Écologie et science-fiction

Publié le 26 Octobre 2018

Blade Runner 2049 (2017)

Blade Runner 2049 (2017)

La science-fiction peut devenir un support de réflexion critique. Ce genre littéraire et cinématographique anticipe les évolutions de la société marchande, mais peut aussi inventer d'autres futurs.

 

 

Les conséquences du désastre écologique apparaissent souvent dans la science-fiction. La planète devient de moins en moins habitable sous l’ère de la modernité capitaliste. La science-fiction propose une description du futur pessimiste, voire apocalyptique. Mais elle peut aussi dessiner un autre imaginaire pour prendre en compte les enjeux écologiques.

 

La science-fiction reflète les idées nouvelles et originales. Elle alimente la réflexion sur les enjeux qui traversent la société. La science-fiction nourrit les interrogations et les propositions. Yannick Rumpala explore l’imaginaire du futur dans le livre Hors des décombres du monde.

 

 

                                 

 

 

Imaginaires futuristes

 

 

La science-fiction n’est pas un simple divertissement qui se projette dans un futur lointain et fantasmé. La science-fiction évoque avant tout les enjeux du présent. « Face à un enterrement rhétorique du réel dans une absence d’alternative au système devenu dominant, la science-fiction est une manière de rappeler qu’il y a une pluralité de futurs envisageables et de donner des ressources supplémentaires à la réflexion », souligne Yannick Rumpala. La science-fiction permet de fabriquer et de simuler des mondes futurs pour offrir différentes possibilités d’existence.

 

La science-fiction évoque souvent les enjeux environnementaux. Les catastrophes naturelles, le renouvellement des ressources énergétiques, la surexploitation des écosystèmes, le réchauffement climatique alimentent une science-fiction apocalyptique. « Alors qu’ils pensaient gagner en maîtrise, les humains voient redevenir problématiques les rapports aux espaces de vie qui les environnent », observe Yannick Rumpala. La série Mad Max évoque un retour à la barbarie après l’épuisement des ressources pétrolières. Les humains sont également confrontés à une concurrence féroce. L’artificialisation se généralise. Des films comme Terminator ou Matrix évoquent la prise de pouvoir par les machines.

 

La science-fiction peut également refléter un optimisme technologique. Les inventions du futur permettent alors de surmonter les problèmes actuels. La colonisation de nouvelles planètes comme Mars est également envisagée. L’exploitation des ressources peut alors devenir infinie. L’échappatoire technologique devient une prolongation de la société de consommation. Le cyberpunk propose au contraire un regard désenchanté sur les nouvelles technologies. Les multinationales sont prêtes à tout pour défendre leurs intérêts et donc à instrumentaliser les technologies disponibles. Le contrôle et la surveillance des populations s’intensifient. Paul Virilio observe que les avancées techniques débouchent vers des risques et des possibilités d’accidents nouveaux.

 

 

Le cyberpunk évoque le futur proche avec beaucoup de noirceur. Les nouvelles technologies intensifient la surveillance et le contrôle. Des entreprises sont prêtes à tout pour défendre leurs intérêts, y compris à travers la manipulation de l’intelligence artificielle. Le cyberpunk a finalement bien anticipé l’évolution de nos sociétés à l’ère du capitalisme néolibéral et des réseaux sociaux.

 

« L’économie de l’attention » devient un enjeu central. Dans la dèche au Royaume Enchanté, de Cory Doctorow, de nouvelles modalités régissent l’organisation sociale. L’évaluation permanente de la réputation et de la popularité déterminent la position sociale. Dans le premier épisode de la troisième saison de la série Black Mirror, les Smartphones permettent de noter n’importe qui. Un système de réputation s’impose et des individus peuvent être exclus de la vie sociale très rapidement. La science fiction permet d’observer les évolutions de la société.

 

Les nouvelles technologies alimentent l’artificialisation du monde. Chez Philip K. Dick, les publicités deviennent matérielles, animées et envahissantes. Inversement, les animaux disparaissent et sont remplacés par des copies artificielles faussement vivantes. Actuellement, l’humanité vit déjà avec des robots, des androïdes, des automates. « C’est par et dans ses mondes fictionnels qu’ont déjà été posées des interrogations sur la place de l’être humain dans une société machinisée », observe Yannick Rumpala.

