se battre entre hommes doit permettre de rejeter une société considérée comme trop féminisée.
Le film V pour vendetta (2005) présente une ambiguïté similaire. Le personnage attaque explicitement le pouvoir politique et la dictature qui réprime les liberté. Mais le film valorise un héros fort et courageux qui se place ainsi au-dessus du commun des mortels. Le format et les codes du film d’action, centré autour d’un justicier solitaire, semblent donc docilement respectés. L’analyse des rapports sociaux semble alors éludée.
Hollywood montre souvent des justiciers qui affrontent des patrons et des entreprises. C’est une vision individualiste qui s’oppose à la lutte collective. Surtout, à la fin du film, la justice et les moyens légaux semblent résoudre le problème comme dans Erin Brockovich (2000). Michael Mann évoque de manière pertinente l’industrie de la cigarette dans Révélations (1999). Les personnages principaux semblent alors échouer. Ils se révèlent finalement désabusés par rapport à leur profession, notamment le journaliste.
Cinéma critique
Le cinéma n’hésite pas à attaquer le petite bonheur conforme de l’american way of life. La maison en banlieue pavillonnaire, la petite famille, la voiture, et parfois le chien, composent la panoplie d’un monde lisse et ennuyeux. Mais cette façade peut aussi masquer les pires horreurs, comme dans Blue Velvet (1986) de David Lynch. Une oreille coupée est retrouvée au milieu de la banlieue chic. « Le vice, la perversité et le stupre sont la face cachée du puritanisme, les inévitables égouts d’un monde qu’on voudrait parfaitement propre et impeccable », souligne Claude Vaillancourt. Dans Happiness (1998), la petite bourgeoisie tente de masquer ses problèmes et ses drame derrière son hypocrisie.
Si le cinéma qui se focalise sur la banlieue chic porte un regard critique, de nombreux films proposent les maisons pavillonnaires comme simples décors. Les habitants aspirent à une sécurité qui semble menacée. Mais de nombreux cinéastes critiquent la banlieue de manière virulente. Leurs films raille le conformisme, l’ennui et la monotonie du mode de vie bourgeois.
Pleasantville (1998) et Truman Show (1998) évoquent une banlieue idéalisée, comme celle présentée souvent à la télévision et dans les publicités. Dans Truman Show, un jeune homme grandit sans le savoir dans une émission de téléréalité, dans le cadre d’une ville parfaite avec des voisins gentils. « Dans les deux cas, on montre les inconvénients d’une vie policée qui réfrène les instincts et qui piègent les individus dans un bonheur de surface, dans un conformisme destiné à former des consommateurs soumis, au détriment de leur véritable émancipation », observe Claude Vaillancourt. Mais la fin du film montre un personnage qui se complait dans un bonheur tout aussi insipide, avec son petit couple bourgeois. La civilisation et l’ordre moral restent saufs.
Dans Edward aux mains d’argent (1991), de Tim Burton, un personnage effrayant côtoie une banlieue caricaturale avec des maisons couleur pastel. Mais ce personnage semble gentil et doux. Pourtant, sa présence tranche avec l’ambiance conformiste de la banlieue bourgeoise. Il subit l’accueil puis le rejet, la haine et le mépris de la part de ce monde feutré. La mesquinerie et la fermeture peuvent alors s’observer. Ce conte évoque la marginalisation des étrangers dans une société conformiste.
Dans certains films, des personnages aspirent à briser le moule d’une rationalité contraignante. Une tension s’observe entre les désirs individuels et le carcan de la réalité. Sam Mendes décrit un mode de vie médiocre et étriqué dans American Beauty (1999). La banlieue impose la séparation avec une existence creuse et vide de sens. Ce film ne propose aucun jugement moral. Les personnages peuvent être à plaindre ou à moquer.
Sam Mendes critique à nouveau la petite bourgeoisie dans Noces rebelles (2008). Un couple aspire à une vie de bohème et de liberté mais reste cloîtré dans sa banlieue bourgeoise. « Le film raconte, avec une grande efficacité, comment le désir cède face aux contingences de la réalité, comment tout cela frustre un peu moins le mari qui, lui, a la possibilité de trouver une forme d’épanouissement dans son travail, et comment le couple vit un long naufrage devant l’effacement progressif de ses rêves », décrit Claude Vaillancourt. Mais ces films se focalisent sur la petite bourgeoisie et semblent éluder les rapports de classe avec les injustices sociales. Pourtant, ils proposent une brillante critique de la vie quotidienne.
Le syndicalisme et les luttes ouvrières restent peu abordés, malgré la dimension épique qui rythme les conflits sociaux. « Pourtant les luttes ouvrières sont riches en péripéties et en actions courageuses, elles provoquent souvent de captivants combats pour la justice et le respect qui méritent d’être racontées », souligne Claude Vaillancourt. En revanche, la part sombre du syndicalisme américain reste un sujet classique. Dans F.I.S.T. (1978), un ouvrier doit s’allier avec la mafia pour faire face à la violence des patrons. Dans Matewan (1987), John Sayles montre une grève des mineurs en 1920. Il évoque également les méthodes brutales des patrons et l’importance de la solidarité de classe.
D’autres films attaquent directement la vie politique. Dans Bulworth (1998), Warren Beaty évoque un politicien désabusé qui commence à s’indigner de la corruption et des inégalités sociales. Silver City (2004) évoque l’hypocrisie des discours politiques qui masquent une barbarie sociale et écologique. Plusieurs films montrent les coulisses du pouvoir avec ses trahisons, ses manipulations et ses coups bas. Ce qui ne remet pas toujours en cause les fondements du système représentatif, mais uniquement ses dérives.
