La révolte de Katniss Everdeen

Publié le 21 Septembre 2023

La révolte de Katniss Everdeen
La saga Hunger Games s'est imposé comme un succès auprès de la jeunesse. Son héroïne, Katniss Everdeen, incarne la révolte contre un pouvoir autoritaire. Surtout ce récit futuriste propose une critique de la société capitaliste du XXI siècle. La compétition entre les pauvres sous le regard des riches s'apparente à un banal spectacle. 

 

 

Hunger Games apparaît comme la principale saga littéraire pour jeunes adultes, avec Harry Potter et Twilight. Mais son personnage principal, Katniss Everdeen, ne se définit pas par la magie ou la passion. Elle reste un personnage accessible et relativement réaliste. Hunger Games mélange science-fiction, histoire de guerre pacifiste et amourette sans romance. Hunger Games propose un récit apocalyptique dans lequel des individus doivent s’entretuer pour une émission de télévision. Ce récit attaque ouvertement l’obsession pour les célébrités et le show business.

Ces romans sont comparés à 1984 de Georges Orwell. Mais ils semblent plus proches d’Orange mécanique d’Anthony Burgess ou du Dernier homme de Margaret Atwood avec un narrateur à la première personne. Le succès d’Hunger Games semble lié au personnage de Katniss Everdeen, également narratrice. Le roman n’adopte pas le point de vue omniscient et surplombant pour décrire un monde totalitaire. C’est à travers la subjectivité de son personnage que le public découvre cet univers violent. Cette identification au personnage favorise l’adhésion au roman. La structure narrative, avec ses nombreux retournements de situation, semble cinématographique. Suzanne Collins a d’ailleurs été scénariste à la télévision.

Le premier tome sort en 2008, au moment de la crise économique mondiale. Le jeune public est saisi par cette critique de la société du spectacle. Katniss incarne la révolte contre un monde injuste. Face à l’ivresse du pouvoir, résister va de soi. La fille du peuple devient l’emblème des révolutions. Eddy Chevalier se penche sur ce personnage incontournable de la pop culture dans le livre Katniss Everdeen. Embraser son destin.

 

 

                          

 

 

Révolte sociale

 

Katniss, avec son arc et ses flèches, s’apparente à Artémis, la déesse grecque de la chasse. Les deux personnages articulent la féminité et la masculinité, le charme et la force. L’attachement à la forêt et à la protection maternelle rapprochent les deux femmes. Cependant, Katniss incarne également une philosophie américaine. « Parce que sa rébellion est sans limites, parce qu’elle fait toujours ce qu’elle redoute, parce que son existence est dissidence, elle est l’incarnation du transcendantalisme, courant de pensée littéraire et philosophique développé à la fin des années 1820 et 1830 », observe Eddy Chevalier.

Ralph Waldo Emerson incarne l’indépendance culturelle de l’Amérique. Sa liberté engagée, son anticonformisme et son affranchissement des vieux systèmes établis rapprochent Katniss de la philosophie d’Emerson. Les transcendantalistes s’opposent au calvinisme puritain, qui est alors la tendance dominante en matière de religion.

Katniss se rapproche également du philosophe Henry David Thoreau. L’auteur du livre Dans les bois fait l’apologie de la solitude en forêt face à l’agitation de la société industrielle. Il est surtout l’auteur de La Désobéissance civile, qui semble en phase avec les idées de Katniss. « Le meilleur des gouvernements est le gouvernement qui ne gouverne pas du tout », estime Thoreau. Il considère qu’un véritable citoyen est un ennemi de l’État.

La forêt n’a pas attendu les transcendantalistes pour abriter les maquis et les dissidences. « Elle favorise indépendance et anarchie, invitant au scepticisme envers les institutions. La forêt a ses propres lois, loin de celles de la cité. Dans les bois les plus profonds, l’ordre ne tient pas », souligne Eddy Chevalier. C’est dans la forêt que se cachent les bandits comme Robin des Bois, pour mieux attaquer l’ordre établi.

 

Le District 12 apparaît comme un quartier pauvre et dangereux. L’esthétique du film se nourrit des photographies de Dorothea Lange qui montrent les chômeurs et les sans-abris pendant la crise économique de 1929. Les écoles du District 12 apprennent aux enfants à être dociles avant d’aller travailler à la mine. Suzanne Collins semble directement influencée par le roman Germinal d’Émile Zola. Dans ce livre, la description du monde des mineurs se poursuit par une grande grève.

