Les zombies contre la société marchande

Publié le 27 Janvier 2022

Les zombies contre la société marchande
Les films de zombies restent associés aux nanars de série Z. Pourtant, la figure du zombie permet de questionner une société marchande qui court à sa perte dans une guerre de tous contre tous. Le futur post-apocalyptique des films de genre n'est qu'un reflet des travers de nos sociétés modernes. 

 

Les zombies sont devenus une figure culte dans le cinéma d’horreur. Mais, avant d’envahir les écrans, les morts-vivants fascinent les humains. Le mort qui revient à la vie hante les religions et les superstitions bien avant l’apparition des zombies au cinéma. La culture vaudou reste liée aux révoltes des esclaves à Haïti et aux Antilles. Des rites vaudous visent à faire revivre des personnes décédées. Les « morts qui marchent » deviennent très présents dans la culture antillaise.

L’anthropologue Wade Davis estime que le zombie n’est pas une victime innocente, mais une personne qui a transgressé des règles et se retrouve punie. Le zombie peut même être réduit en esclavage et perdre sa liberté individuelle. Le zombie apparaît alors comme un paria de la société. C’est cette image que cultive le cinéma d’horreur depuis George A. Romero. Erwan Bargain développe cette lecture dans son livre Zombies. Des visages, des figures… Dimension sociale et politique des morts-vivants au cinéma.

 

                                 Zombies : Des visages, des figures... Dimension sociale et politique des morts-vivants au cinéma

 

La nuit des morts-vivants

 

Avec La nuit des morts-vivants (1968) de George A. Romero, les zombies font une entrée fracassante sur grand écran. Destiné à un circuit restreint de salles, le film est diffusé un peu partout à travers les Etats-Unis. Surtout, les zombies sont menacés par la censure. « Outrés par la violence des images et le sentiment de malaise qui s’en dégage, les garants de l’ordre moral se manifestent et tentent de faire interdire le film », rappelle Erwan Bargain. Mais le scandale permet de promouvoir le film qui devient un véritable phénomène de société.

L’histoire de Night of the Living Dead évoque les films de science-fiction des années 1950. Après l’exposition à des radiations d’un satellite endommagé, les morts ressuscitent pour dévorer les vivants. Un petit groupe de rescapés se réfugie dans une maison pour tenir tête aux zombies et lutter pour sa survie. George A. Romero s’inspire du livre Je suis une légende, mais il apporte son regard original. « Et puis, j’avais en tête de faire une fable sur la révolution et les changements dans le monde, l’émergence d’une nouvelle société. Et dans notre cas, une nouvelle société dévorant l’ancienne. C’est à partir de cette allégorie que nous avons créé ces nouveaux zombies, sans même en être vraiment conscient », confie George A. Romero.

 

Le cinéaste bouleverse les règles et les codes du film fantastique pour le réinventer. L’horreur n’est plus confinée dans un décor gothique mais surgit dans la vie quotidienne. Une esthétique singulière instaure une atmosphère angoissante et oppressante. Des scènes sont tournées caméra à l’épaule dans un souci de réalisme. Cette esthétique documentaire permet d’évoquer l’actualité de la contestation des années 1968. La guerre du Viêt Nam, les luttes afro-américaines, l’émancipation de la jeunesse et la libération sexuelle secouent la société américaine.

« Dressant le portrait peu flatteur d’une société aux abois et repliée sur elle-même, Romero, à travers une galerie de protagonistes lâches et égocentriques, s’en prend à l’individualisme forcené qui caractérise nos civilisations et finit par engendrer la violence », analyse Erwan Bargain. Chaque personnage lutte pour sa propre survie sans prendre en compte l’intérêt commun. Les milices tueuses de zombies peuvent s’apparenter aux fascistes qui usent de la force pour affirmer leur pouvoir. Ces groupuscules sont composés de Rednecks qui incarnent l’esprit conservateur de l’Amérique rurale. La cellule familiale est également attaquée et n’apparaît plus comme un cocon protecteur. La jeunesse s’émancipe et se dresse contre l’autorité parentale.

