Sartre et la gauche anti-bureaucratique

Publié le 16 Janvier 2012

Sartre et la gauche anti-bureaucratique

L’engagement politique de Sartre s’inscrit dans le cadre d’une gauche antistalinienne, particulièrement vivante dans ses idées et ses débats.

 

Sartre le stalinien aurait toujours eu tort, contre Aron le libéral. Tel est le discours véhiculé par la plupart des journalistes, historiens, ou philosophes. L’engagement de Sartre demeure associé à la défense de toutes les dictatures, pourvue qu’elles agitent un drapeau rouge. En réalité, Sartre participe à l’espace politique de la gauche antistalinienne et aspire à un socialisme démocratique, voire libertaire. 

Dans un livre récent, Ian H. Birchall retrace le parcours politique de Sartre. Mais surtout, il décrit cette gauche antistalinienne de l’après guerre, avec ses débats, ses idées, ses engagements, son ébullition intellectuelle et politique. Malgré sa quête d’un socialisme démocratique, Sartre demeure plus proche du PCF que des groupuscules qui critiquent l’URSS. Il privilégie le parti de masse aux organisations autonomes. Ian H. Birchall présente cette gauche antistalinienne avec le trotskisme orthodoxe, le marxisme critique, l’anarchisme hétérodoxe, le syndicalisme révolutionnaire, jusqu’à une gauche plus modérée incarnée par le PSU. Cette gauche soutien les luttes ouvrières tout en dénonçant l’URSS pour défendre un socialisme fondé sur la démocratie directe. 

Ian H. Birchall replace les écrits de Sartre dans leur contexte pour restituer ses polémiques passionnantes avec cette gauche antistalinienne. 

 

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L’émergence d’une conscience politique

 

Le jeune Sartre ne s’inscrit pas dans une pensée politique cohérente. La haine des bourgeois et la cohérence entre la théorie et la pratique fondent sa rébellion. Sartre suit les analyses de Daniel Guérin. Ce militant de la « gauche révolutionnaire », au sein de la SFIO écrit une série d’articles sur le fascisme. Les surréalistes et leur esthétique libertaire intéressent Sartre. Mais c’est surtout à travers des discussions, notamment avec son ami communiste Paul Nizan, qu’il s’informe des débats politiques qui agitent la période. Si Nizan devient l’idéologue du stalinisme le plus orthodoxe, Colette Audry devient une amie proche de Sartre et Beauvoir. Cette syndicaliste milite, comme Guérin, dans le courant de la « gauche révolutionnaire » de la SFIO. Mais Colette Audry témoigne de la faible culture politique de Sartre durant cette période. Surtout, elle alimente la réflexion de Sartre et Beauvoir. Cette militante s’intéresse à la condition des femmes, écrit des articles sur Heidegger et la littérature révolutionnaire à travers Dos Passos. Ses analyses marxistes non dogmatiques influencent le couple de philosophes.

Malgré son abstention aux élections, Sartre s’enthousiasme pour les grèves et les occupations d’usines de 1936. Au contraire, les communistes estiment que cette révolte s’oppose au gouvernement de Front populaire. Daniel Guérin distingue un Front populaire au parlement et au gouvernement et un front populaire dans la rue. Il combat le premier et rallie le second. Sartre n’élabore pas une analyse aussi fine des évènements. En revanche, il déteste la bourgeoisie du Parti radical et de la SFIO. Il évoque la guerre d’Espagne dans une nouvelle, Le mur, avec un héros clairement anarchiste. Les idées de la gauche antistalinienne germent dans l’esprit de Sartre avant de se développer avec les évènements de la guerre. 

