Le cinéma des années Trump
Publié le 11 Janvier 2019
L’élection de Donald Trump à la présidence des Etats-Unis est parue incompréhensible pour les commentateurs français. Pourtant, la rhétorique populiste et les thèmes de prédilection du milliardaire trouvent un écho dans la population. Le cinéma peut permettre de comprendre ce renouveau du populisme. Même si les artistes de gauche s’opposent à Trump, le cinéma permet la diffusion de thématiques populistes.
Des films diffusent un imaginaire qui annonce des changements politiques. King Kong illustre ce phénomène. La première version reflète la peur de la grande crise des années 1930. Elle débouche sur la politique du New Deal pour combattre la crise économique. En 1976, une autre version reflète la crise de l’Amérique et de critique du capitalisme dans un contexte de défaite au Vietnam. La dernière version de 2017 reprend des thématiques complotistes. Mais c’est tout un cinéma populiste qui annonce l’arrivée au pouvoir de Donald Trump. L’historien du cinéma David Da Silva se penche sur ce phénomène dans son livre Trump et Hollywood.
Le parcours de Donald Trump est censé incarner la réussite sociale et le rêve américain. En réalité, c’est son père qui vient d’un milieu populaire. Donald Trump se contente d’hériter d’une entreprise immobilière. Mais il se construit un véritable mythe incarné par la Trump Tower et ses logements de luxe. Ensuite, à partir de 2006, il participe à une émission de téléréalité. Il joue le rôle d’un patron qui n’hésite pas à virer les employés qu’il juge incompétents. « Il va se "fabriquer" l’image d’un homme arrogant, tenace et brutal », observe David Da Silva.
Donald Trump reste marginal et méprisé par le milieu politique. Mais, en 2015, il se présente aux élections primaires des Républicains. Il adopte la pensée populiste. Cette idéologie oppose les non-producteurs aux producteurs que sont les fermiers, les ouvriers, les artisans. Elle s’appuie sur le petit propriétaire terrien et son rêve d’autonomie. Les populistes défendent l’égalité des chances et la libre entreprise. Mais ils dénoncent la haute-finance, le centralisme politique et l’intellectualisme citadin. L’homme ordinaire s’oppose aux hautes sphères du pouvoir.
Le populisme de Trump défend le peuple à la fois contre les élites économiques et contre les immigrés. Le populisme reste progressiste sur le plan économique mais conservateur au niveau sociétal. Trump évoque le New Deal et l’intervention de l’Etat dans l’économie, mais il reste réactionnaire sur l’immigration et la famille. Trump utilise une communication agressive, notamment sur les réseaux sociaux. La dénonciation d’une élite qui s’approprie le pouvoir au détriment du « peuple » débouche vers les théories du complot.
Donald Trump subit l’opposition de tous les artistes d’Hollywood. Ce qui conforme sa posture de seul résistant dans un monde dirigé par la gauche bien-pensante. La campagne Clinton s’appuie surtout sur la petite bourgeoisie intellectuelle. Elle valorise la défense des minorités, mais délaisse les problèmes sociaux qui touchent fortement les classes populaires.
Les régions minières traditionnellement acquises à la gauche ont alors basculé du côté de Trump. Le politicien populiste oppose la classe ouvrière blanche attachée au travail et les minorités jugées comme des assistées du Welfare State. « Dans l’imaginaire réactionnaire, l’Amérique est un pays dans un état de quasi-guerre civile permanente : d’un côté, les millions d’authentiques Américains sans prétention et, de l’autre, les intellos, les libéraux omnipotents qui dirigent le pays mais qui méprisent les goûts et les convictions de ses habitants », observe Thomas Franck.
Il existe une histoire politique d’Hollywood. De nombreux artistes américains soutiennent le président Roosevelt qui tente de réduire la misère pendant la crise. Sa politique est également soutenue pour s’opposer à Wall Street. Au début des années 1950, une véritable « chasse aux sorcières » traque les artistes communistes. Hollywood est alors profondément divisé face à un supposé ennemi venu de l’étranger. Mais cet épisode contribue à discréditer la rhétorique anticommuniste. Pendant les années 1960 et 1970, c’est la guerre du Vietnam qui crée un clivage. De nombreux films dénoncent l’horreur de la guerre. Mais un acteur comme John Wayne soutient l’intervention américaine. La lutte contre le racisme devient importante, soutenue par une figure comme Marlon Brando. Le film La planète des singes apparaît également comme une critique du racisme.
Le cinéma des années 1980 accompagne la politique patriotique de Ronald Reagan. C’est l’apogée des films d’action avec Chuck Norris. Le film Rocky IV contre l’ennemi soviétique devient une métaphore de la guerre froide du point de vue américain. La guerre en Irak en 2003 brise ce consensus patriotique. Les acteurs démocrates n’hésitent plus à afficher leurs opinions. Le film Syriana, de George Clooney, dénonce une politique extérieure liée aux intérêts de l’industrie pétrolière. Barack Obama incarne un nouveau consensus de gauche, mais très modéré, qui rassemble plusieurs figures d’Hollywood.
