Résistances et luttes sociales en France

Publié le 11 Mars 2021

Résistances et luttes sociales en France
De nombreux mouvements sociaux secouent l'actualité en France. Une capacité de résistance au néolibéralisme s'exprime dans la rue. Mais il semble important de tirer des bilans de ce cycle de lutte pour analyser ses forces et ses faiblesses.

 

En France, de nombreuses luttes s’opposent aux attaques du capital contre le monde du travail. Pourtant, depuis les années 1980, s’impose un capitalisme néolibéral. En France, c’est le Parti socialiste qui a mené ces politiques. L’économiste Rémy Herrera présente son regard sur l’actualité des luttes en France. Une compilation de ses chroniques compose le livre En lutte ! Les résistances populaires en France de 1981 à nos jours.

Austérité budgétaire, rigueur monétaire, dérégulation  des marchés financiers et défiscalisation des entreprises sont menées par la gauche au pouvoir depuis 1981. Cette politique provoque un chômage de masse et un creusement des inégalités sociales. La gauche permet la mise en œuvre de cette politique néolibérale à travers une forte intervention de l’Etat. Le blocage des salaires ne provoque pas la colère des syndicats qui restent inféodés aux partis de gauche. Le gouvernement de « gauche plurielle », de 1997 à 2002, multiplie les privatisations.

 

    En lutte !, Les résistances populaires en france de 1981 à nos jours

 

Mouvements sociaux face au pouvoir de droite

 

Les grandes grèves de 1995 s’opposent au Plan Juppé. L’allongement de la durée de cotisation des retraites s’accompagne d’une réforme de la Sécurité sociale. Les syndicats déclenchent une journée d’action interprofessionnelle le 15 novembre avec d’importantes manifestations. Le 24 novembre, une grève est lancée à la SNCF. Plusieurs secteurs de la fonction publique rejoignent ce mouvement de grève, comme la RATP, EDF-GDF ou les PTT. Des assemblées inter-sectorielles se construisent à la base pour tenter d’élargir le mouvement. Néanmoins, les salariés du secteur privé restent peu mobilisés. Même si l’économie tourne au ralenti. La grève se prolonge jusqu’au 15 décembre, avec d’importantes manifestations. Si le Plan Juppé est retiré, la réforme de la Sécurité sociale est imposée par ordonnances en janvier 1996.

En octobre-novembre 2005, une révolte éclate après la mort de deux adolescents poursuivis par la police. La gauche se garde bien de soutenir les « émeutes de banlieues ». Les partis d’opposition se contentent de dénoncer la répression et se focalisent sur la personne de Nicolas Sarkozy, alors Ministre de l’Intérieur. Certains commentateurs insistent sur la supposée dimension identitaire, raciale ou religieuse, de ce mouvement. Mais la jeunesse exprime avant tout une révolte sociale contre un monde de misère et d’exploitation. « Il s’agit d’une rébellion de jeunes du petit peuple urbain, appauvris, précarisés, marginalisés », observe Rémy Herrera. Cette jeunesse s’oppose également à l’appareil d’Etat, avec sa répression policière et judiciaire. Ces institutions visent à faire accepter l’ordre social. « La répression qui frappe ces jeunes est une violence de classe dirigée contre les plus pauvres, ce sous-prolétariat des cités, toutes origines confondues », souligne Rémy Herrera.

La gauche semble ignorer l’importance des luttes de quartiers et de l’immigration. Des habitants s’organisent au quotidien pour améliorer leurs conditions de vie. « Même si ces mobilisations peinent à s’organiser, à se structurer, à s’unir, fragilisées par les offensives de récupération, d’instrumentalisation, de détournement de leurs extraordinaires énergies », précise Rémy Herrera. Dès les années 1970, des ouvriers immigrés défendent leurs intérêts sur leur lieu de travail ou de résidence. Des grèves de loyers se lancent dans les foyers Sonacotra. En 1982, l’Association Gutenberg incarne la lutte de Nanterre contre les violences policières. Mais cette dynamique des années 1980 subit la récupération à travers SOS Racisme. Dans les années 1990 surgissent des luttes aux Mureaux et dans d’autres cités. Le collectif Résistance des banlieues aide les habitants dans leurs rapports avec la police, la justice et les offices HLM. Cette période reste marquée par la lutte contre la double peine. En 1995 est créé le Mouvement immigration banlieues (MIB).