 

Pour Sartre la guerre est déclenchée après le pacte germano-soviétique. La guerre permet alors, selon lui, de dissoudre le PCF. Sartre conserve, au moins jusqu’en 1956, une fétichisation du parti de la classe ouvrière qui, seul, peut mener la révolution. Sartre participe au petit groupe « Socialisme et liberté » davantage porté sur la réflexion théorique que sur l’organisation de la lutte armée. Contrairement au nationalisme du PCF, Sartre estime que les travailleurs allemands subissent également l’oppression du nazisme. Il se rapproche alors des trotskystes qui partagent cette analyse. Le PCF apparaît comme le parti qui organise la résistance. Pourtant une méfiance réciproque caractérise les rapports de Sartre avec le PCF. Sartre est considéré comme un trotskyste, ce qui s’apparente davantage à une injure qu’à une position politique.

Au sortir de la guerre, le PCF impose son hégémonie culturelle. Aucun courant politique, à gauche, n’ose contester ouvertement et frontalement l’idéologie stalinienne. Dans ce contexte, en octobre 1945, Sartre et Merleau-Ponty lancent la revue Les Temps modernes. Cette revue, avant de devenir une plateforme des intellectuels d’extrême gauche, n’adopte pas une ligne politique clairement définie. La participation du PCF au pouvoir et la guerre d’Indochine éloigne Sartre des communistes. Sartre critique la politique opportuniste du PCF et dénonce l’URSS, mais il soutien la classe ouvrière. Jean Kanapa, idéologue du Parti, dénonce Sartre comme un traître vendu aux intérêts américains. 

Face aux diatribes staliniennes le débat semble impossible. Sartre dialogue alors avec la gauche anti-stalinienne en France et aux Etats-Unis. Ce troisième camp rejette les impérialismes américain et stalinien.

 

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Vers une gauche indépendante

 

En 1945, Sartre prononce sa célèbre conférence « l’existentialisme est un humanisme ». Pierre Naville critique sa théorie en analysant l’existentialisme comme un simple libéralisme de nouveau type, gentiment radical-socialiste. Il défend le matérialisme dialectique et l’analyse marxiste. Pierre Naville développe pourtant une pensée originale, loin de toute forme d‘orthodoxie idéologique. Il participe au groupe surréaliste et milite activement au PCF dès 1925. Il participe à la création du mouvement trotskyste avant de se replonger dans l’activité théorique avant la guerre. Le surréaliste Pierre Naville s’attache à la révolution sociale et à la transformation matérielle du monde, contrairement à certains poètes qui privilégient l’esprit révolutionnaire et une révolte plus spirituelle que politique. Cette conception matérialiste s’attache à une analyse scientifique. Mais Sartre et Naville demeurent tous deux attachés à la liberté et à l’action humaine pour changer le monde. Ils insistent sur la liberté individuelle, contrairement aux marxistes orthodoxes. Mais si la critique de Sartre demeure philosophique, Naville s’attache à une critique politique. Pierre Naville participe à La revue internationale qui incarne un marxisme ouvert. Fondée par des anciens militants trotskystes, des articles adoptent des positions différentes et parfois très critiques par rapport à l’URSS. 

Dans « Matérialisme et révolution », Sartre défend un existentialisme révolutionnaire. Il se réfère au jeune Marx, contre le dogmatisme stalinien. Marx permet à Sartre et Naville d’articuler une théorie scientifique en laissant une place à l’action individuelle. L’humanisme révolutionnaire de Sartre, qui demeure idéaliste, se rapproche pourtant du marxisme critique. 

 

Merleau-Ponty dirige Les Temps modernes avec Sartre. Ce philosophe semble proche du mouvement trotskyste dont il connaît les débats internes. Merleau-Ponty connaît également les dissidents du trotskisme notamment Claude Lefort. Sartre développe une critique libertaire de Trotsky et de son livre intitulé Leur morale et la notre. Sartre estime qu’il ne faut pas distinguer la fin et les moyens qui sont des éléments inséparables d’un même processus dialectique. 