Néanmoins, le cinéma propose un regard beaucoup plus critique sur la politique que les grands médias souvent très complaisants, notamment durant les années Bush. Dans Lord of War (2005), Andrew Niccol évoque le trafic d’armes. Il suit un vendeur important. Mais la fin du film attaque les États démocratiques qui demeurent responsables des guerres et des massacres. Hollywood n’hésite pas à produire de nombreux films qui dénoncent les guerres, y compris celles menées par les États-Unis. Plus rarement, des réalisateurs comme Spike Lee évoquent le racisme et les inégalités sociales. Après la crise de 2008, plusieurs films jettent un regard critique sur le monde de la finance.
Cinéma et politque
Claude Vaillancourt propose un livre passionnant qui évoque les liens entre le cinéma et la politique. Il délaisse ouvertement les commentaires esthétiques qui font les délices du petit milieu des cinéphiles pour aborder frontalement les enjeux politiques et sociaux. Son livre permet de montrer comment le cinéma parvient à relier plaisir et esprit critique. Surtout, il évoque de nombreux films et n’hésite pas à exprimer son point de vue. Ce mélange d’analyse et de subjectivité donne une tonalité très sympathique à ce livre.
Claude Vaillancourt livre ses réflexions qui peuvent permettre de débattre à partir de différents films, sans pour autant toujours partager son point de vue. Claude Vaillancourt montre qu’il est possible de parler de politique à partir du cinéma, et pas uniquement à travers des tracts et des discours idéologiques. Même si les films portent des discours contradictoires. Mais ils partent d’expériences subjectives qui permettent de s’identifier pour mieux discuter.
Néanmoins, Claude Vaillancourt reste un indécrottable gauchiste. Son livre respire une forme d’élitisme. D'abord, il transparaît un élitisme de cinéphile. Claude Vaillancourt aime bien les vieux films et n’écorne jamais les grands classiques reconnus. Inversement, il ne ménage pas ses critiques pour égratigner des films qui s’inscrivent ouvertement dans une culture populaire. La science-fiction, la fantasy, les super-héros et plus généralement les films d’action ne rentrent pas dans ses critères d’exigence de cinéphile. Mais il faut reconnaître à Claude Vaillancourt le mérite d’évoquer un cinéma contemporain, plutôt que de se contenter de produire le énième commentaire sur des vieux films devenus des classiques mais qui échappent au grand public.
Ensuite, Claude Vaillancourt reste un indécrottable gauchiste. Là aussi, c’est l’élitisme qui prédomine. Les blockbusters sont rejetés. Même si Claude Vaillancourt reste nuancé dans ses analyses de l’industrie hollywoodienne, il ne semble pas vraiment apprécier les films à grand spectacle qui connaissent un succès populaire. Il ne masque pas sa préférence pour le bon vieux documentaire altermondialiste avec son message moraliste. Plus généralement, Claude Vaillancourt semble trop peu sensible à ce qu’il appelle le “cinéma allégorique”. Les mondes imaginaires et la critique de la vie quotidienne n’emportent pas sa préférence. Claude Vaillancourt valorise au contraire le cinéma engagé, explicitement de gauche. Michael Moore, Costa-Gavras ou Ken Loach sont considérés comme les cinéastes de référence.
Au contraire, il semble important de critiquer les limites de ce cinéma de gauche pour plusieurs raisons. La démarche intellectuelle de ce cinéma s’apparente à celle de l’avant-garde marxiste-léniniste qui entend guider le peuple sur la bonne voie. C’est la démarche du pédagogue raillée par Jacques Rancière. Le cinéaste est celui qui détient le savoir et qui prétend éclairer un spectateur jugé ignorant. Les réalisateurs de gauche n’hésitent d’ailleurs pas à reprendre toutes les grosses ficelles d’Hollywood pour imposer un message de propagande. Avec talent, les réalisateurs invitent à s’identifier à des personnages jugés sympathiques et généreux. Claude Vaillancourt observe bien cette technique de manipulation dans le cinéma patriotique. Mais il refuse de la remettre en cause quand elle se met au service de son idéologie de gauche.
Néanmoins, ces films conservent bien souvent une esthétique gauchiste avec une tonalité ouvertement militante. Contrairement aux films patriotiques qui peuvent se montrer plus subtils et moins folkloriques. Ces cinéastes militants ne parviennent pas toujours à toucher le grand public, malgré de belles exceptions. Leurs films s’adressent donc à des spectateurs conquis d’avance. Le public cherche davantage à renforcer ses convictions plutôt qu’à réfléchir sur le monde et à s’ouvrir à d’autres points de vue critiques. Les spectateurs restent donc dans une position de confort. Ce cinéma militant reste d’ailleurs très manichéen. On distingue clairement les gentils et les méchants. Le spectateur est rassuré de se retrouver du côté des gentils.
Ce cinéma militant demeure bien souvent réformiste. Là encore, Claude Vaillancourt reste moins exigeant que pour des films plus commerciaux. Les réalisateurs militants ne font que dénoncer les excès et les dérives de l’ordre capitaliste. Sans forcément le remettre en cause dans sa globalité. Le cinéma altermondialiste conserve une idéologie réformiste qui considère qu’il reste possible d’améliorer le système capitaliste sans remettre en cause la marchandise, l’argent, le travail et l’ensemble des hiérarchies sociales. Néanmoins, Claude Vaillancourt montre bien la force du cinéma américain. L’imagination et la sensibilité doivent permettre d’ouvrir d’autres possibilités d’existence. Le cinéma permet de relier plaisir et critique sociale. C’est un support pour lancer diverses réflexions pour remettre en cause l’ordre existant.
Source : Claude Vaillancourt, Hollywood et la politique, Ecosociété, 2020
Extrait publié sur le site A babord
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