Action Directe et le mouvement autonome
Publié le 23 Novembre 2018
En 1979, Action directe apparaît avec le mitraillage du CNPF (Centre national du patronat français, ancêtre du Medef). Ce groupe de lutte armée émerge dans le sillage de la contestation des années 1968. Cette période est traversée par les luttes anticoloniales, la révolte de la jeunesse contre la guerre du Vietnam et les luttes afro-américaines. En France éclate la révolte de mai 1968 . La jeunesse et les grévistes affrontent les policiers.
Les années qui suivent se caractérisent par une montée de la conflictualité. A Toulouse, le Mouvement ibérique de libération (MIL) et les Groupes d’action révolutionnaires anarchistes (Gari) organisent des braquages et prennent les armes contre Franco. Des luttes de prisonniers éclatent également dans toute la France. Des groupes armés émergent. Les maoïstes de la GP créent une branche armée : la Nouvelle Résistance populaire. Après la dissolution de la GP, certains militants refusent de déposer les armes. De 1974 à 1977, les Brigades internationales s’attaquent à des représentants des régimes fascistes sur le territoire français. A partir de 1977, les Napap organisent des attentats à la bombe.
C’est durant cette période qu’émerge le mouvement autonome en France, sur le modèle de la contestation italienne. En 1977, ce courant atteint son apogée avant de décliner. Action directe propose alors de coordonner le mouvement autonome et les groupes de lutte armée. L’historien Aurélien Dubuisson se penche sur ce contexte politique dans son livre Action directe les premières années.
A partir de 1974, l’extrême gauche maoïste ou trotskiste s’effondre. Des réfugiés italiens diffusent les idées de l’autonomie ouvrière. Des pratiques de lutte en dehors des partis et des syndicats sont valorisées. Les chômeurs et les précaires participent à la lutte qui ne se centre plus sur la grève dans l’entreprise. Le contexte de licenciements et les débuts du chômage de masse favorisent le développement de ces idées nouvelles. L’illégalisme est largement valorisé. Des rencontres se tissent dans les prisons.
Action directe tente de structurer le mouvement autonome vers une stratégie de lutte armée. « L’objectif est d’être en phase avec le mouvement social de l’époque, et notamment avec ses composantes les plus radicales », décrit Aurélien Dubuisson. Les autonomes sont présents dans les luttes massives qui portent une certaine radicalité politique, comme le mouvement des sidérurgistes de Longwy ou la lutte anti-nucléaire à Creys-Malville. Action directe mène des campagnes pour donner une perspective révolutionnaire à ces luttes. Mais chaque collectif d’Action directe peut agir librement sans rendre de comptes aux autres structures. Le groupe comprend deux structures. La clandestine mène des opérations illégales. L’autre mène une activité de propagande classique pour donner une visibilité et ne pas l’isoler.
Les attentats d’Action directe ne sont évidemment pas des actes de sauvagerie aveugle, mais s’inscrivent dans un contexte politique. Le mitraillage du CNPF dénonce la restructuration du capital par le patronat. Cette action vise également à soutenir les luttes ouvrières qui sortent de l’encadrement syndical, comme à Longwy. Ces grévistes peuvent ensuite soutenir la jeune organisation. Les attaques contre les locaux du GIGN et de la DST visent clairement l’impérialisme de l’Etat français et ses forces de contre-insurrection. Action directe relie la répression militaire d’une révolte en Tunisie avec l’encadrement policier des quartiers populaires de Paris. Des actions visent à soutenir les luttes des travailleurs immigrés, comme la grève dans les foyers Sonacotra. Les promoteurs immobiliers qui favorisent la gentrification sont également attaqués. « AD se présente comme un recours révolutionnaire tant aux syndicats cogestionnaires qu’à la social-démocratie incarnée par François Mitterrand », observe Aurélien Dubuisson.
En 1981, la gauche au pouvoir propose une loi d’amnistie. Les militants qui sont libérés luttent pour que tous leurs camarades sortent de prison. Des grèves de la faim se développent. Mais des militants Action directe revendiquent le statut de prisonniers politiques. Même si des militants tentent de créer des liens avec les autres prisonniers et dénoncent le rôle de la prison pour maintenir l’ordre social. La campagne de libération s’appuie sur le mouvement social et les médias. La librairie Le Jargon libre, animée par Helyette Besse, devient un lieu central du soutien aux prisonniers. En octobre 1981, tous les militants sont finalement libérés. Ce qui reflète une bonne perception de leurs actions par la population.
