Sexualités féminines dans les séries
Publié le 14 Janvier 2017
Les séries télévisées permettent d’aborder les problèmes de la vie quotidienne. La sexualité et le plaisir féminin devient un sujet davantage évoqué. Les séries diffusent de nouvelles représentations et une diversité de pratiques sexuelles.
Les séries ne sont plus considérées uniquement comme un divertissement. Des recherches se développent pour analyser la réflexion critique qui existe dans ce genre longtemps dévalorisé. Mais il existe encore des formes de hiérarchies culturelles. Les séries HBO, comme The Wire, Les Sopranos ou Breaking Bad, se situent au sommet de la hiérarchie culturelle. Ces séries se centrent sur un univers masculin. Elles proposent une vision noire et violente d’un monde immergé dans des valeurs « viriles ».
En revanche, les séries plus féminines, comme Scandal ou The Good wife, sont considérées comme grand public et commerciales. Elles sont diffusées sur des networks mais se révèlent particulièrement innovantes. Elles se penchent sur des catégories sociales dominées et transgressent les normes morales, bien qu’elles s’adressent à un public mainstream sur des chaînes publicitaires.
Les représentations du plaisir féminin et des différentes pratiques sexuelles tranchent avec le conformisme de la culture française. La petite bourgeoisie intellectuelle, qui impose les programmations télévisées, conserve un mépris de classe et de genre pour la fameuse « ménagère de moins de 50 ans ».
Iris Brey se penche sur la sexualité féminine dans les séries américaines dans le livre Sex and the series. Des productrices, des scénaristes et des showrunneuses prennent au sérieux le point de vue des femmes sur leur vie et leur sexualité.
En 2004 est diffusée la série Desperate Housewifes sur un groupe de femmes. Les séries Girls, Master of Sex, Orange is the New Black ou Scandal sont ensuite diffusées. Ces séries proposent de nouvelles représentations de la sexualité féminine, loin du puritanisme et des clichés traditionnels. « La sexualité féminine et le plaisir féminin, d’habitude passés sous silence dans les médias, trouvaient enfin leur place sur le petit écran, comme sujet passionnant et complexe élaboré au fil des saisons », observe Iris Brey. De nouvelles séries dessinent un renversement culturel. Elles permettent de penser la sexualité, les rapports de pouvoir et les représentations du plaisir. L’intimité est abordée et les héroïnes de télé adoptent des vies sexuelles nouvelles.
Iris Brey centre son étude sur les séries américaines, pour s’inscrire dans un contexte culturel précis. Les Etats-Unis apparaissent comme un pays particulièrement puritain qui représente peu la nudité. Les règles de censure télévisuelle sont également plus complexes qu’en France. Les séries peuvent adopter une fonction éducative dans la société. Le plaisir féminin, qui n’est jamais évoqué dans le cadre de l’école ou de la famille, peut se trouver dans les séries.
« Les séries qui parlent et qui montrent le plaisir féminin sont en train de radicalement changer le rapport que les femmes ont à leur corps et à leur sexualité », constate Iris Brey. Entre la culture porno et le puritanisme du cinéma, se dessine une autre manière de représenter la sexualité. « Entre ces deux extrêmes, les séries nous proposent une vision subversive de la sexualité féminine et articulent un discours libérateur », souligne Iris Brey.
La parole sur le sexe se développe. Les séries, même quand elles montrent la sexualité des femmes, refusent d’en parler explicitement. Le mot « fuck » reste longtemps banni. L’orgasme, l’anatomie du clitoris ou la localisation du point G deviennent désormais des sujets de conversation dans certaines séries. La sexualité des femmes est restée longtemps inexistante dans les médias. Elle se résume souvent à une scène où la femme, en position de missionnaire, attend passivement que son partenaire jouisse.