 

 

                   Vision de cauchemar du film Terminator, cité en exemple par le duo Fanny Bouton - Olivier Ezratty

 

 

Apocalypse

 

 

La science-fiction libère l’imagination et permet une ouverture des possibles. « Le passage par la science-fiction peut-être ainsi vu comme une incapacité à se satisfaire du monde tel qu’il est, incitant donc à conduire d’autres imaginaires techniques, sociaux, économiques, politiques, etc. », estime Yannick Rumpala. La science-fiction propose un vaste panorama d’utopies ou de dystopies qui contiennent des germes d’émancipation ou la reproduction d’idéologies autoritaires.

 

Des récits évoquent l’effondrement du monde. L’apocalypse peut être passée, présente ou future. Le désastre est souvent montré comme une production des humains. L’angoisse atomique se développe dans le contexte géopolitique de la guerre froide. Des pandémies et des virus se propagent à l’issue d’expériences scientifiques. L’apocalypse reste souvent liée à des causes écologiques. La pollution, le dérèglement climatique, l’épidémie ou la catastrophe expliquent l’apocalypse.

 

En 1962, Le monde englouti, de James Graham Ballard, décrit des atmosphères de fournaise et de terres submergées par les eaux. Au début de sa carrière, J.G.Ballard travaille le thème de l’apocalypse. Un vent destructeur emporte avec lui la civilisation dans Le Vent de nulle part. La pollution des mers et les déchets chimiques font disparaître la pluie dans La Sècheresse. Un phénomène de cristallisation se propage pour pétrifier le vivant dans La Forêt de cristal. A chaque fois, les humains semblent autant transformés que les milieux qui les entourent.

 

 

Le film Snowpiercer se situe dans le contexte d’un hiver généralisé. La littérature post-apocalyptique évoque une société de rareté ou de pénurie, qui apparaît comme un châtiment collectif. La disparition de la société de consommation apparaît sous une forme angoissante. Dans Terminator ou Matrix se sont les intelligences artificielles qui s’attaquent à l’humanité. Mais le film Snowpiercer remet en cause le nécro-capitalisme. Les rapports sociaux capitalistes ne sont pas obligés de perdurer après l’apocalypse. Il est possible de construire d’autres mondes. Les récits catastrophistes peuvent jouer une fonction d’alerte et montrer les problèmes. Ils peuvent aussi rassurer et permettre de se réjouir d’une société actuelle pas encore dévastée. Raviver les angoisses de l’époque peut même déboucher vers une demande de sécurité et d’autorité. La représentation apocalyptique peut au contraire questionner l’ordre établi et secouer la passivité.

 

La catastrophe peut devenir le seul moyen de détruire la civilisation marchande. « A un niveau global, la déconstruction du système socio-économique dominant semble tellement difficile que son écroulement devient presque le seul moyen d’en sortir », observe Yannick Rumpala. La fin du monde est plus envisageable que la fin du capitalisme. La catastrophe remplace le Grand Soir pour envisager une autre reconstruction. « Il y a là l’aveu d’une incapacité politique, celle de changer le monde par nous-mêmes », analyse Alain Musset. La catastrophe peut permettre de créer de la solidarité et valoriser les circuits courts, contrairement aux échanges capitalistes. Dans Dr Bloodmoney, de Philip K. Dick, un cataclysme atomique permet d’inverser les situations sociales. Un jeune handicapé marginalisé révèle ses capacités comme réparateur. Mais l’apocalypse peut également réveiller les pires penchants de la nature humaines, avec la règne de la prédation comme dans Mad Max.

 

 

                              

 

 

Utopies

 

 

Frédéric Jameson relie la science-fiction et l’utopie. Les récits futuristes ne doivent pas se contenter d’évoquer ce qui reste envisageable. Ils doivent libérer l’imagination et inventer des changements dans notre vie et dans notre monde.

 

La science-fiction propose une critique des évolutions de la société marchande. Mais elle peut aussi inventer de nouvelles possibilités d’existence. D’autres modes de vie s’inventent. Le contrôle de la technologie est évoqué dans La Vague montante, de Marion Zimmer Bradley. Dans cette société, les technologies ne sont employées que lorsque c’est nécessaire. Les relations locales et communautaires sont privilégiées. Même si les femmes restent assignées à la sphère domestique.

