Le cyberpunk : science fiction et critique sociale

Publié le 24 Septembre 2013

Le cyberpunk : science fiction et critique sociale

Le cyberpunk évoque un futur proche pour décrire les tendances mortifères de la modernité marchande.

 

Le cyberpunk, et son univers de science fiction réaliste, explore les dérives de la société moderne. En 1988, un article évoque le phénomène du cyberpunk. Son auteur, Mark Downham, est alors une figure de la scène post-punk et situationniste en Angleterre. Il publie un texte dans le magazine de Tom Vague, qui concilie pensée anarchiste et univers cyberpunk.

 

                                           

 

L'aliénation technologique

 

« Le cyberpunk est une vraie arnaque. Il s’agit essentiellement de quelques modèles technico-urbains réunissant, au sein de la fragmentation techno-culturelle post-situationniste, science fiction et théorie critique, elles-mêmes mêlées à toutes sortes de fictions », ouvre Mark Downham. Il définit le cyberpunk qui se rapproche de l’univers de la science fiction, avec une critique de l’aliénation technologique. Le cyberpunk explore le futur proche dans une veine situationniste. Dans cet univers éclectique, se côtoient des auteurs aussi différents que Guy Debord ou J.G. Ballard.

« Le cyberpunk tente de démystifier les codes culturels afin de déchiffrer les stratégies dissimulées de domination, de désir, de détermination, de pouvoir et de volonté d’exercer le pouvoir », décrit Mark Downham. Le cyberpunk évoque la dimension cybernétique et mécanique d’une vie réifiée. Ce mouvement propose une critique radicale des technologies virtuelles et de leur emprise sur l’existence humaine. Les précurseurs du cyberpunk des années 1980 vont de Philip K. Dick à l’Internationale situationniste. Le cyberpunk découle d’un regroupement générationnel d’écrivains. Ce mouvement culturel alimente un véritable underground intellectuel.

 

« L’un des traits caractéristiques du cyberpunk, en tant que genre de la science-fiction, est l’intensité visionnaire et la concentration imaginative, un niveau accru et inédit de conceptualisation », souligne Mark Downham. Cette littérature fourmille de détails sur la vie quotidienne pour créer un véritable univers original.

Dans les années 1980, l’informatique et les ordinateurs se développent. Le cyberpunk valorise alors le hacking et le piratage. Les flux technologiques semblent plus complexes, mais aussi plus fragiles. « Nous pouvons provoquer l’effondrement des systèmes bancaires et commerciaux de l’Occident », s’enthousiasme Mark Downham. Le monde technologique devient le jeu des cyberpunks et des nouveaux pirates. « Tout est possible - nous avons déjà demain. C’est aujourd’hui que nous voulons », imagine Mark Downham.

Le cyberpunk s’attache à relier différents domaines de la connaissance dans un éclectisme original. « Les écarts entre les sciences et les humanités : le gouffre entre la culture littéraire, les structures formelles de l’art et de la politique et la culture de la science, le monde de l’ingénierie et de l’industrie - tout converge », décrit Mark Downham. L’auteur insiste sur les nouveautés technologiques. De manière peu critique, il évoque les potentialités des nouvelles machines. Cette fascination de la techno-science peut relativiser l’aliénation provoquée par la technologie moderne qui dépossède les individus de leurs savoir-faire. Mark Downham insiste surtout sur l’appropriation de ses innovations technologiques. Selon lui, « la rue s’approprie toujours les choses ».

 

         

 

La destruction de la sensibilité humaine

 

Mais le cyberpunk évoque également le thème de la colonisation du corps humain par la machine, avec « les prothèses, les implants électroniques, la chirurgie esthétique, le cyberespace, l’ADN, l’altération générique », énumère Mark Downham. Mais les machines envahissent également le domaine mental, à travers l’intelligence artificielle et la neurochimie. Les technologies modifient radicalement la nature humaine et refaçonnent les individus.

« Le cyberpunk explore l’ironie inhérente à l’adoption de nouvelles manières de voir, qui elles-mêmes proposent de nouvelles formes d’organisation sociale devenues paradoxales ou contradictoires », décrit Mark Downham. Cette science fiction réaliste exagère les problèmes de la réalité et multiplie les métaphores de l’être humain avec les robots, les androïdes ou les cyborgs.

A l’image des situationnistes, les cyberpunks observent les évolutions de la société et ses nouvelles tendances. Ils attaquent non seulement la société actuelle mais aussi la société en devenir. Le cyberpunk renouvelle également la critique de la société spectaculaire marchande à l’ère du progrès scientifique. « La convergence des télévisions, des télécommunications et ordinateurs crée une idéologie du déterminisme technologique et des futurs préfabriqués qui reflètent le Spectacle actuel », observe Mark Downham. Les nouvelles technologies renforcent l’abrutissement, la désertification et l’artificialisation de la vie. Seules les apparences prédominent. Une logique mortifère colonise tous les aspects de l’existence. « Les changements technologiques atteignent aussi d’autres zones : culturelles, économiques, géopolitiques, psycho géographiques », précise Mark Downham.