Désormais la sexualité s’accompagne de mots pour la décrire. « Les séries se sont emparées de la sexualité et inventent une nouvelle langue, écrite ou visuelle, pour mettre enfin des mots sur l’un des plus grands mystères de la modernité », présente Iris Brey. Le clitoris reste peu représenté. Le mot demeure imprononçable. Aux Etats-Unis, la FCC (Commission fédérale des communications) impose une véritable censure. Elle a même décrété que le terme « vagin » est indécent. Même si le « pénis » reste facilement prononcé. La terme clitoris est ouvertement censuré. Il devient alors un mot politique.
En revanche, les chaînes câblées peuvent mettre des mots sur la sexualité féminine. La série Master of Sex montre même deux scientifiques connus pour avoir bousculé les connaissances en matière de sexualité. Un vocabulaire considéré comme médical permet de mettre des mots sur l’anatomie féminine. Le jargon médical permet de présenter le clitoris comme l’organe central du plaisir féminin. Dans Orange is the New Black, les filles observent leurs propres corps avec un miroir. La sexualité féminine passe par l’apprentissage des femmes sur leur propre corps.
Dans les années 1990, des séries évoquent la sexualité des adolescents. Dans Dawson, la sexualité est souvent présente. Pourtant, la série se révèle réactionnaire. Les filles vierges sont biens, les autres sont considérées comme dangereuses. Une femme qui couche pour son plaisir apparaît comme un personnage négatif, à qui des malheurs vont arriver. Cette série participe à une culpabilisation du plaisir féminin.
Dans le cinéma, la jouissance féminine provient d’une simple pénétration vaginale. Le coït hétéro est présenté comme le summum du plaisir sexuel. Les séries montrent au contraire une diversité de pratiques sexuelles et sensuelles pour favoriser la jouissance. « Les séries proposent bien d’autres pratiques qui suscitent du plaisir, du baiser au toucher, de la masturbation au cunnilingus, et elles osent presque tout montrer, jusqu’à l’orgasme féminin sans partenaire masculin », décrit Iris Brey.
Les séries peuvent montrer les préliminaires. Buffy contre les vampires montre une jeune fille très féminine qui présente des caractéristiques viriles et sait se battre. Cette série montre l’érotisme des baisers et des morsures de vampires. Dans un épisode de la série Friends (S04E11), un homme demande à ses colocataires les secrets du plaisir féminin. Ses amies lui présentent alors les sept zones érogènes. Mais ces parties du corps ne sont jamais montrées ni même nommée. La série semble donc davantage entretenir le mystère qui favoriser la connaissance du public.
La masturbation reste réprimée par la religion et l’ordre moral. Mais les séries télévisées contribuent à banaliser la masturbation, y compris féminine, pour en faire un acte de la vie courante. Dans Weeds, la masturbation devient un besoin vital pour Nancy. Dans Sex and the City, Charlotte ne peut plus se passer de son vibromasseur. Dans Girls, les jeunes femmes abordent la sexualité de manière naturelle, sans la moindre culpabilité. « Le sexe devient un terrain d’expression, et le jugement de valeur est absent de toutes ces interactions sexuelles », observe Iris Brey.
Le cunnilingus devient une pratique sexuelle qui se banalise. La langue des hommes est alors au service du plaisir féminin. Dans le premier épisode de Sex and the City, Carrie tente d’avoir une approche masculine et utilise un homme pour son propre plaisir. Elle le quitte après un cunnilingus. Mais la série repose sur le stéréotype selon lequel les hommes veulent juste du plaisir tandis que les femmes recherchent l’attachement. La série repose sur cet essentialisme qui vise à relier la plaisir sexuel à un acte amoureux et à des sentiments.
Au contraire, des séries montrent l’orgasme féminin sans la moindre sentiment amoureux. Dans Master of Sex, le coït avec une stimulation clitoridienne permet à Virginia d’atteindre deux orgasmes. « Ici, avec le bon partenaire ou le bon sex toy, la stimulation du clitoris se conclue par un orgasme, et cela n’est pas forcément lié à un état psychologique favorable », souligne Iris Brey. Virginia explique qu’elle n’a pas besoin d’être attachée à un homme pour jouir. D’autres séries comme Desperate Housewifes ou Sex and the City, permettent la représentation du plaisir des femmes.
