L’effondrement de Podemos

Publié le 25 Juin 2020

L’effondrement de Podemos
Podemos est devenu un modèle pour un renouveau de la gauche radicale. Sa réflexion sur le populisme est censé offrir une stratégie originale. Ensuite, la conquête du pouvoir au niveau local est censé expérimenter des "mairies du changement". Pourtant, cette gauche semble surtout asphyxier la dynamique des luttes sociales. 

 

En Espagne, un renouveau des mouvements sociaux apparaît avec la grève féministe du 8 mars 2018. Dans le sillage du mouvement du 15-M, les conséquences de la crise économique sur les conditions de vie des femmes sont dénoncées.

Mais, sur le plan institutionnel, la situation semble bloquée. Podemos prétendait se faire le relaie des mouvements sociaux. Ce parti a remporté des élections municipales en 2015 dans des villes importantes, comme Madrid ou Barcelone. Il tente alors de développer un nouveau « municipalisme » pour expérimenter une gestion alternative.

La revue Mouvements propose des réflexions sur la situation espagnole, en collaboration avec des membres de Podemos, dans son numéro 94 « Une alternative ? Podemos, mouvements sociaux et renouveau politique en Espagne ».

 

                           

 

Gestion municipale

 

Joan Subirats, qui collabore avec la mairie de Barcelone, observe que les villes deviennent les centres de la mondialisation. Il estime que la gestion municipale peut résoudre les problèmes de l’eau, de l’énergie, des transports ou du logement. En 2015, des listes municipales proches de Podemos et du mouvement du 15-M accèdent à la gestion des villes importantes. A Barcelone, la nouvelle maire Ada Colau est issue de la PAH qui lutte contre les expulsions de logement.

Ces nouvelles mairies prétendent rompre avec les politiques publiques néolibérales, mais aussi avec la manière de faire de la politique. A Barcelone, la nouvelle mairie renforce les politiques sociales pour les crèches et les cantines. Elle tente de développer une démocratie participative. Mais la gestion municipale ne parvient pas à lutter contre les logiques marchandes, comme l’ubérisation, qui ne cessent de renforcer les inégalités sociales.

Mathieu Petithomme évoque la gestion de la mairie de Cadix par une municipalité proche de Podemos. C’est une politique social-libérale qui est mise en œuvre. La mairie applique une politique d’austérité de réduction des déficits. Mais des mesures visent à aider les sans-abris, à réduire les factures d’eau et d’électricité et à créer une banque alimentaire. En revanche, le chômage et la misère restent toujours aussi importants dans une ville ravagée par la crise économique.

 

Marion Lang observe le lien entre les associations et la nouvelle mairie de Barcelone. L’association de quartier de Ciutat Meridiana se renouvelle à partir de 2011. Elle participe aux actions de la PAH qui se rassemble devant les immeubles pour bloquer l’accès aux huissiers. Des manifestations et blocages de succursales de banques présentent dans le quartier sont également organisées.

L’association adopte un fonctionnement plus horizontal avec des réunions hebdomadaires qui deviennent publiques. L’association adopte les pratiques du mouvement du 15-M. Mais elle se tient à distance du pouvoir politique et ne rejoint pas la liste électorale de Barcelone.

L’association dénonce le capitalisme qui produit la bulle immobilière, mais aussi la maire Ada Colau qui ne répond pas à l’urgence de la situation. L’association met en scène sa conflictualité avec la mairie dans les réunions de quartier organisées par la municipalité. Certains élus semblent davantage à l’écoute, mais aucun changement concret n’apparaît.

 

                             Ada Colau, dirigeante de Barcelona en Comu célèbre les résultats du premier tour lors d'une conférence de presse le 24 mai 2015.

