Les imaginaires de la science-fiction
Publié le 16 Décembre 2021
L’imaginaire de science fiction permet de se projeter dans le futur. La prospection permet la réflexion, pour définir des stratégies et agir sur le réel. Deux grands courants semblent s’opposer. Celui de la technoscience estime que le progrès technologique doit permettre de faire face à la catastrophe écologique. Au contraire, le cyberpunk propose une critique de l’aliénation technologique et de l’emprise des machines sur nos vies.
Les séries, les films de cinéma, les romans, les BD mettent le futur en fiction. Cette culture populaire propose des pistes pour comprendre les impasses contemporaines des technologies et de l’écologie, mais peut aussi entrouvrir des voies alternatives. La science-fiction propose des utopies et des futurs désirables. Même les dystopies, qui insistent sur les dangers de nos sociétés, évoquent en creux des alternatives politiques. Ariel Kyrou explore ces univers dans son livre Dans les imaginaires du futur.
Fins du monde
La pandémie du printemps 2020 ravive encore davantage le succès de la fiction apocalyptique. Le film Contagion (2011), de Steven Soderberg, devient un succès. Il montre un père de famille qui se heurte à un virus particulièrement mortel. Les films catastrophe alimentent cet imaginaire de fin du monde. « La peur du virus, infectant les personnes par simple contact direct ou indirect, est en effet l’un des révélateurs les plus pertinents des vices de l’humanité », indique Ariel Kyrou. Mais c’est la cause de la contagion qui donne la tonalité politique d’une œuvre.
Le roman Je suis une légende (1954) est adapté en 1971. Il décrit un virus qui transforme les humains en zombies. Dans Le Survivant, avec Charlton Heston, le virus découle d’une guerre bactériologique qui révèle l’échec moral et politique de la technoscience et de la civilisation moderne. Dans la version de 2007, avec Will Smith, le désastre né de la bourde d’une chercheuse. « L’incurie des gouvernements et des technopouvoirs de la planète n’y est pour rien », observe Ariel Kyrou. Cette version récente se réduit à un banal divertissement dépolitisé.
Les mondes post-apocalyptiques évoquent également une guerre pour la survie individuelle. « La clé scénaristique commune à Soleil vert et à La Route comme la plupart des fictions post-apocalyptiques concerne la gestion des ressources indispensables à la survie telles l’eau et la nourriture, devenues rares », souligne Ariel Kyrou. La recherche de la protection immédiate révèle les instincts égoïstes de chacun. Le survivalisme vise à affronter en guerrier un monde dévasté dans lequel ne peuvent survivre que les plus forts. Ce qui évoque une caricature encore plus darwinienne de la société capitaliste.
S’enfermer dans un bunker peut même devenir le seul moyen de survivre. Ce qui révèle les inégalités sociales. Dans Forster vous êtes mort !, une nouvelle de Philip K. Dick publiée en 1955, seules les familles les plus riches peuvent acheter un bunker antiatomique sophistiqué qui peut permettre de faire face à une guerre nucléaire. Dans Le Transperceneige, c’est un train qui protège de la congélation de l’extérieur. Ce véhicule blindé reproduit les hiérarchies sociales. Les pauvres du bout du train croupissent dans des wagons surpeuplés. Les soldats et les classes supérieures qui surveillent et encadrent les pauvres pour les chefs du train vivent dans le confort.
Soleil vert évoque une hiérarchie entre les classes sociales qui mène la société à son auto-destruction. « Car l’exploitation forcenée des faibles par les forts s’apparente à une forme métaphorique de cannibalisme, privant le prolétariat ou des hordes de précaires d’une vie au-delà de la survie… pour la préservation du mode de vie et des pouvoirs de la classe dominante », analyse Ariel Kyrou.
Plusieurs causes peuvent conduire à la fin du monde. L'apocalypse nucléaire et la troisième guerre mondiale sont évoqués dans La Jetée de Chris Marker, le roman Silo ou le film d’animation japonais Akira. Le changement climatique et l’épuisement des ressources deviennent les causes de la fin du monde dans les romans de J.G.Ballard. D’autres romans évoquent une fin du monde aux causes écologiques. Le Ciel brûlant de minuit évoque la disparition de la couche d’ozone. Dans Mars la nuit, Kim Stanley Robinson décrit des paysages dévastés par les eaux et les tempêtes. Venise sous les eaux évoque également une catastrophe naturelle. Ces romans de science-fiction anticipent la montée des températures, la multiplication des tempêtes et des inondations.
