Hollywood face aux Cultural Studies
Publié le 25 Février 2021
Les studios de cinéma américains produisent de nombreux films historiques. Ce genre s’appuie sur un sujet considéré comme légitime par la culture dominante. Mais il semble également populaire, avec un véritable succès public. Les spectateurs ont l’impression de se divertir et de se cultiver sur des faits passés. Le film historique évoque également la nation et la construction d’un peuple autour de valeurs communes.
Depuis les années 2000 s’amorce un retour en force du film historique, incarné par le succès de Gladiator. Au même moment, les Cultural Studies remettent en cause le discours historique dominant centré sur la version du WASP blanc bourgeois hétérosexuel. Cette approche se diffuse dans les universités pour faire redécouvrir des personnalités oubliées par l’histoire officielle. Ce nouveau récit vise à soutenir les luttes des minorités dans les sociétés actuelles. David Da Silva se penche sur cette nouvelle lecture des films historiques dans le livre Cultural Studies et Hollywood : le passé remanié.
Histoire des Cultural Studies
Les Cultural Studies émergent dans la société britannique des années 1950. Une culture de masse se développe après la guerre. Edward Thompson, Raymond Williams et Richard Hoggart analysent la formation de la classe ouvrière, les cultures populaires et les contestations culturelles. Ces chercheurs issus de milieux ouvriers relient la culture aux problèmes sociaux. Les cultures populaires sont revalorisées contre la domination de la culture élitiste et bourgeoise. Les Cultural Studies doivent permettre d’analyser la réalité sociale pour lutter contre les différentes oppressions. Ces auteurs s’inscrivent dans le marxisme hétérodoxe de la New Left. Contre une vision déterministe, ils insistent sur l’importance des luttes et résistances ouvrières.
Stuart Hall remet en cause la vision marxiste d’une domination implacable de la bourgeoisie avec ses superstructures idéologiques. Au contraire, il estime que les individus ordinaires peuvent penser par eux-mêmes et ne pas intégrer l’idéologie de la société de consommation. Le cinéma hollywoodien connaît du succès avant tout car il s’inspire du vécu des classes populaires. Ensuite, les spectateurs ne sont pas passifs devant les œuvres mais développent leurs propres interprétations. La culture possède sa logique propre et n’est pas un simple reflet des rapports de force économiques qui traversent la société. Stuart Hall permet également de valoriser le regard des femmes et des minorités.
Les Cultural Studies s’imposent progressivement dans les universités américaines. Les chercheurs insistent d’abord sur les grands mythes fondateurs qui forgent l’unité du peuple américain. Les groupes sociaux marginalisés et dominés ne sont pas pris en compte. « Pour le dire autrement, être américain serait donc simplement faire partie de la classe moyenne et pouvoir participer à la société de consommation », précise David Da Silva. Le rêve américain, avec le mythe de la réussite individuelle, devient fédérateur pour permettre l’intégration des immigrés.
Mais la contre-culture et la contestation des années 1960 attaquent cette civilisation américaine. Les minorités luttent contre leur oppression. Les Cultural Studies délaissent les grandes œuvres pour s’intéresser à la culture populaire. Elles évoquent également le regard des minorités. Une nouvelle hégémonie culturelle se développe avec le « politiquement correct » qui chasse le racisme et les discriminations. Des enseignements diffusent de nouveaux récits comme les Woman Studies, les Black Studies, les Gay et Lesbian Studies. Depuis les années 2000, le cinéma américain s’adapte à cette nouvelle norme. Les producteurs craignent les critiques des associations qui peuvent mener des campagnes contre un film.
Le géographe David Harvey observe que cette évolution se conforme au capitalisme néolibéral. La production délaisse le modèle fordiste de la standardisation. La consommation ne s’adresse plus à un mode de vie uniformisé. Le marché devient segmenté et s’adresse à des clientèles diverses. Ensuite, la lutte des classes disparaît pour faire place au consensus libéral. Les luttes des minorités qui demandent plus de droits et de reconnaissance s’inscrivent dans ce cadre libéral.
