True Blood : vampires et sexualités
Publié le 25 Juillet 2015
True Blood reprend les codes de la série fantastique pour ados, mais pour mieux les détourner. La société normée et puritaine se heurte à une débauche de plaisirs sexuels.
La série fantastique True Blood évoque la « sortie du cercueil » des vampires qui révèlent leur existence à la communauté humaine. Entre désir d’intégration et sentiment de différence, les vampires demeurent divisés. La série se situe à Bon Temps, une bourgade moralisatrice du Sud profond. Mais cette petite ville abrite de nombreuses créatures surnaturelles qui luttent pour le pouvoir entre elles.
Frédéric Bisson propose une analyse politique de cette série populaire dans le livre True Blood. Politique de la différence. Les monstres s’apparentent à des minorités raciales et sexuelles. « True Blood est une allégorie fantastique de la société démocratique en Amérique, de ses conflits et de ses stratégies internes », observe Frédéric Bisson. Si la série entend reprendre tout l’univers stéréotypé de la littérature pour ados sur les vampires, le scénariste Alan Ball introduit une forte dimension socio-politique.
Le trouble identitaire concerne les créatures monstrueuses mais affecte également toute la structure sociale. Le bestiaire de True Blood reproduit la diversité des perversions sexuelles définies par les psychiatres depuis la fin du XIXe siècle. Chaque espèce correspond à des pratiques et des désirs typiques. « Mais les catégories normatives de True Blood sont en réalité faites pour être érotisées », analyse Frédéric Bisson. Le vampire incarne la figure queer qui ressemble à un humain sans être réellement humain. Les vampires, stigmatisés et persécutés, apparaissent surtout comme désirables. Ils offrent des plaisirs nouveaux et réinventent la sexualité par la morsure. Leur sang devient également une drogue aphrodisiaque.
True Blood démystifie le vampire. Ces créatures fantastiques se sont fondus dans la masse anonyme. Ce ne sont plus des aristocrates qui se nourrissent des villageois. « Les vampires n’y sont plus seulement des marginaux, outsiders et parasites de la société capitaliste, ils entrent dans la vie démocratique », constate Frédéric Bisson. Ils n'apparaissent plus comme des prédateurs sanguinaires mais comme un groupe social en quête de citoyenneté. Les intégristes chrétiens défendent les valeurs de la famille traditionnelle pour dénoncer les vampires et diffuser des peurs. Mais la haine se répand aussi dans l’ensemble de la société. Le corps social exprime une réaction contre toute avancée de liberté. Les vampires s’apparentent aux minorités des noirs et des homosexuels qui subissent les préjugés racistes de la bonne société américaine.
L’intégration des vampires dans la société évoque l’évolution des mouvements homosexuels. Le militantisme libertaire des années 1970 dérive vers l’assimilation. L’égalité des droits remplace la liberté. Le « droit à la différence » est remplacé de manière abstraite par les « droits civils ». « On ne défend plus l’altérité, avec ces pratiques propres et son mode de vie, mais on revendique au contraire pour les minorités les mêmes droits que pour les hétéros : le droit à servir la nation, à se constituer en couple et à être reconnus comme tels, à se marier, à adopter des enfants, à procréer par assistance médicale », analyse Frédéric Bisson.
Le personnage de Nan Flanagan défend cette vision libérale et intégrationniste sur les plateaux de télévision. Son tailleur blanc et son collier de perles lui permettent d’incarner le visage humain et policé du vampire. Mais la série contribue également à criminaliser la politique de la différence. Russel Edington, vampire homosexuel à la libido débridée, incarne aussi un personnage dominateur qui veut terroriser les humains. Il veut démasquer le discours hypocrite de l’égalité des droits pour affirmer sa différence. Il attaque la mascarade de la citoyenneté.
Dans la saison 2, le personnage de Maryann semble attaquer l’ordre moral et la répression des énergies pulsionnelles. Mais elle contribue surtout à orienter et à discipliner les désirs. Les corps deviennent assujettis et dociles. Le désir qu’elle suscite hypnotise et massifie la population. Le désir devient un instrument de contrôle. « Comme celle de Maryann, la ruse du capitalisme consiste précisément à faire passer la dépense du travail pour un désir, à faire accepter comme une liberté qu’il accorde au prolétariat les flux discontinus d’énergie vitale qui lui servent de force productive », analyse Frédéric Bisson.