 

           

 

Cinéma de Romero

 

Dans The Crazies (1973), l’eau d’une petite ville de Pennsylvanie est contaminée par une arme bactériologique mise au point par l’armée. Les habitants se transforment en déments aux pulsions meurtrières. Pour contenir l’épidémie, les autorités militaires mettent la ville en quarantaine et massacrent tous les civils récalcitrants.

George A. Romero poursuit son esthétique réaliste pour dénoncer la violence des militaires en période de crise sanitaire. « Une situation qui dégénère rapidement à cause des soldats et des milices qui sillonnent les routes et laissent libre court à leur soif de violence », décrit Erwan Bargain. Les militaires n’hésitent pas à tuer, ce qui révèle le mépris des autorités pour la population.

Mais George A. Romero n’idéalise pas les civils pour autant. Il dénonce également la prolifération des armes et la culture de la violence. Le réalisateur jette un regard ironique sur l’absurdité et la bêtise des comportements humains. « Car le regard que Romero porte sur l’espèce humaine est sombre et désespéré et ne laisse guère de place à l’optimisme », précise Erwan Bargain.

 

Dawn of the Dead (1978) reprend la trame des morts qui reviennent sur terre pour dévorer les vivants. Les rescapés, une femme et trois hommes, se réfugient dans un centre commercial. Les morts-vivants prolifèrent et obligent les humains à se terrer. L’esthétique devient plus gore et spectaculaire, avec un budget qui permet des effets spéciaux. Après la critique du racisme dans Night of the Living Dead, Romero attaque la société de consommation et ses méfaits. Les files d’attente dans les centres commerciaux font songer à des morts-vivants.

« La société de consommation enferme les citoyens dans un bonheur illusoire qui, non seulement les déconnecte de la réalité mais surtout, favorise l’émergence d’un individualisme forcené », analyse Erwan Bargain. Les rescapés se réjouissent des marchandises du centre-commercial et affrontent violemment des envahisseurs pour garder leur propriété. La violence ne provient pas uniquement des zombies, mais aussi de l’appropriation des marchandises. Le cinéaste propose un regard pessimiste sur l’humanité. Les individus s’entredévorent autant que les zombies dans une société marchande qui pousse à l’autodestruction.

Land of the Dead (2005) aborde la question des inégalités de classe. Les survivants se réfugient dans une ville fortifiée. Kaufman, homme d’affaires sans pitié et sans scrupule, dirige la cité depuis son gratte-ciel. Les pauvres tentent de survivre dans des ghettos malgré le manque de soin et de nourriture. Plutôt que de reconstruire une société plus juste, la bourgeoisie tient à reproduire les mêmes bases inégalitaires et défend jalousement son confort. Les dirigeants parviennent à soumettre le bas peuple à travers des jeux et des divertissements abrutissants.

 

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Diversité du film de genre

 

Le Mort-vivant (1974) évoque un vétéran de la guerre du Viêt Nam qui se transforme progressivement en zombie. Ce film évoque les traumatismes des anciens soldats qui ne parviennent pas à retrouver leur place dans la société. Le personnage est dévoré par une soif d’hémoglobine et sa haine se retourne contre le peuple pour lequel il s’est battu. Ce film critique les conséquences de la guerre, mais aussi la famille. Il s’inscrit dans le cinéma réaliste et critique du Nouvel Hollywood, incarné notamment par Taxi Driver de Martin Scorsese.

Moi, zombie (2001) adopte le point de vue d’un jeune homme qui se transforme progressivement. Le film évoque l’exclusion liée à la maladie et permet de réfléchir sur une société qui rejette une partie des individus et les considère comme des pestiférés.

Shaun of the Dead (2004) se présente comme une comédie. Mais les clins d’œil à Roméro sont nombreux. Le personnage semble englué dans sa routine du quotidien. Il se consacre surtout aux jeux vidéo. « L’une des idées de cette histoire est que même quand le monde sombre dans la folie, peu de choses changent finalement », confie le réalisateur Edgar Wright.  Le film évoque une génération sans avenir qui se raccroche à sa petite routine. La classe ouvrière semble sonnée et acculée. Elle se contente de subir les ravages du capitalisme néolibéral sans réagir.

