L'aventure de Socialisme ou barbarie

Publié le 20 Juillet 2023

L'aventure de Socialisme ou barbarie
Le groupe Socialisme ou Barbarie reste connu pour sa critique de l'URSS comme capitalisme bureaucratique. Néanmoins, il regroupe surtout des militants révolutionnaires attachés à l'auto-organisation des luttes. L'émergence de structures autonomes de classe doit permettre d'ouvrir des perspectives de transformation de la société. 

 

 

Le groupe et la revue Socialisme ou Barbarie apparait comme une aventure intellectuelle et militante. Ce vivier politique a permis l’éclosion de figures reconnues comme Cornélius Castoriadis, Claude Lefort ou Jean-François Lyotard. Mais des personnalités moins connues ont également animé cette mouvance originale. Socialisme ou Barbarie analyse l’URSS, alors considéré comme la patrie du socialisme, comme un capitalisme bureaucratique. Le groupe attaque également l’encadrement stalinien du Parti communiste français (PCF), malgré son poids dans la vie politique et culturelle. Surtout, la revue propose de renouveler le marxisme et le projet révolutionnaire.

Dominique Frager a été un témoin et un acteur de cette aventure. D’abord tenté par le trotskisme, il rejoint le groupe Pouvoir ouvrier peu avant la révolte de Mai 68. Ce groupe reste attaché aux principales thèses de Socialisme ou Barbarie alors que son fondateur, Cornélius Castoriadis, s’en éloigne. La contestation des années 1968 confirme les thèses de la revue et de Pouvoir ouvrier. Une nouvelle expérience de luttes ouvrières de grande ampleur se développe à l’encontre des bureaucraties syndicales et du PCF. Les mouvements de la jeunesse remettent en cause la société de consommation. Dominique Frager revient sur cette expérience novatrice dans son livre Socialisme ou Barbarie. L’aventure d’un groupe (1946-1969).

 

 

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Dissidences du trotskisme

 

Si le premier numéro de la revue est publié en mars-avril 1949, le noyau du groupe se forme en 1946. Ses fondateurs forment une tendance au sein du Parti communiste internationaliste (PCI). Ce regroupement de formations trotskistes va jouer un rôle important dans la grève de Renault en 1947. La tendance à l’origine de Socialisme ou Barbarie comprend une quinzaine de jeunes. En 1946, Pierre Chaulieu (Cornélius Castoriadis) a 24 ans et Montal (Claude Lefort) a 22 ans. Ces jeunes intellectuels rejettent la dimension mécanique et déterministe du marxisme. Claude Lefort publie des articles dans la revue Les Temps modernes, dirigée par Jean-Paul Sartre, avant de faire éclater ses divergences avec la ligne éditoriale proche du parti stalinien. Dans un article de 1949, Claude Lefort critique Trotsky qui a milité pour la militarisation du travail et des syndicats. Le chef de l’Armée rouge contribue également au développement du taylorisme et de la bureaucratie.

Le courant Chaulieu-Montal se rapproche de la tendance Johnson-Forest qui émerge aux États-Unis. C.L.R James et Raya Dunayevskaya alimentent également un marxisme hétérodoxe. Ce courant partage la critique du régime bureaucratique en URSS et insiste sur l’importance des luttes autonomes des exploités. Cette tendance analyse la résistance quotidienne des ouvriers dans le cadre de l’entreprise industrielle. Les deux groupes insistent sur la construction d’un collectif de travailleurs à partir de la résistance aux normes, aux cadences et au rendement. Ce qui permet l’émergence d’une forme d’auto-organisation informelle. Socialisme ou Barbarie théorise cette dimension comme une tendance à l’auto-activité et à l’autonomie. Le clivage ne passe plus uniquement entre les propriétaires et les travailleurs, mais aussi entre un pôle de direction et un pôle d’exécution.

Les fondateurs de Socialisme ou Barbarie se construisent également à partir de la critique du trotskisme. Le PCI propose un front unique ouvrier avec un « Gouvernement PC, PS, CGT ». Mais l’alliance avec les réformistes et les staliniens n'ouvre aucune perspective sérieuse. Surtout que le PCF souhaite instaurer un régime stalinien en France.

 

 

    photo grèves de 1955 à saint-nazaire, rassemblement sur le terre-plein de penhoët.