En août 1982, un attentat dans un restaurant cause la mort de six personnes. Cet assassinat est attribué à Action directe après un coup de fil anonyme. L’organisation dément, mais elle est quand même dissoute par le pouvoir. Elle ne peut plus mener ses activités politiques au grand jour. Des dissensions internes se développent. Une tendance mouvementiste veut renoncer à la lutte armée pour s’impliquer dans les luttes sociales. Ils s’opposent à l’avant-gardisme de la guérilla qui se coupe des mouvements sociaux. Mais la majorité continue la lutte armée. Cependant, des actions pratiques doivent ne pas se contenter du symbolique mais doivent soutenir militairement la contestation sociale. Ce groupe est rapidement démantelé par la police. Une troisième tendance vise à unifier les groupes armés en Europe dans un combat contre l’impérialisme. Cette tendance, qui garde le sigle Action directe, s’investit également dans les manifestations contre le G7 ou la guerre du Liban.
Témoignages
Des entretiens permettent de recueillir les témoignages anonymes de membres d’Action directe. Un militant, issu d’un milieu modeste, se tourne vers les maoïstes de l’UJCml. Il participe au Comité Vietnam de base (CVB) et distribue des tracts dans les usines. En 1968, il rejoint les affrontements de rue sur les barricades. Même si son organisation fustige un mouvement petit-bourgeois. Après le mouvement, les maoïstes tentent de s’implanter dans les usines situées dans les zones périurbaines qui ne subissent pas un encadrement syndical. Sochaux devient un bastion maoïste.
Après la dissolution de la Gauche prolétarienne, le militant rejoint les Brigades internationales (BI). Il est blessé à la jambe au cours d’une attaque de l’ambassade du Chili de Pinochet. Il participe à l’expulsion de Mitterrand à la manif du Larzac de 1974. Il rejoint ensuite les Napap. Ce groupe organise des braquages avec des anciens des Gari. Il tire sur les vitres de la direction de Citroën après le meurtre d’un ouvrier. Ensuite, les groupes autonomes lancent des attaques aux cocktails molotov pour soutenir la lutte anti-nucléaire de Malville. Des attentats à la bombe se multiplient également au moment de la mort des militants de la RAF (Fraction armée rouge). Mais ces actions prévoient de ne pas provoquer de morts ou de dégâts collatéraux.
Entre 1977 et 1979, les groupes autonomes organisent une série de braquages. C’est à cette période que se forme Action directe. L’autonomie est confrontée à une contradiction. Elle doit rentrer en clandestinité pour éviter les infiltrations policières. Mais elle doit rester ouverte aux mouvements sociaux. La coordination de petits groupes existants permet la création d’Action directe.
Une employée de banque rejoint l’autonomie parisienne en 1976, après une grosse grève à la BNP. Elle tente de créer des solidarités avec des grèves, notamment avec les travailleurs du métro. Mais face à la bourgeoisie, certains veulent passer à la lutte armée. L’autonomie italienne, mais aussi la Résistance, deviennent des modèles. La militante participe à la création d’Action directe en 1978. Mais elle ne sort pas de prison en 1980, car elle est accusée d’avoir tiré sur la police. En 1982, les membres d’Action directe participent à des ouvertures de squats à Barbès.
Un militant antifranquiste évoque les prémisses d’AD à travers les rencontres dans la prison. Les anciens maoïstes, les réfugiés politiques italiens et les jeunes autonomes créent des liens avec les anciens du MIL et des Gari. Même si d’autres militants peuvent évoquer d’autres origines. Nathalie Méniguon insiste sur le collectif autonome de la BNP et sur la grève des éboueurs. Régis Schleicher vient de l’ORA (Organisation révolutionnaire anarchiste) devenue l'Organisation communiste libertaire (OCL).
AD tente de dépasser les rivalités entre marxistes et non marxistes. L’autonomie des squats rejoint AD. Cette organisation se veut sans chef et sans hiérarchie. Une coordination pour la libération des prisonniers politiques se réunit depuis la rue des Vignoles, qui est alors le siège de l’OCL. AD reste très populaire, ce qui permet la libération de ses militants en 1980.