 

Parti et mouvements sociaux

 

Héloïse Nez observe les liens et les différences entre Podemos et le 15-M. Podemos reprend le discours du refus du clivage idéologique entre gauche et droite. Ce sont les luttes autour des problèmes concrets de la vie quotidienne qui doivent permettre un rassemblement transversal. « Ils ne nous représentent pas » devient un slogan ambiguë. Il peut critiquer le principe de délégation et la démocratie représentative. Podemos l’interprète comme une simple critique des deux grands partis de gouvernement.

Beaucoup de militants de Podemos ont participé au 15-M. Mais, parmi les personnes du 15-M, beaucoup critiquent la démarche politicienne de Podemos. Le clivage entre l’institutionnalisation du mouvement social et l’autonomie des luttes demeure central. Les cercles de Podemos reprennent le modèle des assemblées du 15-M. Mais, des structures hiérarchiques et centralisées sont rapidement mises en place avec un secrétaire général. L’horizontalité et la délibération sont abandonnées au nom de l’efficacité électorale. Pablo Iglesias devient même un leader charismatique et médiatique.

 

Manuel Cervera-Marzal revient sur la notion de parti-mouvement. Podemos reste tiraillé entre un pôle mouvementiste impliqué dans les luttes sociales et un pôle institutionnel qui valorise les victoires électorales. La logique institutionnelle affaiblit la dimension contestataire. « Car, pour accéder au gouvernement, Podemos doit capter un électorat le plus étendu possible, ce qui exige de modérer son offre programmatique, de cultiver une image respectable pour pouvoir prétendre avec crédibilité à l’exercice du pouvoir », observe Manuel Cervera-Marzal.

  

            Le numéro deux de Podemos, Inigo Errejon, le 20 décembre 2015 à Madrid   

 

Populisme de gauche

 

Yves Sintomer revient sur le populisme de Podemos. Ce concept s’inspire des gouvernements de gauche en Amérique latine. Inigo Errejon apparaît comme le théoricien du populisme de Podemos. Il reprend des thèmes du 15-M, comme l’opposition entre « le peuple » et « la caste ». Il se distingue du marxisme qui s’appuie sur les classes populaires et préfère s’adresser aux classes moyennes.

Les propriétaires de leur logement sont particulièrement nombreux en Espagne, et restent menacés par la crise économique. La stratégie populiste vise à séduire une partie de la bourgeoisie pour l’entraîner dans un projet de transformation sociale. L’opposition entre la classe ouvrière et la bourgeoisie est alors considérée comme trop clivant.

Ensuite, le populisme vise à s’appuyer sur les affects, les émotions et les imaginaires pour conquérir le pouvoir. La politique ne renvoie pas uniquement à un aspect rationnel et technique. La théorie populiste s’appuie également sur le rôle du leader. Pour les idéologues de Podemos, l’analyse électorale semble remplacer l’analyse des rapports de classe et des conflits sociaux.

 

Une table ronde se penche sur le populisme de Podemos et de la France insoumise. Manuel Cervera-Marzal observe les différences entre Antonio Gramsci et Chantal Mouffe qui développent le concept d’hégémonie. Pour le dirigeant communiste italien, c’est la classe ouvrière qui demeure le sujet politique majeur. Le peuple apparaît beaucoup plus flou. Ensuite, pour Pablo Iglesias, l’hégémonie renvoie aussi à un imaginaire culturel construit à la travers le cinéma et les séries.

Héloïne Nez observe que le discours de Podemos puise dans les expériences latino-américaines, comme la Bolivie et le Venezuela. Mais il reste surtout très influencé par le 15-M qui permet de politiser les problèmes du quotidien, comme le logement ou la précarité. Manuel Cervera-Marzal observe que le populisme de Chantal Mouffe reste dans le cadre de la démocratie représentative, avec les partis et l’Etat. Ariel Jerez évoque la logique électoraliste qui impose une organisation hiérarchisée et centralisée.

