Buffy contre les oppressions
Publié le 12 Octobre 2023
Buffy la jeune femme qui traque les démons incarne le féminisme des années 1990. Mais l'héroïne forte et courageuse s'appuie également sur un groupe d'amis. Ce collectif s'oppose à différents démons qui semblent incarner différentes formes d'oppression capitalistes et patriarcales.
La série Buffy contre les vampires a marqué toute une génération. Dans des temps apocalyptiques, la guerrière au grand cœur apparaît comme une boussole morale et une figure protectrice. Elle ne cesse de repousser la fin du monde. L’héroïne est devenue emblématique du combat contre le patriarcat. Même si elle exprime un féminisme bourgeois.
Néanmoins, pendant les années 1990, la pensée féministe se renouvelle. La théorie queer permet de prendre en compte la diversité des situations et les expériences de chacune. La série s’inscrit également dans le girl power qui émerge dans les années 1990. Les valeurs féministes rencontrent la culture de masse avec Madonna ou les Spice Girls. Marion Olité explore la série incontournable des années 1990 dans le livre Buffy ou la révolte à coups de pieu.
Nouvelle mythologie pop
Dès sa scène d’ouverture, la série Buffy contre les vampires déjoue les clichés de genre. La blonde passive se révèle devenir un monstre prédateur. Les séries des années 1990 proposent des personnages féminins drôles et intelligents. Des héroïnes courageuses deviennent des personnages de premier plan comme Dana Scully dans X-Files (1993), Xena la guerrière (1995) ou encore les sorcières de Charmed (1998). La série Buffy contre les vampires reprend les codes du teen movie. Buffy veut rester une ado normale avec des amis et des rendez-vous amoureux. Elle veut devenir une jeune Américaine modèle. Mais elle choisit d’ignorer la populaire Cordelia pour se rapprocher des marginaux Xander et Willow. Le teen drama croise un autre genre, celui du film d’horreur. Lier le teen movie et le fantastique va ensuite devenir un sous-genre des séries adolescentes.
La série s’attache à subvertir les stéréotypes de genre. Une lycéenne blonde est en réalité une tueuse de vampires qui doit sauver le monde. La pop culture façonne des stéréotypes avec des comportements qui seraient naturellement masculins, et d’autres féminins. De James Bond à Spider Man, les films d’action et de super-héros metten
La série interroge les clivages binaires entre le féminin et le masculin, l’humain et le monstrueux, le bon et le méchant. Buffy retourne le stéréotype du harcèlement de rue. C’est une jeune lycéenne qui patrouille la nuit pour traquer des hommes qui deviennent ses victimes. « Buffy devient un symbole féministe pour toutes celles qui étouffent face aux violences patriarcales », observe Marion Olité. Xander assume des qualités jugées féminines et peu présentes dans les œuvres de super-héros. La capacité d’écoute et la prise en compte des émotions deviennent des notions positives.
Dans les années 1990, le vampire devient un héros romantique maudit avec les films Dracula (1992) de Francis Ford Coppola et Entretien avec un vampire (1994) de Neil Jordan. Brad Pitt incarne un vampire sensible et torturé qui refuse de tuer des humains pour le plaisir ou pour se nourrir. Le personnage d’Angel s’inscrit dans ce sillage. Les vampires possèdent la jeunesse éternelle, une force décuplée et une invincibilité. Mais la série propose une grande diversité de vampires. Les monstres symbolisent les angoisses et les pulsions adolescentes, mais aussi le patriarcat et les conservatismes.
Lutte contre les démons et les oppressions
Les monstres et les vampires apparaissent comme des représentations des peurs collectives. Buffy contre les vampires applique le genre horrifique aux angoisses de l’adolescence. La bouche de l’Enfer, qui attire tous les démons, est placée sous le lycée. L’institution scolaire concentre toutes les peurs. Loups-garous, hyènes, vampires, sorcières, robots et autres créatures défilent au cours des épisodes. Chaque monstre illustre un état émotionnel ou une situation réelle vécue par le public de la série. La force et l’agressivité des monstres s’apparentent à la testostérone qui se développe au moment de la puberté. Ils incarnent la masculinité violente qui se propage dans la société patriarcale.
Buffy, Willow et Xander incarnent les sentiments de l’adolescence. Ils se sentent immortels, sans peur des risques. Mais ils ont aussi l’impression que chaque jour est la fin du monde. Le passage à l’âge adulte est marqué par la vision manichéenne et rassurante de l’enfance qui s’effondre. Buffy est attirée par les vampires Angel et Spike. Mais elle est aussi trahie par certains amis qui deviennent des monstres. Après le lycée, Buffy fait ensuite l’expérience des jobs mal payés.