True Blood introduit une diversité de pratiques sexuelles. L’anthropologue Gayle Rubin (lien) critique la hiérarchie sexuelle qui valorise la sexualité « normale ». Le plaisir accepté s’inscrit dans un cadre précis : hétéro, marié, monogame, procréatrice, non commerciale, en couple et en privé, stable, entre individus de la même génération, sans pornographie, etc. La série, au contraire, montre une variété de pratiques sexuelles qui vont à l‘encontre de la morale bourgeoise. « True Blood fait voler en éclat l’unicité artificielle du "sexe" au profit d’une multitude de plaisirs et d’usages du corps », souligne Frédéric Bisson.
Le personnage de Jason incarne la normalité sexuelle. Il comble sa misère affective par la sexualité. « Le corps sculptural de Jason est une sculpture sociale, c’est un corps façonné par l’économie libidinale du capitalisme : travailleur, sportif, baiseur », analyse Frédéric Bisson. Il incarne le sexe performance. Son apparente liberté sexuelle reflète en réalité l’aliénation marchande.
Au contraire, le personnage de Sookie se révèle libre sans en avoir l’air. « Sa virginité, sous son apparence de conservatisme moral, va paradoxalement devenir l’attracteur d’unions libres qui échappent à la normativité », observe Frédéric Bisson. La masturbation de Sookie apparaît comme une initiation qualitative au plaisir sexuel. Elle se distingue de la sexualité mécanique.
Sookie est attirée par les vampires. Elle refuse l’assignation à sa communauté et à l’ordre social. « Sookie sait bien que l’union mixte est plus excitante que les relations prévues dans l’ordre de sa race », indique Frédéric Bisson. Elle veut découvrir et expérimenter différents plaisirs : masturbation, pénétrations, morsures. True Blood tranche avec le discours puritain de la romance amoureuse incarnée par Twilight. Le modèle de la famille et du petit couple bourgeois volent en éclats. La sexualité vampire reprend même les codes homo SM. Le bar du Fangtasia renvoie à un décor de catacombe SM. La sexualité des vampires semble extrême en elle-même, avec un érotisme de la morsure.
True Blood attaque la norme familiales. La série montre surtout des familles décomposées et déséquilibrées. La normalité apparaît comme un leurre. Les personnages ont été abandonnés ou maltraités par leurs parents. Avec le vampirisme de True Blood, les relations amoureuses et filiales se construisent en dehors du cadre familial. L’effondrement du modèle familial permet de libérer pour les femmes de nouvelles possibilités de plaisir.
True Blood accorde également une importance au plaisir féminin. « C’est peut-être le message le plus important du vampirisme : la sexualité avec les vampires, non procréatrice, dé-biologisée, se trouve réinvestie par le plaisir féminin », analyse Frédéric Bisson. Sookie, par son ingénuité, fait vaciller la puissance virile. Elle ne cesse de se dérober au désir de ses amants. Elle semble attirée par des « vrais mâles », des hommes très hétéronormés. Mais elle excite également le désir homosexuel des mâles entre eux.
La série propose également toute une galerie de personnages qui révèlent déférentes formes de féminités possibles. « Ces femmes puissantes, ménades, sorcières, nécromanciennes, stratèges représentent en effet l’empowerment sexuel des femmes ». Elles ne sont pas des petites choses fragiles mais des sujets qui affirment leur pouvoir et leur désir. La bouche et la morsure du vampire contribuent à libérer le corps et le plaisir des organes sexuels. Des parties non sexuelles deviennent érotisées : cou, poignet, pli du coude.
La série peut correspondre à une lecture issue de la théorie queer qui valorise les minorités sexuelles, les gays et les lesbiennes. Frédéric Bisson semble pencher pour cette approche très universitaire. Mais True Blood montre surtout des créatures bisexuelles loin d’être chastes et monogames. La série semble attaquer les normes et contraintes sociales pour valoriser une libération sexuelle.
Cette série tranche avec la télévision insipide et morale qui repose sur un puritanisme poussiéreux. Les scénaristes introduisent une forte dose de transgression dans une série populaire et bien rythmée. Les interprétations universitaires permettent de montrer la richesse de l'univers de True Blood. Mais les explications sophistiquées de Frédéric Bisson peuvent parfois sombrer dans le bavardage philosophique. Mais il montre bien la réflexion qui peut s'ouvrir à partir d'un divertissement de qualité. La série attaque les normes du travail et de la famille pour valoriser le plaisir sexuel sous toutes ces formes.
Source : Frédéric Bisson, True Blood. Politique de la différence, Presses Universitaires de France, 2015
True Blood : Sexe, sang et devenir minoritaire - les vampires ont-ils des droits ?, publié sur le site Freakosophy le 7 juillet 2010
Christophe Dasse, True Blood : Analyse de la série par Pierre Serisier, publié sur le site Unification le 5 janvier 2010
True Blood saison 1, HBO, publié sur le site A voir et à manger
Rubrique True Blood sur le site Le Monde des séries