 

 

Luttes ouvrières

 

De nombreuses grèves éclatent en France en 1953 à partir du secteur public et nationalisé, dans les postes, chez les cheminots, à Renault, dans les assurances. Socialisme ou Barbarie publie un compte-rendu de ces grèves rédigé par des travailleurs de chaque secteur. Ces analyses scrutent l’expression d’une autonomie ouvrière. Malgré la spontanéité des grèves dans leur déclenchement, les syndicats continuent d’encadrer le mouvement. La revue développe également l’enquête ouvrière. Cette démarche s’appuie sur l’expérience sociale des travailleurs pour comprendre leurs aspirations propres et le refus de leur situation.

Daniel Mothé, ouvrier à Renault et ancien militant bordiguiste, développe une critique virulente des syndicats considérés comme des bureaucraties inféodés à l’État et au patronat. La revue propose également une réponse de Georges Fontenis. Le militant communiste libertaire estime que l’activité syndicale permet de gagner l’estime et la confiance des travailleurs pour mieux impulser des comités de grèves autonomes. Néanmoins, la revue développe peu les réflexions sur l’activité syndicale et, plus généralement, sur l’intervention dans les entreprises au quotidien.

La revue préfère se pencher sur les moments de lutte. En 1955, elle évoque les grèves à Saint-Nazaire, les luttes des dockers anglais et dans l’industrie automobile américaine. Pierre Chaulieu observe que ces différentes grèves ne se cantonnent pas à la revendication syndicale de l’augmentation des salaires. Ces luttes remettent en cause également les conditions de travail. En 1956, Pierre Chaulieu se penche sur le mouvement des délégués d’atelier, ou shop stewards, en Angleterre. Certains adoptent ce poste pour progresser dans la hiérarchie syndicale. Mais cette fonction de délégué d’atelier permet aussi de porter les revendications quotidiennes des travailleurs, comme sur les temps de pause. Cette démarche permet de s’organiser à l’échelle locale de l’atelier sans passer par la bureaucratie syndicale.

 

 

      1er novembre 1956, à Budapest, des Hongrois sur un char soviétique ©Getty - Gamma-Keystone

 

 

Luttes internationales

 

La revue Socialisme ou Barbarie analyse les luttes ouvrières à travers le monde, y compris en URSS. En mai 1953, une révolte éclate en Allemagne de l’Est. La grève émerge sur des chantiers de construction à Berlin-Est avant de se propager dans l’ensemble du pays jusqu’à Leipzig. Une grève générale s’étend à tous les centres industriels. Des manifestations insurrectionnelles éclatent tandis que des comités de grève se forment dans les usines occupées.

Le mouvement arrache de nombreuses concessions avant d’être écrasé par le parti avec l’aide de la bureaucratie russe. Cette révolte ouvrière montre la pertinence des analyses de Socialisme ou Barbarie. C’est un événement capital de la lutte contre la bureaucratie en URSS. En juillet 1953, une grève de 10 000 mineurs éclate dans un camp de travail à Vorkouta. Malgré une répression sanglante, le régime est obligé de faire des concessions et ne paraît plus invincible.

La révolution hongroise de 1956 apparaît comme un moment décisif. La revue Socialisme ou Barbarie traduit des textes de témoignages écrits par les insurgés hongrois. La grève générale se traduit par l’occupation de toutes les entreprises et les bâtiments publics. Des milices ouvrières se développent également dans ce contexte d’insurrection. Le prolétariat crée des organismes autonomes de masse à travers des comités et conseils révolutionnaires. La révolte hongroise confirme les analyses de la revue sur l’URSS. Surtout, elle permet d’actualiser, à partir d’une expérience concrète, le projet du communisme de conseils.

 

Jean-François Lyotard publie de nombreux articles sur l’Algérie. Ses analyses relient la lutte de libération nationale avec la lutte des classes. Les deux aspects se rejoignent dans la lutte pour la réappropriation de la terre. Cependant, Jean-François Lyotard refuse de sombrer dans le tiers-mondisme et de s’enthousiasmer pour l’Algérie socialiste. La critique de la bureaucratie s’applique également au FLN et aux pays du tiers-monde. Une hiérarchie s’observe avec les maquis paysans qui subissent l’encadrement d’une bureaucratie politico-militaire. Néanmoins, Jean-François Lyotard n’évoque pas la religion avec ses croyances, ses représentations et ses traditions.

