Howard Fast, communiste américain
Publié le 16 Juin 2018
Howard Fast grandit dans une famille ouvrière. Après la mort de sa mère, il connaît la misère. « Dans les années vingt, les pauvres vivaient sans filet : pas d’assistance sociale, pas de repas gratuits distribués par les bonnes œuvres. Il fallait se débrouiller pour survivre. J’ai essayé d’expliqué cela à ceux qui étaient indignés que j’aie pu entrer au Parti communiste », décrit Howard Fast. Dans l’adolescence, il découvre les livres de Jack London et la pensée socialiste. Il se penche également sur les textes de Karl Marx et les romans de John Reed. Il découvre également le milieu des intellectuels communistes.
Howard Fast devient écrivain et vend des nouvelles à un pulp magazine. Il publie ses premiers romans. Mais son amie communiste Sarah Kunitz lui reproche d’écrire des contes de fées alors qu’il pourrait témoigner de son expérience de prolétaire. « De quoi malmener mon ego, mais ça ne m’empêcha pas de dire avec fougue que je n’avais aucune obligation littéraire envers quiconque, que jusqu’à présent j’avais sauvé ma peau sans l’aide du prolétariat ni d’aucune autre classe, que je ne laisserais personne me dicter quoi écrire, ni comment, et qu’enfin j’écrivais ce qui me plaisait et que j’avais la ferme intension de continuer », réplique Howard Fast.
Mais il éprouve encore des difficultés pour écrire sur son propre vécu. Néanmoins, l’approche historique peut lui permettre de développer une vision critique de la société. The Last Frontier se penche sur la vie des Indiens. Ses premiers romans sont accompagnés de bonnes critiques dans la presse. Mais Howard Fast est rejeté par les journalistes dès qu’il devient membre du Parti communiste.
Howard Fast se rapproche du communisme alors que l’URSS apparaît comme la force qui a permis de terrasser le nazisme. Des écrivains, des artistes et des intellectuels se tournent vers le Parti communiste, qui permet également le développement du mouvement syndical dans l’industrie. « Les communistes avaient consacrés leur vie à cette bataille. Ils se battaient pour les sans-emploi, les affamés, les sans-logis et les opprimés, et c’est leur réputation d’intégrité et d’honnêteté qui décida les personnalités influentes du monde culturel à rejoindre les rangs du Parti », décrit Howard Fast.
Le Parti communiste reste surtout implanté dans les Etats industriels. Il se développe et se structure avec des sections d’usine. Mais certaines villes ne comptent que quelques militants. Le Parti communiste est issu du mouvement ouvrier. Les IWW (Industrial Workers of the World), un syndicat d’action directe, se développe à l’ouest. Le Parti socialiste d’Eugene Debs émerge au centre et à l’est. « Au XIXe siècle, on croyait à la révolution pour y parvenir ; au XXe siècle, on préféra syndiquer les ouvriers dans leurs usines, les regrouper dans des organisations de quartier qui luttaient pour obtenir des loyers plus bas, de meilleures conditions de vie, une protection contre les propriétaires, de meilleures écoles », précise Howard Fast.
Le Parti communiste soutient le président Roosvelt et l’effort de guerre. Dans les usines, les syndicats appellent à ne pas faire grève et à augmenter la productivité. Howard Fast participe à la cellule qui regroupe des artistes. Ils organisent une fête pré-électorale pour soutenir Roosvelt.
Howard Fast devient président du Comité mixte des réfugiés antifascistes. Il aide les personnes qui ont participé à la révolution espagnole de 1936 et récolte des fonds. Mais, à partir de 1946, une « Commission des activités anti-américaines de la Chambre » traque l’ensemble de l’extrême gauche. Des listes et des rapports stigmatisent l’influence communiste dans divers secteurs de la vie américaine. Howard Fast reçoit une assignation à comparaître de la part du Congrès. Il subit la censure. Les projets d’adaptation cinématographique de ses livres sont annulés. Il doit même changer de nom pour pouvoir publier ses nouveaux textes.
L’anti-communisme se déchaîne. L’organisation d’un concert à Peekskill est attaquée par une bande de fascistes armés. La police et le FBI voient cette violence mais ne font rien pour l’arrêter, malgré plusieurs blessés. Ensuite, Howard Fast est enfermé en prison pendant une longue période. Néanmoins, il trouve que ses codétenus s’apparentent davantage à des hommes ordinaires qu’à des personnes violentes. « La question ne portait pas sur le type de prison où j’étais incarcéré, mais sur le fait qu’aucun de nous n’aurait dû être en emprisonné », estime Howard Fast.
Le délire anticommuniste est incarné par l’affaire Rosenberg. Des scientifiques victimes d’un coup monté et accusé d’avoir aidé l’URSS sont menacés de la peine de mort. Le président Truman met la pression sur le juge pour une condamnation à mort.
Le Parti communiste reste dirigé par une bureaucratie autoritaire. Il décide d’adapter une pièce d’Howard Fast. Mais ils ne prennent pas des acteurs dont le physique correspond aux rôles. Un grand homme noir est censé jouer le fils d’un petit homme blanc. Le parti fait passer l’idéologie avant la réalité. « Pour commencer, ces dirigeants étaient coupés des militants de base et, plus important encore, ils faisaient preuve d’une rigidité absolue en préférant la théorie à la réalité », observe Howard Fast. Ce qui peut devenir tragique lorsqu’il n’est plus question de culture, mais de politique.