Les films peuvent faire l’objet d’interprétations diverses. Les médias de gauche raillent 300 de Zack Snider, qui évoque l’affrontement des Spartiates face aux Perses. Le film exalte les valeurs viriles et guerrières. Il est surtout décrit comme une apologie de l’impérialisme américain après la guerre en Irak. Au contraire, le philosophe Slavoj Zizek et une partie du public observent que les Spartiates apparaissent comme un peuple rustre qui résiste face à une armée plus puissante. Ce qui les place donc plutôt du côté de l’anti-impérialisme. Le regard du public peut donc différer avec les interprétations des intellectuels de gauche, et même avec l’idéologie du réalisateur.
Ridley Scott lance un renouveau du film historique avec Gladiator (2000). Maximus est un général romain trahit par l’empereur Commode et réduit en esclavage. Il devient un gladiateur populaire et tente de défier le pouvoir impérial. Ce film évoque Spartacus de Stanley Kubrick. Un gladiateur défie également l’empire et organise une révolte d’esclaves. La crucifixion finale et le gladiateur noir aux côtés du héros blanc apparaissent également comme des points communs. Néanmoins, Spartacus s’inspire du roman d’Howard Fast qui reflète davantage la lutte des classes avec une révolte collective. Dans Gladiator, c’est davantage un face à face entre le héros et l’empereur sur fond de vengeance personnelle.
L’élection de Donald Trump révèle la faillite des Cultural Studies qui valorisent les minorités. Le parti démocrate et sa candidate Hillary Clinton mettent l’accent sur la dénonciation du racisme et du sexisme ainsi que sur l’écologie. La gauche américaine délaisse la lutte des classes et les problèmes sociaux pour se focaliser uniquement sur la défense des minorités. Le milliardaire Trump peut alors tranquillement prétendre représenter les ouvriers blancs dont l’emploi serait menacé par la désindustrialisation et les délocalisations. Les acteurs d’Hollywood et les intellectuels de gauche apparaissent alors comme le camp des vainqueurs de la mondialisation face à la classe moyenne blanche paupérisée et déclassée.
Racisme et postcolonialisme
A partir de la fin des années 1960, les universités américaines ouvrent des départements de Black Studies. Ce champ académique interdisciplinaire étudie les personnes afro-américaines d’un point de vue historique, culturel, mais aussi sociologique et politique. Le racisme et les stéréotypes sont déconstruits. Le film Lincoln (2012) évoque la guerre de Sécession uniquement à travers la question de l’esclavage et du racisme. L’historien André Kaspi reproche à Steven Spielberg d’éluder la dimension économique. L’esclavage reste lié à l’exploitation et à l’exportation du coton. Le film est également critiqué pour réduire les personnages noirs à la passivité. L’abolition de l’esclavage est obtenue par un bourgeois blanc, et non pas par les esclaves eux-mêmes à travers leurs luttes.
Le film Selma (2014), réalisé par Ana DuVernay, évoque la campagne de Martin Luther King pour les droits civiques en 1965. Ce récit montre les violences policières mais reste consensuel. Il élude les aspérités du pasteur dans sa vie privée mais aussi la dimension sociale de son discours. Martin Luther King critique le racisme mais aussi l’exploitation et les inégalités sociales. « Si les Noirs étaient les déshérités absolus, les opprimés par excellence et l’avant-garde de la révolution en marche, tous les vulnérables étaient à libérer : pauvres blancs, femmes sous allocations, indiens spoliés, chicanos humiliés », rappelle Sylvie Laurent.
Le Majordome (2013) et Les figures de l’ombre (2016) permettent de découvrir des personnages occultés par l’histoire officielle. Mais ils s’inscrivent dans le cinéma des années Obama, avec son antiracisme moral et consensuel qui idéalise les possibilités d'ascension sociale. 12 Years a Slave (2013), de Steve Mac Queen, s’appuie sur les mémoires de Solomon Northup. Né libre, il est enlevé et vendu en esclavage en 1841. Le film permet de montrer l’horreur de l’esclavage. Mais il rajoute également des scènes qui ne sont pas présentes dans le livre. Ce qui l’éloigne de la réalité historique pour proposer une vision plus caricaturale et larmoyante.