 

La mobilisation contre le « CPE » se déroule en avril 2006. Le gouvernement propose un nouveau contrat précaire avec une période d’essai à l’issue de laquelle le patron peut se débarrasser de son employé. La jeunesse scolarisée lance des assemblées générales, bloque des universités et des lycées, mais aussi des routes et des aéroports. Plusieurs millions de manifestants défilent dans la rue, y compris dans des petites villes. Le gouvernement abandonne le Contrat première embauche mais parvient à imposer la « Loi sur l’égalité des chances » qui permet malgré tout des contrats précaires. Les syndicats abandonnent la mobilisation même si des universités restent encore bloquées.

Depuis avril 2008 se lancent des grèves de travailleurs sans papiers. Le bâtiment, le nettoyage, l’hôtellerie et la restauration sont les secteurs les plus touchés. Ce mouvement parvient à paralyser une partie de l’économie et devient fortement soutenu par la population. « Les grévistes sans papiers requièrent notre soutien résolu et notre mobilisation massive contre non seulement l’exploitation capitaliste, mais aussi la surexploitation et la répression policière dont sont aujourd’hui victimes les migrants clandestins », souligne Rémy Herrera. Pourtant, cette grève de sans papiers ne déclenche aucun mouvement de solidarité inter-professionnelle.

 

 

2019-01-05_blocage gilets jaunes dans la sarthe nvo

 

Renouveau des luttes face au régime Macron

 

D’autres mouvements sociaux ont éclaté. En 2010 s’engage une lutte contre la réforme des retraites. Le mouvement contre la Loi Travail éclate en 2016 face à un pouvoir de gauche. Depuis 2017, le président Macron incarne le capitalisme néolibéral rejeté par la majorité de la population. En 2018, des grèves sont lancées à la SNCF et à EDF. Des entreprises habituellement moins mobilisées, comme Carrefour ou McDonald’s, s’engagent également dans des grèves. « Sous l’agression néolibérale, le malaise social est si profond qu’il touche des professions que l’on a, de mémoire d’observateurs, jamais vu manifester », indique Rémy Herrera.

Ces mouvements sociaux subissent la répression. L’état d’urgence est remplacé par une loi anti-terroriste, en novembre 2017, avec de nouvelles mesures sécuritaires. « Mais c’est surtout la multiplication des luttes des travailleurs, en maints secteurs de la société, qui explique, suivant une réaction politiquement ordonnée, l’extension des opérations policières et militaires », observe Rémy Herrera. Cette banalisation des violences d’Etat débouche vers « l’affaire Benalla ». Le 1er mai 2018, un homme agresse des individus venus à un rassemblement. Pourtant, malgré son équipement, il n’est pas policier. C’est Alexandre Benalla, un proche du président Macron.

 

La mobilisation des gilets jaunes apparaît comme une nouvelle étape de la lutte des classes en France. Une protestation, relayée par des pétitions en ligne et les réseaux sociaux, dénonce une nouvelle taxe qui augmente le prix de l’essence. « Mais c’est l’ensemble des colères qui remonte à cette occasion. Le point commun de ces contestations, fusant tous azimuts, était d’exprimer un mal-être de la population, un ras-le-bol généralisé, un refus des inégalités sociales causées par l’application du projet néolibéral », analyse Rémy Herrera. Le 17 novembre 2018, de multiples rassemblements surgissent. Des petites villes connaissent même leur première mobilisation sociale. Ces manifestations sont rarement déclarées en préfecture.

Des employés, des ouvriers, des artisans, des retraités, des aides-soignantes révèlent la diversité sociale de ce mouvement. Plusieurs milliers de gilets jaunes déferlent sur les Champs-Élysées. La bourgeoisie prend peur. « On n’avait jamais vu ça. Ce jour-là, le peuple eut autant peur de la police que de sa propre force – toute en potentialité. Et irrésistible, il le sait au fond de lui », souligne Rémy Herrera. Des blocages se multiplient dans les raffineries, les gares et les aéroports. Pourtant, les syndicats ne cessent de dénoncer cette révolte spontanée qui échappe à leur contrôle. Même si quelques grèves éclatent, notamment dans les raffineries.