Sartre s’attache à dénoncer toutes les formes d’oppression. Le racisme génère le fascisme, le colonialisme et l’impérialisme. Il tente d’articuler l’oppression raciale et l’oppression de classe. Sartre s’intéresse également à l’oppression sexiste et encourage Beauvoir à écrire Le Deuxième sexe. Cet ouvrage est publié dans le contexte d’un PCF ouvertement sexiste qui considère la libération des femmes comme secondaire, voire inutile. Sartre tente de lier toutes les oppressions avec la question de la classe sans pour autant nier leur spécificité. 

 

En 1948, dans un contexte de guerre froide et de montée des luttes sociales, Sartre s’éloigne du PCF mais ne renonce pas à un engagement politique. Il participe au Rassemblement démocratique révolutionnaire (RDR) qui construit un mouvement socialiste indépendant du stalinisme. Mais le RDR se démarque également de la social-démocratie pour tenter de lier liberté et dignité humaine avec la lutte pour la révolution sociale. Le RDR n’est pas un nouveau parti mais un rassemblement qui peut comprendre également des encartés de mouvements politiques. Mais le PCF et la SFIO n’autorisent pas la double appartenance. Des militants du Parti communiste internationaliste (PCI), un groupe trotskyste, apportent leur énergie et leur expérience politique au RDR. Cependant, au sein du mouvement trotskyste, le RDR provoque également des divisions malgré les projets d’unité. Le rassemblement regroupe 4000 adhérents, dont de nombreux intellectuels et étudiants. Le RDR, malgré son importance relative face aux puissants partis de gauche, regroupe davantage que tous les différents groupuscules trotskystes entre 1945 et 1968. 

Le RDR soutien activement les grèves de mineurs en 1948 et tente de construire des comités d’usine. La lutte contre la colonisation mobilise également ses militants. Mais l’échec du RDR semble lié à son absence de projet politique. Par exemple, l’analyse de la nature de l’URSS fait l’objet de débats. Certains considèrent l’URSS comme socialiste. Pourtant, il existe un espace entre le stalinisme et la social-démocratie comme le révèle la création du Parti socialiste unifié (PSU) en 1960. Selon Ian Birchall, le choix de Sartre de participer au RDR révèle, malgré son manque de culture politique, sa lucidité. 

 

En 1949 David Rousset, trotskyste qui a participé au RDR, lance une campagne contre les camps de l’URSS. Il décide d’écrire un article dans Le Figaro, journal de droite. Dans Les Temps modernes, Sartre répond à Rousset. Il dénonce l’URSS qui n’est pas socialiste mais refuse de soutenir l’appel de Rousset qui apparaît comme une « absolution donnée au monde capitaliste ». Toutefois Sartre défend, certes sans enthousiasme, l’URSS contre le camp impérialiste. Mais sa revue Les Temps modernes publie des textes de Victor Serge pour dénoncer l’URSS. 

Surtout, la revue de Sartre permet de populariser les analyses de Claude Lefort sur la société stalinienne. Ce jeune philosophe s’éloigne du trotskisme orthodoxe pour créer le groupe Socialisme ou Barbarie avec Cornélius Castoriadis. Lefort critique la notion d’« État ouvrier dégénéré » utilisée par les trotskistes pour qualifier l’URSS. Pour lui, l’URSS s’apparente à un capitalisme bureaucratique. Il dénonce la planification économique et ses dysfonctionnements. L’URSS repose sur l’exploitation et sur les camps. Sa critique radicale du stalinisme et de son aliénation idéologique provoque des débats au sein des Temps modernes. Mais, contrairement à Rousset, Lefort dénonce également l’exploitation capitaliste et insiste sur la nécessité de soulèvements révolutionnaires des travailleurs exploités en URSS. 

 

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Compagnon de route du PCF

 

En 1953, Sartre et Merleau-Ponty suivent des itinéraires différents. Merleau-Ponty défend plutôt le camp capitaliste tandis que Sartre se rapproche de l’URSS. Sartre défend courageusement les homosexuels dans un contexte d’homophobie généralisée. Il publie Saint Genet en 1952 pour proposer la canonisation d’un voleur multirécidiviste et homosexuel, Jean Genet. Malgré son rapprochement avec le PCF, Sartre rejette une conception mécanique de l’oppression et continue de placer la liberté au cœur de la révolution. 