 

Les Revenants (2004) évoque le retour à la vie de personnes décédées dans une petite ville française. Mais la méfiance s’empare progressivement de la population. Les morts ont la même apparence que les vivants, sans corps décharné, et ne semblent pas agressifs. Ce qui les rend d’autant plus inquiétants.

Le récit permet d’aborder des thèmes comme la maladie, l’exclusion ou la difficile réinsertion pour des individus rejetés par la société. Le pouvoir local contrôle les morts et surveille leurs déplacements. Ce qui peut faire songer à la situation des migrants. « Les morts, en raison de leur incapacité à innover, à créer, sont considérés comme inutiles au système productiviste et donc relégués à des tâches mécaniques et répétitives telles des marionnettes », observe Erwan Bargain.

 

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Zombies et société moderne

 

[Rec] (2007) parvient à renouveler le genre. Il reprend le style réaliste du documentaire. Une journaliste et son caméraman ne songent qu’à filmer pour saisir des images, alors qu’ils sont menacés par des zombies. Le film évoque l’image et la vidéo qui priment sur la réalité. Il ironise sur la mise en scène de son quotidien et de son intimité. « Comme si la vie et l’existence en général n’acquéraient de la consistance qu’à travers le prisme de la caméra, et donc de la mise en scène, même sommaire », souligne Erwan Bargain.

Fido (2007) propose une satire de la société de consommation. Une famille bourgeoise s’achète un zombie domestique commercialisé par une firme multinationale. Le film évoque l’esclavage et exploitation, mais aussi le racisme. Les humains enfermés dans leur mode de vie conformiste et bourgeois apparaissent comme les véritables morts-vivants.

 

Dernier train pour Busan (2016) marie action et émotions au service d’une critique sociale. Un homme d’affaires voyage avec sa fille vers Busan. Mais le train est contaminé par un virus qui transforme les humains en zombies. Le film décrit un monde rongé par le capitalisme et l’individualisme libéral. La pandémie résulte de la course au profit et de la spéculation autour d’une industrie de biochimie. Le héros du film incarne la soif de réussite qui déshumanise les individus. « Les zombies sont ici les révélateurs des tensions engendrées par cet ultra-libéralisme qui repose sur un rapport dominant/dominé », analyse Erwan Bargain. Le dirigeant de l’entreprise de transport incarne une bourgeoisie qui perd toute notion de solidarité.

Dans le sillage de George A. Romero, les films de zombies évoquent l’évolution de la société et de la civilisation marchande. Ce cinéma critique la guerre et le patriotisme. Il évoque également les questions écologiques, avec la pollution et le dérèglement climatique. Les virus sont créés par des déchets radioactifs ou par l’industrie agro-alimentaire. Les zombies peuvent également évoquer les migrants qui subissent l’exclusion et la ségrégation. Les films de zombies évoquent surtout la destruction des relations humaines et la propagation de l’individualisme libéral.

 

     Sang-hwa (Ma Dong-seok), Su-an (Kim Su-an) et Seok-woo (Gong Yoo) dans « Dernier train pour Busan ».

 

Regard pessimiste sur la société

 

Erwan Bargain propose un livre à la fois court et synthétique sur le cinéma de zombies. Il livre des commentaires sur différents films. Surtout, il s’attache à souligner leur dimension sociale et politique. Les zombies, figures centrales de la pop culture sont souvent associés au nanar un peu gore, divertissant mais sans profondeur. Au contraire, Erwan Bargain prend au sérieux les films de zombies et analyse leur propos politique. Le cinéma de genre porte une critique de la société marchande et du capitalisme néolibéral qui impose la guerre de tous contre tous.

Erwan Bargain insiste fortement sur les films de Romero et sur son influence sur l’ensemble du cinéma de genre. Le réalisateur porte ouvertement une dimension sociale et politique. Ses films visent à montrer que la monstruosité et le danger le plus redoutable ne proviennent pas des zombies et des sociétés humaines. Ses différents films insistent sur divers aspects du monde marchand : le racisme, l’autoritarisme et l’armée, la société de consommation, les inégalités de classe. Son cinéma attaque ouvertement la société marchande, mais aussi l’aliénation qui réduit soumet les individus à une mécanique sociale implacable.