Rosa Luxemburg , figure prestigieuse de la révolution allemande incarne le mouvement des spartakistes. Howard Fast se penche alors sur la révolte des esclaves incarnée par Spartacus. Il se plonge dans l’Antiquité romaine pour écrire un roman d’aventures qui incite à la révolte et à la liberté. Néanmoins, tous les éditeurs refusent de publier son livre. Leur lâcheté les empêche de diffuser un roman écrit par un auteur communiste. Spartacus connaît pourtant un grand succès populaire, sans passer par un grand éditeur. Mais les journalistes dénigrent le livre. Seule la presse de gauche propose des critiques positives. Le journal communiste en fait une très bonne critique, mais il reproche la subjectivité du romancier et adoptent une lecture plus idéologique que littéraire.
Howard Fast s’éloigne progressivement de la ligne autoritaire du Parti communiste. Il reste attaché à sa liberté d’opinion et n’apprécie pas la discipline léniniste. Il écrit dans le Daily Worker, journal animé par des communistes hétérodoxes. Mais, en 1956, la révélation des crimes de Staline conduit l’écrivain à quitter le Parti communiste. « Au Parti, je me suis heurté à l’ambition, à la rigidité, à l’étroitesse d’esprit et à la haine ; j’ai aussi rencontré l’amour et le dévouement, le courage et l’intégrité – et certains des êtres les plus nobles que je connaisse », résume Howard Fast.
Le livre d’Howard Fast propose un récit de sa vie politique. Il met son talent littéraire au service d’une belle autobiographie. Il retrace une période particulièrement sombre de la démocratie américaine. La censure, les insultes, les menaces et même l’emprisonnement révèlent les limites d’une démocratie qui prétend défendre la liberté d’expression. Howard Fast décrit également la lâcheté du milieu intellectuel qui refuse de le soutenir et même de publier ses livres dès que son nom est mis à l’index. Néanmoins, les romans d’Howard Fast parviennent à rencontrer un public important. Ses récits historiques qui proposent un regard critique sur la société restent très populaires.
Howard Fast décrit également son engagement communiste. Il dévoile peu les débats qui traversent le Parti communiste. Il privilégie le récit et le témoignage plutôt que l’analyse historique. Néanmoins, Howard Fast ne subit pas uniquement la censure de la part du gouvernement. Le Parti communiste n’hésite pas à imposer sa vision de la littérature et de la culture. Howard Fast évoque peu sa démarche littéraire. Mais il semble attaché à la dimension fictive et imaginaire. Le Parti valorise une littérature réaliste. Même si les fictions historiques d’Howard Fast permettent aussi de décrire la réalité existante.
Howard Fast reste attaché aux militants communistes. Il développe peu de recul critique par rapport à leurs choix politiques contestables. Avant la répression, les communistes s’alignent sur un antifascisme patriotique. Ils défendent le président Rossevelt pour gagner la guerre et terrasser le fascisme. Les communistes s’alignent alors sur le pouvoir d’Etat sans la moindre distance critique. Ils ne s’inscrivent plus dans la perspective de changer de société. Ils se contentent de quelques réformes sociales pour aménager l’exploitation et le capitalisme. Après la guerre, les communistes s’alignent même sur la nécessité du productivisme. Ils s’opposent à toutes les grèves au nom de l’effort de guerre puis de la reconstruction. Leur patriotisme les conduit à défendre les intérêts capitalistes plutôt que les conditions de vie des ouvriers.
Howard Fast évoque peu la bureaucratie communiste. Ce parti reste pourtant hiérarchisé et discipliné. L’écrivain semble perçu comme un trublion dont les frasques peuvent être pardonnées. Mais le Parti communiste impose un modèle autoritaire. Bien que groupusculaire, il se vit également comme une avant-garde qui doit diriger les masses ouvrières. Les conférences d’Howard Fast participent à cette mascarade. L’écrivain prétend prêcher la bonne parole pour éclairer les masses.
Néanmoins, Howard Fast apparaît comme un communiste sincère et courageux. Il n’hésite pas à assumer ses convictions et refuse se renier. Pour justifier son adhésion au Parti, il insiste à juste titre sur son attachement à une communauté de prolétaires déterminés à lutter pour leur émancipation. Plus qu’un Parti, ce sont les luttes sociales qui rythment une vie de révolte.
Source : Howard Fast, Mémoires d’un rouge, traduit par Emilie Chaix, Agone, 2018 (Payot & Rivages, 2000)
Alfred Döblin et la littérature politique
Panaït Istrati, écrivain et aventurier
Guerre de classe et illégalisme politique en Amérique
Lémi, Quand l’Amérique était (déjà) hystérique. Howard Fast : « Mémoires d’un Rouge », publié sur le site du journal Article 11 le 15 octobre 2008
Jacques Fontenoy, Lire : mémoires d'un rouge d'Howard Fast, publié sur le site du journal Lutte ouvrière le 12 mai 2000
Alain Virmaux, Compte-rendu publié sur le site de la revue Jeune Cinéma le 15 avril 2001
Joël Jégouzo, Compte-rendu sur le blog La Dimension du sens que nous sommes, publié le 23 mai 2010
Alain Nicolas, Décès. L'écrivain américain Howard Fast est mort à l'âge de quatre-vingt-huit ans à son domicile de Greenwich (Connecticut), publié sur le site du journal L'Humanité le 17 mars 2003
Pierre Assouline, Spartacus contre McCarthy, publié sur le site La République des livres le 10 juillet 2013