Sur le mouvement en cours : édito n°23
Publié le 26 Mars 2016
Une colère spontanée éclate face à la Loi Travail. Ce texte, qui soumet encore plus les exploités face au patron, incarne une politique au service du capital. Cette loi résonne dans nos vies quotidiennes colonisées par l'exploitation, la précarité et l'aliénation marchande. Des mouvements spontanés sur les réseaux sociaux mais aussi dans la rue ont impulsé le début d’un mouvement. La lutte commence par se construire à la base, sans tenir compte de l’agenda syndical. Les appareils bureaucratiques doivent se contenter de suivre et ne sont plus à l’initiative. Leurs services d'ordre doivent collaborer avec la police pour tenter de reprendre le contrôle du mouvement.
L’analogie avec le CPE se banalise. Le mouvement semble impulsé par la jeunesse. Le 9 mars, beaucoup de salariés précaires ont déposé un jour de grève pour battre le pavé et organiser des assemblées de base. Le 17 mars, ce sont les lycées et les universités qui impulsent la dynamique. La lutte contre la Loi Travail reprend les forces mais surtout les limites des mouvements étudiants. A Paris, une jeunesse radicalisée par les luttes lycéennes donne le ton. A l’image du MILI, un mouvement activiste entend sortir de la routine syndicaliste. A Montpellier, en l’absence de luttes dans la jeunesse, le discours reste pleurnichard. Dans la bouche de syndicalistes étudiants, les éternelles revendications ont un goût de cadavre. Même les pseudos "syndicalistes révolutionnaires" veulent déclencher une grève générale uniquement pour se faire exploiter pendant 32 heures par semaines.
Les revendications de la gauche du capital deviennent moins réalistes que les scénarios de science-fiction. Le retour au plein emploi et le CDI pour tous comme horizon suprême ne parle qu'aux cadres de la fonction publique. La série Trepalium ou le film Snowpiercer montrent bien mieux l'évolution du capitalisme : une société dans laquelle les sans emploi deviennent la classe majoritaire.
Les révolutionnaires s'opposent toujours aux réformistes car ils refusent d'aménager leur condition d'esclave. Désormais, le réformisme devient impossible. L'extrême gauche, au pouvoir en Grèce, ne peut que mener des plans d'austérité. Les Etats font le choix de s'endetter pour sauver un capitalisme à bout de souffle. Seules des mesures d'austérité sur le dos des prolétaires permettent de renflouer les caisses et sauver la machine. La social-démocratie a disparu. "Le monde ou rien" devient la seule alternative crédible. Une version rajeunie de l'éculé "Socialisme ou barbarie".
Les interminables AG étudiantes singent la démocratie parlementaire. Les syndicats étudiants tentent de canaliser la révolte et, au mieux, de recruter avant les élections. Les facs sont devenues le principal terrain de jeu de groupes gauchistes déconnectés des réalités sociales. Les appellistes et autres insurrectionnalistes pensent trouver chez les étudiants de quoi alimenter un discours qui tourne à vide. Les post-négristes considèrent comme le summum de la radicalité le fait d'occuper un amphi pour écouter du djembe sous un tag sans imagination. En revanche, il semble indispensable de se relier aux luttes des salariés mais aussi à la colère des chômeurs et précaires. Se replier dans les facs pour cultiver l’entre soi de la misère militante demeure une impasse. La lutte des classes ne se réduit pas à un concours de tags.
Une autre composante politique du mouvement, incarnée par les groupuscules gauchistes ou anarchistes, semble valoriser les assemblées générales et même les « conseils ». Mais, à l’image du sous-courant trotskyste Révolution permanente, c’est pour mieux refourguer la camelote réformiste. La « démocratie directe » et « l’autogestion » désignent désormais l’encadrement bureaucratique. Chaque action, chaque initiative, doit se soumettre à l'implacable règle du vote. Des procédures électorales doivent permettre d’étouffer toute forme de spontanéité et de créativité. Discussions creuses et interminables, parole confisquée par les militants, vote de proclamations réformistes et éternelle pédagogie avant-gardiste rythment des AG qui tournent à vide. Il est temps de donner des perspectives plus enthousiasmantes.
Les formes traditionnelles du militantisme doivent être dépassées. Les syndicalistes cheminots restent ancrés dans les luttes concrètes. Mais les luttes ouvrières peuvent également embrasser de nouvelles formes d'organisation. Les militants anticapitalistes regroupent davantage de jeunes précaires. Mais c'est l'idéologie de la petite bourgeoisie intellectuelle qui devient leur cadre. La lutte armée anarchiste semble plus virulente. Mais elle reproduit l'isolement des avant-gardes. La radicalisation de la jeunesse prend différentes formes. Mais il reste à trouver un sens politique au sentiment de colère.
Des intellectuels peuvent permettre de comprendre le monde pour mieux le combattre. La revue du Baffler analyse le capitalisme contemporain. Réseaux sociaux et néolibéralisme accompagnent l'idéologie conservatrice. Guy Hocquenghem reste une figure du mouvement homosexuel. Il dénonce le conformisme et propose de libérer les désirs. Le marxiste noir CLR James insiste sur l'importance de l'auto-organisation. Il se penche également sur les cultures populaires pour dessiner un nouvel imaginaire de contestation.
Les études culturelles dissertent sur la pop culture sur un ton très sérieux. Mais elles peuvent permettre de s'approprier un discours critique à travers des objets du quotidien. Les cinémas libertaires attaquent tous les conformismes et valorisent la transgression sociale. Même un blockbuster comme Star Wars peut permettre de nourrir un imaginaire critique. Les mouvements sociaux peuvent aussi s'appuyer sur les cultures populaires pour inventer un nouveau langage. Ils doivent désormais sortir des vieux carcans gauchistes encourager la spontanéité et la créativité.
Sommaire n° 23 :
Les militants anticapitalistes
Un anarchiste dans la lutte armée
La radicalisation de la jeunesse
Le capitalisme et la société américaine
C.L.R. James, un marxiste noir
Guy Hocquenghem contre la normalité