Le film Green Book (2018), de Peter Farrelly, décrit l’amitié entre un musicien, noir et bourgeois, avec son chauffeur prolétaire blanc. L’artiste semble moins proche des afro-américains que son chauffeur qui partage leurs codes sociaux populaires. Mais le musicien n’est pas non plus accepté par le milieu bourgeois. Les Cultural Studies ont attaqué ce film qui insisterait sur le mythe du « sauveur blanc ». Pourtant, le musicien noir reste le patron et c’est lui qui a décidé de l’embaucher. Cette lecture révèle que les Cultural Studies ne prennent pas en compte les rapports de classe.
The Birth of a Nation (2016), de Nate Parker, s’appuie sur les mémoires de Nathaniel Turner. Le film décrit une révolte d’esclaves, sans sauveur ni politicien. Mais c’est un viol qui permet de déclencher la colère dans ce film. Pourtant, le livre indique que les esclaves luttent simplement car ils ont conscience de l’injustice du système d’exploitation. Les esclaves connaissent bien leurs conditions de vie et n’ont besoin de rien d’autre pour se révolter.
Détroit (2018), de Kathryn Bigelow, montre la répression des émeutes de 1967 dans la ville de Détroit. Des femmes blanches et des noirs sont séquestrés dans un motel par des policiers racistes. Les Cultural Studies dénoncent un film réalisé par une bourgeoise blanche qui ne pourrait donc pas comprendre le racisme. Ensuite, les noirs restent figés dans une position de victimes. Le film semble également adopter une vision raciale et caricaturale qui occulte que la ville de Détroit reste dirigée par des afro-américains.
Les Post Colonial Studies s’opposent au regard eurocentré et à l’impérialisme occidental. Kingdom of Heaven (2005), de Ridley Scott, propose un nouveau regard sur les croisades au XIIe siècle. Les croisés apparaissent comme des barbares impérialistes alors que les musulmans sont montrés comme des êtres civilisés. Ce sont les Templiers qui incarnent le fanatisme religieux. Mais le film montre également des bons croisés paternalistes qui fournissent les connaissances aux musulmans pour creuser des puits. Les Post Colonial Studies épinglent cette approche paternaliste du bon colonisateur qui apporte la civilisation aux musulmans.
Argo (2012), de Ben Affleck, montre l’exfiltration de diplomates américains dans le contexte de la révolution iranienne de 1979. Un agent de la CIA simule un faux tournage de film pour sauver les diplomates. Pourtant, les révolutionnaires iraniens apparaissent comme des barbares sanguinaires. Comme souvent, le cinéma américain dénigre les prolétaires qui se révoltent. Surtout lorsqu’ils sont arabes.
Féminisme et diversité des oppressions
Les Women’s Studies s’attachent à observer la place des femmes au cinéma. Désormais, les films se centrent davantage sur des personnages historiques féminins. Dans L’échange (2008), Clint Eastwood décrit le parcours d’une mère célibataire à partir de 1928. Son fils disparaît. La police finit par retrouver un enfant, mais la mère ne reconnaît pas son fils. Elle conteste alors la police et les experts. Elle se retrouve enfermée en hôpital psychiatrique avec d’autres femmes qui ont contesté les autorités légitimes et masculines.
Marie-Antoinette (2006), de Sophia Coppola, évoque un personnage historique féminin. La réalisatrice montre un pouvoir qui veut brimer la personnalité d’une jeune femme qui aime les plaisirs de la vie. La reine est également soumise à la pression d’avoir un enfant. Ce film montre « le destin traditionnel des femmes subordonnées à l’homme, notamment par le biais du mariage. Dès son jeune âge, on lui enseigne la manière proprement féminine de se présenter, de parler, d’agir », observe Julie Levasseur. Mais le film se garde bien de montrer la révolte sociale et les classes populaires. Le spectateur s’identifie même à la famille royale menacée par une horde de sauvages qui représentent la Révolution française.
