Résistances anti-franquistes
Publié le 17 Février 2022
La résistance anti-franquiste en Espagne reste méconnue. Les historiens du régime de Franco ne l’évoquent jamais. La propagande médiatique et la répression violente sous la dictature considèrent que cette opposition armée n’existe pas. Les résistants qui prennent le maquis sont considérés comme des délinquants et des bandits. Même les communistes n’intègrent pas cette résistance dans leur histoire officielle. Le PCE s’est plié à la politique de « réconciliation nationale » qui vise à effacer la période franquiste des mémoires. Surtout, les communistes veulent effacer les pratiques autoritaires de cette période trouble, comme la dénonciation ou l’exécution des dissidents et des rivaux.
Les universitaires espagnols ne se risquent pas à évoquer la résistance des maquis. Ce sont des historiens étrangers, comme l’allemand Hartmut Heine, qui ont défriché le sujet. Des histoires locales sont également rédigées par des enseignants du secondaire en marge de l’académie. La démocratie espagnole ne s’est pas ouverte avec une épuration des fascistes, comme en Italie ou en France. La démocratie s’est construite sur l’amnésie et l’impunité, confondues avec oubli et pardon. L’historien Secundino Serrano revient sur cette histoire méconnue dans le livre Maquis.
Formation des maquis
La guerre civile explique la formation des maquis avant tout pour des raisons de survie. Le pouvoir franquiste veut exterminer toutes les personnes qui ont participé à la révolution de 1936. Les militants de gauche sont particulièrement visés. Même des députés-maires sont exécutés. Des massacres et des bombardements imposent un climat de terreur sur l’ensemble de la population.
La fuite dans les montagnes apparaît comme la seule possibilité de survie. Mais les phalangistes et les forces de l’ordre traquent ces maquis. Des actions d’auto-défense ciblent des dirigeants du régime, des cadres de la Phalange et des délateurs. En 1936, les anarchistes privilégient les pratiques de guérilla plutôt que de s’enrôler dans une milice républicaine traditionnelle avec sa hiérarchie militaire. En 1939, les partis républicains s’effondrent. Les fugitifs et guérilleros se retrouvent seuls face au franquisme.
La dictature de Franco s’instaure officiellement en 1939. La traque des opposants et les massacres de masse s’atténuent. Mais la répression politique perdure. Une loi instaure l’épuration de la fonction publique. Les moyens de communication et les journalistes doivent se soumettre à la dictature. Une loi réprime les communistes et les francs-maçons, considérés comme responsables de tous les maux de l’Espagne selon Franco. Les Espagnols s’entassent dans les prisons. Les conditions de détention provoquent une forte mortalité.
Des contre-maquis se forment pour traquer les opposants. Ces milices se composent de militants phalangistes qui adoptent le même mode de vie que les maquisards. Cette confusion doit leur permettre de piéger les opposants au régime. Même si beaucoup de maquisards se connaissent dans les régions rurales. En 1944, la défaite du nazisme semble pouvoir ébranler le régime de Franco. La situation semble davantage apaisée.
Partis d’opposition
Des querelles politiciennes et divisions secouent le camp républicain à partir de 1939. « Les politiciens les plus retors s’imposent au sein des partis et au lieu de faire front contre Franco, les responsables espagnols n’offrent que sectarisme et désespoir aux centaines de milliers d’expatriés », observe Secundino Serrano.
Des Espagnols s’exilent en France, souvent entassés dans des camps. Ils participent à la résistance, notamment au sein des FTP-MOI. Après la victoire sur le fascisme en France et en Allemagne, les résistants espagnols décident de traverser les Pyrénées pour reconquérir leur pays et chasser le régime de Franco. Mais cette expédition échoue. Ces invasions pyrénéennes ne déclenchent aucune insurrection. La majorité de la population semble peu attirée par l’idée d’une nouvelle guerre civile.
Les dirigeants du PCE réunis à Toulouse décident de lancer un mouvement de guérilla, malgré leur isolement. « Victimes d’une information tendancieuse et d’un volontarisme impropre à des théoriciens se réclamant du marxisme, les dirigeants du Parti ne veulent pas admettre qu’à l’intérieur du pays aucune organisation politique ou civique n’est capable de préparer la jonction des hommes armés et du peuple », souligne Secundino Serrano. Ensuite, les républicains ont intériorisé la peur de la répression. Ce qui ne les pousse pas vers la lutte armée. Par ailleurs, la dictature a élargi sa base sociale.