Pierre Souyri analyse le développement de l’État bureaucratique en Chine. Il observe que le maoïsme n’a jamais été une révolution socialiste. Le prolétariat ne joue aucun rôle dans une révolution qui repose sur la conquête de la Chine par un appareil politico-militaire. Le maoïsme permet la prise de pouvoir des classes moyennes qui dirigent les masses ouvrières et paysannes.

 

 

      

 

 

Débat sur l’organisation politique

 

En 1958, Socialisme ou Barbarie est secoué par une scission. L’arrivée au pouvoir du général de Gaulle dans le contexte de la guerre d’Algérie fait l’objet d’analyses divergentes. Mais c’est surtout sur les perspectives et la nécessité de lancer une organisation révolutionnaire que le clivage éclate. Claude Lefort considère Socialisme ou Barbarie avant tout comme un organe de réflexion et de discussion. Au contraire, Pierre Chaulieu insiste sur la nécessité de construire un parti révolutionnaire. Il débat avec Anton Pannekoek qui estime que les conseils restent les seuls organismes qui peuvent conduire une révolution. Pierre Chaulieu répond que les soviets n’ont pas empêché la dégénérescence de la révolution russe.

Pierre Chaulieu estime que le parti doit intervenir dans les luttes pour proposer des modes d’action et d’organisation. Henri Simon refuse une organisation qui se substitue aux militants sur les lieux de travail. Un texte de la majorité du groupe répond que le capitalisme ne se réduit pas à la vie de l’entreprise. Le contexte de la guerre d’Algérie impose que l’organisation intervienne également hors des lieux de travail. Une vingtaine de membres quitte le groupe et crée Informations et liaisons ouvrières (ILO) qui devient, après le départ de Claude Lefort, Informations et correspondances ouvrières (ICO).

La majorité du groupe lance donc une organisation révolutionnaire : Pouvoir ouvrier. La guerre d’Algérie devient un sujet majeur pour cette petite organisation surtout implantée dans le milieu étudiant. Néanmoins, l’intervention dans les entreprises se réduit à de la propagande à travers des journaux. Mais peu de salariés rejoignent le groupuscule. Vega propose de porter des revendications concrètes sur le salaire plutôt que de se contenter d’appeler à la révolution de manière incantatoire. Néanmoins, le groupe se ressource dans les grands moments de luttes comme avec la grève en Belgique durant l’hiver 1960. Les analyses critiques sur les bureaucraties syndicales qui s’opposent aux perspectives révolutionnaires retrouvent leur pertinence.

 

 

             

 

 

Débats sur la lutte des classes

 

Socialisme ou Barbarie participe aux débats politiques et intellectuels. Une polémique avec la revue Arguments l’oppose sur la question de la classe ouvrière. L’indifférence à la révolution hongroise de 1956 et à la guerre en Algérie démontreraient que les ouvriers ne souhaitent pas la révolution. Alain Touraine et Serge Mallet estiment que la classe ouvrière est désormais intégrée à la société de consommation.

Socialisme ou Barbarie, sous la plume de Daniel Mothé, réplique que les ouvriers subissent toujours l’exploitation et l’oppression. Cornélius Castoriadis souligne également que la majorité des ouvriers vivent dans des conditions matérielles difficiles qui ne leur permettent pas de profiter de la société de consommation. Surtout, la définition du prolétariat se détermine par la place dans la production, et non dans la consommation. Dans le secteur des services, les employés restent des prolétaires qui doivent se soumettre à des tâches d’exécution. La vague de contestation ouvrière qui traverse les années 1968 permet de trancher le débat en faveur de Socialisme ou Barbarie.

 

En 1959, Cornélius Castoriadis publie son texte sur « Le mouvement révolutionnaire dans le capitalisme moderne ». Il constate l’apathie de la classe ouvrière. La vie privée, les loisirs vides et le consumérisme deviennent des compensations au travail aliéné. Les luttes pour le salaire participent au bon fonctionnement du système. Les mouvements sur les conditions de travail ne portent pas un projet politique global qui pose la question du pouvoir.

En 1963, dans « Plate-forme générale », Cornélius Castoriadis observe que la hiérarchie dans les entreprises ne se réduit pas au clivage entre dirigeants et exécutants. De nombreuses couches intermédiaires peuvent cumuler des tâches d’exécution et de direction. La majorité des individus sont intégrés dans l’organisation bureaucratique de la production. Mais la plupart des salariés subissent l’aliénation dans le travail et peuvent se révolter contre l’absurdité du système.