Les Queer Studies sont issues du mouvement LGBT (lesbiennes, gay, bisexuelles, trans). Elles se penchent sur les désirs, les identités et les sexualités. En 2004, Oliver Stone montre l’homosexualité d’Alexandre le Grand. Harvey Milk (2008), de Gus Van Sant, se penche sur les luttes des homosexuels en 1977 et 1978 à travers la figure d’un militant gay qui devient élu de Californie. Néanmoins, les homosexuels apparaissent uniquement comme des hommes blancs bourgeois.
Les Jewish Studies se penchent sur les Juifs, notamment face au génocide commis par les nazis. Un classique comme La liste de Schindler (1993) de Steven Spielberg revient sur l’holocauste. Mais ce film reste figé dans l’iconographie de victimisation et de passivité des Juifs. Au contraire, dans Defiance (2008), Edward Zwick décrit les Juifs comme des combattants armés qui luttent pour leur survie. Il retrace l’histoire de la brigade Bielski. Néanmoins, la création d’une communauté égalitaire par les résistants semble éloignée de la réalité historique. Cette société reste patriarcale avec une valorisation des combattants et une subordination des femmes.
Steven Spielberg s’attaque à un sujet sensible avec Munich (2005). Ce film décrit l’assassinat de terroristes palestiniens par le Mossad en 1972. Il montre les méthodes des services secrets. Il questionne l’efficacité de la violence brutale pour éradiquer le terrorisme. Mais Steven Spielberg conserve un point de vue idéaliste de défense du droit international contre la violence. La vision nuancée de Steven Spielberg s’attire les critiques d’intellectuels israéliens, mais aussi des pro-palestiniens.
Les Critical White Studies analysent les pratiques qui privilégient systématiquement les Blancs et reproduisent leur domination. Cette approche permet de remettre en cause le mythe du sauveur blanc, comme dans 12 Years a Slave. Les esclaves, les exploités et les opprimés n’ont besoin de personne pour agir et se libérer. En revanche, les Studies peuvent aussi se contenter de comptabiliser le nombre de Noirs et de femmes dans n’importe quel film. Ce qui devient le critère principal de jugement.
La Couleur des sentiments (2011), de Tate Taylor, s’inscrit dans le contexte de la lutte pour les droits civiques en 1963. Le film montre des femmes noires qui luttent contre le racisme des riches familles blanches pour lesquelles elles travaillent. Certes, le film adopte le point de vue d’une jeune femme blanche qui prend conscience des injustices de son pays. Mais ce n’est donc pas le point de vue des femmes noires en lutte. Pourtant, les Studies reprochent surtout au film de ne pas assez montrer la violence de l’oppression et de l’exploitation. Ce serait une vision édulcorée de la réalité historique.
Free States of Jones (2016), de Gary Ross, évoque la création d’un État indépendant au Mississipi dans le contexte de la guerre de Sécession. Cette communauté comprend des Blancs pauvres, d’anciens esclaves noirs, des femmes et des enfants. Le film insiste sur la lutte des exploités face à une minorité de riches planteurs esclavagistes. Il insiste sur la solidarité de classe mais aussi sur l’égalité de genre et de race. Néanmoins, le film reste centré sur un leader charismatique qui reste un homme blanc. Ce qui peut reproduire le mythe du Blanc sauveur des opprimés. Mais les militants identitaires rejettent surtout la possibilité qu’un Blanc ne soit pas un affreux esclavagiste. « L’histoire montre que ceux qui sont exploités finissent par trouver un terrain d’entente et que, ensemble, ils corrigent les tords », souligne le producteur T.G. Herrington.
Gangs of New York (2003), de Martin Scorsese, évoque le quartier populaire de Five Points avec le conflit qui oppose les natifs aux immigrés irlandais. Il montre une Amérique de la rue qui se construit dans la misère et la violence. Mais des militants identitaires dénoncent le manque de Noirs. Ils n’ont pas compris que ce n’est pas le sujet principal du film. De plus, quelques scènes montrent le racisme avec des violences contre les Noirs. Même si le film ne pousse pas la nuance jusqu’à montrer que les immigrés irlandais qui subissent le racisme peuvent eux-mêmes commettre des actes racistes contre les Noirs.