Le mouvement des gilets jaunes perdure malgré la répression. Le 5 février s’annonce une date de grève. Malgré la faible mobilisation syndicale, la manifestation n’est pas ridicule. Pourtant, les bureaucrates de la CGT appellent à une nouvelle journée d’action plus d'un mois après : le 19 mars. Ce qui ne permet pas de construire un véritable mouvement de grève. « Il faudra hâter le pas, redoubler d’énergie, convaincre toujours plus de camarades de rentrer dans la bataille, pousser la logique de la grève à son terme », proclame Rémy Herrera.

 Depuis 2019 se développe une lutte dans les hôpitaux. Un collectif Inter-Urgences et les syndicats protestent contre la dégradation des conditions de travail et de soin. Même si la grève reste difficile à mettre en application dans le secteur de la santé. En mars 2020, la pandémie de covid-19 et le confinement provoquent des résistances. Droit de retrait, débrayages et dépôt de plaintes se multiplient dans les entreprises.

 

130.000 manifestants contre la réforme des retraites, selon la CGT, la mobilisation en

 

Lutte des classes en France

 

Rémy Herrera propose une compilation de chroniques sur l’actualité. Il livre ses réflexions et son point de vue sur des événements récents. La forme et le style de ses écrits restent percutants. Les analyses de l’économiste privilégient le ton militant plutôt que le jargon universitaire. Le livre devient alors facile et agréable à lire. Mais il ne faut pas craindre la subjectivité et les opinions tranchées.

Sur le fond, ces chroniques permettent de retracer un bilan des luttes sociales récentes. Rémy Herrera reste attaché à une analyse de classe. Contrairement à beaucoup d’universitaires, il ne cède pas à la mode postmoderne. Pour lui, les luttes opposent les salariés aux patrons à travers une confrontation de classe. Cette lecture marxiste se révèle précieuse pour comprendre les évolutions sociales et politiques. Même si Rémy Herrera privilégie les grands mouvements inter-professionnels qui font l’actualité. Il ne se penche pas sur les luttes locales dans les entreprises qui, bien que plus limitées dans leurs perspectives, permettent de comprendre les mutations du monde du travail avec sa précarisation et sa fragmentation.

 

Toutefois, Rémy Herrera ne cesse de manifester une nostalgie pour la vieille gauche, incarnée par les heures de gloires du Parti communiste français. Il reprend quelques lieux communs de ce courant idéologique. Mais Rémy Herrera peut également soutenir les nouvelles formes de luttes et les révoltes spontanées qui échappent à l’encadrement bureaucratique des partis et des syndicats. Il mentionne les nouvelles formes d’organisation qui émergent en dehors des syndicats, comme les assemblées ou le collectif Inter-Urgences. Il évoque longuement la révolte de 2005 dans les quartiers populaires. Il soutient le mouvement des gilets jaunes dès le début, contrairement à une bonne partie de la gauche.

Néanmoins, d’autres points de vue semblent plus datés. Il exprime un anti-impérialisme de guerre froide. Tous les ennemis de l’Amérique doivent être défendus. La Fédération mondiale des syndicats, soutenue par une partie de la CGT, incarne bien ce point de vue archaïque pour se ranger aux côtés des dictatures de Cuba, de Syrie ou de Corée du Nord. L’internationalisme doit au contraire soutenir et relier toutes les luttes du prolétariat à travers le monde, notamment contre leur propre Etat.

Rémy Herrera manifeste également un attachement à l’Etat-nation comme rempart illusoire face à l’Europe. Il semble se ranger derrière un nationalisme de gauche et oublie alors la lutte des classes. La critique de l’exploitation capitaliste passe après la dénonciation de la finance, de l’Europe et du néolibéralisme. Macron est même décrit comme un « pantin de la finance » et non pas comme un membre de la classe dirigeante française. Ses décisions ne sont pas guidées par « la finance », mais par la bourgeoisie que ce soit le patronat ou la bourgeoisie d’Etat. L’analyse de classe est gommée par des caricatures simplistes. Ce qui semble problématique à l’ère du complotisme et du réformisme.