Sociétés futures
L’intelligence artificielle (IA) semble pleine de promesses. Des robots doivent accomplir des tâches ingrates à la place des humains. Le progrès technologique semble accompagner le progrès social. Le transhumanisme et les cyborgs peuvent également décupler les capacités des individus. Cependant, il existe une face plus sombre qui évoque l’emprise des machines sur la vie humaine. Le film Matrix évoque le règne d’ordinateurs qui pilotent les imaginaires pour imposer leur domination sur l’humanité.
« Une hallucination consensuelle vécue quotidiennement en toute légalité par des dizaines de millions d’opérateurs dans tous les pays », annonce William Gibson dès 1984. Le Big Data et le cyberespace peuvent s’apparenter à la matrice. L’IA s’impose sur le téléphone mobile, au bureau et même à la maison avec les enceintes connectées. Le monde numérique ne cesse d’étendre son emprise dans nos vies quotidiennes. « Et c’est justement cette superpuissance trop abstraite, malgré son côté punk, qui bloque notre désir de révolte face à elle », observe Ariel Kyrou.
Dans le film Her (2013), le personnage joué par Joaquin Phoenix tombe amoureux d’un algorithme sophistiqué programmé pour satisfaire cet homme et qui évolue au fur et à mesure des interactions avec lui. Ce qui évoque la dépendance des individus à l’égard des produits connectés. Les algorithmes ne nous contredisent jamais et nous caressent dans le sens du poil.
Les extraterrestres sont perçus comme des étrangers qui menacent les terriens. La série V ou le film Independance Day alimentent cette imaginaire d’extraterrestres hostiles. Cet imaginaire d’une invasion de la terre par d’autres créatures rejoint le survivalisme, et peut même véhiculer des idées racistes. Le spectateur s’identifie aux humains qui prennent les armes pour combattre ces étrangers forcément dangereux. « Bien sûr, cet étranger radical n’y est jamais présenté sous la figure du migrant pauvre et désespéré, de l’exilé qui serait prêt à mettre la main à la pâte, mais sous celle du monstre hideux et vindicatif dont la seule ambition serait de nous détruire », observe Ariel Kyrou.
Au contraire, le film District 9 (2009) s’appuie sur cette figure de l’extraterrestre pour attaquer la ségrégation raciale. Il se situe dans la région de Johannesburg, en Afrique du Sud. Les extraterrestres sont parqués dans des bidonvilles sordides. Ils sont stigmatisés comme les Noirs au temps de l’apartheid. Ils sont exploités par une entreprise qui cherche à s’accaparer et à maîtriser leur armement.
Yannick Rumpala estime que les fictions de fin du monde permettent également d’imaginer d’autres futurs. Elles permettent d’observer les dangers écologiques et les évolutions des sociétés pour proposer de nouvelles perspectives. « Car les fictions de fin du monde, ou plutôt de fins de notre monde, nous permettent de travailler nos peurs, peut-être même de les convertir en actions politiques, en espoirs et en pistes pour d’autres façons de vivre, autant au niveau des individus et de leurs communautés que pour nos sociétés », souligne Ariel Kyrou. Les fictions post-apocalyptiques anticipent le pire, mais elles ouvrent aussi des voies pour s’en extraire.
Dystopies et utopies
Les visions du futur évoluent avec le rapport à la technologie. Toute une tradition de la science-fiction insiste sur des solutions à la catastrophe écologiste qui passent par le développement de la technologie. Cette littérature semble rejoindre le capitalisme vert des multinationales qui investissent dans les nouvelles technologies et les énergies renouvelables. Mais une littérature de science-fiction plus sombre évoque la surveillance de masse favorisée par ces nouvelles technologies. Le Meilleur des mondes (1932) d’Aldous Huxley et 1984 (1949) de George Orwell restent les deux grands classiques du genre.
La Servante écarlate, de Margaret Atwood, évoque une dictature qui enferme les femmes et les subalternes dans un rôle précis de soumission. « Dans une terre elle aussi dévastée, devenue toxique et en proie à la stérilité, La Servante écarlate alerte par sa dystopie tout aussi radicale d’une société totalitaire, hiérarchisée selon la caricature patriarcale d’une dictature judéo-chrétienne », résume Ariel Kyrou.
Les dystopies alertent sur un monde qui affaiblit les résistances de l’être humain, face à la dictature, la corruption et la déliquescence morale. Même si des personnages de ces romans refusent d'accepter l’ordre existant. « Très classiquement, leurs héros sont des êtres plein d’humanité, de doutes et de désespoir face à une société invivable, qui transforme leur monde en une prison des corps et de l’esprit », souligne Ariel Kyrou.