Un militant découvre les assemblées autonomes de Jussieu en 1977. Il côtoie alors des membres d’Action directe, notamment dans les manifestations agitées. Mais il s’oppose à la tendance autoritaire au sein d’AD. Ce courant veut coordonner mais surtout chapeauter le mouvement autonome. Ensuite, AD privilégie les actions symboliques comme le mitraillage du Ministère du Travail. Un courant « mouvementiste » privilégie au contraire la participation aux luttes sociales, comme celle des sidérurgistes de Longwy. La tendance anti-impérialiste semble déconnectée des problèmes de la vie quotidienne. Au contraire, l’affrontement direct avec l’Etat doit se dérouler dans la rue et les mouvements sociaux. Un conflit militaire ne peut être que perdant. Ensuite, AD adopte une posture d’avant-garde et un esprit de sérieux qui diffère du mouvement autonome.
Aurélien Dubuisson propose un livre agréable sur les origines d’Action directe. Il resitue l’émergence de ce groupe de lutte armée dans le contexte historique du mouvement autonome. A ses débuts, Action directe n’est pas un groupuscule marxiste-léniniste avec une direction centralisée. C’est davantage un sigle qui vise à coordonner diverses actions de lutte armée. Action directe reste décentralisée et comprend divers groupes qui agissent de manière autonome.
Néanmoins, la volonté de coordination des différents groupes peut aussi apparaître comme une volonté centralisatrice. Action directe reste un sigle qui vise à unifier le mouvement autonome. Malgré la forme coordination, c’est la vieille logique du parti qui se dessine. Certes, des actions se mettent au service des luttes. Mais la volonté d’y apposer un sigle et d’imposer sa marque révèle la volonté de faire de la propagande au service d'une organisation politique.
Aurélien Dubuisson montre bien les clivages qui traversent AD à ses débuts. La tendance mouvementiste privilégie le soutien aux luttes, tandis qu’une minorité valorise l’anti-impérialisme. Le soutien aux mouvements de libération nationale révèle toute leur ambiguïté. L’anti-impérialisme vise à se battre pour des causes lointaines et déconnectées des problèmes de la vie quotidienne. Les groupes de lutte armée sont alors coupés de la lutte des classes. Ils ne peuvent plus s’appuyer sur la moindre base sociale.
Ces groupes deviennent des groupuscules déconnectés des mouvements réels. Surtout, l’anti-impérialisme n’est qu’une resucée du vieux marxisme-léninisme. Les actions d’un petit groupe d’avant-garde sont censées changer le cours de l’histoire. En réalité, ces groupes armés se noient dans le marigot de la politique internationale. Des actions militaires doivent aider certains Etats plutôt que d’autres. Une assemblée autonome compare même ces pratiques à celles des services secrets.
La tendance mouvementiste d’AD semble évidemment plus sympathique. Néanmoins, la démarche de simple soutien aux luttes reste ambigüe. C’est une forme de délégation armée. Les militants d’AD ne participent pas aux luttes en tant que prolétaires et par solidarité de classe. Ils estiment que ces luttes doivent se radicaliser depuis l’extérieur. Au contraire, les débats sur les formes d’action et les pratiques de lutte doivent être discuté au sein des assemblées et comités de grève. Il n’est évidemment pas impossible d’agir en parallèle.
Mais l’action directe semble plus déterminante lorsqu’elle émane directement de la lutte des classes. Les braquages pour soutenir les caisses de grève témoignent évidemment d'une solidarité. Mais ces pratiques ne déterminent pas la réussite d’une lutte collective. La lutte armée reste au mieux un complément, mais n’apparaît pas comme déterminante. Elle ne doit être ni stigmatisée, ni fétichisée. La violence devient révolutionnaire uniquement lorsqu’elle est portée par une majorité d’exploités déterminés à abattre le monde marchand.
Source : Aurélien Dubuisson, Action directe les premières années. Genèse d’un groupe armé 1977-1982, Libertalia, 2018
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Radio : Enregistrement de la conférence d’Aurélien Dubuisson et Jann-Marc Rouillan sur l’histoire d’Action directe, mis en ligne sur le site de l'Université populaire de Toulouse le 10 octobre 2018
Julien Salingue, Action directe, les premières années, publié sur le site du NPA le 24 octobre 2018
Aurélien Dubuisson, [Guide de lecture] La lutte armée en France et en Europe, publié sur la revue en ligne Période le 26 mars 2018
Sébastien Schifres, La Mouvance autonome en France de 1976 à 1984, mémoire de maîtrise d’histoire-sociologie (2004)
Peter Vener, Quelques notes critiques sur « En catimini », mis en ligne sur le site Non Fides le 12 janvier 2010
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