 

Rémy Herrera semble également attaché aux partis et aux syndicats. Il regrette l’absence d’un leader à gauche et les orientations de la CGT jugées trop timorées. Cette approche se conforme au bon vieux dogme marxiste-léniniste. Une avant-garde éclairée doit guider les masses. Pourtant, les mouvements sociaux qui font peur à la bourgeoisie semblent se déclencher de manière spontanée. Ce ne sont pas les militants qui parviennent à rallier le bon peuple derrière eux. Ce sont les prolétaires qui décident en masse de se révolter. Et qui peuvent parfois se saisir d’appels lancés par des militants.

Sa lecture des gilets jaunes révèle cette ambivalence. Rémy Herrera s’enthousiasme pour cette révolte populaire et montre comment la spontanéité reste son moteur. Pourtant, il regrette l’absence d’un parti capable d’encadrer et de diriger ce mouvement, notamment vers les élections. Rémy Herrera exprime également son hostilité à l’égard des cortèges de tête et de la casse pendant les manifestations. Il ne semble pas comprendre cette forme de révolte de personnes qui ne veulent plus se contenter de défiler comme des moutons derrière les camions de la CGT.

Plus généralement, Rémy Herrera n’évoque pas l’importance de l’autonomie des luttes et de l’auto-organisation. Pour lui, la structuration du mouvement ne peut passer que par les partis et les syndicats. Il semble ignorer l’expérience des soviets et des pratiques d’auto-organisation depuis la base. Sa critique de la CGT révèle cette limite. Rémy Herrera propose une critique idéologique d’un syndicat qui a abandonné le stalinisme pour le réformisme. Mais il ne critique jamais la bureaucratie, les permanents, l’encadrement qui ont dévitalisé les syndicats. Même dans leurs fameuses « bases » fantasmées par les stalino-trotskistes.

Les gilets jaunes montrent bien que la lutte des classes échappe désormais à la vieille gauche. C’est tant mieux. Mais Rémy Herrera a raison lorsqu’il estime que ces luttes doivent ouvrir des perspectives de grève et de rupture avec le capitalisme. Mais ce sont les débats et réflexions au sein même des luttes qui doivent ouvrir ces pistes révolutionnaires.

 

Source : Rémy Herrera, En lutte ! Les résistances populaires en France de 1981 à nos jours, Éditions Critiques, 2020

 

Articles liés :

Une analyse du mouvement de 2016

La rupture des gilets jaunes 

Syndicalisme et bureaucratisation des luttes

Les luttes de quartiers face à la répression

L'impasse du nationalisme de gauche  

 

Pour aller plus loin :

Vidéo : Le socialisme pour échapper à la crise actuelle du Capitalisme. Intervention de Laurent Brun et Rémy Herrera, débat mis en ligne sur le site initiative communiste le 9 novembre 2020

Vidéo : Le « socialisme » mitterrandien ou l’invention du néolibéralisme d’État (1981-1986), conférence mise en ligne en septembre 2020

Articles de presse en français, publiés sur le site de Rémy Herrera 

Articles de Rémy Herrera publiés dans le portail Cairn 

Articles de Rémy Herrera publiés dans le portail Persée 

Articles de Rémy Herrera publiés sur le site Le Grand Soir   

Articles de Rémy Herrera publiés sur le site Faire vivre le PCF ! 

Rémy Herrera, Sur l'importance de décrédibiliser le capitalisme et s'unir pour mieux le combattre, publié sur le site du Parti communiste Québec (PCQ) le 18 novembre 2020

Évelyne Ternant, Quelques impressions sur le débat «quelle rupture avec le capitalisme» avec Laurent Brun et Rémy Herrera ?, publié sur le site En Avant Le Manifeste le 8 novembre 2020 

Publié dans #Actualité et luttes

Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article