Le personnage de Faith Lehane apparaît comme une version non censurée de Buffy. Brune et sexy, elle prend plaisir à être une Tueuse. Elle assume se sentir « affamée » et « excitée » après un combat. Elle aime boire et faire la fête. C’est aussi une prolétaire d’une classe sociale inférieure à celle de Buffy. Mais la série adolescente demeure moralisatrice. Faith doit gérer sa colère pour trouver la rédemption de se contenter d’une place secondaire aux côtés de Buffy.
Les monstres de Buffy illustrent les différentes formes de domination. Les lieux d’éducation demeurent le cadre central de la série. Le Scooby-Gang se réunit à la bibliothèque et consulte des livres. Le monstre de la semaine fait l’objet de recherches. Mais ces jeunes se méfient également des figures d’autorité qui prétendent détenir le savoir. Les professeurs se révèlent souvent devenir des monstres maléfiques. Les dirigeants du lycée et les professeurs sont des figures d’autorité censées incarner le respect de l’éthique éducative. Mais ils sont plus intéressés par l’image de marque de leur établissement et par les performances sportives plutôt que par le bien-être des élèves.
Le Conseil des observateurs, qui supervise la Tueuse, incarne l’autorité politique. Buffy n’hésite pas à se confronter à leurs traditions archaïques et à leurs valeurs élitistes. Elle se méfie de la loi et de l’ordre établi. Le Maire Wilkins présente même une figure démoniaque. Derrière l’apparence d’un politicien débonnaire, il dirige les vampires de la ville. Il multiplie les sacrifices humains, notamment les bébés, pour garantir son « Ascension » et devenir un véritable démon. « Ce personnage paternaliste incarne la corruption des hommes politiques en général, et plus spécifiquement la gestion égocentrique du pouvoir par l’homme blanc et hétérosexuel », observe Marion Olité.
Lutte des classes
La figure du vampire incarne une forme de lutte des classes. Le Comte Dracula demeure un propriétaire terrien qui exploite la force de travail des pauvres qu’ils soient domestiques ou paysans. Dans la série, les habitants de Sunnydale sont exploités par une minorité de vampires et de démons en quête de richesse et d’immortalité. « Dans Angel et Buffy, les valeurs capitalistes – parmi lesquelles l’intérêt personnel excessif, la concurrence féroce, l’accumulation de richesses, la rationalisation de la production et la marchandisation du travail – sont constamment associées à l’inhumanité au sens propre », analyse l’universitaire Jeffrey L. Pasley. Les vampires, suceurs de sang de prolétaires, admirent le système capitaliste américain.
Karl Marx théorise la lutte des classes qui se traduit par l’affrontement entre la bourgeoisie et le prolétariat. Cette conflictualité doit déboucher vers une société nouvelle. « A la place de l’ancienne société bourgeoise, avec ses classes et ses antagonismes de classes, surgit une association où le libre développement de chacun est la condition du libre développement de tous », affirme Karl Marx. Le Scooby-Gang développe des pratiques communistes, comme la mise en commun de leurs ressources. La série se rapproche également de l’anarcha-féminisme. Ce mouvement considère que la domination patriarcale, des hommes sur les femmes, demeure une des premières expressions de la hiérarchie dans la société.
L’anarchisme lutte pour l’abolition de toute forme de pouvoir et d’oppression. Le Scooby-Gang renonce à changer le système de l’intérieur mais doit détruire le lycée et même la ville pour vaincre les démons. « Dans Buffy contre les vampires, pour reconstruire, il faut d’abord détruire les institutions, les systèmes et leurs symboles, afin de faire place à une nouvelle façon de vivre ensemble, qui ne reposera plus sur des dynamiques de domination », analyse Marion Olité.
Buffy n’est pas une héroïne solitaire. Elle s’appuie sur une véritable communauté. Le Scooby-Gang repose sur l’entraide et la solidarité. Ses amis lui permettent de vaincre les démons et même de lui sauver la vie. La série célèbre l’amitié qui demeure dévalorisée dans la pop culture par rapport aux liens amoureux ou familiaux.
Buffy se démarque des super-héros des écuries Marvel ou DC Comics. Ces personnages se placent comme supérieurs par rapport aux simples humains. Buffy contre les vampires met en scène des actes héroïques à plus petite échelle. Le Scooby-Gang peut aider un camarade en détresse ou le consoler. « L’héroïsme du quotidien qu’incarne Buffy est l’affirmation d’une autre éthique, fondée sur l’attention à l’autre et la protection du proche », souligne la philosophe Sandra Laugier.