Intersectionnalité et luttes des classes
David Da Silva permet de montrer la force mais aussi les limites des Cultural Studies. Il présente ces grilles d’analyse qu’il applique ensuite à de nombreux films historiques. Le grand apport des Cultural Studies consiste à prendre au sérieux le cinéma. Cette approche considère que les films ne se réduisent pas à un simple divertissement. Ils diffusent des idées et des représentations de la société. Les Cultural Studies s’inscrivent dans une approche pluridisciplinaire. Elles s’appuient sur l’histoire et les sciences sociales pour analyser les films et l’histoire du cinéma américain. David Da Silva reprend pertinemment cette approche pour jeter un nouveau regard sur différents films et sur les débats qu’ils ont provoqué.
David Da Silva tente également de prendre en compte la réception du public. Le site IMDb permet de recueillir les critiques de spectateurs anonymes. Ce qui peut donner une idée de la réception des films. Un décalage s'observe avec le milieu des universitaires et des cinéphiles. Les interprétations trop intellectualistes et d’un point de vue très spécialisés s’éloigne de la réception du public qui regarde le film dans son ensemble. Néanmoins, les spectateurs peuvent davantage se focaliser sur les émotions et le divertissement plutôt que sur les représentations sociales et politiques du cinéma. Le problème de la réception du public reste délicat. Elle échappe aux discours médiatiques, et même souvent à la volonté des cinéastes.
David Da Silva évoque également les limites des Cultural Studies. Il montre le découpage de ce champ d’étude en différentes spécialités qui analysent les films uniquement à travers leur petit bout de la lorgnette. Ce qui peut déboucher vers des interprétations contradictoires, partiales et surtout partielles. Pire, les Cultural Studies peuvent alimenter des conflits entre diverses communautés. Les Noirs peuvent s’opposer aux Juifs et les homosexuels risquent de dénoncer les musulmans. Le regard communautaire remplace progressivement l’analyse globale d’un film. Il est porté par des associations spécifiques qui n’hésitent pas à porter plainte pour un aspect qui échappe même à la majorité du public.
L’approche intersectionnelle vise à concilier ces diverses visions communautaires pour dénoncer à la fois les oppressions de race et de genre. Mais les universitaires intersectionnels proposent au final une hiérarchie entre les diverses oppressions selon leur sensibilité antisexiste ou antiraciste. L’addition de domaines académiques spécialisés ne débouche vers aucune lecture globale. Ensuite, l’exploitation et les rapports de classe apparaissent comme l’angle mort des Cultural Studies et de l’intersectionnalité. En clair, une patronne noire est considérée comme plus opprimée qu’un ouvrier blanc. Ce qui occulte les conditions de vie et de travail. Il est vrai que les universitaires ne se préoccupent pas de ces contingences bassement matérielles. Les belles âmes de la gauche préfèrent dénoncer le fascisme transcendantal et glorifier les droits de l'Homme, plutôt que de regarder le contenu de la gamelle.
Matewan (1987), de John Sayles, montre la violence de la lutte des classes et le syndicalisme américain. En Virginie, des mineurs grévistes s’opposent à des milices patronales. Le réalisateur se penche sur les IWW qui s’inscrivent dans le syndicalisme révolutionnaire et luttent pour l’abolition du salariat. Cette organisation regroupe également des travailleurs noirs et s’oppose au racisme qui divise la classe ouvrière. Il semble important de souligner que les syndicats américains les plus importants reposent sur le racisme. Les ouvriers noirs en sont exclus. Une stratification raciale traverse la classe des exploités. La lutte sociale doit donc combattre le racisme des patrons, mais aussi des syndicats. Une perspective de lutte globale contre toutes les formes d’oppression et de hiérarchies semble plus pertinente qu’une addition de luttes sectorielles et corporatistes.
