Le grand dégoût : édito n°50

Publié le 3 Mars 2022

Le grand dégoût : édito n°50

La campagne électorale se réduit à un spectacle grotesque. La décrépitude de la civilisation spectaculaire marchande ne cesse de s'approfondir. Le vote se réduit à un casting pour jouer la gueule du méchant. Plus sérieusement, les élections n'ont jamais été autant l'affaire de la bourgeoisie. Il suffit de voir Pécresse et Macron se disputer les faveurs du bloc bourgeois. Cet agrégat semble suffire à faire basculer l'élection. La bourgeoisie et les cadres supérieurs composent moins de 20% de la population. Mais séduire ces classes sociales suffit pour remporter la mise.

Les candidats fascistes doivent se contenter de se disputer la bourgeoisie du Sud-est et la petite-bourgeoisie boutiquière. En revanche, les employés, les ouvriers, les chômeurs, les précaires et du reste de la population n'intéressent pas les prétendants au trône. Ce qui montre bien que les élections restent un jeu truqué en faveur du bloc bourgeois.

L'extrême gauche incarne le rôle de la victime. La course aux parrainages et l'absence dans les médias leur permet de surjouer la pleurnicherie gauchiste. L'extrême-gauche garde également pour fonction de discréditer l'utopie révolutionnaire. Leurs programmes de gestion du capital font encore moins rêver que la social-démocratie des années 1970. Ils n'existent que pour amuser la galerie et faire croire à l'illusion d'un pluralisme. 

Pourtant, aucun débat d'idées ne s'exprime. Avec la multitude d'émissions, y compris sur Internet, des débats entre candidats pourraient s'organiser. Mais personne ne semble vouloir discuter politique ou confronter son programme. Ce qui en dit long sur la vacuité d'un spectacle réduit à des clash, des buzz et des petites phrases.

Plus sérieusement, la faillite de l'Etat providence et le chômage de masse ont laminé les perspectives réformistes. Le rêve d'un capitalisme à visage humain, régulé par l'Etat, n'est plus qu'un vestige du passé. Les revendications réformistes deviennent illusoires et semblent même perçues comme délibérément mensongères. N'en déplaise au discours keynésien de Mélenchon qui n'arrive à convaincre que le Medef de la crédibilité de ses propositions. 

 

Les médias agitent le spectre d'une "droitisation de la société". Arguer cette tarte à la crème fait plaisir à tout le monde. La bourgeoisie et les fascistes peuvent faire croire que la sécurité et l'immigration sont la priorité. La gauche peut justifier son délitement. Les intellectuels insistent sur l'hégémonie et la bataille culturelle.

Mais les mouvements sociaux contre les réformes des retraites ou les Gilets jaunes montrent ce qu'il en est. L'opposition aux politiques néolibérales reste largement majoritaire. Ce sont les élections qui droitisent le débat pour ne pas aborder les questions économiques et sociales. Les priorités restent les problèmes concrets comme le revenu ou le logement. Mais il semble également clair que la solution ne peut pas venir d'un gouvernement. 

L'abstentionnisme apparaît comme la seule expression politique rationnelle. La mascarade électorale et les pitreries de la classe politique ne suscitent plus que défiance et dégoût. Néanmoins cette désillusion débouche le plus souvent vers l'indifférence ou la résignation grognonne, plutôt que vers l'action collective et la révolte sociale.

Dans ce contexte de glaciation politique, la gauche tente d'exister dans la rue. Le secteur de l'éducation fait son grand retour. Ce bastion de la gauche rose pâle regroupe beaucoup de déçus du macronisme. Surtout, les catégories précaires de ce secteur sont rentrées dans la lutte, à l'image des AED et même des AESH. Les travailleurs sociaux, peu habitués à la grève, ont lancé des journées d'action largement suivies. De nombreux secteurs précaires et féminisés sont entrés en mouvement. Néanmoins, le contexte électoral semble peu propice à une généralisation de la révolte en France.

