Le cinéma américain populaire
Publié le 28 Décembre 2018
Le cinéma reflète l’évolution de la société. Hollywood produit de nombreux films commerciaux. Mais son cinéma populaire révèle également les aspirations de la jeunesse. Benoît Gourisse propose une anthologie subjective dans Un siècle de cinéma américaine en 100 films.
Le livre s’ouvre sur le cinéma des années 1960 qui rejette les codes d’une Amérique toute puissante et de sa société de consommation. Il présente des films jusqu’à la fin du XXe siècle. Les codes artistiques existants sont attaqués dans les années 1960. Le cinéma ne veut plus se contenter de relater des faits héroïques mais se penche sur la réalité. Sydney Lumet, Sidney Pollack, Alan J. Pakula proposent des films qui développent un regard critique sur la société américaine. La violence et le sexe apparaissent à l’écran.
La dimension onirique d’Hollywood s’efface derrière le réalisme. Les films policiers dévoilent une société rongée par le crime. Les films de guerre présentent des victimes plutôt que des héros. L’Amérique est montrée dans toutes ses failles et sa réalité crue. « Et c’est ainsi qu’à l’orée des années quatre-vingt, le cinéma américain est devenu à l’opposé de ce que l’âge d’or en avait fait : c’est un cinéma sombre et politique, oublieux de l’entertainment que trente ans plus tôt il représentait plus que tout autre art dans le monde », observe Benoît Gourisse.
Dans les années 1980, l’ancien acteur Ronald Reagan devient président. Il veut rendre sa fierté à l’Amérique et n’hésite pas à s’appuyer sur le cinéma. Rambo II permet au soldat américain de prendre sa revanche sur les vietcongs. Rocky IV permet au boxeur de terrasser une montagne de muscle soviétique. Le divertissement populaire resurgit avec George Lucas et Steven Spielberg. Harrisson Ford devient une superstar héroïque à travers les personnages de Han Solo et Indiana Jones.
Ben-Hur montre le personnage titre condamné à tort par son ami Messala, chef de garnison à Jérusalem. Comme dans d’autres péplums, Ben-Hur montre une Rome puissante et coloniale. Mais le regard semble moins féroce que dans Spartacus, ou même Gladiator, qui dénoncent également un pouvoir corrompu. Ben-Hur montre surtout un individu qui, par vengeance, est prêt à défier l’autorité. Mais, dans ce film, le personnage renonce à la vengeance. Il se convertit aux valeurs chrétiennes qui semblent proches de l’idéal de justice.
Elmer Gantry montre un vendeur d’aspirateur qui devient un évangéliste grâce à ses talents d’orateurs. Richard Brooks propose ainsi une critique féroce de la religion. Il dénonce son hypocrisie puisque ceux qui la prêche n’en respectent pas les principes. Il montre également une religion qui devient une simple marchandise. Richard Brooks attaque ainsi la société de consommation qui ne cesse de vendre des produits inutiles. Il dénonce également la manipulation des masses, que ce soit par les religieux ou même les politiciens qui veulent devenir des dictateurs. Au-delà du film à thèse, Richard Brooks propose un cinéma audacieux. Il n’hésite pas à évoquer la sexualité, y compris le désir féminin.
La Garçonnière montre un agent d’une compagnie d’assurance qui loue des appartements aux couples adultères. Billy Wilder décrit le monde de l’entreprise à travers une compagnie d’assurance. Ce qui est suffisamment rare pour être souligné. Le cinéma américain semble même décrire avec plus de précision la mafia que le monde du travail. Cette comédie de mœurs jette également un regard ironique sur la société bourgeoise.
Dans Miracle en Alabama, la petite Helen Keller naît aveugle et sourde. Sa famille fait appel à Annie Sullivan pour tenter de la rééduquer. Arthur Penn demeure une des figures du cinéma de la « nouvelle gauche » américaine des années 1960, tout comme Sidney Lumet. Ses films attaquent une société réactionnaire. Dans Miracle en Alabama, il montre la violence des rapports sociaux dans la famille. La religion et l’ordre moral façonnent cette société traditionnelle qui ne permet pas la liberté. La domination et la subordination semblent même acceptées par tous les membres de la famille.