 

La contre-culture des années 1970 alimente un retour à la veine utopique. Ursula Le Guin, avec Les Dépossédés, incarne une sensibilité libertaire. Le récit évoque deux planètes qui proposent deux sociétés différentes. Urras reste fondé sur le modèle capitaliste, avec une accumulation des richesses qui provoque de la misère et des inégalités. Anaress adopte des principes libertaires, sans gouvernement ni propriété. Néanmoins, les ressources sont peu nombreuses. De plus, un ordinateur gère l’administration et l’organisation du travail. Des tensions émergent entre l’individu et la communauté. Les idéaux initiaux se transforment en contraintes pesantes. Les principes de coopération et de tolérance n’effacent pas les mesquineries humaines. Ursula Le Guin montre qu’il n’existe pas de modèle de société parfait et idéal. Seules les énergies collectives et un esprit révolutionnaire permettent de faire vivre les idéaux libertaires.

 

 

Ernest Callenbach, dans Ecotopia, décrit une société écologiste et coupée du monde. Les habitants adoptent des solutions pragmatiques. Cette société privilégie des formes autogestionnaires et décentralisées, des énergies renouvelables, des liens communautaires et un équilibre avec le reste du vivant. La qualité de vie devient une préoccupation centrale. Le travail est réduit à 20 heures par semaine et la créativité individuelle est encouragée.

 

Le film Avatar montre des humanoïdes bleus, les Na’vis, qui subissent la colonisation des humaines. Les deux civilisations semblent opposées. Les Na’vis apparaissent comme un peuple de chasseurs-cueilleurs. Ils respectent toutes les espèces humaines, les plantes et la nature. Ils développent un rapport spirituel à la vie. Inversement, les humains, malgré leur supériorité technologique, sont montrés comme des prédateurs. « Les humains semblent eux dans l’aliénation et n’ont donc pas conscience de leur rapport agressif à ceux qui les entoure, rapport exacerbé visuellement par la masculinité colonialiste des militaires », décrit Yannick Rumpala. Ursula Le Guin, dans Le nom du monde est forêt, montre également une planète colonisée par les humains. Publié en 1972, ce roman évoque l’intervention de l’armée américaine au Vietnam. Le spiritualisme naturel comporte des limites, mais il ouvre des possibilités de lutte contre l’impérialisme écologique.

 

 

                   Et si Matrix était LA tendance mode phare de 2018 ?

 

 

Science-fiction et perspectives politiques

 

 

Le livre de Yannick Rumpala propose un regard original sur la science-fiction. Il ne relève pas uniquement des études culturelles. Cette approche vise à montrer les aspects politiques qui traversent la littérature ou le cinéma. Yannick Rumpala tente d’aller plus loin. Pour lui, la science-fiction devient un véritable support de réflexion critique. Elle permet d’imaginer le futur et de se projeter pour comprendre les effets du désastre écologique. La science-fiction doit également permettre d’imaginer de nouvelles possibilités d’existence. Cette approche originale se révèle plutôt convaincante. Yannick Rumpala nourrit son argumentation d’exemples concrets d’œuvres littéraires et cinématographiques. 

 

La science-fiction permet d'alimenter la réflexion politique. La dimension vivante et incarnée de la science-fiction permet de se représenter le monde bien mieux qu’avec des abstractions. Il faut rajouter que la science-fiction est associée au divertissement et au plaisir. Elle reste donc plus accessible que des livres philosophiques abscons. La réflexion à partir de la science-fiction semble particulièrement accessible, loin de l’élitisme académique.

 

La science-fiction reste diverse, et chaque approche porte quelques limites. Des œuvres portent un regard optimiste sur le monde. Les nouvelles technologies doivent participer au progrès de la civilisation. Ce courant n’évoque pas les conséquences négatives des nouvelles technologies. La dépossession de la technique favorise l’émergence d’une classe d’experts qui peut soumettre le reste la population. Ensuite, les nouvelles technologies peuvent alimenter l’artificialisation du monde. Les relations humaines sont remplacées par des interactions avec des machines. Le courant cyber-punk insiste bien sur ces dérives.

 

 

Néanmoins, la critique de la technique comporte également des dérives. Une science-fiction primitiviste valorise le retour à la nature et à une forme de spiritualité. Cette approche fait songer à la sobriété de la décroissance. Mais la valorisation de la nature comporte également des dérives réactionnaires. Un ordre naturel patriarcal peut se révéler peu souhaitable.