 

 

          

 

 

Militantisme et théorie révolutionnaire

 

Dominique Frager propose un livre incontournable sur le groupe Socialisme ou Barbarie. Il évoque les différentes luttes sociales analysées par la revue. Il revient également sur les débats qui éclatent au sein du groupe. Ces discussions sur le rôle de l’organisation permettent également de penser l’intervention dans les luttes sociales. Surtout, à travers la trajectoire du groupe révolutionnaire, Dominique Frager revient sur des enjeux décisifs qui restent toujours d’actualité.

Dominique Frager revient sur la question du contenu du socialisme. Mais il adopte un point de vue autogestionnaire et confusionniste. La référence aux universitaires citoyennistes Thomas Coutrot ou Alexis Cuckier lissent l’analyse précise de Cornélius Castoriadis. Dominique Frager semble se complaire dans une autogestion du capital avec des entreprises qui se contentent de permettre davantage la participation des salariés.

Ce modèle de l’économie sociale et solidaire n’empêche pas l’exploitation et le management toxique. Cornélius Castoriadis semble davantage remettre en cause le travail et son impératif productiviste. C’est davantage la créativité qui doit permettre de satisfaire les besoins vitaux. Socialisme ou Barbarie remet en cause le modèle taylorien de l’usine et de l’entreprise, contrairement aux marxistes-léninistes et même aux conseillistes traditionnels.

 

Dominique Frager insiste également sur l’intervention dans la lutte des classes au quotidien. Pour lui, le militantisme en entreprise ne peut que passer par le syndicalisme. Néanmoins, la CGT apparaît comme un appareil stalinien fortement hiérarchisé. Henri Simon ou Vega insistent sur les revendications immédiates et sur la nécessité de construire des organisations autonomes. Même si cette démarche peut également s’inscrire dans la filiation du syndicalisme révolutionnaire.

Surtout, Socialisme ou Barbarie se nourrit davantage des moments intenses de grèves et de révoltes. Si le militantisme au quotidien reste peu pensé, ce sont les analyses des mouvements sociaux en France et à l’international qui restent précieuses. La revue insiste sur les luttes autonomes des exploités qui s’organisent en dehors des partis et des syndicats. Cette approche reste pertinente pour analyser les soulèvements à travers le monde qui permettent d’ouvrir des perspectives de transformation sociale.

 

Source : Dominique Frager, Socialisme ou Barbarie. L’aventure d’un groupe (1946-1969), Syllepse, 2021

 

Articles liés :

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Castoriadis contre le capitalisme

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Révoltes et théories critiques des années 1968

 

Pour aller plus loin :

Vidéo : Dominique Frager et Jean-Pierre Dozon, Le Groupe et la revue Socialisme ou Barbarie, conférences diffusées sur Canal U le 17 avril 2019

Vidéo : Georges Gontcharoff, Ludivine Bantigny et Dominique Frager, Socialisme ou Barbarie, débats diffusés par l'Institut Tribune Socialiste le 16 novembre 2021

Frédéric Thomas, Socialisme ou barbarie. L'aventure d'un groupe (1946-1969), paru dans lundimatin#293, le 21 juin 2021

Pierre Cours-Salies, Au-delà de vagues références …, publié sur le site Entre les lignes entre les mots le 9 juin 2021

Cartouches (68), publié sur le site de la revue Ballast le 30 septembre 2021

Mathieu Foulot, Socialisme ou barbarie : une pensée à contre-courant, publié sur le site de la revue Le Comptoir le 29 juin 2015

L’abécédaire de Socialisme ou Barbarie, publié sur le site de la revue Ballast le 4 décembre 2021

Une théorie du mouvement révolutionnaire. Retour sur le débat et la scission de Socialisme ou Barbarie en 1963, paru dans lundimatin#229, le 10 février 2020

Frédéric Thomas, Inédit : Entretien avec quelques anciens membres de Socialisme ou Barbarie, publié sur le site de la revue Dissidences le 19 avril 2015

Entretien d’H. Simon avec l’Anti-mythes Une critique de l’avant-gardisme, publié sur le site Lieux Communs le 20 décembre 2010 

Socialisme ou barbarie (1949-1965), publié sur le site La Bataille socialiste

Sommaires de la revue Socialisme ou Barbarie (1949-1967), publié sur le site Fragment d'Histoire de la gauche radicale le 18 novembre 2013