Ensuite, David Da Silva critique pertinemment l’approche victimaire des Cultural Studies. C’est la course à la communauté qui sera la plus opprimée. Au-delà d’une concurrence des victimes, les Cultural Studies n’encouragent pas à la lutte. Les esclaves noirs doivent apparaître sanguinolents à force de coups de fouet. Ils doivent subir les violences les plus atroces montrées à l’écran pour qu’un film ne soit pas accusé de complaisance envers l’esclavagisme et la ségrégation. Certes, il semble important de montrer les violences que provoquent le racisme et les diverses formes d’oppression. Même si le risque de la caricature et du voyeurisme n’est pas loin.
Néanmoins, il semble plus important de montrer des opprimés et des exploités qui veulent s’arracher à leurs conditions de vie et de travail. Il semble indispensable de montrer la capacité de lutte et d’auto-organisation. Un film peut transmettre des émotions à travers des actions de lutte et de révolte. Ce qui tranche avec la banale posture victimaire. Dénoncer l’esclavage des Noirs, c’est bien. Mais c’est mieux de montrer les luttes qui ont permis de sortir de cette condition. Ce qui peut également attiser l’esprit de révolte. Bien plus qu’une dénonciation victimaire qui ne fait que renforcer la résignation et les pleurnicheries citoyennistes.
Si David Da Silva attaque bien tous ces travers des Cultural Studies, il a tendance à tordre le bâton dans l’autre sens. Il se réfère à Thomas Frank, mais aussi à Christopher Lasch et Christophe Guilluy. Ces auteurs mettent en concurrence les luttes des minorités avec les luttes sociales qui seraient l’apanage des ouvriers blancs. Insister sur la lutte des classes ne doit pas nier les stratifications qui traversent le camp des exploités. Les diverses formes de hiérarchies et oppressions qui existent au sein de la classe ouvrière doivent être combattues.
David Da Silva privilégie une approche populisme qui homogénéise un peuple supposé vertueux face à des élites méchantes. Mais le peuple comprend diverses classes sociales et reste traversé par des rapports d’exploitation. Ensuite, la lutte révolutionnaire doit remettre en cause toutes les formes de hiérarchies plutôt que de se contenter d’aménager l’exploitation. Néanmoins, David Da Silva montre que les films, même grand public, permettent d’ouvrir de nombreux débats.
Source : David Da Silva, Cultural Studies et Hollywood : le passé remanié, LettMotif, 2020
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Pour aller plus loin :
Vidéo : Biblio(ciné)thèque #7 - Cultural studies et Hollywood, le passé revisité - David Da Silva, mise en ligne sur le site Ecran et toile le 24 juillet 2020
Radio : Saison 12 Episode 2 special Cultural Studies avec David Da Silva, émission Culture Prohibée mise en ligne le 8 septembre 2020
Radio : émissions avec David Da Silva diffusées sur France Culture
Radio : Séries, cinéma, idéologies et luttes des classes. Autour du cinéma populaire, des blockbusters, des séries et du cinéma dit militant et politique, émission de Radio Vosstanie du 6 décembre 2014
Pierre Murat, L’enfer pavé de bonnes intentions des “Cultural Studies”, publié sur le site du magazine Télérama le 29 février 2020
Boris Szames, « Cultural Studies et Hollywood, le passé remanié » par David Da Silva, publié sur le site Gone Hollywood en mars 2020
Entretien: David Da Silva “Quand le politiquement correct réécrit l’histoire”, publié sur le site de la revue L'inactuelle le 20 février 2020
Jonathan Fanara, Que retenir de « Cultural Studies et Hollywood, le passé remanié » ?, publié sur le site Le Mag du Ciné le 9 mars 2020
Dr Orlof, Histoire et idéologie, publié sur le site le journal cinéma du Dr Orlof le 27 février 2020
Jacques Demange, Livre / Cultural Studies et Hollywood – le passé remanié : critique, publié sur le site Ciné Chronicle le le 22 février 2020
Articles de David Da Silva publiés sur le site du magazine Ecran large