Censure et sexe au cinéma
Publié le 27 Juillet 2018
Le sexe à l’écran continue de heurter les défenseurs de la morale. Une censure perdure. Le film Baise-moi, interdit aux mineurs alors qu’il n’est pas pornographique, révèle un malaise. La simple nudité à l’écran devient transgressive. La représentation d’actes sexuels alimente toujours de vifs débats. Entre la liberté d’expression et la pudibonderie, les positions sont diverses. L’Etat choisit de sauvegarder l’ordre et la moralité.
Certains artistes, comme les surréalistes, valorisent la transgression des règles et des interdits. « Si l’on croit les surréalistes, rien ne peut s’opposer au fardeau mortel des institutions et de l’ordre établi excepté l’amour fou, irrationnel, anarchique », souligne Amos Voguel. Luis Buñuel, qui suggère plus qu’il ne montre, reste très provocateur. Les films qui montrent des actes sexuels sont classés X et enfermés dans le ghetto pornographique. Le livre collectif Sexe & déviances propose une réflexion sur la censure et la transgression.
Isabelle Labrouillère se penche sur la censure à Hollywood. A partir de 1934, le Code Hays impose une censure redoutable. Les cinéastes tentent de la contourner à travers la suggestion ou la métaphore. La censure perdure, même pour des films pour ados qui véhiculent pourtant une morale conservatrice. Les séries du câble deviennent même un refuge pour montrer les expressions du corps. La nudité est davantage tolérée dans le cinéma d’auteur. Les corps n’incarnent plus l’érotisme mais le malaise de la sexualité. La nudité ne choque pas le spectateur dans des films comme L’Apollonide de Bertrand Bonello, Shame de Steve Mac Queen ou encore Eyes Wide Shut de Stanley Kubrick.
Laurent Garreau se plonge dans les archives pour décrire les motifs de la censure. Les images et la sexualité explicite sont évoquées. Mais ce sont surtout les intentions provocatrices des réalisateurs qui sont mises en cause. En 1973, le film Les valseuses montre des jeunes marginaux qui s’adonnent à la délinquance et au plaisir sexuel. Leurs transgressions paraissent positives et joyeuses. Ce qui envoie un mauvais message à la jeunesse. La censure vise ainsi à préserver l’ordre social et la moralité.
Christophe Triollet évoque la censure des affiches de films. Des images, dessins ou photos, peuvent être modifiés par une commission de classification. Le maire et la justice peuvent également faire retirer des affiches. Le droit condamne « l’outrage aux bonnes mœurs ». Cette expression renvoie aux comportements publics contraires aux règles de vie posées par la société. Le droit défend la morale sexuelle.
Agnès Giard présente l’érotisme japonais. Ce sont les expressions du visage qui provoquent l’excitation, dans un pays qui réprime les émotions. Cette pornographie tranche avec la vision occidentale qui montre surtout la pénétration génitale. « Au Japon, le tabou n’est pas religieux mais social et porte sur l’expression de l’ego », observe Agnès Giard. La société valorise l’uniformisation et incite à masquer les émotions individuelles. L’érotisme japonais s’appuie également sur les fantasmes. Les films porno cherchent à se distinguer à travers des titres longs qui recherchent le concept le plus original.
Alain Brassart évoque la pornographie et les femmes. Le cinéma pornographique semble essentiellement destiné aux hommes. Surtout, il vise à séparer le plaisir sexuel des sentiments. Les femmes restent associées à l’amour pur dans une société patriarcale. « Dans nos sociétés occidentales modernes, qui prônent la liberté sexuelle, et plus largement encore la liberté de choix pour tout individu, les femmes sont encore catégorisées en fonction de leur attitude face à la sexualité », observe Alain Brassart. La femme doit être pure et faire des enfants. Au contraire, la femme sexy fait fantasmer les hommes, mais suscite le mépris. Les actrices porno restent donc stigmatisées par les moralistes, y compris certaines féministes.
Les films qui contiennent des scènes de sexe explicites seront jugés différemment par la commission de contrôle selon les intentions des cinéastes. Les films de Bertrand Bonello ou Catherine Breillat sont tolérés et classés dans le « cinéma d’auteur ». Ces réalisateurs tiennent d’ailleurs à se distinguer de la pornographie. En revanche, Baise-moi de Viriginie Despentes ou Histoires de sexe(s) d’Ovidie sont interdits aux moins de 18 ans et classés X. Ces réalisatrices défendent ouvertement la pornographie féminine et le plaisir sexuel, ce qui leur attire les foudres des moralistes. Les intentions des cinéastes sont davantage jugés que les films eux-mêmes.