 

     

 

Podemos contre les luttes sociales

 

La revue Mouvements permet de présenter la situation actuelle en Espagne. Même si les contributions restent sympathisantes de Podemos, les limites de cette expérience politicienne ne sont pas éludées. L’imposture du « municipalisme » révèle ses limites. Un meilleur ramassage des crottes de chiens semble assez éloigné d’une perspective de transformation sociale. Pire, l’arrivée au pouvoir de Podemos ne permet pas d’améliorer la vie quotidienne des personnes qui subissent la crise économique.

Podemos voulait faire de ses « mairies du changement » des modèles à reproduire au niveau national. Il devient évident que Podemos, au niveau local ou national, va se contenter de gérer la crise avec des politiques d’austérité. La social-démocratie se contentait d’essayer des réguler la crise à travers la fiscalité et la redistribution des richesses. Le populisme se réduit à un enfumage de communication pour imposer des politiques d’austérité.

La revue révèle également la naïveté de toute cette gauche alternative. Les mairies de Podemos semblent découvrir la réalité des institutions. Elles ne se sont pas préparées à l’hostilité des administrations. Cette gauche alternative ne propose aucune réflexion critique sur le pouvoir, sur l’Etat et sur la bureaucratie. Podemos accepte rapidement alors de se fondre dans une banale logique de gestion du capital. Malgré des mesures d’urgence indispensables, aucune sortie de la crise ne semble se dessiner.

 

Pire, Podemos a suscité beaucoup d’espoirs. La gauche alternative alimente aujourd’hui la déception et la résignation. La récupération des mouvements sociaux a finit par provoquer un essoufflement de la contestation. Les luttes ne visent plus à construire un rapport de force pour changer la société. Elles se contentent de pleurnicher auprès des institutions en espérant des politiques publiques plus sociales. L’institutionnalisation des luttes conduit toujours vers un échec.

La revue Mouvements semble au contraire valoriser une articulation entre les institutions et les mouvements sociaux. Mais la logique du pouvoir s’oppose à l’autonomie qui donne sa force aux luttes sociales. Plutôt que d’interpeller un parti ou d’attendre un geste du pouvoir, seules les luttes autonomes peuvent permettre une amélioration de la vie quotidienne.

 

Source : Revue Mouvements n°94, « Une alternative ? Podemos, mouvements sociaux et renouveau politique en Espagne », La Découverte, 2018

Extrait publié sur le site de la revue Mouvements

 

 

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Pour aller plus loin :

Vidéo : Mathieu Petithomme, Les gauches alternatives à l’assaut des villes : les politiques publiques des mairies du changement, conférence mise en ligne sur le site Savoirs ENS le 6 octobre 2017

Vidéo : Héloïse Nez, Petites Leçons de Ville 2015, mis en ligne par le CAUE de Paris le 29 octobre 2018

Vidéo : Marion Lang et Sophie de Gaillard, La participation dans les centres sociaux associatifs : entre idéal démocratique et injonction participative ?, publié sur le site du colloque participation citoyenne du 16 et 17 juin 2016

Radio :  Barcelone : d’un projet social au pouvoir municipal, conférence mise en ligne dans le site Le Zèbre le 19 décembre 2016

Radio : émissions avec Mathieu Petithomme diffusées sur France Culture

Radio : émissions avec Yves Sintomer diffusées sur France Culture

 

Mathieu Léonard, Barcelone, quelle ville en commun ?, publié dans le journal CQFD n°174 en mars 2019

Ludovic Lamant, Espagne: l'alternative citoyenne Guanyem veut «dynamiter le système catalan», publié sur le site Mediapart le 05 novembre 2014

Alain Ambrosi et Nancy Thede, Construire un pays en commun(s) Entrevue avec Joan Subirats, publié sur le site Remix Biens Communs le 20 avril 2017

Jordi Collet-Sabet et Joan Subirats-Humet, Quinze ans de Projets Educatifs Locaux (PEC) en Catalogne (Espagne), publié sur le site de l'Observatoire des politiques locales d'éducation et de la réussite éducative

Articles de Mathieu Petithomme publiés dans le portail Cairn

Publié dans #Actualité et luttes

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