Donald Trump est parvenu a capter la sensibilité populiste présente dans le cinéma américain. La menace musulmane reste présente dans plusieurs films. La chute de Londres décrit une attaque terroriste. Le musulman remplace le soviétique comme ennemi présent dans les films des années Reagan. Mais le scénario semble très proche. Le film 13 hours montre des soldats courageux mais abandonnés par un président mou et pacifiste. Traque à Boston dénonce le terrorisme, mais aussi l’antiracisme politiquement correct qui ralentit l’enquête. Le cinéma développe des thématiques paranoïaques et complotistes. AmeriGeddon montre un complot des élites pour empêcher le peuple américain de porter des armes. En revanche, la figure de l’entrepreneur reste valorisée. Le film Le fondateur montre un patron proche de ses salariés qui incarne la réussite et le rêve américain.
A l’opposé, des cinéastes vont réaliser des films « anti-Trump ». Ces œuvres s’attachent à montrer l’importance des minorités et prolongent le cinéma des années Obama. Les sept mercenaires inclus désormais un Noir, un Chinois, un Mexicain et un Amérindien. Ils s’opposent à un riche milliardaire blanc qui symbolise Donald Trump. De même, la nouvelle version de Star Wars inclue des femmes et des minorités pour lutter contre un Empire qui incarne le suprématisme blanc. Le mur construit pour empêcher l’immigration mexicaine apparaît dans plusieurs films comme Logan ou Desierto. Ce type de cinéma est emmené à se multiplier pour exprimer un contre-pouvoir face à Trump.
Le livre de David Da Silva éclaire la pensée populiste de Trump à travers le cinéma. Son étude permet de mieux comprendre les ressorts de l’élection du milliardaire à la tête des Etats-Unis. Elle montre comment le cinéma a façonné un imaginaire populiste. L’homme ordinaire qui s’oppose au système peut s’inscrire dans un idéal anticapitaliste. Les mécanismes du pouvoir sont alors démontés. Mais le cinéma populiste ne s’oppose pas à une classe dirigeante, sinon à un groupe d’élites indéfinies. Ce qui alimente une vision complotiste et paranoïaque. Surtout lorsque ce populisme s’accompagne du rejet des minorités.
Cette idéologie s’ancre dans l’effacement de la lutte des classes. Le prolétariat n’est plus valorisé dans sa diversité. C’est le travailleur blanc qui est mis en avant, avec une morale du travail, de l’effort et même de la réussite. La gauche américaine, incarnée par Clinton, a gommé la lutte des classes de son horizon. Ce qui permet l’émergence d’un populisme ouvertement raciste.
David Da Silva souligne l’importance du cinéma populaire, et sa capacité à exprimer un imaginaire politique. L’histoire d’Hollywood reste particulièrement marquée par des clivages politiques, loin d’une image de stars aseptisées. Plusieurs films ont accompagné l’élection de Trump. Il semble également important de souligner le développement des théories du complot à travers des films et des séries. Le complotisme correspond bien à une vision simpliste du monde. Cette idéologie s’adapte à la nécessité de créer du suspens et une ambiance paranoïaque, souvent importants pour tenir en haleine le spectateur.
Face à cette vision simpliste, un autre imaginaire existe. Même le cinéma populaire peut permettre d’exprimer une critique sociale. Si Trump ou Reagan se sont parfaitement appuyés sur le cinéma pour accéder au pouvoir, les mouvements sociaux peuvent également se nourrir de la culture populaire pour remettre en cause l’ordre existant.
Source : David Da Silva, Trump et Hollywood 1. L’arrivée au pouvoir, LettMotif, 2017
Pour aller plus loin :
Le capitalisme et la société américaine
Star Wars et la société américaine
Une histoire de la pop culture
Pour aller plus loin :
Radio : émission avec David Da Silva diffusées sur France Culture
Radio : Séries, cinéma, idéologies et luttes des classes. Autour du cinéma populaire, des blockbusters, des séries et du cinéma dit militant et politique, émission de radio Vosstanie du 6 décembre 2014
Vidéo : Hollywood, la machine à propagande, diffusée par Le Média le 2 novembre 2018
Manon Brethonnet et Baptiste Thevelein, Rencontre avec Damien Da Silva – Le cinéma Trumpien, la nouvelle ère d’Hollywood, publié sur le webzine Maze le 30 juin 2018
Jacques Demange, Livre/ Trump et Hollywood. 1. L’arrivée au pouvoir : critique, publié sur le webzine Ciné Chronicle le 1er octobre 2017
Harry Bos, Trump, homme de l’année pour Time : la consécration d’une trajectoire made in Hollywood, publié sur le site Atlantico le 8 décembre 2016
David Da Silva, Le populisme américain au cinéma de D.W. Griffith à Clint Eastwood : un héros populiste pour unir ou diviser le peuple ?, publié sur le site KinoScript le 21 décembre 2015