Sommaires de Pouvoir Ouvrier (1958-1969), publié sur le site Fragment d'Histoire de la gauche radicale le le 3 juillet 2013

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L
Castoriadis est certainement un penseur très fécond dans le champ philosophique, mais il s’est trompé sur tout. Avec Socialisme ou Barbarie, il a idéalisé naïvement la communauté de production, la « spontanéité créative des ouvriers », ou « l’expérience prolétarienne » quotidienne dans l’usine, censée porter en elle-même les fondements d’un renversement de l’ordre des choses, et les fondements du socialisme, réduisant la révolution, peu ou prou à une question de gestion productive. Mais c’est bien le concept d’exploitation, et les luttes de classes, non pas les luttes des dominés contre les dominants, qui permet de saisir la dynamique capitaliste, et c’est la dynamique des luttes de classes qui a contraint le capitalisme à évoluer et à réaliser les tendances qu’il portait en son sein. Ce n’est pas parce que les prolétaires sont privés d’initiative que le monde est invivable, c’est parce que toutes les forces sociales du travail se présentent en tant que forces productives du capital, se dressant face aux travailleurs comme une réalité étrangère et hostile, à laquelle la réappropriation collective des grands moyens de production doit mettre fin, quelles qu’en soient les formes. Ce qui ne se résout pas dans des questions de subordination, de hiérarchie, d’initiative, ni de gestion.<br /> <br /> Après s’être détaché de ce mysticisme prolétarien, il a prédit la disparition de la paupérisation ouvrière et des luttes de classe, ce qui est pour le moins discutable, et par surcroît celles du chômage et des crises économiques, ce qui ne fait honneur ni à son intuition de révolutionnaire, ni à ses qualités d’économiste. Et comme Trotsky, il pensait que le capitalisme bureaucratique d’état était le successeur du capitalisme, mais c’est le contraire qui s’est passé.<br /> En renonçant au concept d’exploitation au profit d’une opposition attrape-tout entre exécutants et dirigeants (qu’on retrouve aujourd’hui dans la supposée opposition entre les « dominés » et les « dominants », qui fait les choux gras de la sociologue gauchiste), et en substituant à la question des rapports de production la tension entre l’initiative ou l’autonomie de l’individu d’une part, nécessaire au fonctionnement du capitalisme, et le commandement hiérarchique de l’autre, ce qui est une contradiction bien réelle, mais très secondaires, il s’est privé du facteur fondamental de compréhension. On s’en rend mieux compte aujourd’hui alors que le capitalisme encourage à tout va l’initiative, l’invention et l’autonomie, qui lui sont effectivement indispensables, et qui font figue même d’obligation impérative, jusqu’au plus bas de l’échelle. Même si nous ne sommes pas dupes des limites de cette injonction (double bind), la « lutte pour l’autonomie » ne constitue certainement pas « l’analyseur critique de cette société ».<br /> <br /> J’ajouterai que les spéculations sur « l’auto-institution de la société » n’ont pas grand sens : une société capable de se considérer comme étant sa propre création souffrirait à mon avis d’une forme de schizophrénie, et je n’éprouve aucun intérêt particulier pour des communautés qui obéiraient seulement aux lois qu’elles ont décidé de se donner elle-même, présentées comme un idéal à atteindre, parmi lesquelles je compte les oligarchies qui nous gouvernent, les maffias qui mettent le monde en coupe réglée, ou les bandes de voyous qui terrorisent leurs voisins. L’égalité ses salaires érigée en principe me semble aussi une absurdité, qui met la contribution du chirurgien et celle du vendeur de téléphones au même niveau. Enfin, l’autogestion généralisée n’est qu’un concept creux : les centrales nucléaires et les usines d’armement ou d’automobiles, tant qu’il en reste, où les centrales thermiques, dont on aura du mal à se passer complètement, les mines de charbon ou d’uranium, les cimenteries sont-elles susceptibles d’être autogérés par des travailleurs qui fixeraient eux-mêmes les objectifs de production et les efforts à consentir pour les atteindre ? Les grands moyens de communication doivent-ils appartenir aux journalistes ? Les agences de pub ? Les champs de pavot à ceux qui les cultivent ? Les commissariats de police aux policiers, et les tribunaux aux magistrats du siège ?<br /> <br /> pour en savoir plus : www.lalleedesbrumes.fr
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