Le PSU, un parti dans les années 1968
Publié le 27 Juin 2016
La contestation des années 1960 permet d’alimenter un nouvel imaginaire. Dans un contexte de crise économique, les expériences du passé peuvent permettre de réinventer la lutte. Bernard Ravenel retrace l’histoire du Parti socialiste unifié (PSU) dans le livre Quand la gauche se réinventait. « La contestation des années 1960, c’était le refus de l’autoritarisme, dans l’entreprise comme dans la vie quotidienne, l’école, la famille ou les Eglises… Le PSU en a certainement été un des foyers les plus élaborés et les plus puissants », estime Bernard Ravenel. De nombreuses figures intellectuels et cadres des mouvements sociaux sont passés par le PSU. Ce parti se situe entre la gauche de gouvernement et les luttes sociales.
Le PSU émerge dans les années 1960. Les organisations traditionnelles du mouvement ouvrier semblent vermoulues. Le Parti communiste abandonne toute perspective révolutionnaire et se contente de s’aligner sur l’URSS. La social-démocratie, incarnée par la SFIO, ne propose plus aucune réforme nouvelle. Pourtant, des pratiques de luttes sortent du cadre du syndicalisme. La grève en Belgique de 1961 exprime renouveau de la contestation. En Italie émerge le mouvement opéraïste. Un communisme non stalinien se développe.
Le PSU est créé en 1960 pour regrouper la gauche non communiste. Dans le contexte de la guerre d’Algérie, le PSU défend l’indépendance des peuples colonisés. Cette question révèle les contradictions des partis de gauche, incapables de sortir d’une logique coloniale et nationaliste. Des sociaux-démocrates, des chrétiens de gauche et des trotskistes alimentent une diversité politique et intellectuelle au sein du PSU. Deux gauches nouvelles émergent de ce bouillonnement. « L’une est incontestablement axée autour des possibilités d’un capitalisme rénové, lorsque l’autre se tourne vers des perspectives socialistes », observe Gilles Martinet.
A partir de 1962, le PSU construit son programme qui tente de relier lutte pour le socialisme et revendications liées au quotidien. Le PSU propose la collectivisation des moyens de production pour permettre une nouvelle organisation économique et démocratique. Mais il n’est pas question de s’appuyer sur une insurrection. Des mesures de transition, comme les nationalisations, doivent permettre d’atteindre cet objectif par réformes successives. La décentralisation et la gestion démocratique des entreprises deviennent également des axes majeurs.
La tendance majoritaire, incarnée par Gilles Martinet, dénonce le régime gaulliste et le néocapitalisme. Un Front social doit mener l’offensive. Le PSU vise à rassembler la classe ouvrière, les couches moyennes, les fonctionnaires, les étudiants et les paysans. En 1963 éclate la grève des mineurs. Après la séquence liée à la guerre d’Algérie les luttes ouvrières reviennent sur le devant de la scène. Le PSU crée des comités de soutien. Des appels sont lancés aux partis et aux syndicats. Un fond de solidarité à la grève des mineurs est créé. Le PSU donne une dimension politique à cette lutte ouvrière qui s’oppose au régime gaulliste et peut permettre une transformation sociale.
Le PSU veut apparaître comme un parti de gouvernement crédible. Il dialogue avec les autres forces de gauche, les socialistes et les communistes. Il tente de négocier des alliances électorales. En 1966, le PSU s’atèle à la construction d’un véritable programme de gouvernement. La réflexion va très loin, jusque dans les détails techniques. Michel Rocard se penche notamment sur la politique monétaire.
A côté de cette réflexion stratégique sur la transition vers le socialisme, le PSU participe aux luttes sociales. Les grèves éclatent dans les chantiers navals et dans la sidérurgie. Ces secteurs industriels commencent à être démantelés. Les militants du PSU, souvent actifs à la CGT, participent aux luttes ouvrières. Le PSU participe également au mouvement contre la guerre au Viêt-Nam. Il défend l’auto-détermination des peuples. Un meeting mêle des discours, des chansons et des films pour conjuguer fête et politique.