Shock Corridor montre un journaliste qui se fait interner dans un asile pour élucider son enquête sur un meurtre. Samuel Fuller décrit la perversion du journalisme. Le reporter n’est pas guidé par le souci de justice et de vérité, mais uniquement par le sensationnalisme. L’information doit avoir un impact émotionnel, au détriment de la recherche de vérité. Le film de Samuel Fuller évoque également la perversion de la société américaine. A travers un personnage obèse se dévoile la surconsommation. Le mythe de la conquête de l’Ouest révèle surtout le massacre des Indiens. La perversité sexuelle apparaît avec le puritanisme qui refuse un plaisir naturel. Le racisme est évoqué avec un patient noir qui brandit un panneau pour la ségrégation. Un savant incarne la terreur provoquée par l’arme atomique. Samuel Fuller n’évoque pas directement l’enfermement psychiatrique, mais la folie de la civilisation américaine.
La colline des hommes perdus montre un camp disciplinaire en Tunisie en 1963. Des soldats britanniques sont enfermés après un comportement qui entrave le règlement. Ce film surgit en 1965, dans le contexte de la guerre du Vietnam. Les films qui dénoncent la guerre sont alors mal perçus. Surtout, Sidney Lumet critique la société occidentale avec l’injustice, la violence, le racisme et la pression des institutions sur les individus. Le camp disciplinaire incarne une culture de l’obéissance. Les détenus doivent se plier à un code de vie collective. Le film devient une critique du système pénitentiaire et montre le rapport entre prisonnier et gardien. L’environnement carcéral oblige également les hommes à vivre dans la promiscuité, ce qui favorise les conflits et la violence entre eux. L’ensemble de l’œuvre de Sidney Lumet critique les institutions hiérarchisées et codifiées.
Les Douze Salopards se situe dans l’Angleterre de 1944. Le major Reisman doit former un commando de soldats incarcérés pour assassiner des officiers allemands. Mais les militaires recrutés sont hostiles à leurs supérieurs hiérarchiques. Le film de Robert Aldrich concilie grand spectacle héroïque et anarchisme. Il reflète un antimilitarisme, montre la dureté des rapports humains et la difficulté du management. Robert Aldrich montre l’horreur de la guerre avec le massacre de civils et d’officiers désarmés. Mais il critique davantage la hiérarchie militaire sans se montrer ouvertement pacifiste. En revanche, les personnages sont guidés par leur désir de liberté, et non par le sens du devoir et du patriotisme. Ils tentent de contourner l’autorité, les contraintes et les règles stupides.
L’arnaque montre des petits truands qui s’organisent pour venger un ami tué par des mafieux. Le film dépeint les bas-fonds de Chicago pendant la grande dépression des années 1930. Les plus pauvres doivent vivre de petites combines et s’entraider. Les hors-la-loi incarnent une contestation légitime d’un ordre social injuste.
L’Exorciste montre une fillette possédée par le démon qui commet des actes violents et incompréhensibles. L’enfant de 13 ans ne semble pourtant pas dotée de pouvoirs surnaturels. Ses actions peuvent effectivement être commises par une petite fille. Elle se scarifie, insulte, frappe. Le film de William Friedkin permet de faire voler en éclats la censure et les interdits du code Hays. Son cinéma met en scène le sexe et la violence pour mieux rejeter les interdits et les codifications encore pensantes en 1973.
Barry Lyndon montre l’ascension sociale d’un jeune roturier dans l’Irlande du XVIIIe siècle. Le film de Stanley Kubrick propose une critique sociale de la classe aristocratique qui vit dans l’opulence au sein d’un pays rongé par la misère. Mais Barry Lyndon renonce à sa vie d’aventures pour rejoindre la monotonie et l’ennui du quotidien de l’aristocratie. Stanley Kubrick alimente alors le dégoût pour cet univers de luxe et de dorures.