Ian Birchall replace l’engagement de Sartre aux côtés du PCF stalinien, de 1952 à 1956, dans le contexte de l’échec du RDR. Le regroupement de la gauche antistalinienne semble échouer. Surtout, l’anticommunisme permet d’attaquer la classe ouvrière et ses combats. Ian Birchall souligne les limites politiques des articles de Sartre pour justifier la politique du PCF. Mais il évoque également la publication dans Les Temps modernes de textes très critiques à l’égard du parlementarisme et des campagnes politiques du PCF. Mais les communistes affichent également leur volonté de dialogue avec des intellectuels extérieurs au parti. Sartre écrit de nombreux textes politiques pour justifier et défendre la politique lamentable du PCF. Mais il ne s’agit pas d’un conformisme intellectuel puisque les communistes, malgré leur forte implantation dans la société, demeurent minoritaires dans les milieux politiques et littéraires. De plus, la revue de Sartre, Les Temps modernes, conserve sa liberté critique et son indépendance par rapport au PCF. La revue aspire à un nouveau Front populaire. Mais Sartre semble se tourner vers le PCF en raison d’une extrême gauche morcelée qui vit aux rythmes des scissions. 

 

Dans « Les communistes et la paix », Sartre dénonce l’anticommunisme de gauche. Pour lui, le PCF demeure le seul parti de la classe ouvrière. Marceau Pivert, figure du courant révolutionnaire de la SFIO de Colette Audry, dénonce l’oppression des travailleurs en URSS. Il estime que Sartre cautionne l’embrigadement de la classe ouvrière par le PCF. Marceau Pivert défend un socialisme démocratique, contre les deux camps de la guerre froide. 

Sartre polémique également avec le trotskisme orthodoxe de la IVème internationale. L’économiste Ernest Mandel estime que le PCF demeure enraciné dans le mouvement ouvrier. Mais sa place dans la société fait de ce parti une organisation intégrée au capitalisme qui ne peut que devenir réformiste. Pour Mandel, une organisation révolutionnaire demeure nécéssaire pour renforcer la conscience de classe. 

Le groupe Socialisme ou Barbarie demeure le plus intéressant de la gauche antistalinienne. Il rejette la notion bolchevique de parti d’avant-garde. Il ne tente pas de devenir une organisation de masse mais s’attache aux luttes concrètes dans les lieux de travail. Cornélius Castoriadis, membre du groupe, réplique à Sartre. Il analyse la nature contradictoire du PCF avec une base ouvrière mais aussi une politique pro-russe. Il rejette l’identification entre le parti et la classe. Au contraire, la classe ouvrière doit s’émanciper par elle-même. Claude Lefort, autre figure de Socialisme ou Barbarie, participe à la rédaction des Temps modernes. Pour lui, l’organisation de la classe ouvrière se construit dans la lutte et non dans les partis. Un comité d’usine s’inscrit en rupture avec la légalité bourgeoise, malgré des revendications réformistes, en raison de la nature du système de production capitaliste. En revanche, Claude Lefort demeure très spontanéiste. Il ne propose pas une stratégie alternative pour construire un mouvement révolutionnaire autonome. Il estime que les luttes sociales, qui doivent exploser spontanément, vont balayer les bureaucrates et le stalinisme. Sartre répond de manière violente. Il dénie à la classe ouvrière la capacité de s’organiser spontanément, sans les partis et les syndicats. Toutefois, Sartre continue de défendre les exploités et les opprimés.