Le PSU se penche sur les questions liées à la vie quotidienne. Inspiré par le sociologue Henri Lefebvre, le PSU développe une réflexion sur l’urbanisme et sur sa place dans la vie quotidienne. En effet, « l’urbanisme concerne l’individu dans ce qu’il a de plus profond : sa vie affective, son travail, ses loisirs et son critère culturel », analyse un article. Le PSU se penche également sur la condition féminine. Le travail, la fonction sociale de reproduction, les soins et l’éducation des enfants, la consommation par la publicité deviennent des sujets de réflexion pour la commission nationale des problèmes féminins.
Les militants du PSU participent activement au mouvement de Mai 68. Les étudiants du PSU sont particulièrement influent au sein de l’UNEF, le syndicat étudiant. Des militants du PSU sont également implantés dans les entreprises. Le syndicat de la CFDT semble également proche du PSU. La contestation de la jeunesse dénonce l’aliénation marchande dans tous les domaines de la vie.
De nouvelles formes de lutte éclatent, en dehors des bureaucraties syndicales. Seule la CFDT, avec son idée d’autogestion, semble en phase avec les grèves et l’auto-organisation des luttes. Mais les autres appareils syndicaux, comme FO ou la CGT, semblent dépassés par le mouvement. Les staliniens et la CGT vont tenter de reprendre le contrôle en insistant sur des revendications quantitatives, comme l’augmentation des salaires.
Le PSU tente de se saisir de la crise politique ouverte en mai 1968. Un meeting est organisé à Charléty. Ce sont des syndicalistes qui s’expriment et le PSU ne prend pas la parole en tant que tel. Pierre Mendès-France, figure du PSU, refuse de profiter d’un vide du pouvoir. Il est en désaccord avec le programme de transition vers le socialisme proposé par la PSU. Finalement, ce sont les gaullistes qui reprennent la main en organisant d’importantes manifestations.
Au PSU, une tendance spontanéiste côtoie un courant attaché au rôle du parti d’avant-garde qui doit guider les masses. La tendance spontanéiste considère au contraire que les conflits sociaux, à travers des affrontements avec la bourgeoisie et son Etat, permettent de construire une conscience politique. Le parti peut également avoir vocation à devenir un QG de la révolution à venir. Le PSU abandonne le modèle du parti d’avant-garde pour se rapprocher des aspirations autogestionnaires et libertaires issues de Mai 68.
Le PSU embrasse les luttes des années 1968. La grève générale de Mai 68 favorise son implantation dans les entreprises. Le PSU avance le mot d’ordre de contrôle ouvrier. Le PSU se développe également dans le monde paysan. Les agriculteurs subissent une prolétarisation et une paupérisation qui les éloigne des puissants syndicats. Bernard Lambert évoque les luttes dans le monde rural à travers son livre Les Paysans et la lutte des classes.
Le PSU participe à la mouvance gauchiste. De nombreux groupes, en marge du Parti communiste, débattent du rôle des syndicats et de la violence révolutionnaire. Le PSU peut mener des actions communes avec les groupes trotskistes. Surtout, il participe au Secours Rouge. Cette organisation, crée par les maoïstes de la Gauche Prolétarienne, soutien les luttes contre la répression. Le PSU sort de la pratique syndicale traditionnelle pour valoriser la délibération en assemblées générales. Cette pratique permet aux militants de base de s’exprimer et peut renouveler un syndicalisme plus classique.
Le PSU développe des idées féministes. La lutte révolutionnaire passe par la libération des femmes qui participent pleinement aux luttes ouvrières. Mais, à côté de la lutte des classes, s’élabore une critique de la vie quotidienne. Les femmes subissent des formes d’exploitation et d’aliénation qui leur sont spécifiques. La pensée de Wilhelm Reich permet d’affirmer l’importance politique du combat sexuel. Contre la famille et le patriarcat, les femmes doivent se réapproprier leur corps et leur sexualité.
Le PSU participe toujours aux luttes sociales. A Penarroya, à Lyon, des travailleurs immigrés organisent eux-mêmes la lutte. Ils prennent la parole et mènent la lutte. Ils s’affirment comme des acteurs majeurs de la classe ouvrière. Le PSU s’appuie sur ces nouvelles pratiques de lutte pour penser son socialisme autogestionnaire.
En 1973, le PSU participe à toutes les luttes emblématiques comme la grève des Lip et l’occupation du Larzac contre un projet de camp militaire. Le PSU s’engage dans la lutte contre le nucléaire et se tourne vers les combats écologistes. En 1974, toute une partie du PSU rejoint le Parti socialiste avec Michel Rocard. La perspective de créer un pôle autogestionnaire capable de concurrencer les communistes et les sociaux-démocrates semble s’effondrer.