La trilogie Star Wars se situe dans une galaxie lointaine dans laquelle des rebelles luttent contre un empire autoritaire. Ces films de divertissement retracent un parcours initiatique digne des chevaliers de la table ronde. Mais ils portent également un contenu philosophique et spirituel. Les films évoquent notamment la corruption du pouvoir.
Voyage au bout de l’enfer montre la vie d’ouvriers américains avant leur départ pour la guerre du Vietnam. Michael Cimino dénonce l’horreur de la guerre, même si sa vision des Vietcongs les montre comme des tortionnaires. Il montre la routine de la vie de trois ouvriers dans l’Amérique industrielle. Ils veulent partir au Vietnam pour sortir de la grisaille et découvrir une vie d’aventures et d’exotisme. Même si ce film montre peu de combats, il participe à la cinématographie qui évoque la violence et le traumatisme de la guerre du Vietnam.
Dans Alien, des astronautes pénètrent dans un vaisseau spatial. Commence alors un huis clos angoissant, entre suspens et horreur. Ridley Scott montre des hommes et des femmes qui se trouvent confrontés à une créature extraterrestre meurtrière. Mais ils n’ont pas d’armes, ne peuvent pas fuir, ni s’isoler ou se cacher.
Blade Runner montre un policier qui chasse des androïdes. Ridley Scott s’appuie sur une nouvelle de Philip K. Dick. L’écrivain cyberpunk exprime une critique de la société et de la technologie à travers ses récits de science fiction. Blade Runner emprunte également à l’univers du film noir. Le personnage principal est un détective sombre, solitaire et qui ne fait confiance en personne. La ville de Los Angeles est baignée dans la pluie, la nuit et dans un décor ultra-moderne. Le film évoque la manipulation du cerveau humain et l’artificialité de la vie, comme dans Total Recall également inspiré de Philip K. Dick.
Le Verdict montre un avocat alcoolique qui défend une famille pauvre face à l’institution hospitalière. L’engagement politique de Sidney Lumet transparaît bien dans ce film qui montre l’opposition du faible face à la puissance des institutions. Ce cinéma incarne les idées de la nouvelle gauche américaine pour dénoncer les inégalités du capitalisme et valoriser les luttes sociales. Le film propose une critique des institutions judiciaires et médicales. Mais Sidney Lumet idéalise le jury populaire qu’il montre comme l’espoir qui sauve la justice américaine.
Milos Forman lance la mode des biopics avec Amadeus. Même si la vie de Mozart n’est pas retracée avec exactitude. Le réalisateur introduit notamment une rivalité avec Salieri, alors que les deux compositeurs n’ont fait que se croiser dans la réalité. Mais ce film montre bien un Mozart qui valorise la liberté et la créativité. Il transgresse les codes musicaux de son temps. Il impose même la danse et le balais, alors interdits, dans la cours de l’empereur. Il ose, invente et provoque. A son époque, il peut déplaire et choquer. Mais son génie est reconnu aujourd’hui. Pourtant, Mozart se heurte aux contraintes sociales, avec le pouvoir des religieux et la cours de l’empereur.
Avec Casino, Martin Scorcese propose un nouveau film sur la mafia. Il montre la gestion d’un casino à Las Vegas. Ce qui permet également d’évoquer le besoin d’argent dans une société fondée sur la consommation et l’accumulation permanente de richesses. Pourtant, l’argent rend tous les personnages malheureux.
The Big Lebowski reste le film le plus culte des frères Cohen. Les réalisateurs décident de rire de tout, y compris de la mort. Ils présentent une galerie de personnages originaux dans une Californie libertaire héritée du mouvement hippie. Los Angeles permet à chacun d’exprimer une vision artistique, sociale ou politique en toute liberté. Le Dude, personnage principal, apparaît comme un marginal paresseux qui refuse toute contrainte.
