Plaisir féminin et clitoris
Publié le 30 Avril 2016
Le plaisir féminin n’est jamais abordé. C’est un sujet éminemment politique qui peut déboucher vers la remise en cause du patriarcat et de l’ordre social. Le clitoris, organe entièrement dédié au plaisir et non à la reproduction, reste méconnu. Une véritable « excision culturelle » perdure. C’est pourquoi Maïa Mazaurette et Damien Mascret proposent une nouvelle édition de La revanche du clitoris. Une première version a été publiée en 2008. Depuis, la sexualité et la culture porno deviennent accessibles sur Internet et les réseaux sociaux. Mais la désinformation prédomine.
Surtout, l’égalité des sexes n’a pas progressé. Dans ce sens, évoquer le plaisir féminin favorise davantage l’égalité. La sexualité reflète les inégalités sociales qui se jouent dans d’autres sphères. « La revanche du clitoris sur des millénaires d’obscurantisme, c’est celle des femmes qui affirment, assument, partagent aujourd’hui leurs goûts et envies en dépit du double standard qui continue de leur être proposé (sainte ou salope) », soulignent Maïa Mazaurette et Damien Mascret.
L’orgasme féminin reste invisible ou maltraité, y compris dans les films porno. La stimulation clitoridienne, manuelle ou orale, semble occultée. Certaines femmes s’interdisent de le faire ou n’osent pas le demander à leur partenaire. Dans la sexualité, la pénétration prime sur les caresses du clitoris. C’est ce qui peut expliquer les difficultés orgasmiques de bien des femmes. Lorsque le clitoris est stimulé, par elle ou par leur partenaire, l’orgasme est plus présent. Les femmes attachent davantage d’importance à l’orgasme que les hommes car il multiplie leur satisfaction sexuelle.
De nouvelles normes sexuelles se développent. L’épilation intégrale du sexe devient la nouvelle injonction. Le tableau de Courbet, L’origine du monde, retrouve sa dimension provocatrice. La pression normative de l’épilation provient de certains garçons mais aussi des amies. Cette mode prétend incarner une sexualité lisse, propre et hygiéniste contre une dimension plus charnelle.
Les vulves deviennent également stéréotypées dans les médias. La diversité est banni pour imposer un modèle unique supposé parfait mais peu conforme à la réalité. Surtout cet idéal de beauté propose des petites lèvres et un capuchon clitoridien quasiment invisibles. La chirurgie vulvaire se développe de manière inquiétante. Dans une étude, seul 45% de femmes trouvent leur sexe « beau et désirable ».
De nombreux freins perdurent dans l’épanouissement sexuel des femmes. Le clitoris peut être stimulé mais la masturbation reste reléguée au rang de préliminaires, notamment dans les films pornos. Une majorité de femmes préfère se masturber en se caressant le clitoris plutôt qu’avec un godemiché vaginal.
Les applications de rencontres se multiplient. Tinder ne promet plus l’amour mais de trouver un ou une partenaire pour le soir même. Mais c’est surtout le temps de la relation qui permet de varier les pratiques sexuelles. L’autostimulation est davantage utilisé en plus de la pénétration. Les films et les séries continuent de montrer une sexualité qui se limite à de la pénétration pure.
Malgré ces évolutions récentes, le clitoris reste méconnu. Des résistances existent en raison du puritanisme qui rejette le plaisir féminin. « L’organe ne sert ni à la reproduction, ni au plaisir des hommes, hors ce sont justement sous ses deux uniques conditions que la sexualité féminine a été convenable », observent Maïa Mazaurette et Damien Mascret.
Le clitoris et la masturbation féminine sont peu présents dans les magazines féminins, la littérature, le cinéma et même la pornographie. Le clitoris demeure pourtant l’organe du plaisir féminin. « Mais dans notre imaginaire, notre culture, nos représentations artistiques, la relation sexuelle est une pénétration. Or le clitoris ne se pénètre pas », déplorent Maïa Mazaurette et Damien Mascret.