Mais le volontarisme de la guérilla est censé permettre de sortir de la passivité. Les autres courants politiques estiment que l’opposition au franquisme doit s’appuyer sur le soutien des Etats démocratiques étrangers. « Républicains, libertaires et socialistes restent persuadés que les institutions transnationales sont la solution du problème espagnol », indique Secundino Serrano. Néanmoins, des dissidents socialistes et anarchistes rejoignent la lutte armée.
Organisation dans les maquis
Les conférences de Yalta et de Postdam redessinent la carte de l’Europe et des aires d’influence des grandes puissances. Staline ferme les yeux sur la dictature en Espagne pour mieux défendre sa zone d’influence en Pologne. « Les uns et les autres se mettent à jouer une partition qui, nous insistons sur ce fait, aura des effets secondaires importants : des millions d’Espagnols demeureront sous la domination omnipotente et arbitraire d’un tyran », déplore Secundino Serrano. Les Britanniques estiment même que Franco favorise la stabilité politique et ne s’oppose pas aux intérêts occidentaux.
En 1946 les maquisards lancent une vague de sabotage dans les Asturies : voies ferrées, lignes électriques télégraphiques, entreprises minières sont visées. Des enlèvements et des braquages ciblent les partisans du dictateur. Les maquis en Andalousie privilégient les enlèvements avec rançon. Le regroupement Levant-Aragon apparaît comme le plus important. Sabotages et attaques de voies ferrées, de dépôts de locomotives, d’arsenaux militaires, de postes de la garde civile, de centrales et de lignes électriques prolifèrent.
Les maquis s’appuient sur le soutien de la population des villages. Elle fournit des logements et une aide logistique indispensable, notamment dans les régions dans lesquelles le climat ne permet pas de vivre dans les montagnes toute l’année. La population des villages fournit également des agents de liaison. Les maquisards restent perçus comme des justiciers et des redresseurs de torts face à l’arbitraire des polices franquistes. « Le comportement despotique de bien des gardes et des membres des contre-maquis favorise l’engagement au côté de la guérilla, et les documents officiels, y compris de la garde civile, confirment que dans les villages les habitants craignent beaucoup plus les forces de l’ordre que les fugitifs », indique Secundino Serrano.
Victoire du franquisme
En 1947, le régime franquiste se présente comme une « démocratie organique » et non plus comme un Etat fasciste. Ce ravalement de façade suffit aux pays occidentaux pour soutenir la dictature. Dans le contexte de la guerre froide, c’est le combat contre le communisme qui prédomine. Dans le domaine, le régime franquiste va traquer de manière exemplaire les opposants politiques avec un Décret pour la répression du banditisme et du terrorisme. Entre 1947 et 1949 se déroulent les « années noires ». Des brigades vont écumer les montagnes pour traquer les maquisards. Les agents de liaisons sont également pourchassés. Des milliers de paysans sont raflés et massacrés durant cette période. Pour riposter, les maquis exécutent des délateurs.
En 1948 s’opère un changement dans la stratégie communiste. Le Bureau politique du PCE privilégie « l’entrisme » dans les institutions franquistes. Mais il continue à soutenir la lutte armée, néanmoins considérée comme secondaire. Les maquis doivent se transformer en « instructeurs politiques » de la paysannerie. « Ce changement tactique n’est pas le fruit d’une analyse rigoureuse de la situation espagnole ou d’un débat sur les priorités de l’opposition anti-franquiste mais bien d’une suggestion de Staline, il en résulte un pur galimatias théorique et pratique », précise Secundino Serrano. Mais les maquis ont déjà largement été frappés par la répression. Beaucoup ont été liquidés. Le reste des maquisards est abandonné par le PCE. Ils sont dénoncés, trahissent ou finissent par fuir dans d’autres pays.
La société espagnole devient plus urbaine. La stratégie de la guérilla repose sur les régions rurales. En 1951, des grèves éclatent. Le mouvement des tramways de Barcelone devient emblématique. Le PCE délaisse la guérilla pour favoriser une stratégie plus syndicale. Cependant, le régime de Franco semble définitivement s’imposer. Le dictateur a mis un terme aux deux plus grandes menaces : l’intervention des pays démocrates et la guérilla.