Les actrices porno sont dénoncées comme des « salopes ». Elles se distinguent de l’idéal de la femme pure et innocente et affirment leur goût prononcé pour le plaisir sexuel. « Si être une salope signifie que nous nous éclatons au lit, alors où est l’insulte ? Ne devons-nous pas être fières d’être des salopes ? », interroge Ovidie. La liberté sexuelle s’oppose à la norme de la femme pudique, discrète et sentimentale. Un porno féministe se développe. Les réalisatrices filment l’orgasme féminin. Ce plaisir féminin n’est pas dévalorisé ou assujetti à celui du partenaire. Mais les films pornos brisent rarement les vieux schémas de la femme passive et soumise.
Albert Montagne se penche sur le cinéma de Luis Buñuel. Cet artiste se rattache au mouvement surréaliste qui attaque toutes les formes d’autorité. « C’est le poète révolté qui clame l’amour fou, sans limite, qui provoque et s’attaque aux normes sociétales et aux représentants institutionnels : les bourgeois, prêtres, policiers et militaires », décrit Albert Montagne. Luis Buñuel valorise un érotisme transgressif. Mais il contourne la censure à travers la suggestion. Ses films évoquent le fétichisme, l’inceste, l’onanisme et même la nécrophilie. Ce cinéma libère les folies, les pulsions, les fantasmes, les perversions et les multiples désirs érotiques.
Ce livre collectif revient sur la censure au cinéma. Il évoque également toute la diversité du genre pornographique et du cinéma bis. Ces articles issus de la revue Darkness valorisent un cinéma populaire mais marginal. La juxtaposition de textes permet de montrer les différentes formes de censure et de cinéma, dans différents pays. Mais il manque une analyse d’ensemble pour relier les articles.
La censure permet de défendre l’ordre moral et l’ordre social. En France, les motifs invoqués se rattachent clairement à la remise en cause des valeurs bourgeoises traditionnelles. La critique de la famille ou de la religion reste particulièrement mal perçue par l’Etat. La bonne morale sexuelle est liée au respect de l’ordre existant et de la légalité.
Ensuite, ce livre collectif revient sur les différentes formes de transgression. La sexualité reste dénigrée lorsqu’elle sort des normes et des conventions sociales. Les femmes qui participent à des films porno sont particulièrement stigmatisées. Elles sortent de leur rôle social de femme soumise. Ensuite, la pornographie sépare le plaisir sexuel du sentiment amoureux. Ce qui remet en cause le fondement de la société patriarcale avec le couple et la famille.
Néanmoins, ce livre collectif s’interroge peu sur les évolutions historiques de la censure. Dans les pays occidentaux, le sexe et la violence au cinéma restent davantage tolérés. La pornographie semble se banaliser. La répression sexuelle n’est plus celle du régime gaulliste. Néanmoins, il semble important d’analyser les nouvelles formes de répression sexuelle. Ce n’est plus l’interdit, mais l’imposition d’une norme qui semble prédominer.
Des corps conformes et une sexualité classique semblent s’imposer. La pornographie diffuse également ses propres normes sociales et son conformisme. La transgression au cinéma ne passe plus par des scènes de pénétration sexuelle. Il semble important d’inventer un nouvel imaginaire de la transgression contre l’ordre moral et la normalisation sexuelle.
Source : Christophe Triollet (dir.), Censure & cinéma. Sexe & déviances, LettMotif, 2017
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Vincent Roussel, “Sexe et déviance” (collection Darkness – censure et cinéma), publié sur le webzine Culturopoing le 24 janvier 2018
Maxime Lachaud, Collection Darkness, Censure et cinéma chez Lettmotif, publié sur le site A voir à lire le 14 février 2018
Jacques Demange, Darkness, Censure et cinéma Sexe & Déviances (tome 2) - Critique publié dans le webzine Ciné chronique le 6 décembre 2017
Sexe & Déviances – Collectif, publié sur le site Kino Script le 16 janvier, 2018
Christophe Triollet (dir.), Sexe & Déviances, publié sur le site d'Albert Montagne le 3 décembre 2017