Le religion valorise la sexualité pour la reproduction, et non pour le plaisir. Mais c’est surtout Freud et la psychanalyse qui valorisent un hypothétique orgasme vaginal contre l’excitation clitoridienne. Freud décrète que la normalité de la femme adulte passe par le vagin. Le clitoris est alors méprisé et même associé à une autre forme de frigidité. Curieusement, les femmes psychanalystes suivent Freud dans son délire. L’excision n’est pas uniquement culturelle, mais débouche vers une mutilation physique. Un tiers des femmes d’Afrique subissent une mutilation sexuelle.
Ce sont les mouvements féministes des années 1968 qui permettent d’insister sur l’importance du clitoris. La libération de la parole des femmes permet l’émergence du clitoris. Les enquêtes de Kinsey se penchent également sur le plaisir féminin. A travers la masturbation, les femmes atteignent rapidement l’orgasme, au bout de 3 ou 4 minutes. En revanche, elles réagissent plus lentement que les hommes au coït. La pénétration procure du plaisir, mais ne doit pas devenir le centre de la sexualité et son unique conception possible.
C’est toute une civilisation qui participe à la répression sexuelle et à la négation du clitoris. L’éducation sexuelle destinée aux jeunes évoque en détail l’anatomie, mais interdit toute allusion au plaisir et au vécu. La discussion a lieu dans toute une classe, plutôt qu’en petit groupe. Il devient impossible de poser la moindre question pertinente. Les manuels n’évoquent pas le clitoris et restent très allusifs sur le plaisir féminin. On apprend aux jeunes à se reproduire, mais pas à prendre du plaisir. « Le sexe « scolaire » est considéré comme productif et non comme récréatif : pas question, dans ces conditions, d’aborder l’étude du clitoris », observent Maïa Mazaurette et Damien Mascret.
Masturbation et sensualité
La pornographie influence les jeunes. Ce n’est pourtant que du cinéma, qui recherche davantage l’esthétique plutôt que le réalisme. Mais le X parvient à imposer ses codes et ses normes. « Ces représentations ont pour effet d’imposer un modèle de ce que « doit » être une rencontre sexuelle là où devraient régner l’imagination, la fantaisie et le respect des désirs (et des limites !) de chacun », soulignent Maïa Mazaurette et Damien Mascret. La pornographie se centre sur la pénétration, quels que soient les orifices. Ces films s’adressent surtout à un public masculin et ne prennent pas en compte le plaisir féminin. Internet propose du bas de gamme et le porno féministe reste très confidentiel.
L’orgasme simultané devient une nouvelle injonction. Les films hollywoodiens s’attachent à cette synchronisation des montres. Mais la recherche de l’orgasme simultané impose davantage de concentration sur la technique que sur l’échange. Il existe pourtant un moyen pour atteindre l’orgasme simultané qui n’est jamais évoqué : la masturbation féminine. Cette pratique est jugée honteuse par les femmes elles-mêmes. Surtout, peu de femmes se masturbent elles-mêmes lors du rapport sexuel. La sexualité des femmes doit être passive pour être conforme aux normes morales. Ensuite, l’homme considère que seul son pénis peut donner du plaisir à la femme.
Les enquêtes révèlent que les femmes n’osent pas déclarer qu’elles se masturbent. C’est pourtant le meilleur moyen de connaître son corps et d’atteindre l’orgasme. La masturbation féminine est réprouvée par la religion. Elle reste associée à la solitude et à l’incapacité à séduire un partenaire. Le rapport Hite décrit la masturbation féminine et insiste sur son importance. Les femmes doivent connaître leur corps et se procurer du plaisir par elles-mêmes, même au cours d’un rapport sexuel. « La règle cardinale est de faire vous-même le maximum pour que l’orgasme se produise, sans attendre que ça vous arrive tout cuit, sans attendre non plus que votre partenaire tombe par hasard sur le point sensible », conseille Shere Hite.
Maïa Mazaurette et Damien Mascret proposent un livre original et accessible. Ce texte peut permettre de lever les tabous de la sexualité. Alors que l’injonction à la performance devient oppressante, la sexualité doit renouer avec le plaisir et la sensualité. Maïa Mazaurette et Damien Mascret insistent évidemment le clitoris comme organe du plaisir. Mais une place est également laissée à l’imaginaire, aux fantasmes, aux désirs. La sexualité n’est pas réduite à une mécanique physique.