Les ambiguités d’un réformisme radical
Le livre de Bernard Ravenel ne se contente pas d’un simple témoignage militant. Il retrace l’histoire du PSU et la restitue dans le contexte des luttes des années 1968. Mais il manque un regard critique sur cette nouvelle gauche dont l’héritage, bien que disséminé, reste toujours présent.
Le PSU s’apparente à un réformisme radical. Il tente de relier discours technocratique et gauchisme, intégration dans les institutions et contestations sociales. C’est cette démarche paradoxale qui fait son originalité. Mais aussi sa principale limite. Finalement, le PSU s’apparente à un parti classique avec ses congrès, son programme et ses dirigeants. Son contre-plan et son Front social respirent la vieille politique poussiéreuse. Il finit par collaborer avec le pouvoir de gauche dans une longue déliquescence.
La composition de classe du PSU révèle toutes ses ambiguïtés. Il existe, au sein de ce parti, des ouvriers et des salariés. Ils participent aux luttes sociales et s’attachent souvent à l’auto-organisation des luttes. Mais le PSU reste dirigé par une petite bourgeoisie intellectuelle. Cette nouvelle classe sociale participe ensuite à rénover le Parti socialiste. Des ingénieurs, des cadres, des universitaires et des journalistes dirigent le PSU. Leurs intérêts et leurs perspectives politiques ne correspondent pas à celles des ouvriers. La petite bourgeoisie intellectuelle insiste sur la nécessiter d’élaborer un programme crédible pour rénover le capitalisme, mais jamais pour supprimer l’exploitation et le monde marchand.
La notion d’autogestion, emblématique de cette gauche PSU, révèle toutes les ambigüités de cette démarche politique. Pour les ouvriers, l’autogestion renvoie à l’auto-organisation des luttes et de la société. Mais, pour les dirigeants du PSU, l’autogestion s’inscrit dans une logique d’Etat voire même de planification. Les entreprises autogérées restent alors sous le contrôle attentif des institutions. Cette perspective autogestionnaire ne sort pas davantage du cadre du marché. Les entreprises doivent favoriser la participation des salariés mais restent dans le cadre marchand. Elles doivent continuer à vendre leurs produits et s’attachent à une efficacité économique. Les cadres du PSU insistent même parfois sur les bienfaits de l’autogestion dans l’entreprise pour permettre davantage d’efficacité et de compétitivité.
Cependant, le PSU permet aussi de renouveler le discours politique. Il propose des réflexions nouvelles. Il soutient les luttes des femmes et des immigrés, contrairement au Parti communiste et à la CGT. Il s’ouvre également à une critique de la vie quotidienne. Les luttes de quartiers permettent une critique de l’urbanisme et de l’ensemble des relations humaines. Mais cette critique de la vie quotidienne, ancrée dans l’esprit des années 1968, reste récupérée par des élus comme à Grenoble. Le PSU permet alors de renouveler la gauche, mais pas d’ouvrir des perspectives de dépassement du monde marchand.
Source : Bernard Ravenel, Quand la gauche se réinventait. Le PSU, histoire d’un parti visionnaire, 1960-1989, La Découverte, 2016
La contestation des années 1968
Mai 68, moment de politisation
L'après Mai du jeune Olivier Assayas
Les maoïstes de la Gauche Prolétarienne
Vidéo : Bernard Ravenel, Interview de Xavier Carniaux, publié sur le site de l'Institut Tribune Socialiste le 13 mai 2016
Vidéo : Histoire du PSU, par Bernard Ravenel, conférence mise en ligne sur le site La Feuille de chou le 17 juin 2016
Vidéos : archives sur le PSU publiées sur le site de l'INA
Radio : émissions avec Bernard Ravenel diffusées sur France Culture
Patrick Silberstein, Le Parti socialiste unifié (PSU), un parti germe pour l’autogestion, publié sur le site de l'Association pour l'autogestion le 9 mai 2016
Serge Audier, "Quand la gauche trouvait une autre voie", publié dans Le Monde le 23 mars 2016
Pascal Boniface, « Quand la gauche se réinventait » – 3 questions à Bernard Ravenel, publié sur le site de l'IRIS le 22 juin 2016