Romero marque de son empreinte le film de genre. Les réalisateurs qui mettent en scène des zombies se nourrissent de cette référence incontournable, y compris pour la moquer ou la parodier. Ces films peuvent reprendre le discours de critique sociale, même de manière inconsciente, tant il imprègne le cinéma de genre. Les films de zombies permettent de jeter un regard pessimiste sur une société poussée à l’auto-destruction.

 

Ce pessimisme politique peut être analysé de manière ambivalente. Il tranche avec le conformisme du happy-end. La fin heureuse du film d’horreur traditionnel vise à restaurer l’ordre social et moral. A la fin, tout rentre dans l’ordre et le monde social peut suivre son cours. Le spectateur sort du film rassuré et conforté dans sa confiance dans les valeurs de l’Amérique éternelle et de la démocratie libérale. Au contraire, le pessimisme des films de zombies semble plus dérangeant. La société marchande court à sa perte et conduit l’humanité vers l’auto-destruction. Les valeurs démocratiques ne sont qu’une farce qui masque la violence de la société de classe.

Ce discours pessimiste semble alors rejoindre une critique radicale du capitalisme. Néanmoins, il peut aussi pousser davantage à la résignation et au fatalisme plutôt qu’à l’action collective. Romero et ses émules montrent des individus ravagés par les logiques capitalistes de compétition et de propriété dans une surenchère darwinienne et survivaliste. Dans ce règne du chacun pour soi, aucune place n’est laissée à la solidarité et à l’organisation collective. Ce pessimisme semble alors empêcher la perspective d’un changement de société à travers des mouvements sociaux. Le pessimisme permet de remettre en question l’ordre existant, mais ne permet pas toujours de s’organiser pour le renverser.

 

Source : Erwan Bargain, Zombies. Des visages, des figures… Dimension sociale et politique des morts-vivants au cinéma, Editions Ocrée, 2020

 

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Pour aller plus loin :

Vidéo : Blow up - Les zombies au cinéma, émission diffusée sur Arte le 16 mars 2017

Vidéo : Zombie : Pourquoi est-il devenu une superstar ? - BiTS #36, mise en ligne le 3 décembre 2014

Vidéo : Zombies : Le top 10 des films à voir absolument !, mise en ligne le 15 février 2019

Vidéo : TOP 15 des films de ZOMBIES, mise en ligne le 31 août 2016

Radio : George A. Romero, le père des zombies, Blockbusters, le podcast mis en ligne sur le site de France Inter

Radio : La leçon anticapitaliste du cinéma de zombies, émission diffusée sur France Culture le 30 octobre 2020

 

Marie Laugaa, Zombies, une figure politique de la peur, publié sur le site Gone Hollywood le 30 novembre 2020

Jonathan Fanara, « Zombies : des visages, des figures… » : la politique derrière l’horreur, publié sur le site du MagduCiné le 12 novembre 2020

One-Man-Zine, Erwan Bargain : et si les zombies, c’étaient nous ?, publié sur le site Sans œillères, ni notes ! le 19 février 2021

Jacques Demange, Note de lecture publiée sur le site Ciné Chronicle le 2 novembre 2020

Note de lecture publiée sur le site Litzic le 12 novembre 2020

 

Pierre Déléage - Histoire politique du zombi, paru dans lundimatin#190, le 6 mai 2019

Joachim Daniel Dupuis, Biopolitique des zombies. Petite généalogie d’un mort-vivant, publié sur le site de la revue Contretemps le 8 février 2021

Marion Cocquet, De quoi le zombie est-il le nom ?, publié sur le site du magazine Le Point le 3 décembre 2011

Vincent Avenel, La Saga des morts vivants de George A. Romero, publié sur le site Critikat le 29 juillet 2006

Plein emploi - Histoire du zombie Le zombie, de Haïti à Magdeburg, publié sur le site de Ciclic

Bertrand Mathieux, George A. Romero et la figure du zombie moderne au cinéma, publié sur le site Citizen Poulpe le 17 juillet 2017

Chantal Guy, Splendeur et décadence du zombie, publié sur le site du journal La Presse le 2 février 2016

Publié dans #Contre culture

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V
il est logique que les films sortent toujours dans la société
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