 

La science-fiction peut aussi alimenter une dérive catastrophiste. Imaginer les conséquences du saccage de la planète reste incontournable. Néanmoins, le catastrophisme semble davantage alimenter la résignation que la révolte. René Riesel et Jaime Semprun montrent bien comment le catastrophisme peut déboucher vers des dérives autoritaires, au prétexte de planification écologique. La peur n’est pas un sentiment politique à alimenter. Il favorise souvent la soumission aux autorités pour survivre.

 

C’est au contraire le désir d’un autre monde qui peut guider la révolte. Ursula Le Guin incarne cette utopie libertaire. Mais loin de proposer un modèle, son livre insiste sur le doute et les difficultés. L’utopie révolutionnaire n’est pas un modèle préfabriqué mais un mouvement à construire. La science-fiction permet donc de penser une critique sociale, mais aussi de se projeter dans le futur pour imaginer d’autres possibilités d’existence.

 

 

Source : Yannick Rumpala, Hors des décombres du monde. Ecologie, science-fiction et éthique du futur, Champ Vallon, 2018

Articles liés :

 

Cyberpunk : science-fiction et critique sociale 

 

Capitalocène et dérèglement climatique

 

L'effondrement de la société libérale

 

Walter Benjamin contre la société marchande

 

 

 

Pour aller plus loin :

 

Vidéo : Librairie de l'éco du 05/10 diffusée sur BFM Business - BFMTV

 

Vidéo : Transitions2 / Yannick Rumpala et sa "passerelle temporelle", mis en ligne sur le site de la Fing

 

Vidéo : Echanges avec Yannick Rumpala, séminaire Terminaisons, lisières et interstices : la condition locale dans la ville intelligente" organisé par le Puca 26 mai 2016 

 

Vidéo : Le Transhumanisme : entre science fiction et réalité, conférence du 16 février 2017

 

Vidéo : Entre narrations et enjeux environnementaux, conférence enregistrée le 2 octobre 2015

 

Vidéo : Documentaire - Philip K. Dick l'écrivain visionnaire 

 

Vidéo : Les mondes de Philip K. Dick 

 

Vidéo : Alain Damasio, Science-fiction et politique, à la Confédération National du Travail, Festival de la CNT 

 

 

Radio : émissions avec Yannick Rumpala diffusées sur France Culture

 

Radio : Entre science et fiction - Les Utopies, émission diffusée sur France Inter le 27 juillet 2012 

 

Radio : Cyberpunk, émission de Radio Campus Amiens du 29 mars 2018

 

Radio : La SF sur les bancs de la fac, émission diffusée sur France Culture le 21 septembre 2018 

 

Radio : La SF aux couleurs d'Ursula K. Le Guin, émission diffusée sur France Culture le 2 février 2018 

 

 

Blog de Yannick Rumpala 

 

Articles de Yannick Rumpala  publiés sur Usbek & Rica

 

Articles de Yannick Rumpala  publiés sur Non fiction 

 

Articles de Yannick Rumpala  publiés sur le portail Cairn 

 

Guillaume Ledit, « La science-fiction expérimente les conditions de la vie en commun », publié sur le site de la revue Usbek & Rica le 22 septembre 2018 

 

Yannick Rumpala, Quand les dystopies s’écrivent aussi sur les murs…, publié dans le webzine Diacritik le 8 février 2018 

 

Marie-Catherine Méra, La science-fiction au secours de l'écologie. Entretien avec Yannick Rumpala, publié sur le site de la revue Sciences Humaines en mars 2014 

 

Margot Baldassi, La science-fiction pour « habiter les mondes en préparation », publié sur le site pop-up urbain le 3 spetembre 2014 

 

Camille Hamet, La science-fiction a-t-elle un plan pour sauver le monde ?, publié sur le webzine Ulysses le 26 avril 2018 

 

Jean-Baptiste Bonaventure, Quand les autrices sauvent la science-fiction, publié sur le site Vice le 27 avril 2018 

 

Lémi, Alain Musset : « l’apocalypse est un phénomène politique, social et économique », publié sur le site Article 11 le 12 décembre 2013

 

Lire : Politique et science-fiction, publié dans le journal Alternative libertaire n°175 en été 2008 

Publié dans #Contre culture

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