 

En 1956, l’URSS réprime violemment une insurrection ouvrière en Hongrie. Sartre dénonce ce crime mais estime que l’URSS demeure un État socialiste. Il critique l’enthousiasme de ceux qui soutiennent les conseils ouvriers en Hongrie, notamment Socialisme ou Barbarie. Il rejette également l’idée selon laquelle la bureaucratie est une classe qui exploite le prolétariat. Pour Claude Lefort, Sartre demeure incapable de comprendre la nature spontanée et créative du soulèvement prolétarien. Toutefois Sartre projette d’œuvrer à la déstalinisation du PCF. Cependant, il demeure attaché à la stratégie de Front populaire

 

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                                                   Daniel Guérin

 

Le renouvellement de la pensée de gauche

 

En 1956, après des écrits polémiques, Sartre se consacre à la réflexion théorique. Il s’attache à élaborer un marxisme fondé sur la liberté et l’autonomie de l’individu. Pourtant, il refuse de se prononcer pour ou contre le stalinisme. Mais il rejette le déterminisme historique pour insister sur l’action humaine, à l’intérieur des limites contraignantes des conditions matérielles. L’action individuelle peut impulser un mouvement de masse. L’argument du PCF selon lequel il est nécessaire de rallier les masses avant d’agir débouche souvent sur l’inaction. 

Sartre dialogue avec Henri Lefebvre qui se rapproche ensuite des situationnistes, eux-mêmes influencés par Socialisme ou Barbarie. Il débat également avec Lucien Goldmann qui s’intéresse aux écrits du jeune Lukacs. Mais Daniel Guérin demeure le penseur marxiste qui intéresse le plus Sartre. Guérin collabore régulièrement auxTemps modernes et semble proche de la pensée libertaire. Dans La lutte de classes sous la Première république, il analyse la Révolution française. Pour lui, il s’agit d’une révolution bourgeoise dans laquelle émerge un embryon de révolution prolétarienne. Les « bras nus » s’apparentent à des salariés qui s’organisent sur la base de structures fondées sur la démocratie directe. Daniel Guérin s’oppose à l’historiographie républicaine, qui insiste sur l’union de toutes les classes, et dénonce le jacobinisme comme une force conservatrice. Pourtant Sartre estime que les analyses de Guérin renvoient trop souvent au déterminisme économique pour éluder la politique. Sartre sombre dans l’excès inverse. Il refuse l’analyse en termes de classes sociales pour réduire l’histoire à des actions individuelles. Les deux penseurs s’opposent surtout sur la question stratégique du Front populaire. Daniel Guérin participe activement aux luttes sociales, notamment en 1936, et s’attache à la révolte spontanée du prolétariat plutôt qu’à l’unité des classes sociales dans un gouvernement.

Mais Sartre se réfère surtout à Isaac Deutcher, biographe de Trotsky. Il insiste sur l’interaction entre l’individu et les structures sociales. 

 

La guerre pour l’indépendance algérienne, de 1954 à 1962, demeure un engagement important de Sartre. Dès 1953, Les Temps modernes, sous la plume de Daniel Guérin, dénoncent la situation des peuples colonisés en Afrique du Nord. Pour Sartre ce sont les Algériens eux-mêmes qui doivent décider de leur avenir. Mais le PCF refuse de dénoncer ouvertement le colonialisme et seuls des petits groupes trotskystes et libertaires s’engagent dans cette lutte. Mais deux organisations algériennes indépendantistes s’opposent: le MNA et le FLN. Sartre se range du côté de l’organisation la plus puissante, le FLN. Il s’agit de la même démarche qui l’a conduit à soutenir le PCF stalinien. 

Mais Sartre signe le Manifeste des 121 qui soutien les actions illégales pour soutenir la lutte contre la colonisation. Surtout, la guerre d’Algérie permet une recomposition de la gauche antistalinienne qui apparaît comme une force unie. 

La déception face à la gauche française conduit Sartre à se tourner vers Frantz Fanon et, de manière plus douteuse, vers Castro ou Togliatti. Il s’attache à une gauche internationale indépendante de l’URSS. 