 

 

L'actualité internationale reste vampirisée par l'escalade guerrière en Ukraine. La situation reste particulièrement incertaine et difficile à anticiper. Mais les commentateurs en géopolitiques semblent se délecter d'un contexte qui rappelle le XXe siècle et le climat de la guerre froide. Le choc oppose deux vieilles puissances impérialistes. Moscou et Washington se font face dans un duel sans merci. Les analyses de la CIA deviennent à nouveau sérieuses. Larguées sur les enjeux du XXIe siècle comme les problèmes écologiques et sanitaires, le terrorisme, la cyber criminalité et surtout les soulèvements populaires, les agences de renseignements peuvent enfin revenir à leurs fondamentaux. 

Mais cet univers de films d'espionnage prend une tournure tragique. Poutine endosse parfaitement le rôle du méchant paranoïaque près à déclencher la troisième guerre mondiale pour un regard.  L'ancien agent du KGB préfère la brutalité du rapport de force au formalisme diplomatique. Il se plait également à faire revivre un imaginaire désuet, entre anti-impérialisme et antifascisme. Mais Poutine semble avoir bien cerné les enjeux du XXIe siècle. Il a consolidé son influence internationale à travers son soutien pour écraser les révoltes sociales. 

L'armée russe a pilonné la Syrie. Les révolutionnaires sont morts bien avant de recevoir des missiles sol-airs promis par le président Obama pour se défendre face à l'aviation russe. Poutine veille surtout à la stabilité politique des anciens pays du bloc de l'Est. La révolte en Biélorussie a été massacrée avec l'appui de l'armée russe dans l'indifférence générale. Le camp occidental préfère venir en aide à une population qui subit, comme en Ukraine, plutôt qu'à des exploités qui se révoltent contre la misère de leurs conditions d'existence. Poutine n'est jamais attaqué quand il veille sur la préservation de l'ordre capitaliste. 

 

La situation au Kazakhstan semble globalement ignorée. Cette région entre la Russie et la Chine semble riche en gaz naturels. C'est donc un enjeu central pour Poutine. Surtout, c'est une véritable révolte sociale qui éclate depuis janvier 2022. Le doublement du prix du gaz déclenche des grèves de masse et des manifestations. Le régime autoritaire est également remis en cause. Des magasins sont pillés et des bâtiments publics sont incendiés. Mais le mouvement se heurte à une répression violente du régime appuyée par l'armée russe. Dans l'indifférence des démocraties occidentales. Il faut rappeler que leur ami Gorbatchev a déjà massacré une révolte au Kazakhstan en 1986.

Le nouveau cycle de luttes à travers le monde ouvert en 2019 n'a pas disparu avec le confinement. L'extrême gauche fantasme sur le Chili, avec l'élection d'un Tsipras ouvertement social-traître. Le nouveau président refuse même de libérer les prisonniers enfermés après des manifestations. Mais il faut espérer que la contestation chilienne n'a pas été totalement anesthésiée. De nouvelles révoltes ont éclaté au Soudan pour s'opposer à un coup d'État militaire et contre-révolutionnaire. Le précédant mouvement à laissé des traces, des pratiques de lutte, des réflexes d'auto-défense et même des structures comme les Comités de résistance. Les révoltes laissent des traces, des pratiques de lutte et des réflexes d'auto-organisation. Sous la cendre de la répression couvent encore les braises pour allumer de nouvelles insurrections, pour en finir avec ce monde de guerres et de misère. 

 

Sommaire n°50 :
 

Guérilla en Europe

Résistances anti-franquistes

Lutte armée en Allemagne

 

Racisme et mouvements afro-amércains

Idéologie raciste et société américaine

Mouvement des droits civiques

Trajectoire musicale du blues
 

Science-fiction contre le capitalisme

Imaginaires de la science-fiction

Cyberpunk et sociétés marchandes

Posthumains et détectives dans les séries

Catastrophes dans les séries américaines

Zombies contre la société marchande

Le monde de Mad Max

Publié dans #Numéros complets

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