Les séries montrent également une diversité sexuelle. Des pratiques comme le BDSM apparaissent dans Desperate Housewifes, sans sombrer dans le cliché d’une sexualité violente et brutale. Ensuite, les sexualités queer apparaissent à l’écran. La bisexualité n’est plus considérée comme une catégorie. C’est plutôt une zone de flou qui échappe aux grandes catégories homo ou hétéro. Les personnages n’ont pas toujours des orientations sexuelles rigides et définitives.
Les sexualités lesbiennes apparaissent, notamment avec Orange is the New Black qui se situe dans une prison de femmes. Cette série montre également une butch, une lesbienne qui assume les codes de la masculinité. Des personnages transgenres apparaissent également dans les séries. Les séries permettent de bousculer les clichés et les représentations dominantes. « Elles fabriquent un discours culturel qui devient politique, car il propose aux téléspectateurs une vision tournée vers des sexualités multiples qui s’épanouissent en dehors d’une conception binaire et phallocentrée de la sexualité des femmes », observe Iris Brey.
Les séries permettent de sortir des schémas essentialistes. Les femmes peuvent s’épanouir dans diverses pratiques sexuelles. Elles ne rentrent pas dans les cases traditionnelles de la maman ou la putain. Même les normes esthétiques sont bousculées. Ces séries permettent de diffuser un nouvel imaginaire, avec un impact important sur les différents publics à travers le monde. « Un impact sur les vies privées, sur la vision de la sexualité, sur la manière de parler de sexe et même d’écrire et de réaliser des séries selon le cadre culturel de chaque pays », précise Iris Brey. Elle insiste sur l’influence des séries sur la vie quotidienne et la sexualité.
Le livre d’Iris Brey propose un regard original sur les séries. Selon l’approche des études culturelles, elle prend les séries populaires comme un objet de réflexion qui permet de penser la société. Iris Brey évoque notamment des séries féminines souvent dénigrées dans les milieux intellectuels. Ces feuilletons ne sont pas directement associés à une critique sociale et politique qui remet en cause l’ordre marchand. Ce sont au contraire des purs produits de divertissements qui ne portent aucun discours politique. C’est pourtant dans ces séries grand public que sont abordés le plus directement les problèmes du quotidien, loin des grandes questions morales à la Breaking Bad. Les sujets abordés peuvent donc avoir davantage d’influence et le public peut plus facilement s’identifier aux personnages et à leurs situations.
Iris Brey montre une évolution positive dans la création de ces séries. Le bon vieux puritanisme américain vole en éclats. La morale poussiéreuse apparaît comme ce qu’elle est : ringarde et réactionnaire. Le plaisir féminin n’est plus un sujet tabou. Une diversité de pratiques sexuelle voit le jour sur les écrans. Les vieux schémas avec des femmes essentialisées et des pratiques sexuelles banales sont progressivement remis en question. Mais Iris Brey évoque également les contradictions et les limites qui existent encore dans de nombreuses séries. Les normes sociales restent souvent présentes. Elles sont égratignées sans être attaquées.
Iris Brey propose une lecture positive des séries. Elle montre comment la diversité sexuelle se diffuse progressivement. Les femmes ne sont plus des objets sexuels mais des sujets de plaisir. Iris Brey conclue presque sur le constat d’une nouvelle révolution sexuelle à travers les séries. Cet optimisme semble un peu exagéré. Il suffit de voir une série française pour comprendre que le conformisme et les clichés restent bien présent. Les séries américaines n’influencent pas encore les scénaristes en France.
Ensuite, Iris Brey semble avoir tendance à surestimer le potentiel subversif des séries. L’évolution de la sexualité et de la vie quotidienne ne passe pas uniquement par les imaginaires culturels. Les mouvements féministes passent aussi par la lutte sociale. La contestation culturelle doit trouver un ancrage dans la révolte politique. Les séries sont un point appui intéressant mais ne suffisent pas à transformer les relations humaines.