 

Le cyberpunk observe également une société de la connexion et de la communication qui renforce la séparation entre les êtres humains et le vide de l’existence. « Nous sommes le Spectacle. Nos relations et notre néant spirituel et social sont le Spectacle », analyse Mark Downham. Cette logique spectaculaire marchande dépossède les individus de la conduite de leur propre existence. A l’ère de la postmodernité, le Spectacle ne cesse de s’approfondir pour détruire l’ensemble des relations humaines. « Les cyberpunks, comme Marcuse, Adorno, Althusser et les autres membres de l’École de Francfort lors de leurs discussion, savent que le Spectacle est un réseau sémiotique vorace, inéluctable et réifié qui transforme tout en marchandises, selon une logique qui fait glisser l’humanité dans le fascisme rhizomatique », analyse Mark Downham.

Dans son roman Substance mort, Philip K. Dick décrit une vie biologique, sans esprit ni sensibilité, qui se contente d’un fonctionnement mécanique avec un inlassable schéma de comportement.

 

        

 

La virtualisation de l’existence

 

L’aliénation technologique est critiquée car elle renforce la consommation et la passivité. « La convergence de l’ordinateur domestique, de la télévision et des lignes téléphoniques forme le réseau d’une nouvelle machinerie sociale virtuelle, qui témoigne de la consommation spectaculaire des produits et des dépendances », observe Mark Downham. Cette description semble désormais banale dans notre société moderne avec des individus constamment fixés à leurs écrans.

Debord observe une virtualisation de l’existence à travers les objets. Désormais, ce sont les flux d’information et les écrans qui composent cette virtualité.

 

Le film Blade Runner décrit un futur proche dont les tendances de la société contemporaine se renforcent. Le personnage en cavale semble réaliser une dérive situationniste. Il traverse l’espace urbain en se laissant bercer par le flux des évènements. « Il y a également des images d’espaces à l’abandon, d’espaces qui ont perdu leur dessein originel et introduisent le désordre dans la fiction cyberpunk et la théorie psycho géographique situationniste », décrit Mark Downham. Des bâtiments obsolètes comme des entrepôts à l’abandon, des horloges, des labyrinthes de ruelles dessinent un désert urbain.

Dans Blade Runner, les Réplicants sont des androïdes. Ils doivent servir dans la division du travail mais deviennent ensuite hors-la-loi car certains d’entre eux se sont rebellés. Le personnage de Deckart doit alors les éliminer. Cet ancien policier se laisse enrôler dans ce travail car c’est devenu sa seule identité, sans laquelle il n’est plus personne.

Le Los Angeles japonais de Blade Runner semble très hiérarchisé. Même les immeubles adoptent des formes pyramidales. Au sommet de la hiérarchie se situe le docteur Tyrell. Il dirige son entreprise qui fabrique les Répliquants. Mais Roy, un androïde, finit pat tuer Tyrell son propre créateur.

 

Mark Downham montre bien le foisonnement intellectuel du cyberpunk. Depuis la première parution de son texte, en 1988, de nouveaux films de science fiction ont été réalisés. Le cyberpunk ne cesse de se développer et de révèler une certaine lucidité sur l'effondrement de la civilisation industrielle.

Cet univers de science fiction réaliste irrigue la littérature mais aussi la philosophie, le cinéma et toute une culture populaire. Derrière la science fiction c’est bien la société moderne qui semble attaquée. L’aliénation technologique et l’emprise des machines sur les humains semblent détruire toute forme de rapport sensible au monde. Une vie mécanique et artificielle détruit la sensualité et le plaisir dans les relations humaines.

 

Source : Mark Downham, Cyberpunk, Traduit de l’anglais par Aude-Lise Bémer, Allia, 2013

 

Pour aller plus loin :

Vidéo : Yann Coquart et Ariel Kyrou, Les Mondes de Philip K. Dick, diffusé le mercredi 2 mars 2016 à 22 h 40 sur Arte

Vidéo : Philip K. Dick l’écrivain visionnaire

Radio : Philip K. Dick (1928-1982) : Une vie, une oeuvre [1991]

Radio : émissions sur Philip K. Dick diffusée sur France Culture

Vil Faquin, Cyberpunk – 1988, publié sur le site La Faquinade

"Lire : Politique et science-fiction", Alternative Libertaire n°175 (été 2008)

"Science-Fiction et Politique", publié sur le site de la librairie Quilombo

Emmanuel Barot, "Cyberpunk et révolution : sur les vertus de la vraisemblance utopique. Ou comment le cyborg devient le noir de la SF", publié sur le site Marx au XXIème siècle

Geoges Lapassade, "Qu'est-ce que le cyberpunk ? Littérature et contre-culture", publié sur le site Nouveau millénaire, Défis libertaires

Steve Mizrach, "Le cyberpunk, contre-culture des années 1990 ?", publié sur le site La Revue des Ressources le 31 janvier 2013

Yannick Rumpala, « Ce que la science-fiction pourrait apporter à la pensée politique », publié dans la revue Raisons politiques n° 40, novembre 2010

Science-fiction et théorie politique sur le blog de Yannick Rumpala

Calimaq, Blade Runner, l’oeuvre ouverte et la libération des possibles, publié sur le site S.I.Lex le 28 février 2015

Étudier Terminator. Le monde tel qu’il se finit, publié sur le site Lundi matin le 19 octobre 2015

Publié dans #Contre culture

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M
10 best notebooks
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M
Merci.
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C
Pour ajouter aussi une référence aux lectures critiques, voir aussi Y. Rumpala, « Ce que la science-fiction pourrait apporter à la pensée politique », dans la revue Raisons politiques, n° 40, novembre 2010.
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