La lutte des classes reste un moteur central de Hunger Games. Le Capitole, dont le nom s’apparente au Capital, incarne le monde de la bourgeoisie. C’est un univers de luxe et d’oisiveté. Le Capitole et le District 12 sont radicalement opposés comme des univers de richesses et de pauvreté.

 

 

          Capitole_2

 

 

Univers futuriste

 

Les Hunger Games voient s’affronter des adolescents qui viennent des différents districts de Panem, un monde post-apocalyptique. Ces jeux du cirque apparaissent comme une vengeance pour affirmer l’autorité du Capitole sur les districts qui se sont révoltés. Le pouvoir autoritaire commémore le massacre du District 13 pour rappeler ce qu’il en coûte de le défier. Suzanne Collins s’inspire ouvertement de l’univers dystopique de George Orwell qui décrit un contrôle total de l’État sur la population. « Découpage territorial, perte des libertés, embrigadement aliénant, enfer de la surveillance incessante », décrit Eddy Chevalier. Mais Hunger Games apparaît également comme une satire des émissions de télé-réalité dans lesquelles des jeunes gens s’affrontent sous le regard des caméras. La saga montre bien les manipulations des producteurs et le vote du public.

Suzanne Collins affirme ne pas connaître Battle Royal au moment de la rédaction de ses livres. Ce film japonais montre des adolescents qui doivent s’entretuer pour survivre. Cependant, l’histoire évoque davantage un jeu de massacre. La dimension politique, avec la critique de l’appareil d’État, semble moins présente. Hunger Games semble se nourrir de diverses références culturelles comme le roman Sa Majesté des mouches, avec des adolescents qui s’affrontent sur une île déserte. Plusieurs films de science-fiction évoquent un univers de compétition, entre les combats de gladiateurs et la réalité du monde du travail. Le film The Truman Show évoque un individu dont la vie est façonnée par une production médiatique. Il préfigure la critique de la télé-réalité.

 

Katniss Everdeen apparaît avant tout comme une guerrière. Elle ne se conforme pas au modèle de la femme passive et transie d’amour pour son homme. Au contraire, la romance n’est pas sa priorité. « Je n’ai pas vraiment le temps de penser à embrasser quelqu’un : j’ai une rébellion à lancer », tranche Katniss.

Le District 11 subit l’esclavage et la ségrégation. Sa résistance évoque les luttes afro-américaines et le combat actuel du mouvement Black Lives Matter. La jeune Katniss subit les foudres de ses parents lorsqu’elle fredonne L’Arbre du pendu. Cette chanson se transforme en tabou. Elle fait écho à Strange Fruit de Billie Holliday qui évoque le lynchage d’un Noir laissé pendu à un arbre.

Katniss Everdeen incarne la révolte. Sa lutte contre le Capitole, symbole de l’Empire romain, en fait une Spartacus adolescente. Katniss apparaît d’ailleurs comme une gladiatrice qui combat dans une arène. Suzanne Collins confie qu’un de ses films préférés reste Spartacus de Stanley Kubrick avec Kirk Douglas.

 

 

     Hunger Games : La Révolte, 1ère partie : photo, Jennifer Lawrence

 

 

Révolte et pop culture

 

Le livre d’Eddy Chevalier permet de mieux comprendre les enjeux soulevés par ce succès de la littérature adolescente devenu blockbuster hollywoodien. Certes, Hunger Games affiche clairement son message de révolte contre un monde de compétition mis en spectacle par les médias. Ce récit fait clairement écho à la société capitaliste du XXIe siècle. Cependant, Eddy Chevalier restitue la saga dans un contexte philosophique et littéraire plus large.

La force de ce récit ne repose pas sur la critique banale d’un pouvoir autoritaire futuriste. Hunger Games reflète avant tout la réalité du monde capitaliste. Les clivages de classe, les inégalités sociales et les modes de vie différents sont bien montrés dans le récit. Surtout, le début de la saga montre l’affrontement entre prolétaires sous les yeux d’une bourgeoisie amusée. Ce jeu mortel fait évidemment songer à la sélection sociale à l’école et à la concurrence sur le marché du travail ou dans les entreprises. Le succès de la saga semble lié à un récit qui fait écho à la réalité de la violence sociale.