En revanche, les luttes sociales peuvent s’appuyer sur les séries américaines pour renouveler leur discours politique. Des situations évoquées dans les séries permettent d’ouvrir davantage le débat que de se perdre dans les théories queer et le jargon du post-modernisme. Les luttes féministes s’attaquent aux problèmes de la vie quotidienne. Elles ne doivent pas se perdre dans l’élitisme universitaire.
Les séries télévisées deviennent un support politique plus intéressants que les livres de Judith Butler. Surtout, elles évoquent le plaisir féminin et dessinent des perspectives nouvelles. Même si la révolution sexuelle n’est pas une simple addition de changements individuels. C’est un mouvement de contestation globale qui remet en cause les rapports sociaux de genre et les relations humaines. C’est une révolte qui doit déboucher vers une société qui permet le plaisir et la jouissance de tous les individus.
Source : Iris Brey, Sex and the séries. Sexualités féminines, une révolution, Soap éditions - Libellus, 2016
Extrait publié sur le site Les mots sont importants
Les mouvements de révolution sexuelle
True Blood : vampires et sexualités
Les femmes et la littérature érotique
Études culturelles et critique sociale
Vidéo : Iris Brey, Sexualité féminine et série TV : une révolution ?, publié sur le site du festival Séries Mania
Vidéo : Iris Brey : « la majorité des séries reste dans des stéréotypes sur la sexualité féminine », publiée sur le site du magazine 50/50 le 14 novembre 2016
Vidéo : Seriz podcast, Sex and the series : interview d'Iris BREY, mise en ligne le 15 avril 2016
Vidéo : Du sexe à la TV, une analyse avec Iris Brey, émission C à vous du 8 juin 2016
Vidéo : Rebecca Manzoni, Des femmes et du sexe dans la télé, émission Pop & co diffusée sur France Inter le 15 avril 2015
Radio : Sonia Devillers, Clitoris et sexualité : les femmes dans les séries, émission Instant M diffusée sur France Inter le 21 avril 2016
Radio : Iris Brey & Gérard Wajcman - 2ème sexe en séries, émission Ping Pong diffusée sur France Culture le 30 mai 2016
Radio : Pierre Langlais, Sérierama #67 : “Sex and the series”, la sexualité féminine dans les séries avec Iris Brey, émission publiée sur le site de Télérama le 6 mai 2016
Radio : Quelle représentation pour la sexualité, et notamment la sexualité féminine dans les séries télé ?, publié sur le webzine Le cabinet de curiosité féminine le 2 juin 2016
Radio : Ennemi Public et Sex and the series La loi des séries #68, émission mise en ligne sur le site de Radio VL le 4 mai 2016
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Pauline Le Gall, Sex and the series”: Comment le sexe au féminin s’est épanoui dans les séries, publié sur le webzine Cheek le 12 mai 2016
Clélia Cohen, Séries / La fin du sacro-sein, publié sur le site du journal Libération le 29 avril 2016
Anaïs Orieul, Sex and the Series : la sexualité féminine révolutionne-t-elle la télévision ?, publié sur le site du magazine Terra Femina le 11 mai 2016
Annabelle Gasquez, Interview : Iris Brey, la révolution féministe des séries est en marche, publié sur le webzine Deuxième Page le 10 novembre 2016
Delphine Rivet, Sex and The Series : la représentation des sexualités féminines vue par Iris Brey, publié sur le site Biiinge
Sexualités féminines, une révolution télévisuelle, publié sur le site Tout pour les femmes le 29 juin 2016
Melissa, Série, genre féminin : les conférences de Séries Mania 2015 font le point, publié sur le webzine Madmoizelle le 4 mai 2015
Rebecca Amsellem et Alix Heuer, Ce que personne ne vous a jamais dit sur l'orgasme féminin, publié sur le site du Huffington Post le 19 mai 2016
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