Le cinéma américain reste méprisé en France. L’esthétique creuse du type de la Nouvelle vague semble davantage valorisée. Au contraire, le cinéma américain puise sa force de ses scénarios originaux. Il porte un regard réaliste et critique sur la société marchande. La sélection subjective de Benoît Gourisse montre également la diversité de ce cinéma qui comprend à la fois des grands classiques et des films populaires davantage tournés vers le divertissement. Benoît Gourisse évoque les qualités esthétiques des films, mais insiste également sur leur portée sociale et critique. Les nombreux nanars patriotiques qui exaltent les valeurs patriarcales ou capitalistes ne sont évidemment pas évoqués.
Néanmoins, le cinéma américain privilégie souvent une critique morale de la société. Il dénonce souvent les excès et les dérives du capitalisme, sans pour autant s’orienter vers une remise en cause totale de l’ordre existant. Sidney Lumet critique souvent la corruption, mais pas les fondements de l’autorité. Il souligne les dérives qui existent dans la police ou la politique, mais se garde bien de remettre en cause l’Etat. Néanmoins, ce cinéma de la « Nouvelle gauche » qui triomphe dans les années 1970 propose un regard critique sur la société à travers des films plaisants.
Le cinéma américain porte également un regard humaniste. Il valorise les marginaux et dénonce le conformisme de la société. Il attaque souvent les vieilles institutions sociales comme la religion, la famille, le racisme. Il critique les hiérarchies et les contraintes sociales. En revanche, le cinéma américain évoque peu l’exploitation et le monde du travail. Le prolétariat est valorisé surtout à travers ses marges. La lutte des classes entre exploiteurs et exploités peut apparaître, mais ne semble pas centrale.
Néanmoins, le cinéma populaire peut alimenter la réflexion critique tout en procurant du plaisir. La théorie politique reste souvent abstraite et séparée de la vie quotidienne. Le cinéma peut permettre de la faire vivre de manière subtile, à travers des émotions et l’identification à des personnages. Le cinéma de fiction américain ne sombre pas dans le film de propagande destiné à un public déjà convaincu, comme les documentaires de Michael Moore. Même les réalisateurs très politisés privilégient une approche subtile. Le propos critique ne vient pas parasiter de manière grossière le plaisir du spectateur. Le cinéma populaire de qualité permet d’associer réflexion critique et plaisir du public.
Source : Benoît Gourisse, Un siècle de cinéma américain en 100 films. 2. La fin des codes, le réalisme… puis la nostalgie : 1960-2000, Lettmotif, 2017
Star Wars et la société américaine
Le renouveau du cinéma noir américain
Une histoire de la pop culture
Jacques Demange, Note de lecture publiée sur le site Ciné Chronique le 17 avril 2017
Léon Azatkhanian, Note de lecture publiée sur le site Daily Nord le 29 mai 2017
Cédric Lépine, Une histoire du cinéma made in US en 100 films, publié sur le site Mediapart le 17 septembre 2017
Radio : Séries, cinéma, idéologies et luttes des classes. Autour du cinéma populaire, des blockbusters, des séries et du cinéma dit militant et politique, émission de radio Vosstanie du 6 décembre 2014
Radio : émissions sur le cinéma américain diffusées sur France Culture
Régis Dubois, Les perdants magnifiques du cinéma américain, publié dans le journal CQFD n°142 en avril 2016
Le cinéma américain sur le site du Ciné-club de Caen
Rubrique Cinéma américain sur le site L'Oeil sur l'écran
Cédric Lépine, Ces 30 cinéastes qui ont bouleversé l’industrie du cinéma américain, publié sur le site Mediapart le 15 juin 2015
Benjamin Stora, Le cinéma américain pendant la guerre du Vietnam le mythe de « l'avalanche », publié dans la revue Vingtième Siècle en 1996
Jacqueline Nacache, Vu de France : le cinéma américain de la cinéphilie à la recherche, publié dans la Revue française d’études américaines n°88 en 2001