Guérilla urbaine
La guérilla rurale reste implantée dans les villages les plus reculés de la géographie espagnole. Ce qui laisse une grande liberté d’action. Le relief mais aussi l'éloignement des centres urbains permettent d’échapper au contrôle des forces de l’ordre. Cependant, cette guérilla semble peu connue en dehors de ces contrées lointaines. La censure et la répercussion modérée des actions du maquis rendent peu visible cette lutte. Mais le principal intérêt de la résistance consiste à faire savoir aux Espagnols qu’elle existe et qu’elle persiste. La guérilla urbaine permet un plus grand retentissement.
La guérilla à Madrid est rapidement écrasée. En revanche, Barcelone devient la capitale de la résistance anti-franquiste. Cette ville conserve une tradition de lutte et de révolte libertaire. Mais c’est aussi un carrefour pour la guérilla. Les maquisards qui veulent fuir en France passent par Barcelone. Inversement, les résistants exilés en France se rendent à Barcelone pour agir directement en Espagne. « Quelques uns parmi ces groupes tentent d’importer l’agitation insurrectionnelle en Catalogne, en particulier à Barcelone, ville emblématique du mouvement ouvrier et de l’avant-garde idéologique espagnole dans l’imaginaire anti-franquiste », souligne Secundino Serrano. Mais la réalité semble moins triomphaliste. Les petits groupes armés doivent constater qu’aucun soulèvement ne se déclenche à leur passage.
Les anarchistes de la CNT ne soutiennent pas les groupes libertaires de la lutte armée. La Confédération anarcho-syndicaliste garde ses distances avec une agitation qui peut faire obstacle à ses bonnes relations entretenues avec la fraction modérée de l’exil républicain. Ce qui contribue à marginaliser les résistants anarchistes perçus comme de vulgaires brigands. Francisco « Quico » Sabaté reste une figure emblématique de la résistance libertaire contre le franquisme. Les braquages se multiplient pour permettre la survie de la guérilla.
« Abandonnés par une CNT gérant les affaires administratives, ils ont besoin d’importantes sommes d’argent pour éditer revues et tracts, se procurer armes et munitions sans abandonner l’aide aux prisonniers et à toutes les victimes de représailles ni les actions de propagande et les sabotages », décrit Secundino Serrano. En 1949, les anarchistes lancent une campagne d’attentats et de sabotages. Des bombes explosent dans les ambassades de pays qui viennent de reconnaître le régime franquiste. Mais les arrestations et exécutions de guérilleros anarchistes se multiplient.
Isolement des maquis
L’effondrement de la guérilla s’explique par plusieurs raisons. L’abandon des puissances victorieuses de la Seconde guerre mondiale, la fragmentation des forces anti-franquistes, le manque de soutien populaire ne permettent pas à la guérilla de se développer. La résistance contre le franquisme ne peut pas s’appuyer sur le soutien de pays étrangers. « Les Occidentaux préfèrent voir un pays secondaire comme l’Espagne devenir un Etat totalitaire plutôt qu’une république progressiste où les communistes participeraient au gouvernement », indique Secundino Serrano.
Ensuite, aucune force politique ne se construit pour exprimer l’opposition au régime. Les socialistes restent ambivalents, entre alliance avec les communistes et collaboration avec les monarchistes. Les autres forces politiques se replient également sur leurs querelles internes. « Divisés, s’affrontant jusqu’à épuisement, républicains et libertaires ont montré plus d’intérêt à gérer leurs querelles qu’à se préoccuper du destin du peuple espagnol », observe Secundino Serrano. La résistance elle-même reproduit le sectarisme des partis. Les maquis socialistes refusent de s’unir aux communistes.
Ensuite, les maquis restent isolés les uns des autres, même lorsqu’ils restent tous dominés par les communistes. Les guérillas ne peuvent pas s’appuyer sur le soutien d’une population qui redoute une répression féroce du régime. Ensuite, les maquis restent implantés dans le monde rural. Mais les sabotages les plus efficaces doivent attaquer les agglomérations urbaines avec leurs centres de communication. « Les centres de décision ne se trouvaient déjà plus en milieu rural. L’absence de ces organisations au sein des cités a fait des maquis des groupes déconnectés du peuple », souligne Secundino Serrano.
Le PCE s’adresse davantage à l’opinion internationale plutôt qu’à la population espagnole. Ensuite, le triomphalisme de la propagande communiste n’incite pas à la mobilisation mais au spectacle d’une lutte héroïque. Cependant, les maquis apparaissent comme la seule véritable opposition au régime. C’est la crainte de cette contestation intérieure qui explique le refus de Franco de s’engager aux côtés d’Hitler.