Ce livre permet de rendre plus populaire et accessible le clitoris et l’importance du plaisir féminin. En revanche, plusieurs aspects restent occultés. Il manque évidemment une analyse de classe. Les enquêtes sur la sexualité délaissent pudiquement cette question. L’accès à l’information ou le stress au travail et dans le quotidien peuvent avoir des incidences sur le plaisir sexuel.
Surtout, Maïa Mazaurette et Damien Mascret insistent sur la dimension individuelle du plaisir. C’est à chaque femme de se masturber, de connaître son corps et d’atteindre l’orgasme. Le conseil est évidemment précieux. Mais il ne semble pas à la hauteur des enjeux. Après le constat d’une véritable « excision culturelle », le livre semble se conclure sur un optimisme béat et sur un féminisme d’Etat. Internet, la culture et même le Ministère de l’Education vont régler le problème selon nos auteurs bien naïfs.
Maïa Mazaurette et Damien Mascret se contentent, dans leur proposition la plus audacieuse, d’une « révolution des fantasmes ». Les cultures populaires peuvent diffuser un nouvel imaginaire qui ne réduit pas la sexualité à la pénétration. Le clitoris doit être davantage valorisé. Il faut sortir le plaisir sexuel de la vulgarité. Les femmes peuvent assumer leur attirance pour la masturbation et pour les corps masculins. Elles doivent assumer pleinement leurs désirs. Mais si, pour cela, les représentations doivent changer, c’est aussi à la réalité qu’il faut s’attaquer.
La révolution sociale et sexuelle reste indispensable. C’est à l’ensemble de l’édifice de la société patriarcale qu’il faut s’attaquer. Pour redécouvrir le plaisir féminin, il faut détruire l’ensemble des institutions qui le réprime. L’école, la famille, la religion et l’ordre moral doivent être éradiqués. Surtout, le patriarcat et la répression des désirs favorisent la soumission à l’ordre social. Les femmes qui répriment leurs désirs sexuels ne vont pas exprimer leurs aspirations sociales et politiques. Le clitoris et le plaisir féminin permettent donc bien d’attaquer l’ordre capitaliste. Seule une nouvelle société peut permettre une véritable libération sensuelle et sexuelle. Une société qui ne repose pas sur les contraintes et la soumission, mais sur le plaisir et la jouissance.
Source : Maïa Mazaurette et Damien Mascret, La revanche du clitoris, La Musardine, 2016 (1ère édition en 2008)
Vidéo : Le clitoris ce cher inconnu
Vidéo : Pardon, mais c'est trop bon... (Documentaire de 2006 sur l'orgasme féminin)
Vidéo : La revanche du clitoris – Maïa Mazaurette,Damien Mascret, publié sur le site Cachemire et soie
Vidéo : Interview exclusive de Maïa Mazaurette, la sexperte de Gleeden.com
Vidéo : L'orgasme féminin et le fameux point G, publié sur le site France Culture Plus le 3 août 2016
Radio : Le clitoris, ça te dit quelque chose ?, émission mise en ligne sur le site Radiorageuses
Radio : émissions avec Maïa Mazaurette diffusées sur France Inter
Blog Sexactu
Articles de Maïa Mazaurette publiés sur le site Madmoizelle
Articles de Maïa Mazaurette publiés dans Le Monde
La chronique de Maïa Mazaurette : « L’infidélité, une manière de se réinventer ? », publié sur le site Gleeden
Caroline Michel, Maïa Mazaurette : "On peut s'épanouir autrement que dans un couple !", publié sur le site Le journal des femmes
Emma, Check ta chatte, repris sur le site Révolution Permanente le 12 juillet 2016
Note de lecture publiée sur le site Livres à profusion le 23 février 2016
Note de lecture publiée sur le site de Casscrouton
Histoires de la sexologie, Le sexe a-t-il une science ?, publié sur le site de la revue Incendo le 12 octobre 2016