Série mythique
Marion Olité propose une analyse approfondie d’une série véritablement emblématique pour toute une génération. Sa diffusion de masse, à travers la télévision, en a fait un objet culturel incontournable. Marion Olité propose des réflexions bien construites. Elle part des analyses les plus banales et répandues au sujet de la série pour ensuite proposer un regard plus original. La journaliste souligne que Buffy est devenue rapidement un personnage incontournable des années 1990. La femme forte et puissante qui parvient à s’imposer dans un univers d’hommes. Même si ce féminisme se conforme aux codes de la culture de masse, avec une dimension spectaculaire et commerciale.
Ainsi, le thème éculé de la « femme puissante » comprend un autre travers. Les héroïnes comme Xéna la guerrière ou le personnage de Lara Croft s’apparentent finalement à des hommes en décolleté. Elles cultivent surtout des valeurs supposées masculines comme la force et le courage. Certes, elles détournent ces qualités pour démontrer que les femmes peuvent être aussi fortes que les hommes. D’une certaine manière, ce féminisme bourgeois cherche à démontrer que les femmes peuvent être aussi masculines que les hommes. Cette démarche correspond à une étape du féminisme qui exprime la nécessité pour les femmes de s’affirmer de manière forte et tonitruante pour commencer à exister.
Pourtant, Manon Olité montre que le féminisme de Buffy se révèle plus subtil. Certes Buffy reprend les stéréotypes de la femme forte et courageuse. Mais ce n’est qu’une jeune lycéenne et une petite blonde au physique banal. Ce n’est pas le cliché de la brune incendiaire aux formes généreuses qui plaît avant tout aux hommes. Buffy apparaît comme une héroïne féminine à laquelle les jeunes femmes peuvent s’identifier.
Ensuite, Buffy reprend certains codes de la masculinité. Sa force reste extraordinaire. Elle peut terrasser facilement les monstres les plus redoutables. Cependant, Buffy ne se contente pas d’exalter des valeurs masculines. Elle impose également des principes plus originaux. La capacité d’écoute, la solidarité et l’amitié n’apparaissent pas comme des valeurs masculines.
Au contraire, les pratiques de solidarité restent dévalorisées par le capitalisme et le patriarcat qui préfèrent la concurrence et la loi du plus fort. Manon Olité estime même que le Buffy-Gang s'apparente à un groupe communiste. Il combat les démons qui incarnent des formes d’oppression et s’apparentent à des capitalistes. Ce groupe s’appuie sur un partage des ressources et sur une solidarité forte. Il décide et agit collectivement. Buffy ne reprend pas le modèle traditionnel du héros solitaire qui n’a pas besoin de l’action collective pour sauver le monde. Cette dimension apparaît comme particulièrement originale dans la pop culture américaine.
Néanmoins, il semble important de souligner les limites de la série. Il est possible d’y observer une critique radicale du capitalisme. Mais un visionnage plus premier degré peut réduire cette série à un teen movie moralisateur. Buffy semble colporter des valeurs sagement progressistes, plutôt de centre-gauche. Malgré quelques rébellions, elle apparaît comme une fille sage qui respecte la discipline et les règles imposées. Le personnage de Faith apparaît ainsi plus transgressif pour souligner le côté moraliste et consensuel de Buffy. Néanmoins, les analyses originales de Marion Olité font de Buffy un personnage qui détruit toutes les institutions afin de pouvoir sauver le monde.
Source : Marion Olité, Buffy ou la révolte à coups de pieu, Playlist Society, 2023
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Pour aller plus loin :
Sandra Laugier, «Buffy», une étape dans l’histoire du féminisme, publié sur le site du journal Libération le 16 mars 2017
Pauline Delestre, Comment Buffy a fait avancer à coups de pieu la cause féministe, publié sur le site Konbini le16 mars 2017
Justine, Pourquoi Buffy contre les vampires est une série féministe, publié sur le site Madmoizelle le 10 mars 2017
Roberto Garçon, Buffy contre les vampires, une série sur nos démons, publié dans le webzine Le Mag du Ciné le 28 février 2020
Cécile De Sèze, "Buffy contre les vampires" : pourquoi Buffy est-elle l'héroïne féministe par excellence ?, publié sur le site de RTL le 10 mars 2017
Buffy contre les vampires (1997 – 2003), partie I : une relative inversion genrée des pouvoirs, publié sur le site Le cinéma est politique le 12 mars 2015
Cécile Desbrun, [Dossier] Buffy contre les vampires, publié dans le webzine Culturellement Vôtre
Vanessa Bertho, Introduction à une nouvelle ère de la série télévisée : Buffy contre les vampires, incarnation du pouvoir féminin ?, publié dans la revue Le Temps des médias n° 12 en 2009
Articles de Marion Olité publiés sur le site Missives
Articles de Marion Olité publiés sur le site Madmoizelle
Articles de Marion Olité publiés sur le site Konbini