Histoire et mémoire
Le livre de Secundino Serrano permet de faire revivre un moment méconnu de l’histoire de l’Espagne. Cet ouvrage dessine également en creux une histoire du régime franquiste. La dictature parvient à s’imposer malgré une résistance armée. Secundino Serrano soulève également les enjeux de mémoire encore très vifs aujourd’hui en Espagne. Les cadres franquistes qui ont torturé et commis des atrocités bénéficient d’une impunité de la part de l’Etat espagnol. La transition démocratique repose sur l’oubli et le consensus pour mieux effacer les atrocités du franquisme.
Secundino Serrano semble valoriser les maquis communistes. Malgré ses critiques de la direction du PCE, des querelles politiques et des méthodes staliniennes. Son cœur semble pencher du côté des communistes. Il semble même éluder la résistance anarchiste qui serait cantonnée à Barcelone. Certes, il critique à juste titre les positions frileuses et peu solidaires de la direction de la CNT. Mais il ne rend pas vraiment hommage aux nombreux militants anarchistes qui ont lutté contre le franquisme.
L’effondrement des maquis et la tolérance des démocraties occidentales expliquent l’enracinement du régime franquiste. Il semble également important de souligner que la population espagnole ne veut pas s’opposer frontalement au régime de peur de revivre les drames de la guerre civile de 1936. La résistance au franquisme se termine souvent par la mort et la torture. Les maquis ne sont pas parvenus à impulser une révolte de masse ni à mobiliser la population. Certes, une solidarité paysanne se manifeste. Une relative bienveillance s’exprime à l’égard des fugitifs. Mais les maquis ne parviennent pas à sortir de leur isolement politique.
Ensuite, Secundino Serrano souligne les limites de la guérilla en milieu rural. Les infrastructures et réseaux de communications à attaquer se situent davantage dans les grandes villes, comme Madrid ou Barcelone. Surtout, la guérilla reste fragmentée. Elle dépend des différents appareils politiques déconnectés de la réalité de la vie dans les maquis. Les partis tiennent à leur image respectable. Le PCE et le PSOE tiennent à leur respectabilité pour accéder au pouvoir après la dictature. La CNT s’attache à l’unité des forces républicaines et ne veut pas se fâcher avec les socialistes et les communistes considérés comme des alliés. Néanmoins, la résistance à la base et le courage des maquisards doivent être salués. Ce mouvement a permis d’exprimer une force d’opposition contre la barbarie de la dictature franquiste.
Source : Secundino Serrano, Maquis. Histoire des guérillas anti-franquistes, traduit par Pierre-Jean Bourgeat, Nouveau Monde, 2021
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Vidéo : Le Maquis en Catalogne (1939 - 1963), diffusée sur le site Retirada 37 le 9 mars 2021
Vidéo : Bande annonce du livre "Maquis" de Secundino Serrano, mise en ligne le 21 septembre 2021
Vidéo : Maquis. Histoire des guérillas anti-franquistes, diffusée le 12 septembre 2021
Freddy Gomez, L’envers et l’endroit d’une résistance, publié sur le site A Contretemps le 1er novembre 2021
Odette Martinez-Maler, Les guérillas antifranquistes (1939-1961). À propos d'une amnésie, publié dans la revue Mouvements no19 en 2002 Jorge Marco, (traduit de l’espagnol par)
Eva Touboul Tardieu, Une histoire sociale de la résistance au franquisme, publié dans Vingtième Siècle. Revue d'histoire N° 127 en 2015
Virginie Gautier N’Dah-Sékou, Mémoire et héritage de la résistance armée contre le franquisme (1944-1952) dans le « Levant » espagnol : de la commémoration à la patrimonialisation, publié sur le site de La Revue d'histoire de l'Université de Sherbrooke
Mercedes Yusta Rodrigo, Histoire et mémoire de la Guerre civile dans l'historiographie espagnole contemporaine, publié dans la revue Matériaux pour l'histoire de notre temps en 2003
Mercedes Yusta, L’historiographie de la Résistance antifranquiste espagnole en relation avec l’historiographie de la Résistance française, publié en 2010
Pascale Thibaudeau, L’invention de la guérilla antifranquiste par le cinéma espagnol des années 50 et 60, publié dans la revue Líneas n°8 en 2016
Francisco Martínez-López, Ce passé qui ne doit pas sombrer dans l’oubli : lettre ouverte au PC espagnol, publié sur le site de la revue Contretemps le 6 octobre 2016
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