 

La révolte de Katniss Everdeen ne s’inscrit pas dans la tradition du mouvement ouvrier. Même si le personnage valorise la solidarité, sa révolte semble individuelle. Katniss Everdeen reste au centre du récit. Eddy Chevalier indique la filiation avec l’individualisme libertaire de Thoreau. Il est également possible d’y apercevoir les dérives vers une révolte dirigée par un leader de manière autoritaire. Le soulèvement ne pourrait être mené uniquement que par un chef aux aptitudes militaires incontestables. Le récit joue avec cet aspect. D’un côté, Katniss demeure l’héroïne centrale. De l’autre, elle apparaît également comme l’ennemi choisit et mis en scène par le Capitole.

Le pouvoir politique contribue également à façonner son opposition. C’est sans doute l’aspect le plus percutant de la saga. Le Capitole se réjouit d’une révolution qui se réduit à un affrontement militaire. Sa force de frappe et ses bombardements favorisent sa victoire. Les opposants doivent se conformer à cette logique militaire. Ensuite, le Capitole met en scène la rébellion. Il joue avec Katniss qui incarne une opposition légitime et spectaculaire. Comme dans la démocratie représentative, l’opposition semble façonnée et mise en scène pour mieux désamorcer sa capacité à renverser l’ordre existant.

Cette lecture peut déboucher vers une critique des partis et des avant-gardes autoproclamées qui se moulent dans une logique institutionnelle. Mais le récit peut également alimenter un cynisme désabusé face à un pouvoir qui semble tout-puissant. Toutefois, Hunger Games ne se réduit pas à la description d’un pouvoir autoritaire et futuriste. Le récit montre également l’importance de la solidarité et de la lutte collective.

 

 

Source : Eddy Chevalier, Katniss Everdeen. Embraser son destin, Les Impressions Nouvelles, 2021

 

Articles liés :

Le cinéma américain depuis les années 1980

Hollywood face aux Cultural Studies

Catastrophes dans les séries américaine

Les imaginaires de la science fiction

 

Pour aller plus loin :

Vidéo : Midi de l'imaginaire : Katniss Everdeen par Eddy Chevalier, diffusée par la Bibliothèque des Littérature d'Aventures le 25 avril 2022

Vidéo : Katniss Everdeen feat. Eddy Chevalier, diffusée par Microciné Revue de cinéma et de télévision le 13 décembre 2021

Radio : Que la révolte soit : 'Hunger Games' ou la jeunesse sacrifiée, émission diffusée sur France Inter le 2 août 2022

Jacques Demange, Note de lecture publiée sur le site Ciné Chronicle le 1er octobre 2021

Aurore Gayte, Hunger Games, c’est « la désobéissance civile pour les nuls », publié sur le site Numérama le 20 mai 2023

Boris Jullien, "Hunger Games", une saga plus politique qu'il n'y paraît, publié sur France Info le 19 novembre 2014

Maximilien, Marx, Staline et Katniss Everdeen, publié sur le site de la Tendance Communiste Internationaliste le 16 novembre 2014

Hunger Games: les implications politiques, publié sur le site Le Minarchiste le 30 janvier 2017

Mark R. Anspach, Hunger Games. La violence de l'arène, la force du don, publié dans la Revue du MAUSS n° 43 en 2014

Sylvie Vartian, Guerrières, chasseresses et corps éprouvé dans la science-fiction adolescente actuelle Le cas des Hunger Games de Suzanne Collins, publié dans la revue Recherches féministes Volume 27, numéro 1 en 2014

Julie G., Hunger Games (2012) : « Puisse le sort vous être toujours favorable », publié sur le site Le cinéma est politique le 7 février 2013

Elisabeth Pierson, Trois doigts levés vers le ciel : comment le film Hunger Games inspire la contestation en Birmanie, publié sur le site du journal Le Figaro le 9 février 2021

Samuel Blumenfeld, « Hunger Games » : la révolte politique, publié sur le site du journal Le Monde le 18 novembre 2014

Publié dans #Contre culture

Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article
S
J'ai lu "Crime et châtiment" et j'ai pensé que cela aurait pu nous arriver. Je me suis donc dit que j'allais lire tous ces livres à ta place et que je te les raconterais ensuite - comme ça, tu pourras te concentrer sur la musique
Répondre