En mai 68, Sartre soutien les jeunes révolutionnaires. Avec cette révolte, la gauche antistalinienne voit ses idées triompher contre les bureaucrates du PCF. Sartre évolue sur son analyse de l’URSS. L’étatisation de la société se distingue du socialisme. Il semble proche des jeunes libertaires qui se réfèrent à Socialisme ou Barbarie mais se rapproche des maoïstes sans partager leur enthousiasme pour le régime chinois. Il reproche aux trotskystes d’employer des moyens légaux, notamment les élections. A la fin de sa vie Sartre semble se référer au socialisme libertaire, selon l’expression de son vieux camarade Daniel Guérin. Il combat toujours l’autorité et les hiérarchies pour se ranger du côté des opprimés.

 

L’ouvrage de Ian H. Birchall permet de replacer l’engagement de Sartre dans son contexte politique et intellectuel. Surtout, il fait revivre les débats qui traversent la gauche antistalinienne. Si l’analyse de la nature de l’URSS conserve un intérêt historique, les divergences sur le rôle des partis demeurent actuelles. Pourtant, les notions d’ « extrême gauche » ou de « gauche antistalinienne » regroupent des courants politiques opposés. Le courant trotskyste et le RDR, se réfèrent au bolchevisme et insistent sur la nécessité d’un parti d’avant-garde. Sartre semble plus proche de cette mouvance qui oscille entre réformisme et pensée radicale. En revanche, un courant plus libertaire insiste sur la spontanéité révolutionnaire et sur la nécessité d’une organisation du prolétariat par lui-même. Socialisme ou Barbarie et Daniel Guérin illustrent ce courant qui élabore les analyses les plus pertinentes. Mais ses deux courants participent parfois aux mêmes luttes, dans les usines ou contre le colonialisme, et maintiennent un dialogue qui permet d’affiner la pensée de chacun. Sartre, loin d’être un stalinien sectaire, maintien le dialogue avec des courants qu’il pourrait ignorer compte tenu de sa notoriété et de leur poids politique qu’il pourrait juger relatif. 

Même si ses analyses politiques et stratégiques ne se révèlent pas toujours lucides, Sartre s’attache à relier la théorie et la pratique. « L’insistance sur le fait que nous sommes libres d’agir, et que le monde peut être transformé, est le thème le plus radical de la pensée sartrienne », conclue Ian H. Birchall. L’attachement à la subjectivité radicale et à la liberté ouvre des perspectives libertaires et révolutionnaires.

 

Source: Ian H. Birchall, Sartre et l’extrême gauche française. Cinquante ans de relations tumultueuses, La Fabrique, 2011

 

 

Autres articles :

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Daniel Guérin et le mouvement de 1936

Castoriadis, un penseur révolutionnaire

La révolution des surréalistes

 

Pour aller plus loin :

François Duvert, "Séminaire Marx au XXIème sièce sur Sartre - recension de Sartre et l'extrême gauche française, de Ian Birchall", site de la revue Contretemps, 19 octobre 2011

Pierre Hodel, Entretien vidéo avec Ian Birchall sur Sartre, site de la revueContretemps, 7 mars 2012

Michel Kail, Sartre un "socialiste révolutionnaire"La Revue des Livres n°3, janvier-février 2012

Frédéric Thomas critique ce livre sur le site de la revue Dissidences

Annabelle Hautecontre, recension de "Sartre et l'extrême gauche française",lelitteraire.com, 2 décembre 2011

joel.jegouzo.comSartre et l'extrême gauche en France, 12 octobre 2011

Michel Contat, "Sartre et l'extrême gauche française. Cinquante ans de relations tumultueuses", de Ian H. Birchall : cohérence sartrienne, Le Monde des livres, 24 novembre 2011

Le bilan de l’œuvre politique de Sartre, extrait du livre de Ian H.Birchall sur le site de La Revue des livres  

Entretien radio avec Ian Birchall sur France Culture 

Rédigé par zones-subversives

Publié dans #Marxisme anti-bureaucratique

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