La science-fiction peut rejoindre l’utopie pour imaginer un futur souhaitable. La revue Multitudes, proche des idées de Toni Negri, entend s’appuyer sur la catastrophe écologique et sur la crise du capitalisme pour développer un projet de société qui s’articule autour du revenu universel d’existence. Le livre collectif Au bal des actifs imagine l’évolution du monde du travail. Une approche pessimiste évoque la précarisation généralisée, la transformation des humains en machines, l’emprise du numérique et des managers hyper performants.
Une autre approche vise à réinventer le travail. « Loin de la création sur commande destinée à maximiser le profit des actionnaires, nous visions une création collective, entrelacée, où tous les ouvriers apprenaient quelque chose en le faisant avec d’autres qui leur enseignaient », imagine Alain Damasio. Une nouvelle de Norbert Merjagnan évoque le revenu universel qui permet de se loger, de se nourrir et de choisir librement son mode de vie. Pour Kim Stanley Robinson, les coopératives doivent favoriser la démocratie dans les entreprises.
Ursula Le Guin, dans son roman Les Dépossédés, oppose deux planètes avec des systèmes politiques opposés. Urras impose un féodalisme capitaliste. Au contraire, Anarres propose un fonctionnement libertaire. « Savoir que cela existe, savoir qu’il y a une société sans gouvernement, sans police, sans exploitation économique, qu’ils ne peuvent plus dire que ce n’est qu’un mirage, un rêve d’idéaliste », lance Ursula Le Guin.
Politique et science-fiction
Le livre d’Ariel Kyrou permet de prendre au sérieux la science-fiction. Ce genre reste souvent associé à un monde imaginaire éloigné de la réalité. Pourtant, la science-fiction soulève des questions politiques et sociales centrales. L’écrivain Alain Damasio, dans sa « Volte-face », souligne les apports du livre d’Ariel Kyrou. Il montre les deux faces de la science-fiction. Elle propose un imaginaire alternatif et utopique. Mais elle peut également se centrer sur les risques de catastrophe. La fiction post-apocalyptique peut rejoindre une idéologie conservatrice et survivaliste. Ce qui rejoint la critique de la théorie de l’effondrement et de la collapsologie.
Le rapport à la technologie semble également révélateur. De nombreuses œuvres de science-fiction s’inscrivent dans un optimisme technologique. Le progrès scientifique doit permettre d’apporter la réponse à tous les problèmes écologiques et sociaux. Inversement, le courant cyberpunk, incarné par Philip K. Dick, pointe les dangers de l’emprise de la technologie sur nos vies quotidiennes. Le livre volumineux d’Ariel Kyrou permet de se plonger dans tous ces débats de manière accessible et ludique. Il montre comment la science-fiction permet de réfléchir sur les sociétés modernes. Néanmoins, il évoque beaucoup de sujets sans vraiment en embrasser aucun en profondeur. En revanche, cette somme exhaustive ouvre de nombreuses pistes de réflexions.
Dans le sillage de Yannick Rumpala, Ariel Kyrou se penche sur les futurs alternatifs qui proposent de sortir de la civilisation marchande. Mais plutôt que d’approfondir le sujet avec une analyse approfondie sur les nuances de cette littérature, Ariel Kyrou semble se contenter de refourguer sa camelote politique. C’est évidemment dans sa défense du négrisme que le livre d’Ariel Kyrou reste le plus contestable sur le plan politique. Mais il a le mérite d’exposer son projet de société, ce qui permet d’en pointer les limites.
Le revenu universel d’existence reste le socle de ce projet de société. Mais il n’est jamais question d’abolition de l’exploitation et du travail. Cette société future accepte les hiérarchies entre les individus et les inégalités selon le statut professionnel et le niveau de revenus. L’autogestion du capital semble également idéalisée. Les coopératives n’empêchent pas la logique marchande, la recherche du profit et l’aliénation du travail. De même, Ariel Kyrou préfère les monnaies alternatives plutôt que l’abolition de l’argent à travers la gratuité.
Ariel Kyrou conserve également une vision très optimiste de l’utopie futuriste. Contrairement à Ursula Le Guin, il n’évoque pas les difficultés et les contradictions dans la mise en place d’une société nouvelle. Il ne semble pas interroger les limites de ses propositions qui deviennent des certitudes douteuses. Néanmoins, malgré les limites de son courant politique, Ariel Kyrou explore la dimension politique des imaginaires de science-fiction. Son livre permet de se réapproprier un genre encore dénigré pour lui donner toute sa pertinence.
Source : Ariel Kyrou, Dans les imaginaires du futur. Entre fins du monde, IA, virus et exploration spatiale, ActuSF, 2020
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